Le doux fumet des problèmes || Petite Feuille & Masque de Serpent - end

Leur père leur demanda d’en parler aux adultes la prochaine fois, mais, malgré tout, un problème subsistait : comment s’assurer que les deux petites brutes ne reviendraient pas leur chercher des noises, après ? Pour se venger de les avoir « balancer » ? La méthode la plus simple et la moins bruyante qu’avait trouvé Petite Glycine, ç’avait toujours été de baisser la tête et de faire comme demandé, tout simplement. Le plus vite possible, pour se débarrasser du problème au plus tôt. Ça avait, jusque là, toujours fonctionné sans problème. Ça ne le réjouissait jamais quand ça arrivait, bien sûr, mais bon. Au pire, il était bon pour une petite heure désagréable, les grands qui l’embêtaient étaient contents, et tout était bien qui finissait bien.

Sauf qu’aujourd’hui, ça ne s’était pas passé aussi bien. Ils avaient eu, avec sa sœur, la peur de leur courte vie. Petite Glycine avait eu peur de la perdre aux souris, d’en devenir une lui-même, de ne plus jamais revoir ses parents. Et il ne voulait plus revivre ça.
Masque de Serpent avait évoqué le fait de se battre, et qu’à leur âge ce n’était pas encore possible. C’est vrai que la certitude que s’il s’opposait aux grands, il prendrait la raclé de sa vie, ça le faisait courber l’échine sans même y réfléchir une seule seconde. Lui aussi il serait capable de faire ça, quand il serait grand ?

— Et quand je serais assez grand pour me battre, ils nous embêteront plus ?

Il n’allait pas mêler sa sœur à ça. Il n’avait jamais vu la bagarre pour de vrai, mais il y avait déjà joué et il savait que ça faisait du bruit et beaucoup de fracas. Et qu’il y avait du sang aussi, des fois. C’était pas joli. Il avait pas hâte du tout de se battre. Mais il préférait encore ça que de se retrouver dans cette situation une fois de plus. Une fois de trop. Et puis, l’idée de pouvoir protéger sa sœur, c’était plutôt cool d’y penser. Surtout après s’être senti si vulnérable et impuissant.

Quand Petite Glycine évoqua son envie de pouvoir se défendre lui, et sa sœur, cette dernière s’y opposa. Elle colla sa truffe contre la sienne, le regardant les yeux dans les yeux pour s’assurer que le message passe bien. « Pas de bagarre, c’est mieux s’il reste derrière elle. » C’est bien la première fois qu’ils ne sont pas d’accord. Son frère fronce les sourcils, ouvre la gueule pour se préparer à dire quelque chose, mais leur père prend les devants.

Il se mit à leur parler de son œil, qu’il a perdu « en faisant des bêtises ». Petite Glycine tourna la tête vers lui, surpris. Au début, il était persuadé que son père était né avec un seul œil, puis avait commencé à imaginer des histoires autour de la guerre. Une grande bataille pour protéger leur Clan qui lui aurait couté cette sale blessure.

— Haw c’est pas grave papa, t’es cool avec un seul œil.

C’est vrai qu’il avait l’air cool. Ça lui donnait un air « intimidant » comme disaient les grands. Le même air « intimidant » qui faisait que Petite Nuit avait peur de lui. Il baissa la tête, plus encore quand son père mentionna l’avenir, quand elles seraient grandes, alors qu’il avait bien pris soin de dire, lui, quand il serait grand.
Il voulait pas être une grande. Il voulait être un grand, qui savait se défendre seul et qui n’avait pas besoin de se cacher derrière sa sœur pour ça. Petit coup de langue sur la tête de Petite Feuille pour la rassurer.

— Si je deviens assez fort pour être-… pour être trop trop fort, alors je pourrais jamais perdre mon œil. Parce que je serais trop fort pour ça et puis j’vais pas faire de bêtises.

Il ne trouvait pas ses mots pour développer davantage son idée, mais elle était là. S’il s’entraînait suffisamment pour devenir invincible alors ses deux yeux devraient rester dans ses orbites, en toute logique. Et toc.

Petite Feuille, l’air fatigué, désigna la boule de mousse que son père envoya vers eux d’un coup de patte. Elle était là !! Cette fichue boule de mousse était enfin là. Un petit peu abimée et dépiautée par sa traversée solitaire au milieu des feuilles, des branches et des ronces, mais elle avait malgré tout « survécu ». Petite Glycine espérait juste que Petit Frelon et Patte Tigrée ne leur en tiendrait pas rigueur — au moins, ils l’avaient retrouvée.

— Dans pas si longtemps, vous s'rez des apprentis. Et là, on fera ce qu'il faut pour que non seulement vous vous fassiez pas de bobos, mais pour que les idiots y réfléchissent à deux fois avant de vous embêter.
— Moi ceux qui nous embêtent, je les laisserais pas faire.

Et il tiendrait parole, d’une manière ou d’une autre. Il ne savait pas encore comment il s’y prendrait — encore moins après cette « aventure » qui l’avait terrifié. Quelle certitude que face à l’ennemi, il ne serait pas à nouveau tétanisé par la peur ? Mais il apprendrait, il s’en faisait le serment.
En attendant, il y avait plus important. Ni lui, ni Petite Feuille n’avaient vraiment à s’inquiéter du danger, désormais, car leur père était là. Ils pouvaient rentrer l’esprit tranquille, sans crainte d’être attaqués et de finir en souris-morte. Si Petite Glycine était encore plutôt en forme, sa sœur avait une petite blessure à l’oreille, et semblait épuisée. Il voulait qu’elle puisse se reposer et surtout, qu’elle aille voir Moustache Hirsute aussi vite que possible pour soigner sa plaie.
Pour se faire remarquer, il donna un coup de tête dans les pattes de son père.

— On rentre ?