Ce qui fait un chat || Coup de Foudre

— Tu as un truc pour les fleurs jaunes, lui répondit sa fille, quand il lui avoua aimer les pissenlits, les tournesols et les passiflores. Même les passiflores, quoique violet et blanc, avaient un beau cœur jaune.
Elle n’avait pas vu beaucoup de tournesols dans sa vie. La dernière fois qu’elle en avait cueilli, c’était dans le jardin d’un bipède, pour recouvrir le corps d’Étoile Masquée et de Jolie Abeille dans la tanière du renard. Les pissenlits avaient du en faire partie, ainsi que les myosotis, et tant d’autres fleurs. Hellébores, pensées, marguerites, coquelicots, dahlias, lavande, cosmos… il y en avait tellement, que même elle, aide-mémoire, en perdait le fil. Ses fleurs pour lesquelles elle se levait si tôt le matin, à l’aube, avant tout le monde, pour aller les cueillir. Elle les déposait sur leurs corps, plus dans un besoin de camoufler leur odeur et leur présence que pour se recueillir, mais sans doute y avait-il un peu de ça, aussi. À l’époque, ses sentiments pour ses parents biologiques n’étaient pas aussi clairs qu’aujourd’hui — ils étaient conflictuels et confus. Puis elle se roulait dans les fleurs pour prendre à son tour leur odeur, et cacher celle de la mort et d’Étoile Masquée.
C’était lors d’une de ces cueillettes que Bec Croisé l’avait surprise, et qu’elle lui avait tout révélé. Le premier maillon de la longue chaîne qui avait suivi, pour la mener jusqu’à aujourd’hui.

Elle suivi son père en direction des hautes pierres, lieu sacré qui dominait les quatre clans. Seuls les arbres de la forêt empêchait les chats du Tonnerre de les voir depuis leur territoire. Mais elles étaient bien là, grandes et imposantes, à observer.
— Fais gaffe Source, un faux-mouvement et toutes ces petites pierres vont te mordre les pattes.
Source de Secrets baissa la tête, levant une patte lorsqu’elle posa les yeux sur une pierre aux bords tranchants et aiguisés. Un pas après l’autre, elle s’aventura sur le sol rocheux d’une démarche qui pouvait rappeler une danse légère.
— Qu’elles essaient, répondit-elle du tac-au-tac. Elles ne l’auraient pas.
Puis ils se mirent à chercher. Fleurs bleues, cœur jaune, chantonnait son père. Pour rendre les recherches plus efficaces, elle se dirigea plus au nord.

Au départ, elle ne trouva rien. Rien d’autre que des pierres, de la mousse, et différentes variétés d’herbes qui poussaient ici et là, dans ce lieu qui leur était pourtant si hostile en apparence. Puis dans un petit coin d’herbe isolé au milieu de la roche, elle trouva… autre chose.
— J’ai trouvé des hellébores.
Rares fleurs aux pétales noirs, elles trônaient là — 3 petites fleurs au milieu de nulle part. Il était étonnant qu’aucun herbivore ne les ai pas dévorées.
— Je n’en avais jamais vu des noires. Toujours des blanches. On fait quoi, on les prend ?

Source et lui se séparèrent pour couvrir plus de terrain. Mais la distance ne lui enleva pas cette impression de ressentir sa chaleur près de lui. Il ronronnait, le nez dans le sable, à renifler les brins d'herbe à la recherche de quelque chose de petit, de bleu, et avec un coeur jaune. Il trouva des trèfles et bien sûr, des pissenlits, même si ces-derniers plutôt qu'être jaunes et doux sous la truffe approchaient la mort en se blanchissant. Un éternuement fit s'envoler ses graines comme un rêve, et le bengal s'assied, s'oubliant, observant le spectacle comme il aimait le faire des jeunes araignées qui "ballonaient" sur leur fil.

— J’ai trouvé des hellébores.

Son oreille se pivota vers l'arrière. Il se leva et tourna le dos aux pissenlits, trottinant de bonne patte en direction de la voix.

— Ah ouais? Fais voir.

Oh. Franchement bizarre.

— Je n’en avais jamais vu des noires, lui dit sa fille, lui enlevant les mots de la bouche. Toujours des blanches.
— Toujours des blanches, hmm...

En effet, il ne lui était pas souvent arrivé de voir des fleurs aussi sombres, et immaculées de tout coup de grosses dents d'herbivores ou de minuscules petites dents d'insectes. Il s'approcha le nez, avant de se raviser et de se le frotter vigoureusement de la patte. Il s'était attendu à ce qu'elles soient sèches, comme des Tournesols brunissant et se noircissant avec la mort. Mais non. Ces héllébores, curieusement, resplandissaient encore de joie de vivre, leurs pétales encore souples et douces sous la truffe.

— On fait quoi, on les prend ?

Coup de Foudre pinça sa langue entre ses dents.

— Nan.  Si personne n'en veut, alors nous non plus. Laisse-les aux Pierres, leurs pétales accentuent bien leur sable pâle. Notre poil est beaucoup trop sombre pour savoir les mettre en valeur. Ceci dit, il donna un petit coup de front à sa fille, et se détourna du bouquet d'héllébores. N'oublie pas, — il releva sa queue bien haute au-dessus de sa croupe — fleurs bleues, coeurs jaunes!

Par Fira! Un bonus du Secret Santa 2021