Sous le collet || Patte Nocturne

Après une bonne journée d'entrainement, il est toujours bon d'aller se coucher dans un nid bien moelleux. Comme le bourrin qu'il est, Nuage de Crabe bouscule un premier apprenti, puis un deuxième, et il évite de peu de foncer dans son petit frère avant de s'écraser volontairement dans son lit. Les yeux mi-clos, il se laisse bercer par les doux mouvements des roseaux sous le vent. Bientôt, il est plongé dans un sommeil profond et il commence à rêver. Il se voit courir à travers une plage, bondir de rocher en rocher, avant de rejoindre l'infinité de la mer. Dans son rêve, il est le roi, libre de vagabonder où bon lui semble. Il peut sentir l'odeur de sa propre liberté, le sel sur ses babines, inhaler l'air frais dans ses narines. Pourtant, et alors que tout lui semblait parfais, un étrange sentiment vient perturber son sommeil. Il fronce les sourcils aussi bien dans son monde imaginaire que dans la tanière de Cerfblanc. Il a l'impression d'être une proie, un petit poisson au beau milieu de la mer, car voilà que la plage a disparu et qu'il pense sentir et voir une ombre passer sous ses pattes battantes. Baissant les yeux pour essayer de déterminer la nature de danger, mais avant d'avoir le temps de comprendre..

CLAC !

Un bruit, un sursaut, Nuage de Crabe se réveilla en trombe. Il n'était pas mort - l'apprenti touchait ses propres pattes pour tester sa connexion au monde -, pourtant un bruit se faisait entendre au loin, comme si un animal se débattait avec quelque chose. Nuage de Crabe, encore fort assoupi, se releva en titubant, il avait la curieuse envie de découvrir ce qui faisait tant de boucan. Et, par le clan des Étoiles, qu'il avait raison ! Car devant ses yeux plissés, Patte Nocturne, le seul chaton pour qui il pourrait mourir en allant simplement chercher une pâquerette, était coincé sous un collet qui n'avait pas sa place près du camp. Le rouquin ne sentit pas sa gueule s'ouvrir, ni ne pouvait contrôler ses griffes qui s'étaient plantées avec force dans le sol, et encore moins sa respiration qui commençait à lui faire défaut.

"Panique pas, steuplait, PANIQUE PAS"

Parlait-il au chaton, ou à lui-même ? Il ne savait pas même pas ! Réalisant qu'il devait être le plus posé des deux, Nuage de Crabe tenta de calmer sa respiration avant de s'approcher du chaton.

"C'est rien, t-t'inquiète pas, miaula-t-il dans une tentative vaine de garder son ton sûr et moqueur habituel, j'vais t'sortir de là, et tout ira bien, m-mais faut pas paniquer.. H-hein ?"

Note : Dans ce RP, Patte Nocturne a environ 3 lunes.

Patte Nocturne devenait grand. Trop grand, bien plus qu’il ne le désirait. Du haut de leurs trois lunes, il n’y avait désormais plus de place contre le ventre de sa mère pour que les six adèlphes s’y blottissent confortablement jusqu’au lever du jour. Il fallait désormais accepter qu’il était parfois nécessaire, certaines nuits, de dormir un peu plus éloigné. Toujours dans le même nid, mais sans le contact maternel apaisant dont il avait l’impression d’avoir encore tant besoin.

Avec ses grosses pattes et son corps disproportionné, le chaton noir prenait beaucoup de place. Ce soir, il laissait la place contre leur mère à ses autres frères et sœurs — il avait eu droit à son tour les trois nuits précédentes, et il savait que c’était « beaucoup ». Seul éveillé dans le noir, il observait ses pattes aux doigts trop nombreux. Il avait l’impression que chaque fois qu’il se réveillait le matin, elles avaient encore grandit. Sa maman, qui avait des allures de géant encore deux semaines plus tôt, devenait de plus en plus petite à ses yeux. Il se retourna encore et encore dans son nid, dans un semblant de sommeil agité, se demandant quand est-ce que ça allait enfin s’arrêter. Il voulait rester petit, que Bouquet de Muguet soit grande pour toujours, qu’elle puisse le protéger rien qu’en se tenant à côté de lui. Silencieux, il priait le Clan des Étoiles de toutes ses forces, qu’elles arrêtent de le faire grandir autant. Qu’il reste aussi petit que l’était Petit Rat.

Patte Nocturne avait peur de s’endormir. De se réveiller demain aussi grand que les reines. Puisqu’il ne constatait des changements qu’à son réveil, il se disait que s’il ne dormait pas, alors ça n’arriverait pas.
Mais le sommeil était plus fort que lui — et, malgré sa lutte, il céda aux bras de Morphée.

Il se réveilla en sursaut, alors que la lune était haute dans le ciel. Tout le monde dormait encore à poings fermés. Quand à lui, il avait besoin d’aller au petit coin. Il tourna la tête vers sa mère, contre qui étaient blottis trois de ses adèlphes. Ce serait égoïste de la réveiller pour qu’elle l’accompagne, se dit-il. Il n’aimerait pas qu’un de ses frères ou que l’une de ses sœurs réveille sa maman en pleine nuit alors que c’était enfin son tour de dormir contre elle. Et puis, il était grand, maintenant. Contre son gré, mais la réalité restait la même. Le chaton se leva, s’étirait, et s’éloigna vers la sortie à pas de loups.

C’était la première fois qu’il sortait seul la nuit. Voir le camp silencieux, comme inhabité, lui semblait tellement étrange et surréaliste. Un frisson lui parcourut l’échine — il décida qu’il fallait se dépêcher, et vite retourner à la pouponnière. Il n’en avait pas pour longtemps, et serait bientôt rentré.

Il fit son affaire, gratta le sol comme on le lui avait appris, et se prépara à rentrer. Mais une petite forme lumineuse au loin attira son attention. Une magnifique fleur blanche aux pétales grands ouverts au beau milieu de la nuit, illuminée par les reflets de la lune. Il n’en avait jamais vu une pareille. Elle était en dehors du camp, mais pas si éloignée que ça. Aller la cueillir et revenir n’était l’affaire que d’une poignée de seconde. Et puis, c’était si proche ! Ça ne pouvait donc pas être si dangereux. Il regarda autour de lui, dressa grand ses oreilles à la recherche du moindre bruit suspect, mais ne trouva rien. Patte Nocturne en déduisit donc que le lieu était sûr. Il pouvait aller la récupérer sans crainte, et la poser dans la fourrure de sa maman. À son réveil, elle aurait une jolie surprise, et serait très fière de lui. Et lui, il serait vraiment très très content aussi.

Surpris, mais très fier du courage dont il faisait preuve à ce moment là, Patte Nocturne trottina vers la fleur la queue et la tête haute. Il ne voulait peut-être pas trop grandir, mais il ne voulait pas non plus être un tout petit bébé qui serait un boulet pour sa mère jusqu’à la fin des temps. Quand il raconterait à quel point il avait été courageux à toute sa famille, ils n’en reviendraient pas ! Ça, c’était sûr !

Mais quelque chose le stoppa net dans sa course. Il ne savait pas quoi. Il y avait comme une étreinte fine, froide et solide autour de son cou. Plus il avançait, plus elle se resserrait. Lorsque le lien se serra au point de lui couper la voix, il s’arrêta. Ce n’était pas normal. Il ne comprenait pas. Il tourna la tête à droite, à gauche — essaya de se retourner, avant d’abandonner dès qu’il sentit le lien le tirer. Il n’y avait rien ni personne autour de lui. Pas le moindre bruit, pas la moindre odeur qu’il n’avait jamais senti. Alors qu’est ce qui pouvait bien le retenir ainsi ??
Il essaya de reculer pour s’extirper, mais ça ne changea rien. Le lien était toujours là, et s’étouffait davantage à mesure qu’il tirait. Alors il s’arrêta, resta figé sur place. Il essaya de laisser le temps passer, espérant qu’il résoudrait le problème — mais rien n’y fit. Alors il essaya de crier « à l’aide », mais sa gorge ne le laissa pas faire. Tout ce qu’il parvenait à faire, c’était de pousser un murmure étouffé.

— Y’a quelqu’un ?, miaula-t-il, seul et misérable.

Quand il n’y eut aucune réponse, il prit peur, et se mit à pleurer. « Maman, maman ! … , » continua-t-il d’appeler d’une voix étouffée.

Enfin, on répondit à son appel — mais ce n’était pas sa maman. C’était monsieur-Nuage de Crabe, le gros chat encore apprenti (alors qu’il ressemblait vraiment à un guerrier, pour Patte Nocturne) et qui lui faisait un peu peur. Mais il n’était pas méchant, il le savait. Juste un peu… un peu trop, au gout du chaton. Trop bruyant, trop excessif, trop nerveux, trop tout. Mais quand même — il était vraiment content de le voir, à ce moment là.

— Monsieur Nuage de Crabe, je comprend pas, je comprend pas pourquoi je peux pas bouger.

Il essaya de tirer à nouveau en arrière, mais ne fit qu’empirer les choses. Heureusement, son épais pelage empêchait la corde de lui blesser la peau, mais elle lui donnait l’impression d’étouffer.

— Je comprend pas, ajouta-t-il avec une voix encore plus basse. Parce qu’il fallait vraiment que Nuage de Crabe comprenne qu’il ne faisait pas exprès, qu’il ne jouait pas la comédie. Il y avait vraiment quelque chose de bizarre, et le chaton ne comprenait pas.

Il ne comprenait pas non plus pourquoi il lui disait qu’il allait le « sortir de là ». Le sortir de « où » ? Ils étaient à l’extérieur, il suffisait de faire une vingtaine de pas pour retourner au camp. Plus rien n’avait de sens. Il réalisa malgré tout qu’il se trouvait en dehors du camp, et, même s’il n’était pas bien lui, c’était chose normalement interdite. Il chercha donc à se justifier — il était déjà bloqué d’une manière qu’il ne saisissait pas, et il n’avait pas envie d’ajouter des sermons à sa situation déjà très inconfortable. Si Nuage de Crabe se mettait à le disputer, ce serait terrible !!

— Je voulais juste la fleur là-bas. Pour ma maman.

Il espérait qu’il l’aurait quand même, cette fleur. Elle serait vraiment jolie dans le pelage de Bouquet de Muguet. Il la voyait déjà, contre son oreille, sur le côté noir de son visage. Ce serait sublime.

La petite voix de Patte Nocturne fit mal au cœur à Nuage de Crabe, déjà qu'il lui était douloureux à force de battre à si vive allure. Le rouquin s'approcha d'un pas tout tremblotant, puis lécha le haut du chaton dans un élan réconfortant. Il lui murmura de ne pas bouger : il fallait qu'il trouve l'endroit où le collet était accroché. Il regarda autour de lui - alors que la solution la plus simple était de suivre le fil qui serrait le cou de Patte Nocturne -, puis une fois qu'il eut trouver la base du piège, il se précipita dessus pour déterrer le pique. 

Creuser comme un chien, c'était tout ce qui comptait à cet instant, et au bout de plusieurs minutes d'effort, il put enfin prendre le piège entre ses crocs. Son cœur battait toujours aussi vite, il avait eu si peur - et il continuait à avoir peur pour son petit chaton préféré -, il espérait que déterrer le piège avait permis au chaton de respirer un peu mieux. 

"T-tu vas bien ? Est-ce que ça te serre encore ?, demanda-t-il en posant son nez sur le front de Patte Nocturne, tu as été pris dans un piège, mon grand, un collet, m-mais.. c-c'est rien tu sais, c'est pas de ta faute, e-et ça va aller, moi je suis là"

Nuage de Crabe leva une patte vers le cou du chaton et passa une griffe entre la peau et le fil, essayant ainsi de défaire le piège légèrement - il ne voulait pas faire plus, il n'osait pas faire plus, de peur d'aggraver la situation -.

"Je vais aller te chercher la fleur tout à l'heure, sa voix était étrangement calme, malgré les quelques bégaiements, mais pour l'instant, fa-faut aller voir Feuille de Saule, lui, il saura quoi faire"

Parce que lui il n'en savait foutrement rien.

"Tu penses pouvoir marcher, mon grand ?"

Il lui suffirait de prendre la base du piège dans la gueule pour que Patte Nocturne puisse se déplacer librement, non ? C'était la seule solution du point de vue de Nuage de Crabe, il lui serait bien impossible de laisser le chaton tout seul.