Une étoile est tombée ce soir, pour toi. ~ ft. Rusty - abandon

Ce soir, je retrouve Rusty. Depuis les événements de ces dernières l’une, je n’ai cessé de penser à sa sécurité. Était-il à l’abri de ces profanateurs ? Est-ce qu’il était en sûreté auprès de Trash ? Est-ce qu’il a été blessé ? Est-ce que… Est-ce qu’il était mort ? Et je ne comprenais pas pourquoi j’étais si inquiet, c’était un solitaire après tout. Mais, quelque chose me poussait vers lui. J’avais besoin de savoir. Je crois bien être tombé pour lui.

 

Alors j’avançais, avec ma lenteur devenue habituelle, et même plus accentuée puisque les chats qui voulaient nous détruire m’ont épuisé. Je n’avais plus la force de ma jeunesse, ni même l’endurance. Et pourtant, qu’est ce que j’étais doué !  En combat je veux dire. Je n’ai jamais été bon en chasse à vrai dire. Enfin. J’étais loin de mon territoire, et je m’approchais de la demeure de Rusty. Je voulais juste qu’il soit en bonne santé. Je repartirais après bien sûr. S’il le souhaite. Même si je crois, qu’au fond ce n’était pas vraiment ce que je voulais. Plus je rapprochais de lui, plus mon cœur battait fort. Que se soit d’envie de le revoir et d’angoisse de ne pas le revoir.

 

J’étais au verger. Il m’avait dit qu’il vivait dans une cabane dans ces terres. Et je croyais bien ne pas être loin, je sentais son odeur. J’étais déjà rassuré. Il était vivant. J’essayais d’accélérer le pas, voulant faire disparaître cette distance entre lui et moi le plus rapidement possible. J’arrive Rusty.

 

Son odeur était de plus en plus forte. J’arrivais alors devant une étrange tanière en bois. Probablement ce qu’il appelle une cabane. Il était là. C’était ce soir, que j’allais l’apercevoir derrière son mur transparent, pendant que moi, je l’appelais en bas, mon corps baignant dans la lumière de la lune. Une lune si cette ce soir.

 

« Rusty ? Tu es là ? C’est moi… Œil Vert. »

 

Une étoile fila dans le ciel, et sembla tomber derrière les montagnes. Une étoile est tombée ce soir. Et moi, je l’attendais l’œil brillant et le poil luisant. Je m’étais fais beau pour le revoir. Pour être présentable. Décidément, cette étoile ne pouvait être que moi.

Nichaient dans les lattes du plafond un couple de mésanges et leurs petits. Ça, ce n'était pas nouveau, ils le savaient, Trash et lui.

Ce qu'ils ne savaient pas, c'était que dans la structure du toit nichaient aussi le genre d'oiseaux-souris qu'il n'avait vu qu'aux falaises.

C'était le soir, c'est à dire que Rusty avait passé une belle journée, c'est à dire qu'il s'était levé, avait embêté Trash, était sorti et avait croisé leurs voisins de la Tribu du Soleil, avait amené Ollie en promenade sur la route et avait filé jusqu'aux falaises. Il en revenait, sans savoir qu'on l'avait suivi, et qu'on l'attendait à l'intérieur.

Ou peut-être que c'est une introduction un peu trop dramatique pour ce qui se résume à: quand Rusty est rentré de sa chasse aujourd'hui et qu'il était penché au-dessus de leur gamelle une chauve-souris s'est décrochée du plafond et les a surpris, Trash et lui.

Hérrissé, ils se sont mis à battre des pattes et se gueuler (pour le cas de Trash) des ordres et des directives maladroites jusqu'à ce que l'un d'eux réussisse à toucher sa cible et que la bête ne tombe, sonnée, sur les lattes du plancher. Et puis à deux autour de la proie, à se jeter un regard, ils se demandaient si la souris volante était commestible. Rusty ne s'y ferait pas prendre deux fois: Trash l'avait convaincu de mordre dans la vieille carcasse d'un rat (en échange d'un sac de croquettes de son choix!).

Trash s'était moqué, le rire gras, cherchant à le défier à nouveau mais Rusty opta plutôt pour se débarrasser du spécimen. C'était le soir, et il était fatigué, et la lune était haute et ils pourraient bien dormir.

— « Rusty ? Tu es là ? C’est moi… Œil Vert. »

Oeil... Vert?

Interdit, le vieil abyssin cilla, Trash ronfla bruyamment du nez et le poussa d'une forte patte en direction du tracteur-tondeuse sur lequel il montait pour avoir accès à la fenêtre, ce qu'il fit, merci bien, manquant le rebord de justesse pour se hisser d'un postérieur tremblottant en glissant son corps sous l'interstice de la fenêtre et tout arquer son dos pour la soulever.

— « Bonsoir, Oeil Vert! »

C'était bien Oeil Vert devant la vieille porte de leur cabane en rondins. Rusty sentit son coeur se gonfler de joie, mais aussi une pointe de curiosité, et d'interrogation. Il posa la chauve-souris à côté de lui, tira la langue et la passa sur ses moustaches et ses babines dont les poils grisonnants reluisaient sous le teint éclatant de la lune.

— « ... Mais... Oeil Vert, c'est le soir, nous avions rendez-vous?

Et puis quelque chose percuta l'abyssin qui se saisit de la chauve-souris et se jeta dans l'herbe pour rejoindre son ami à la hâte.

— « Oeil Vert! Il galoppa du mieux qu'on pouvait galopper en traînant une chauve-souris presqu'aussi grande que lui dans sa bouche, le cuir de ses ailes fauchant les herbes dans le mouvement. Tu vas bien!

Il lâcha son butin, se heurtant le front à celui de l'autre chat avant de s'empresser de se reculer et lui rendre son espace. Je, c'est car j'en oubliais que, de votre côté -- »

Pendant la dernière saison froide, il avait eu vent que beaucoup d'évènements avaient bouleversé les Clans. Isolé de ces-derniers, à l'abri dans son coin des Landes, dans leur verger, Rusty n'avait pas vraiment conscience du danger duquel Oeil Vert avait échappé de peu.

Ou peut-être qu'il faisait entièrement fausse-piste et immédiatement ses oreilles triangulaires pointèrent. Rusty arqua son dos et se tourna brusquement pour fureter la nuit d'yeux écarquillés, la course au coeur, se rangeant d'un mouvement d'écart contre le chat tigré à la patte estropiés, faisant office de mur de poils cannelle entre lui et ses potentiels ennemis.

— « Il y a du danger??

Pourquoi d'autre Oeil Vert ne viendrait le voir à sa cabane, le soir, si ce n'était pour lui demander d'être réfugié? C'est Trash qui allait être content - lui qui se plaignait de ne jamais cogner d'autre chats!...

Cataries...

« Bonsoir, Œil Vert! »

Surprise réussie. Le rouquin ne s’attendait pas à ma présence. En même temps… je venais chez lui, alors qu’habituellement il venait chez moi. Nous nous donnions rendez-vous à nos frontières pour éviter tout soupçons. Il fallait bien changer les habitudes non ?

« ... Mais... Oeil Vert, c'est le soir, nous avions rendez-vous? »

Je ronronnai légèrement en rigolant. Je le regardais en tournant la tête de droite à gauche. Non nous n’avions pas rendez-vous, mais j’étais tout simplement ravie de revoir le solitaire. Purement et simplement heureux. Et qu’est-ce que c’était plaisant de retrouver cette sensation de bien être.

« Oeil Vert!, dit-il en galopant vers moi une chauve-souris dans la gueule, Tu vas bien!

Je, c'est car j'en oubliais que, de votre côté --»

Oui… ce qui venait de nous arriver n’était pas des plus beaux. Une mutinerie dans le clan, ces ignares se prétendant être des envoyés des étoiles, ont réussi à retourner les plus pieux d’entre nous donc leur propre clan. Il y a eu des morts, des blessés, et des détestés, pour ceux encore en vie. Tous ces morts pour rien… et il en était de même pour les autres clans malheureusement. J’ai eu peur pour mes enfants, pour mes camarades. Je raconterais toute cette histoire à Rusty. Ma mine se fit plus basse en repensant à cet événement tragique.

« Il y a du danger?? »

Il semblait sincèrement inquiet. Il regarda même partout autour de lui, craignant que de félins malhonnêtes ne m’ait suivi. En me plantant devant lui, j’essayais de capter son regard en ayant l’air le plus rassurant possible.

« Tout va bien Rusty, ne t’inquiète pas. C’est terminé le danger, il n’y en a plus. Les prophètes sont partis. Je vais bien.»

La sincérité dans le regard du matou me touchait en plein cœur. Je regardais la chauve-souris à ses pattes. Il venait sûrement de l’attraper son odeur était encore fraîche. Il semblait bien meilleur chasseur que moi. Bon, avec mon accident je crois que ce n’était pas bien difficile. Je n’étais pas déjà bon à l’époque maintenant même un chaton fait un meilleur chasseur que moi. Mais il est vrai que j’étais venu sur un coup de tête. Je voulais avoir des nouvelles du solitaire, et briser ce manque que je ressentais. Depuis la disparition de mon fils, parler avec Rusty, le soir, c’était ma manière pour me sentir mieux. Mais maintenant je sentais que c’était bien plus que cela. Je devais alors le voir, et comprendre pourquoi je réagissais comme ça. En me sentant bien immédiatement en le voyant.

« C’était difficile ces derniers temps dans les clans, mais c’est terminé à présent. Je voulais savoir si tu allais bien. Je m’inquiétais. »

Ce qui était vrai en plus. Il fallait aussi que je lui parle des profanateurs pour qu’il comprenne.

« Tu avais croisé la route de quatre chat qui se faisait passer pour des prophètes ? »

— Tout va bien Rusty, ne t’inquiète pas. Oh que si, qu'il s'inquiétait! Un son complètement atypique au vieil abyssin fit vibrer sa gorge sur une série de ronrons voulant se faire grognements.

Qu'ils viennent! Qu'ils viennent (Qu'ils ne viennent pas! Que pouvaient bien deux chats aussi vieux qu'eux-deux contre des— des quoi, en fait?...)

— C’est terminé le danger, il n’y en a plus. Les prophètes sont partis. Je vais bien. »

L'abyssin redressa sa tête et ronfla du nez avec un "bien fait" pas peu victorieux, comme si sa piètre démonstration vocale avait suffit à chasser les cauchemars de son vieil ami. Tant mieux qu'ils soient partis! Bon débarras, même, (probablement). Un petit frisson lui parcourut l'échine histoire de faire redescendre son poil, et il s'assied dans l'herbe fraîche du soir auprès d'Oeil Vert, sa proximité réussissant même à le réchauffer de l'intérieur.

— C’était difficile ces derniers temps dans les clans, mais c’est terminé à présent. Je voulais savoir si tu allais bien. Je m’inquiétais.
— Oh, mais, mais il n'y a pas à s'inquiéter Oeil Vert! Je suis bien entouré. Un sourire souleva ses joues et lui fit plisser les paupières, de rieuses pattes d'oies sur les coins: Trash n'aurait fait qu'une bouchée d'eux!

— Tu avais croisé la route de quatre chat qui se faisait passer pour des prophètes ?
— Non, je... Mais quoi, est-ce que ses mots étaient morts dans sa gorge, avec sa tentative de grogner de plus tôt? Rusty fronça ses broussailleux sourcils blancs mais ce n'était pas de la colère. C'était plus... compliqué. Je ne suis pas vraiment sorti d'ici. Les parages sont plutôt calmes, outre nos gentils voisins, les visiteurs se font rares...

L'image de Whisky apparut aux yeux de ses pensées et Rusty se retrouva à se rapprocher d'Oeil Vert d'un sursaut. Ce n'était pas le gentil domestique qui lui faisait peur. Ce n'était pas sa haute taille et sa gentillesse et toute sa vie auprès de son humain (et son chien), mais sa... proposition. De retourner à la ville. Rusty tiqua d'une oreille - ils préférait de loin écouter ce qu'Oeil Vert avait à dire que de lui partager ses propres tracas. Et puis... Oeil Vert s'était inquiété, il le lui devait bien. Il avait l'air d'en avoir besoin...

— ...Que s'est-il passé?

Cataries...

HRP:

"...Que s'est-il passé?"

Comment expliquer ce qu'ils ont tenté de faire? Renverser les clans. Détruire ce en quoi nous croyons. Ils ont tué. Ce n'était pas aussi traumatisant que les Lunars Pods - rien ne pouvait l'être autant - j'en avais des frissons rien que d'y penser. Rusty se rapprocha de moi. Ce n'était pas pour me déplaire. Son contact, avec sa douce fourrure était agréable. Mon angoisse partait petit à petit. Je m'étais vraiment inquiété pour lui.

"Hé bien, c'était quatre chats qui sont venu dans chacuns de nos clans. Ils se sont fait passé pour des envoyé des étoiles. Ils ont tenté de faire croire qu'ils étaient là pour le bien de nos tribus. En vérité, ils nous on juste retourné les uns contre les autre. Dans l'Ombre, pour certains ça reste des dieux vivants. L'une d'elle a eu des chatons avec l'un des mâles du groupe. Hé bien, j'ai peur de ce qu'elle leur raconte à ces chatons, ils sont vraiment influençables à cet âge. Enfin, leurs idées sont toujours dans le clan, mais en minorité. Je ne sais pas ce que ça va donner à l'avenir."

Je ne me sentais plus à ma place dans mon clan de naissance. J'étais vieux, je n'avais plus mes belles et fortes pattes, je n'étais qu'un croulant bon à regarder les nuages défiler. Oh je me plaisais de raconter mes vieilles histoires aux nouveaux petits du clan, mais... Mes enfants avaient tous quitté le clan, ou avaient rejoins le clan des étoiles. J'étais un bien piètre père de ne pas avoir su les protéger, et cette souffrance ne quitterait jamais mon coeur. Les temps passés avec Rusty étaient mes seuls réconforts. Ils me rendaient heureux. Je crois même... Qu'il me rend heureux. je voulais le voir pour essayer de mieux comprendre ce qu'il m'arrivait, ça devenait un peu plus clair.

"Enfin... nous avons réussi à les faire fuir avant qu'il ne soit trop tard, mais... j'avais peur qu'ils aient tenté de prendre son chez toi. Ou qu'ils aient essayé de s'en prendre à toi."

Je regardais l'abyssin, les oreilles légèrements baissées, par gêne. J'étais rassuré qu'il ne lui soit rien arrivé. Je me demandais d'ailleurs qui étaient ces gentils voisins, des solitaires qui auraient élu domicile ici? Peut-être. Il m'en dira surement plus.

"Comment vas-tu toi sinon ? Je..."

Je me donnais un coup de langue sur le poitrail.

"J'ai fais tout ce chemin pour savoir si tout allait bien pour toi, et maintenant je me retrouve à ne plus savoir quoi dire- aha.."

Je me trouvais très gênant. J'avais essayé le petit rire histoire de dédramatiser la situation, mais c'était plus compliqué que ça. Que je suis mauvis !

"Non, vraiment, est-ce que tout va pour le mieux pour toi?"

J'étais sincère. Mais un peu gêné de ma piètre prestation. Pourtant, le soir où il m'a présenté Ollie, j'avais redécouvert la vie. Le vent dans visage, la vitesse comme si je courrai plus vite que n'importe quel guerrier du clan du vent. J'aurais bien aimé partager ça avec mes enfants. Ils auraient aimé. Oh il avait peut-être déjà croisé mes filles d'ailleurs ? Il fallait que je lui demande ! Après, du calme.

Oeil Vert lui parla des prophètes. Ce qu'il craignait être la force d'un cinquième Clan n'était en fait que quatre chats venus perturber leur paix à des niveaux dépassant l'entendement d'un ex-domestique dans sa campagne. Rusty cilla, abasourdi, quant à la mention de "Dieux", "d'Envoyés d'Étoiles", de la progéniture qu'ils avaient moulés dans la même idée et dans les tracas à venir de son ami. Il n'osa l'interrompre, bien qu'il avait voulu - bien qu'il voulait de tout son coeur le rassurer. Si ces va-et-viens dans sa famille au bourbier n'était pas assez, voilà qu'en plus Oeil Vert s'inquiétait pour lui! Mais il devait bien y avoir une limite! Bientôt la gamelle serait vide, et Oeil Vert aurait soif, et avoir soif--

— Enfin... nous avons réussi à les faire fuir avant qu'il ne soit trop tard, mais... j'avais peur qu'ils aient tenté de prendre son chez toi. Ou qu'ils aient essayé de s'en prendre à toi.
— Oh... mais enfin, Oeil Vert...

Son pauvre ami avait abaissé les oreilles et autant par empathie que par mimétisme, Rusty l'avait imité. Son coeur lui faisait mal, mais en bien. Ce n'était pas malsain d'apprécier qu'on se soucie autant de lui à s'en faire courir le coeur. Il ne voulait pas voir Oeil Vert s'en rendre malade, mais cette preuve qu'on tenât réellement à lui, cette preuve qu'on ne le laissait pas derrière, c'était...

— J'ai fais tout ce chemin pour savoir si tout allait bien pour toi, et maintenant je me retrouve à ne plus savoir quoi dire- aha..
Tout ce chemin et sans escorte! Oeil Vert avait les pattes raides et l'une d'elles à la retraite et il avait tout de même - à travers le bourbier et l'asphalte et les herbes hautes de la Lande, il avait tout de même —

— Non, vraiment, est-ce que tout va pour le mieux pour toi?

Et Rusty sourit, la rosée dans les yeux et le coeur léger. Sa queue, mince, qui s'était progressivement dépoilée à travers les années, alla lentement se recourber autour des flancs du chat à ses côtés comme une étreinte, timide mais délibérée.

— Ah, Oeil Vert, je suis tout retourné... lui avoua Rusty. Nous avons eus la visite d'un grand chat domestique. Whisky qu'y s'appelait. Il était très gentil, m'a dit avoir un chien chez lui, une famille, une Maison! C'était si familier, quand il me parlait, j'avais l'impression d'avoir les pattes dans les yeux de ses propres pensées.

J'm'y revoyais à la maison, au chaud, confortable... Au sec.

Il baissa les yeux sur l'herbe moite, puis sur ses pattes plus sombres et constata qu'elles effleuraient les poils de celle d'Oeil Vert à côté. Il constata aussi qu'il ne s'éloigna pas. Qu'il resta là où il était quitte à le toucher ne serait-ce qu'un peu, car Oeil Vert n'avait pas l'air inconfortable, auprès de lui.

— Toute ma vigueur, je ne la sens plus dans mon corps mais elle existe ailleurs, et elle bat, c'est comme une peur, Oeil Vert. J'veux pas y retourner, mais en même temps, j'ai l'impression que si je n'y vais pas, je... Ou que si j'y vais—

C'était très compliqué. Les blessures, avec le temps, prenaient une autre forme, au même titre que sa vigueur, sans doute. Rusty secoua sa tête.

— Whisky a voulu m'accompagner... Et j'me suis fâché.

Hmm, non, c'était trop simple. Il s'était affolé. Sûr que oui ça l'avait contrarié, et il s'était sitôt senti coupable, mais alors quoi? Qu'est-ce qui était si fâchant dans l'idée d'une visite? Et qu'est-ce qui lui faisait si peur quant à ne jamais la faire?

Il m'a dit d'y réfléchir, Rusty ajouta, de prendre mon temps.

Mais à son âge, dans sa condition, et à cette saison... Combien de temps lui restait-il vraiment?

Cataries...

Pour toute réponse face à mon inquiétude, la queue de mon ami m'entourait, comme une légère entreinte. Mon coeur se mit à battre plus fort. S'il ne se tenait pas à mes côtés, je serais probablement en train de vaciller ! J'avais l'impression d'être un jeune guerrier, fleur de l'age en train de roucouler sous les beaux yeux d'une guerrière. Ou d'un guerrier ? Il est vrai que je ne m'étais jamais préoccupé de la placee que pouvaient avoir certains dans le coeur des autres. Tant qu'ils restaient dans le clan, je m'en fichais de savoi qui était avec qui, tant qu'ils étaient heureux. Je ne me sentais pas concerné. Mais maintenant, je crois comprendre pourquoi ce n'était pas forcément dit tout haut. Je me doutais de la haine qu'il pouvait y avoir, mais moi, la seule que j'avais c'était envers moi-même, et nos ennemis, ceux qui portaient atteinte à nos vies.

Alors que dans ma vie, je n'ai roucoulé que pour Pleine Lune et Papillon de Lune, j'ai l'impression de redevenir ce jeune matou avec Rusty. Je ne me comprenais pas... Après, est-ce que je devais réellement me prendre la tête avec ça ? Il ne me restait plus que quelques lunes, je ne suis plus tout jeune. Rusty mi fin à mes pensées en prenant la parole.

"Ah, Oeil Vert, je suis tout retourné... lui avoua Rusty. Nous avons eus la visite d'un grand chat domestique. Whisky qu'y s'appelait. Il était très gentil, m'a dit avoir un chien chez lui, une famille, une Maison! C'était si familier, quand il me parlait, j'avais l'impression d'avoir les pattes dans les yeux de ses propres pensées.

J'm'y revoyais à la maison, au chaud, confortable... Au sec."

Il m'avait parlé de son ancienne vie, c'est vrai. Un chat domestique perdu, contraint de devenir un chat errant. Un solitaire. Je restais près de lui pour lui donner du réconfort, me rapprochant même un tout petit peu. Nos pattes se touchaient.

"Toute ma vigueur, je ne la sens plus dans mon corps mais elle existe ailleurs, et elle bat, c'est comme une peur, Oeil Vert. J'veux pas y retourner, mais en même temps, j'ai l'impression que si je n'y vais pas, je... Ou que si j'y vais—

Whisky a voulu m'accompagner... Et j'me suis fâché."

Son confort lui manquait. Si comme lui, j'avais été contraint de quitté mon foyer, tout ce que j'ai toujours connu, je serais aussi perdu. Etre seul dans cette situation, et surtout à nos âges, il n'y a rien de plus terrifiant. J'étais un vieux chat, borgne, infirme, je ne risquais pas de tenir une lune tout seul. Alors, s'il voulait partir, je comprendrais tout à fait, mais... Au fond, je sens qu'un poid terrible pourrait croitre dans mon coeur. Le doute fait déjà gagner du terrain. Je n'avais plus personne dans mon camp. Mes enfants m'ont quitté, soit aux étoiles, soit ailleurs que dans l'Ombre. Je n'avais plus rien, sauf mes compagnons. Mais maintenant que j'avais fais la connaissance de ce solitaire, je sentais que son départ pouvait provoquer beaucoup trop de choses en moi. Ce Whisky lui a dit de réfléchir, de prendre son temps. Alors, s'il partait, aurais-je un jour l'opportunité de lui dire ? De lui faire part de mes doutes ? Je suis perdu aussi.

"Rusty, ton confort te manque pas vrai ? je te trouve courageux tu sais. Tu as dû quitter ton foyer, et pourtant tu es toujours là, debout, cherchant le meilleur en chacun de nous. Tu l'as même recherché en moi. Je ne jurais que par mon clan, tu m'as montré autre chose. J'admire ta force que tu dis perdue. Je n'aurais pas eu l'envie de vivre si j'avais du quitter mon clan dans ma jeunesse."

Rien ne sortait, pourtant c'était là. Caché dans mes propos envers Rusty. Je souhaiterais rester à ses côtés, sa chaleur était rassurante.

"Maintenant, tu vois, je suis âgé, j'ai bien vécu dans mon clan. J'ai eu des enfants, les étoiles en ont appelé quelques-uns auprès d'eux, les autres ont simplemen trouvé leur voie ailleurs. Je n'ai plus personne qui m'attend chez moi, je n'ai plus mes enfants sur qui veiller, alors, je crois que si je partais de mon clan, ce me serait simplement évaporé dans les ombres pour mon clan, parti rejoindre certains de mes petits aux étoiles. Mais je suis vieux, et je ne peux survivre seul. Enfin..."

Je sortais tout un tas de mots sans grandes raison, je ne sais pas pourquoi je me confiais ainsi. J'avais peut-être besoin d'évacuer ma peine ? Parler de mes enfants disparu ? Je ne pouvais en vouloir à ceux qui sont parti, ils sont plus heureux ainsi.

"Je comprendrais que tu veuilles retrouver la vie que tu as perdue. Je serais triste de ne plus te revoir, mais heureux que tu retrouves ton bonheur. Je-

Respire

Je t'apprécie beaucoup, et il est vrai que je ressentirais un vide si tu partais."

Oh, oh ce que c'était embarrassant d'avouer s'être fâché! C'était bien pourquoi il se devait de souligner la gentillesse de Whisky! Il ne manquerait plus qu'Oeil Vert se fasse une mauvaise idée de lui - ou peut-être pire encore, qu'il se fasse une mauvaise idée de Rusty!

Mais ce n'était pas le cas.

Ce n'était pas le cas car son ami Oeil Vert, plutôt que de lui reprocher sa négativité, son ami Oeil Vert le couvrit de compliments. Il lui dit lui avoir ouvert une nouvelle voie - il lui dit admirer sa force - il lui dit même lui avoir insufflé le désir de continuer à vivre (est-ce que ça voulait dire qu'Oeil Vert voulait—?...).

Et face à de telles révélations le coeur meurtri de Rusty grandit à peu près deux fois entre les barreaux de sa cage, car s'il l'avait fait une troisième Rusty était persuadé qu'il aurait explosé! Il voulut rassurer Oeil Vert mais Oeil Vert, en retour, tenait à le rassurer lui. Lui parler de son âge, du sillage de la vie, des proches qu'il avait perdu aussi (ou plutôt, qui étaient partis). Il lui dit qu'il était même si vieux et ses enfants si indépendants que plus personne ne l'attendait chez lui. Et Rusty abaissa ses grandes oreilles et s'en navra complètement: lui, il pouvait rentrer au verger, à la cabane. Lui, Trash lui disait bonjour, et bonne nuit. Lui, quand il sortait chasser, il croisait Madame Soleil, son Amie-Mosa et Mouche et son Oiseau, qui s'appelait Oiseau. Tout ces rendez-vous avec Oeil Vert sur la Frontière à juste manger quelques proies et regarder les monstres passer...

Oeil vert lui dit qu'il ne pouvait survivre seul, et ça se tenait; c'était bien plus efficace de se supporter à plusieurs, et malgré la moiteur de l'herbe de la nuit encore jeune, Rusty avait chaud, chaud, chaud aux pattes et partout ailleurs.

— Je comprendrais que tu veuilles retrouver la vie que tu as perdue. Je serais triste de ne plus te revoir, mais heureux que tu retrouves ton bonheur. Je-

...Quoi?

Oeil Vert inspira, et Rusty fit de même, sans se rendre compte que ses grandes oreilles qui trahissaient son profil s'étaient pointées bien hautes et s'étaient ouvertes bien grandes.

— Je t'apprécie beaucoup, et il est vrai que je ressentirais un vide si tu partais.

Mais...

Interloqué, le vieil abyssin se rendit compte que sa bouche s'était entreouverte que lorsqu'une petite mouche vint lui chatouiller les moustaches et sursauter une babine. Il claqua ses petites dents ensemble:

— Mais Oeil Vert! Le quiproquo l'amena à se lever sur ses pattes. Je ne comptais pas partir! J'ai seulement peur d'y aller! De... de visiter et revoir l'endroit!

Et maintenant qu'il se défendait de la sorte, Rusty eut un malaise grouillant sur le dos, le genre d'embarras qui lui fit détourner la tête et crisper les commissures tout en tentant de sourire.

— C'est, c'est qu'une petite visite et ça me met dans tout mes états, l'avouer amplifia l'embarras, et vola à Rusty le reste de ses pensées, et toi tu pensais que je voulais—?   Que je comptais—?

Un bruissement dans les herbes le fit se tendre et se taire, et écouter, patiemment, anticipant une suite, mais la nuit était calme comparé aux klaxons entre les oreilles de ses pensées. Le vieux Rusty, mû de sa vigueur d'autrefois, se souleva maladroitement sur deux-pattes comme il le faisait faire à Ollie, et tapa ses coussinets dans l'herbe en faisant face à son ami.

— Tu pensais que je comptais t'abandonner? Non, non, il y avait pire, il y avait pire, Oeil Vert avait sous-entendu bien plus pire: ...Tu m'en donnais l'autorisation !?

Cataries...

Sa bouche grande ouverte, le rouquin me fixait étrangement. Ai-je dit quelque chose qui ne fallait pas ? J'en avais dit pourtant si peu. J'essayais réellement, mais c'était bloqué, je n'arrivais pas à me faire entendre, ni à m'entendre moi-même. J'apprécie beaucoup ce félin tout de même... Alors pourquoi je n'arrive pas à dire ces petits mots, que je dis si souvent à mes enfants ? Parce que mes enfants avaient besoin d'être aimés, ils avaient besoin de savoir que leur vieux père était là pour eux. Pour les protéger, et les aimer plus que tout au monde, bien plus que les étoiles. Oui, j'aimais mes enfants bien plus que toute chose en cette terre. Ils étaient ma vie, mon sang, mon cœur. Mais un petit détail venait de s'ajouter. Et dire que c'était petit, c'était grandement le minimiser. Ce détail grandissait en moi. Tellement qu'il était bloqué. Je baissai la tête, légèrement honteux, et ne voulant pas avouer cette tristesse qui commençait à m'accabler s'il allait réellement partir loin d'ici. Loin de moi...


"Mais Oeil Vert! Je ne comptais pas partir! J'ai seulement peur d'y aller! De... de visiter et de revoir l'endroit!"


Je levais la tête soudainement. Il ne voulait pas partir ? Il avait simplement peur de visiter. Mon cœur relâcha sa pression. Mais en même temps, un mince espoir venait de s'immiscer à l'intérieur. Assez fin pour le faire battre plus fort.


"C'est, c'est qu'une petite visite et ça me met dans tous mes états, et toi tu pensais que je voulais-? Que je comptais-?"


Le silence d'un instant était comme celui de plusieurs heures. Les oreilles sur le côté, j'étais légèrement confus. J'avais mal interprété. A moins plus grand bonheur, je suppose ? Je pouvais peut-être...


C'est Rusty, sur ses deux pattes arrières qui arrêta le court de ma pensée. Hein ?


"Tu pensais que je comptais t'abandonner?
... TU m'en donnais l'autorisation !?"


[color=#071907]"Je..."[color]


J'étais pris au dépourvu face à la vigueur du solitaire. Je comptais pour lui ? C'était pour cela toute cette théâtralisation ? Ce mince espoir s'était transformé. Il coulait à présent dans chaque parcelle de mon être, me dictant des choses, mais que je n'arrivais toujours pas à dire. Je comptais pour lui - je crois - et cela m'emplissait de joie. Mon cœur battait plus fort encore. J'étais si jeune la première fois où j'ai ressenti ce genre de choses. Maintenant, je n'étais qu'un vieux croulant, incapable de chasser. C'était l'occasion d'avoir une bonne retraite. Rester avec Rusty. L'accompagner, être avec lui, sur nos derniers jours heureux. Profiter de nos derniers levers de soleils, de nos derniers crépuscule. J'avais décidément trop d'espoir, j'étais décidément trop vivant. Après tout, c'était les derniers jours de ma vie, alors, je méritais une fin douce. Je méritais un peu de bonheur, après tout ce malheur que j'avais provoqué. Oui, je méritais ma retraite et mon bonheur.


"Pardon seulement... Je pensais que c'était ce que tu souhaitais. En aucun cas je... Je souhaitais te voir partir loin d'ici, loin de moi. Je crois que j'ai envie de revoir le soleil avec toi, et d'accompagner le crépuscule en ta compagnie. Je crois vouloir visiter les étoiles et le ciel en ta compagnie, couler des jours heureux et ne plus me préoccuper du lendemain. Je veux vivre, bien plus que dans ma jeunesse. Terminé les temps de malheur, j'aimerais, je crois, rester avec toi pour tous les derniers jours que m'accorde le clan des étoiles. J'ai donné ma vie entière à l'Ombre et ses Étoiles, il est temps de vivre pour moi, maintenant que je ne suis qu'un poids."


Je m'étais approché de Rusty au fur et à mesure de mes mots. Ô, que je souhaitais de tout cœur qu'il veuille bien de moi.


"Et puis si tu as peur d'y aller seul en ville pour visiter... Je pourrais venir avec toi ? Tu... Tu pourrais me montrer où tu as grandi?"


La fin de mon aventure, je ne voulais pas la passer seule.


"Je souhaiterais que nous marchions sous les étoiles ensemble."