Les guerriers de la tempête

Il arrivait de temps en temps que Nuage de Nacre soit assigné à d'autres guerriers que son mentor. Elle ne savait pas bien si c'était parce que Petite Fourmi avait du travail ailleurs ou si c'était pour la tester elle. L'une des dernière fois, elle s'était rendue à la chasse avec Brasier Caniculaire. Et l'expérience avait été très mitigée. Le guerrier était très froid et dur, ça ne collait pas avec le caractère de Nacre qui avait vraiment besoin qu'on ne mette aucune distance avec elle. Alors quand elle se rendit compte qu'elle devrait être en binôme seule avec Orage d'Or, elle ne fut pas particulièrement emballée. Il n'était pas réputé pour être très chaleureux.

Un mouvement de tête pour lui dire de la suivre, pas un mot, Nuage de Nacre sentait que la journée s'annonçait longue. D'autant plus que le temps n'était pas agréable non plus. Il faisait menaçant, le vent était puissant et la jeune chatte sentait que son pelage se hérissait naturellement pour une raison qu'elle ignorait.

La patrouille commença mais Orage d'Or ne voulut pas qu'ils marquent le territoire. D'après lui il allait pleuvoir et c'était une perte de temps. Mieux valait observer et marquer après la pluie. C'était logique et comme pour appuyer ses propos, la pluie commença à tomber. La partie que la femelle aimait moins, c'était celle où ils disaient qu'ils devraient braver l'orage. Etait-ce justement se qu'on lui avait conseillé de ne pas faire ?

" Braver l'orage ?! On devrait se mettre à l'abris, aucun guerrier ne cherchera à venir ici par un temps pareil, c'est dangereux. "

C'était surement un excès de zèle, en début d'apprentissage elle n'aurait jamais osé objecter contre un guerrier. Mais ici l'idée lui semblait particulièrement dangereuse. Les orages peuvent être mortel, non pas vraiment à cause de la foudre en elle-même, mais de la pluie et du vent qui peuvent inonder rapidement et briser les arbres. Et d'ailleurs, la pluie s'intensifia rapidement, si bien que Nuage de Nacre devint complétement trempée en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire.

Au début, le mâle se moqua d'elle, la traitant de trouillarde. Nuage de Nacre n'apprécia pas du tout la remarque mais la pluie s'intensifia très fort, forçant Orage d'Or à revoir son avis. Cependant, il ne fit pas demi tour, il semblait absorber par quelque chose en direction du chemin du tonnerre. La jeune chatte n'y voyait rien, elle ne savait pas sur quoi il était fixé, mais à cause de la pluie battante et du vent elle ne distinguait rien. Son flaire ne lui était d'aucune utilité et elle fut bien obligée de suivre le vétéran.

Il devenait imprudent et s'avançait sur le chemin du tonnerre sans même regarder de part et d'autre. Petite Fourmi avait été formel à ce sujet, c'était un endroit dangereux, on ne s'y aventure pas sans être certain qu'il n'y a rien en vue. Nuage de Nacre était toujours du coté du clan de l'ombre mais Orage d'Or avançait. Les yeux d'un monstre se dessinèrent au loin. Impossible de savoir à quel distance il était.

" ORAGE D'OR ATTENTION !!! "

Hurla-t-elle en se lançant vers lui pour le pousser et courir ventre à terre de l'autre coté. Elle se jeta sur le territoire du tonnerre, les coussinets en feu et une vague d'eau vint la submerger. La femelle était complétement trempée et se mit à tousser. Orage d'Or était vraiment inconscient ! Mais où était-il ? Elle se retourna et le chercha du regard. Avait-il bougé assez vite? Etait-il sur la route? Elle ne voyait rien?

" Orage d'Or ? "

Appela Nuage de Nacre, terrifiée à l'idée qu'il se soit fait attraper par un monstre.

L'inquiétude de Nuage de Nacre ne dura pas longtemps. Un Orage d'Or complétement trempé vint à sa rencontre. Jamais elle n'avait vu le guerrier dans un tel état. Si lui avait cette tronche, elle n'osait pas imaginer ce à quoi elle devait ressemblé. Il paraissait mince une fois sa fourrure mouillée et il semblait choqué de ce qui venait de se passer. Ils étaient deux dans ce cas. Si la femelle était rassurée de le voir vivant, son coeur ne s'arrêtait pas battre pour autant.

Sans qu'elle ne comprenne ce qu'il se passait, il lui fonça dessus et l'attrapa par la peau du dos. La soulevant comme un chaton malgré sa taille pratiquement adulte. Il en avait de la force. Orage d'Or la d'un mouvement de tête dans une direction en lui ordonnant de courir. Elle ne chercha même pas à comprendre pourquoi il le lui demandait et s'exécuta. Derrière elle, le sol trembla et elle sentit une vive douleur à la cuisse. Elle ne s'arrêta pas pour autant et suivit le mâle qui l'emmenait sur un chemin connu bien que totalement méconnaissable sous une telle pluie : celui qu'ils empruntaient pour aller aux quatre chênes. En effet, de ce coté du chemin du tonnerre, ils étaient sur le territoire du clan du même nom. Ils ne pouvaient pas s'y attarder et la peur les avait fait s'enfoncé trop loin hors de leurs terres.

A bout de souffle, elle s'arrêta à l'abri d'un des énormes chênes. La pluie commençait à se calmer comme si la tempête était terminée pour laissé place à une averse normale. Orage d'Or et elle étaient en vie et désormais en sécurité. Sa gorge lui brûlait à cause du froid et de la course. Jamais elle n'avait couru aussi vite et aussi longtemps de sa vie. Et ce n'est que lorsque l'adrénaline commença à descendre qu'elle pu constater les dégâts. Ses coussinets étaient brûlés par le chemin du tonnerre et elle avait une entaille à la cuisse qui rougissait son pellage blanc complétement détrempé. On voyait à quel point l'hiver était rude aux os saillants qu'elle arrivait si bien à dissimuler sous sa épais manteau blanc d'ordinaire.

" Ca va ? Tu es blessé ? "

Lui demanda-t-elle en le regardant en grimaçant sentant la douleur de sa cuisse pour la première fois depuis la chute de l'arbre. Un bout de bois avait dû la couper. Elle se lécha pour constater que l'entaille n'était pas bien méchante. Pas plus qu'un coup de griffe. On ne verrait même pas la cicatrice quand ses poils auraient repoussés.

Moineau Cendré était arrivé à la Tribu plus tôt dans la journée, l’épaule salement amochée. Elle en avait mis du temps, avant d’arrêter le saignement. Vent du Nord n’aurait jamais cru devoir prendre en charge des blessés qui semblaient tout droit sortis d’une guerre sanglante, alors, en conséquence, le stock de remèdes ne suivait pas. Elle s’était débrouillée avec de la mousse, des toiles d’araignées, et quelques graines de pavot qu’elle avait trouvé ici et là, et était finalement parvenue à stabiliser le saignement. Mais c’était tout. Ça tiendrait quelques heures, mais, sur le long terme, ça ne suffirait pas. Il lui fallait des cataplasmes pour prévenir les infections au plus vite, davantage de plantes pour gérer la douleur, et de quoi redonner des forces durant sa convalescence, après une perte de sang conséquente. Ça ne pouvait attendre. Alors, tant pis pour la pluie : Vent du Nord décida de braver la tempête.

Le hurlement déchainé de la foudre ne la dérangeait pas — elle ne le remarquait plus que par un murmure lointain, par les vibrations du sol et par le flash de l’éclair. Malgré tout, le vent et la pluie torrentielle devinrent plus puissants — trop puissants, forçant la guérisseuse à trouver refuge entre deux rochers, à l’abri du vent, sous un bosquet de fougères.
De violentes secousses firent trembler le sol comme un chaton terrifié. Vent du Nord releva les yeux : tandis qu’un arbre était en train de s’effondrer, deux chats (l’un tirant l’autre dans sa gueule) prenaient la fuite. Elle leva les yeux au ciel. Quelle bande d’idiots.

Elle aurait pu les oublier, partir de son côté en quête de ses plantes et rentrer chez elle pour dormir paisiblement sur ses deux oreilles après avoir soigné Moineau.
Mais plus de 40 lunes à suivre le code des guérisseurs ne laissait personne indifférent. Impossible, pour elle, d’ignorer l’une des règles les plus élémentaires : ne laisser personne, étranger ou non, dans la souffrance. Elle se devait d’aller vérifier si tout allait bien.

Lorsqu’elle retrouva leur trace, un peu plus loin, la jeune apprentie blanche s’inquiétait pour le plus grand. À en juger par le fumet du sang et par la posture des deux chats qui ne trompait pas, le diagnostic était évident.
— Il s’est blessé la patte, miaula Vent du Nord à l’apprentie de l’Ombre alors qu’elle s’approchait d’eux. Et toi, la cuisse.
La plaie était clairement visible. Elle jeta un coup d’œil à celle-ci. Elle était propre et nette.
— T’es jeune. Un peu de toile d’araignée et on n’en parle plus. Faudra que tu la laisse au repos, par contre. Pas de course folle pendant quelques jours sous peine de rouvrir la plaie et que ça cicatrise mal.
Elle s’en occuperait après. Pour l’heure, elle devait voir l’état de la patte de l’autre chat.
— Lève ta patte, que je regarde.

Une voix s'éleva derrière elle, Nuage de Nacre se retourna pour reconnaitre un visage familier mais auquel elle ne s'attendait pas. Il fallut que la guérisseuse parle de leurs blessures respectives pour qu'elle comprenne qu'il s'agissait de vent du Nord, la guérisseuse du clan du vent. La blanche lui laissa la place face à Orage d'Or en boitant sur le coté. Elle renifla l'odeur de son aînée mais celle-ci était bizarre, comme effacée. C'était probablement à cause de la pluie ...

" D'accord, je demanderai à Jolie Rafflésie de me soigner. "

Dit-elle en hochant la tête, reconnaissante qu'elle la rassure sur son état. Il n'en était pas de même pour le guerrier qui l'accompagnait. Il semblait de mauvais poil depuis que Vent du Nord était arrivé mais lorsqu'elle voulut l'ausculter, il prit la mouche et se mit à lui crier dessus. Elle était venue pour les aider mais lui faisait sa mauvaise tête pour cette gueguerre éternelle de certains guerriers qui considèrent les guérisseurs comme des moins que rien.

" Arrête ! "

idiot ... aurait voulut-elle ajouter mais ça ne se faisait pas. Cet andouille avoir arraché de l'herbe pour se coller sur sa blessure, réouvrant la plaie en aggravant la situation.

" C'est pas aussi simple que ça ... "

Elle le fusilla du regard. C'était sensé être lui l'adulte responsable dans l'histoire et depuis qu'ils étaient partit, c'était Nuage de Nacre qui était jouait le rôle de la guerrière. Il avait traversé le chemin du tonnerre sans faire attention et maintenant il faisait des enfantillages. La femelle commençait à comprendre pourquoi il n'avait pas d'apprenti et se mit à espérer que les petits de Branche Pâle ne finiraient pas sous son aile ...

Le grand guerrier se mit à lui crier dessus. Vent du Nord ne bougea pas d’un iota : il pouvait bien crier aussi fort qu’il le voulait, ça ne changeait rien pour elle. Si elle ne se concentrait pas sur le mouvement de ses lèvres, elle ne comprendrait rien. La guérisseuse leva les yeux au ciel, puis haussa les épaules.
— Ok, répondit-elle au guerrier. Démerde toi, alors.
Elle lui tourna le dos, pour se concentrer sur sa camarade blanche. Elle lui rappelait un peu Nuage de Neige, avec son magnifique pelage.
— Je vais m’occuper de tes plaies, tant que tu es là. J’peux te montrer comment t’en occuper, si tu veux. Faudra que tu ailles voir Grande Digitale à ton retour, mais ce genre de petites plaies, tu t’en feras encore bien d’autres, alors, autant savoir comment les panser. Au Clan du Vent, ils apprennent ça aux gamins.

Vent du Nord trottina en direction d’un arbre au tronc creux, rempli de toiles d’araignées. Elle continua d’ignorer Orage d’Or, qui, de toute façon, semblait très bien se débrouiller tout seul. À quoi bon perdre son temps et son énergie à des chats qui ne voulaient pas de ses services, maintenant qu’elle n’en était plus obligée ? Face à un con pareil, qui semblait aimer prendre des risques inutiles pour un rien (sauf peut-être pour paraître aussi « fort » que débile), elle dormirait très bien sur ses deux oreilles, ce soir, à l’idée de ne pas l’avoir soigné.