[INNONDATION] Mieux vaut tard que jamais | Etoile Foudroyante

« Du détail ! » Cela sembla l'amuser, Tempête resta interdit. « Dis-moi, Tempête. Tu sais comment on prive un oiseau de ses ailes ? »

L'apprenti ne répondit que par un hochement de tête, bref, de gauche à droite. Il avait moultes réponses qui lui venaient, à cet instant, mais il connaissait assez le félin aux poils d'oreilles cramoisis pour savoir qu'elles ne seraient certainement pas bonne. Il savait que son esprit était moins souple que le sien.

D'un œil attentif mais aux allures neutres, il épia avec soin l'aile que son grand-père forçait au déploiement.

« Chacune de leurs plumes ont une utilité. Rapproche-toi-- regarde-les bien. Vois-tu leurs différences? Là — elles sont plus courtes, plus larges près de leurs épaules — mais elles s'affinent aux extrémités. » Il en arracha une.

« Une seule plume. C'est tout ce qu'il suffit pour qu'un oiseau effrayé ne puisse plus s'envoler.

— Sous-estime l'importance d'un "détail", et c'est à toi qu'on privera les ailes. » Tempête déglutit. Il ne savait pourquoi, mais ce discours lui faisait froid dans le dos, dressait imperceptiblement les poils de sa nuque. Sa queue s'enroula contre sa cuisse, il fronça très légèrement les sourcils, mais demeura interdit.

« ...Tu m'as demandé si je croyais en toi, ou si je me jouais de toi. Je te répond qu'il n'y a pas d'opposition.

Je crois que pour tisser des liens forts, il faut des fortes personnalités. Des esprits aiguisés comme des griffes, qui ne vont pas toujours dans mon sens. Je suis là pour échauffer les autres et les provoquer; à l'inverse, ton intransigeance te donne une apparence de stabilité. Si tu me demandes, c'est un atout.

En d'autres mots, je n'ai pas besoin de ronces à ma palissade. Ce que je désire réellement, ce sont des plumes aux extrémités de mes ailes. » Tempête n'était pas entièrement en mesure de comprendre. Mais il écouta, hocha légèrement la tête. Il n'avait jamais songé que cet espèce de calme qu'il feignait depuis l'enfance pouvait être un atout. Il ne l'avait jamais maîtriser, c'était, pour lui, une sorte de crispation. Comme un muscle que l'on bande avant de bondir.

« Toutes mes entourloupes, mon chantage ou mes bouffoneries ne serviront à rien lorsque j'aurai épuisé mes vies. » Et le bengal arracha les plumes, une à une. Le jeune félin tacheté l'observa. Il songea brièvement qu'il avait encore beaucoup à apprendre avant de parvenir à saisir toutes les subtilités dont son mentor pouvait faire preuve. Toutes ces pirouettes de langue, ces métaphores, il n'en saisissait, au final, que la surface. Un reflet trouble à la surface onduleuse d'une mare boueuse.

Il hocha la tête plus fermement, d'un air entendu, et il se leva. Sa queue se déroula avec une certaine délicatesse, s'allongeant dans son dos. Elle ne l'handicapait plus vraiment, à présent.

« Faisons en sorte que ce soit le plus tard possible, dans ce cas. En fait, il va me falloir beaucoup de temps pour comprendre vraiment tout ce que tu viens de me dire. » Il s'avança un peu, l'air presque indifférent et, s'arrêtant au niveau du tronc, aux côtés de son grand père, il lui fit : « Tu parles beaucoup, tu sais, ça ? »

L'ombre d'un sourire étira ses lèvres d'ordinaire si pudique. Il souriait peu, Nuage de Tempête, un peu comme s'il voulait être un parangon de sérieux. Pourtant, en cet instant, on pouvait y croire, à ce sourire. Cette légère fierté, arrogante.
Sa patte se posa sur une rescapée, une plume qui s'était accrochée à l'écorce. Elle avait la même teinte gris taupe que son pelage, en légèrement plus bleuté. Tempête glissa un regard sur elle, puis leva les yeux sur Etoile Foudroyante.

« J'en ai la couleur. » Souffla-t-il. Puis, sur un ton emprunt d'amusement : « C'est d'accord, je veux bien être une plume à ton aile, Foudre. Mais gare à toi, si tu finis déplumé, il n'y a que toi que tu pourras maudire. »

— Faisons en sorte que ce soit le plus tard possible, dans ce cas. En fait, il va me falloir beaucoup de temps pour comprendre vraiment tout ce que tu viens de me dire.

Avec lassitude, Étoile Foudroyante arracha une autre plume au pauvre volatile. Si Tempête avait bien choisi de lui prêter ses oreilles jusqu'à maintenant, il était aussi en droit de tirer toutes les conclusions qu'il en voulait.

Étoile Foudroyante ne le lui enleverait jamais son droit d'avoir tort.

— Tu parles beaucoup, tu sais, ça ?

Ces mots arrachèrent un sourire au bengal, et, en se tournant la tête, tournant d'yeux plissés à son complice, la même connivence brilla dans le visage de son apprenti au visage habituellement si crispé.

Étoile Foudroyante haussa les épaules, prenant la commentaire avec légèreté.

— Je chante, plutôt, non?

Nuage de Tempête comprenait-il que ce qui expliquait la verve de son mentor était le désespoir de toute une vie à se faire comprendre? À saisir et capturer des idées compliquées que le quotidien et le statut quo préférait balayer d'un battement de queue? S'emportant dans le jeu, il arracha une autre plume au pigeon: celle-ci, Nuage de Tempête s'en saisit lorsqu'elle se planta dans l'écorce, et en la ramenant à lui elle disparut presque dans le pelage tout aussi taupe de l'apprenti.

— J'en ai la couleur, il dit. Étoile Foudroyante rit de bon coeur.
— Haha! Visiblement. Il ne pouvait s'empêcher d'apprécier ce côté plus "relâché" du garçon.
— C'est d'accord, lui dit ce-dernier, je veux bien être une plume à ton aile, Foudre.

Les poils carbonisés de ses oreilles rebondirent sur sa tête. Le bengal s'était redressé, s'écartant le museau du pigeon qu'il avait cloué au tronc.

Puis vint un avertissement.

Quelque chose qui le fit ciller, quoique momentanément, et recourber curieusement le bout de sa queue bien haute au-dessus de sa croupe.

— Mais gare à toi, si tu finis déplumé, il n'y a que toi que tu pourras maudire.

Ça n'avait été dit ni avec une admiration aveugle, ni avec animosité. Plutôt comme une demi-plaisanterie, une menace taboue qui ne se faisait qu'entre des chats très proches, une patte plongée dans le psyché respectif de l'autre.

Suivant ce premier coup de stupeur, le bengal se rembellit d'un sourire féroce et carnassier.

— ...Mais c'est tout ce que je désire, Tempête ♡

Étoile Foudroyante rondit le dos, basculant tout son poids vers ses postérieurs. Il troqua patte et crocs pour saisir l'oiseau par le cou et bondit pattes sur le tronc, montant d'un pallier de branches, envoyant ce trop plein d'énergie joueuse d'un swish à l'autre de la queue en se perchant au dessus de l'apprenti.

— Si, par tes mots et tes actions, tu les retournes contre moi ou tu les rallies à ma cause, peu m'importe: je serai arrivé à mes fins. J'aurai, par les miens, formé un chat curieux, robuste et à l'ouïe fine.

Il ne s'empêcha pas d'en grimper un autre. Tempête n'était plus un enfant.

Le timbre de sa voix résonna en hauteur:
— Réfléchis-y: ton obsession au bien-être du Clan n'est pas différente de celle que j'ai quant au bien-être des quatre.

Les branches craquelaient sous l'aise de ses mouvements, mais combien de temps son corps bénéficierait de toute cette adresse? Combien de temps avant qu'il ne puisse plus murmurer ses mots doux au ciel - qu'il ne puisse jamais atteindre la plus haute branche du plus haut arbre afin d' assister à la plus belle vue de toute leur forêt?

— ...Je dirais que la seule, est dans mon appétit.

Après s'être accroupit, Étoile Foudroyante dodelina de la tête, agitant l'oiseau des villes qui pendait de sa gueule à l'intention de son petit-fils, son apprenti, son cobaye, et, s'il choisissait de l'épauler dans ses projets inter-clans, son allié, chacun adjuvant à l'autre.

— Et toi, beau gosse, hmm?

Je parie que tu meures de faim!

« ...Mais c'est tout ce que je désire, Tempête ♡ » Bien qu'il eut recouvré rapidement cet air taquin qui lui était si particulier, Nuage de Tempête avait eu le temps de lire toute la stupeur dans le regard du bengal et il s'en sentait tout gonflé de fierté.

Il n'eut cependant guère le temps de profiter réellement car aussitôt son mentor bondit au dessus de sa tête, emportant l'oiseau avec lui. Tempête dû exécuter une rotation du cou pour continuer à le suivre du regard et cela l'agaça suffisamment pour lui faire perdre son sourire.

« Si, par tes mots et tes actions, tu les retournes contre moi ou tu les rallies à ma cause, peu m'importe: je serai arrivé à mes fins. J'aurai, par les miens, formé un chat curieux, robuste et à l'ouïe fine.

Réfléchis-y: ton obsession au bien-être du Clan n'est pas différente de celle que j'ai quant au bien-être des quatre. » Il ne cessa de grimper et Nuage de Tempête pesta. Il se redressa un peu, un frisson d'agacement parcouru son corps, fit frémir son pelage taupe. D'un bond, il grimpa au tronc.

Accroché à l'écorce, il se hissa, lui aussi, de branche en branche. Il était plus gauche que son maître, mais il l'était moins que le chaton à peine sortie de l'enfance qui s'était hasardé, la première fois, sur l'écorce du grand sycomore.

« ...Je dirais que la seule, est dans mon appétit. »

Il bondit, s'agrippa à la branche et se hissa dans un grognement pénible. Foudre était encore au dessus de lui, Tempête s'agaça encore.
Il agita l'oiseau au dessus de sa tête, comme pour le naguer. Il y avait des choses qui ne changeraient jamais.

« Et toi, beau gosse, hmm?

Je parie que tu meures de faim! » L'envie lui prit de chasser l'oiseau d'un coup de patte bien senti, de le faire choir en contrebas, dans la boue. Il se maîtrisa. Comme toujours. A la place, il se dressa de nouveau sur ses pattes, tendu, et il s'accroupi pour prendre une sorte d'élan.
Comme un ressort, il détendit ses muscles d'un coup et s'élança contre le tronc. Il ne s'y attarda pas, y planta à peine ses griffes et le repoussa violemment pour saisir à pleines griffes la base de la branche sur laquelle était perché son mentor.

Il sentit le bas de son corps pendre dans le vide, se hâta. Bien accroché à la branche, il força sur ses membres avant, grogna, se hissa fastidieusement. Enfin, il fut debout sur ce perchoir. Haletant, il plongea son regard bleu dans l'or de Foudre.

« Non, sans façon - huff... Hufff... - Je n'ai pas spécialement faim, en fait... » Il s'assit, la gueule entrouverte et les oreilles un peu basse. Puis, redressant la tête péniblement, il se hasarda à l'arrogance. « Enfin, si cela te débarrasse - huff... - Je veux bien faire une effort. »

Nuage de Tempête voulait laisser les questions d'esprit en contrebas, sur la première branche. Il avait entendu ce que son grand-père avait à lui dire et savait qu'il aurait matière à réfléchir, mais il ne trouvait rien à y répondre pour la simple raison qu'actuellement, il n'avait pas remuer la question dans tous les sens.

Entre tout ces jeux d'esprit et ces acrobaties dans les branches, Étoile Foudroyante espérait faire voir à son apprenti devenu grand une nouvelle vision du monde, ainsi que de tous ces chats avec qui ils cohabitaient. Non pas comme des ennemis, mais comme des puzzles à observer, comprendre, et reconstruire.

Coup de Foudre avait été sa toute première création - il espérait que Tempête ne soit pas sa dernière, mais qui sait. Qui sait.

La vigueur de Tempête s’essouffla un peu plus à chaque bond. En s'agrippant de plus en plus haut, il dut puiser dans ses réserves d'énergie la force suffisante pour se soulever. Quand il le fit de sa tête, afin de dévisager d'en dessous le bengal, qui ronronnait intempestivement tout contre le pigeon coincé entre ses babines, sa verve s'était émoussée.

— Non, sans façon - huff... Hufff... Je n'ai pas spécialement faim, en fait... Enfin, si cela te débarrasse - huff... - Je veux bien faire une effort.
Étoile Foudroyante se cramponna à sa branche, basculant au rebord.
— Et il ose me mentir à la gueule, ha ha!

Même si ça avait été dit sur le ton de la plaisanterie, dans ses yeux pétillait la même arrogance que son apprenti. Le même sentiment d'amusement, qui lui fit lâcher l'oiseau d'un côté de la bouche afin de glisser le moignon de l'aile déchirée à l'autre, et resserrer les dents sur sa prise.

« Tu comptes vraiment te laisser crever de faim? »

En dodelinant de la tête, il fit s'agiter l'aile à qui il lui manquait ses plus longues plumes, tout en ramenant sa masse vers ses postérieurs.

Tu veux vraiment d'une vie où tu bouffes juste ce qui t'es remâché?

Tout en bas du palier de branches glouglouta la combe inondée, où leurs reflets enjoints sur la vase se troublait par le feuillage encore humide de la forêt. Goutte à gouttes, elles tombaient par intermittence, et chaque fois au son d'un plic.

Plic.

Plic.

« Et il ose me mentir à la gueule, ha ha ! » Aussitôt prit dans un jeu que Tempête ne soupçonnait pas, son chef relâcha l'oiseau quelques fractions de seconde afin de raffermir sa prise sur ce dernier, en laissant une belle part pendre de sa gueule.

« Tu comptes vraiment te laisser crever de faim? »

Cela sonnait comme un défi. L'œil pétillant de son mentor lui intimait de le relever. Il voulait jouer, certainement le tester aussi, et si Nuage de Tempête en fut un instant déconcerté, il ne tarda pas à s'y prêter volontiers.
Un sourire amusé ouvrit son visage, l'éclaira d'une lueur nouvelle. Tempête jouait rarement. Chaton, déjà, il préférait surveiller sa très nombreuse fratrie plutôt que de se mêler à eux. Cela lui arrivait, cela dit, quelque fois. Mais il n'était pas du genre à se laisser aller.

Trop sérieux. L'inverse de Bécasse.

Il aplatit son corps contre la branche, releva le postérieur. Sa queue battait l'air furieusement. D'un bond, il saisit dans sa gueule l'aile qu'on lui tendait. Il resserra sa mâchoire dessus alors que la branche, secouée par tout son poids, faisait des va-et-vient irrégulier de bas en haut. Enfonçant ses griffes dans l'écorce, il s'aplatit une nouvelle fois en entraînant avec lui sa part du pigeon, vers le bas.
Brutalement, il se redressa et donna un violent coup d'épaule à Foudre, le poussant vers le tronc. Il avait dû tourner la tête pour ne pas perde sa prise et se retrouvait momentanément dans un équilibre précaire, le corps légèrement sur le bord de la banche, les pattes avant à 9 heures par rapport à son corps.

Un grondement lui échappa, mais rien que de l'excitation.

Moment de vérité. Il connaissait suffisament Tempête pour savoir les fins de ce-dernier, nourris par son sentiment d'insuffisance dans un Clan qu'il se prétendait "ne pas avoir besoin de lui". Il préconisait tellement l'utilité qu'il s'en faisait un idéal, un reflet qu'il était le seul à voir sur la surface d'une Rivière abreuvée de cycles et de cycles de complexes générationnels. Même belle, la surface de la Rivière était comme la surface de n'importe quel point d'eau: trompeuse et capricieuse, toujours changeante.

Il lui reprochait de s'amuser, de se divertir, mais ce dont Nuage de Tempête - et tout ses noms qui suivraient - avait besoin de comprendre était que se divertir, s'amuser, et vivre, était le but ultime derrière toute cette optimisation. S'il améliorait le Clan, raccourcissait les heures de boulot, déléguait les tâches à tout le monde plutôt qu'à seulement les chats méritants, c'était pour que tout le Clan puisse bénéficier d'heures de repos à parresser au soleil, à contribuer au vivre-ensemble quitte à avoir le temps de se disputer, de réfléchir, de se plaindre (et de se plaindre sans craindre les représailles de la tête du Clan).

Et qui sait si ce furent les saisons ou la bonne humeur de Nuage de Tempête après avoir fait trempette. Quelque chose s'était illuminé dans ses yeux d'ordinaire si mornes, s'interdisant tout ressenti outre que ses débordements de colère.

Mais il avait grandi depuis, et quelque chose dans les plumes oscillantes du pigeon lui arracha un sourire qui fut aussitôt miroité par son mentor, qui gloussa derrière sa proie. Tempête s'écrasa contre sa branche, souleva le postérieur; Étoile Foudroyante replia une patte et se trémoussa le sien, immobilisant sa queue en équilibre horizontal derrière lui.

La branche de Tempête s'agita à ses mouvements. De bas en haut, de haut en bas; et puis une fois à proximité de la sienne ses griffes crissèrent dans l'écorce et il projeta son cou pour se saisir de son côté de l'aile et tirer. La force de son entraînement prit Étoile Foudroyante de court, qui étouffa une bruyante esclaffée derrière des dents serrées. « Bieeen, garçhon! » En reculant un postérieur, rondissant le dos, il exerça sa propre tension que son apprenti, de vive riposte, lui renvoya un solide coup d'épaule pour le plaquer au tronc.

— Ach--!

Le moignon de l'aile du pigeon lui glissa de la bouche. Son postérieur rata la branche, et tandis que son apprenti se tordait le corps mais tenait bon, ce qui devait arriver arriva. « Oh-- »

Étoile Foudroyante perdit patte. « --Wo_ps »

Une bourrasque chargea son dos, mais il eut la présence d'esprit de replier tout ses membres dans la chute afin de pivoter sur son axe et viser instinctivement le sol de ses pattes.

Sauf que le sol était inondé.

Son souffle se coupa - le dernier plic se mua en SPLASH et
affamée,
la
vase
o-
paque
de
la
combe
l'engloutit.

« Ach--! » Il le tenait, Tempête pouvait le sentir. Il le tenait là, au creux de son épaule. Il ne céda pas, resta là, les pattes solidement ancrées sur la branche, le corps écrasant celui de son mentor et modèle. Il le comprimait, tout son poids contre le sien. Il sentait le pigeon, progressivement, venir à lui. Aussi, est-il utile que nous nous penchions sur ce qu'il ne vit pas venir.

Lorsque la pression qu'il exerçait cessa brusquement et que son épaule heurta le tronc dans une douloureuse réalisation, Tempête écarquilla les yeux. Le corps d'Etoile Foudroyante ne le retenait plus. Le corps d'Etoile Foudroyant n'était même plus là.

SPLASH

Le cœur de Tempête loupa un battement pour lui donner l'impression de s'arrête. La gueule crispée sur le cadavre de l'oiseau, il pencha avec crainte la tête par dessus la branche.

Pitié non.

Il ne vit rien.
Rien du tout que la surface trouble de la combe, s'agitant mollement comme un vestige de mouvement.

Non, non, non.

Le sang de Tempête ne fit qu'un tour et il cessa de réfléchir. Il n'eut même pas le temps de sentir la crainte, son corps agit en un éclair.
Il lâcha l'oiseau et bondit. Les pattes devant, il atterrit sur une branche en dessous de lui, rebondit sur le tronc, sauta sur un branche plus basse, reprit brièvement son équilibre. Enfin, lorsqu'il toucha du bout des pattes avants la dernière branche, il la repoussa violemment de ses pattes arrières, plongeant vivement là où il lui semblait que son mentor s'était enfoncé.

Il n'était pas le meilleur nageur de la forêt, mais au moins savait-il le faire. Ses pattes brassèrent l'eau trouble, ses palmes, il ne regrettait pas de ne pas les avoir mutilées. Ondulant son corps en rythme, il ne luttait pas contre l'eau, il dansait avec elle. Il se souvenait des enseignements de sa mère, de ses paroles, il plissa les yeux.

Une tâche noir.

L'eau n'était pas si profonde.

Il saisit ce qu'il entrevit par la nuque, enfonçant fermement ses crocs de peur de lâcher. L'eau boueuse s'infiltra dans sa gueule, il grimaça de dégoût. Il repoussa sur ses pattes arrières le sol, les enfonça dans la vase avant de sentir du dur. Il décolla, invita son mentor, d'un coup d'épaule, à l'assister dans cette fastidieuse tâche.

L'eau n'était pas si profonde.

Déjà, Nuage de Tempête en voyait la surface, les rayons du soleil éclairait jusque le fond, il y aurait vu clair s'il n'y avait pas toute cette vase.
Sa tête perça la surface dans un remoue, il souffla pour chasser l'eau de ses narines avant de reprendre son souffle.

Trois souvenirs se juxtaposèrent en même temps.

Le premier fut la fois où la Rivière l'avait violemment happé de la berge, quand Étoile d'Or avait plongée à sa suite et qu'ils s'étaient retrouvés penauds et perdus bien loin en aval du courant.

Le second fut toute cette eau qu'il avait recrachée et vomie à Étoile Déchirée après que cette-dernière l'ait accidentellement assassiné, face première dans les galets et la Rivière.

le troisième était d'un Coup de Foudre qui marchait à pas feutrés sur la surface gelée d'un lac, entouré d'une clairière complètement dénuée d'arbres. Pas au Tonnerre, mais pas à la Rivière, et il n'y avait pas les pins de l'Ombre ni les hautes herbes du Vent. Il s'apprêtait à ouvrir la bouche afin de demander au vent et à la neige quelque direction spatiales qu'un effroyable craquement retentit de son os hyoide, ouvrant sa mâchoire grande, grande, grande comme celle des vipères qui se la disloquaient d'un côté à la fois pour gober l'entièreté d'un oeuf d'une seule putain de bouchée--

Son corps fut électrisé de douleur et de plaisir à la fois. L'impulsion envoya sa patte dans un prodigieux coup, alourdi et faible. Sa gueule s'ouvrit sur une gerbe de boue et tout ses sens l'assaillirent en même temps: à l'envers à l'endroit à flotter à courir à tomber, la peau de sa nuque lui lançait si fort qu'il ne put s'empêcher de lâcher un quelque gémissement qu'il ne gardait d'habitude qu'à ses amants.

Mort ou Orgasme? Un remoud chercha à l'emporter sous la surface, mais la douleur dans sa nuque le tracta avec force à l'air frais.

Oh--

Oh...., se noyait-il?...

Plutôt dommage -- à défaut de pouvoir lever la tête et le menton, le bengal leva plutôt les yeux (ils roulèrent dans leur orbite), n'y voyant rien d'autre que le ventre de la branche de laquelle il était tombé. Nouvelle traction, et il comprit: cette force qui le retenait n'était pas la sienne (quelque chose avait gommé ses pattes et lui bloquait son amplitude articulaire), mais celle de quelqu'un, qui le tirait.

Tempête-- c'est Tempête qui le tirait.

Tempête avait plongé à son secours.

— GLHHoERm^pbête--?

Tout comme dans le dernier souvenir, Étoile Foudroyante vomit de l'eau et de la boue, aussi opaque que l'était désormais sa fourrure. Sous la houle et les remouds il n'y avait plus aucune trace des marbrures dont il était si fier.

Étoile Foudroyante toussa.

Non-- Étoile Foudroyante s'était plutôt mis à rire, au travers d'une gorge congestionnée de fange.

— *Tousse tousse* *crache* HHrrAck-- Hahaha-- Hrrrrahahah...!

Chaque esclaffée le heurtait de percussions au ventre mais il était incapable de s'arrêter. C'était plus fort que lui - ç'avait toujours été plus fort que lui...!

« GLHHoERmpbête--? » Le jeune félin fauve avait traîné son mentor près des racines, là où la terre était plus ferme, moins inondées. Il était épuisé, le dos courbé sur ses quatre pattes qui n devaient leur fermeté qu'aux contractures qui les habitaient à présent. La gueule entrouverte dans un souffle rauque et puissant, il tourna la tête et posa ses yeux à demi clos sur son mentor.
Lequel vomissait ses poumons d'eau opaque, arrachant une légère grimace au jeune fils de Source.

Il toussa, certainement pour aérer un peu ses voies respiratoires. Tempête déglutit, tâchant de reprendre son souffle en laissant à Foudre le temps de reprendre le sien.

Et puis, cette toux sembla prendre peu à peu une tout autre couleur.

« HHrrAck-- Hahaha-- Hrrrrahahah...! » Couleur qui surpris le jeune félin, dans un premier temps. Il observa le chat marbré d'un oeil rond et circonspect, puis il fronça les sourcils.
Peu à peu, la surprise laissa place à l'indignation, puis la colère. Il n'était pas encore tout à fait en mesure de l'exprimer, il devait d'abord calmer son souffle, alors il laissa un peu de répits à son étoile.

Et dès qu'il cessa de respirer comme un buffle, il ferma la gueule en découvrant ses crocs, déglutit une nouvelle fois et pivota furieusement tout son corps vers son mentor.

« Tu te moques de moi ?! Tu crois vraiment que c'est le moment de rire ?! » Il pourrait feuler et cracher, son dos était hérissé de poils furieux, mais il tâcha de rester dans une certaine mesure. « Tu aurais pu mourir avec tes bêtises ! Je n'sais pas où tu en es dans tes vies, mais les Etoiles ne les donne pas pour que tu les gâche avec des enfantillages ! »

Il se retrouva une nouvelle fois le souffle court. Probablement parce qu'il avait trop hausser le ton, juste après cette nage effrénée. Il respira donc un peu, une, deux, trois- Et son visage se détendit. Alors qu'il prit le temps d'inspecter son mentor, les oreilles mollement basses, l'air de nouveau exténué, quelque chose le piqua.

Il eu une vision tant absurde, tellement inhabituelle qu'il sentit un remoue dans son ventre. Etoile Foudroyante avait perdu toute sa superbe, couvert de boue, tout aussi courbé par l'essoufflement que lui. Il avait manqué de mourir en se disputant un pigeon- Quelque chose, au creux de son ventre, gratta, poussa.
Un sourire se dessina sur son visage.

« Pfft-... Eh- » Lentement, sa voix sortie par à-coup irréguliers, d'abord très espacés, puis de plus en plus rapprochés.

Et ce fut à son tour d'éclater de rire.

Après avoir remonté la pente séparant la combe innondée des racines du bouleau, Tempête le recracha. Étoile Foudroyante roula dans la boue sans plus de cérémonie, convulsant à chaque nouvelle esclaffée.

— Tu te moques de moi ?! Nuage de Tempête prit mouche, furieux, mais tout ce dont son référent, grand-père et chef trouva à lui répondre fut le barrissement d'un autre « HA HA HA HA HA » à la gueule qui ne suffit pas à étouffer la voix du matou courroucé.

— Tu crois vraiment que c'est le moment de rire ?!

Bien sûr que non, en toute logique, mais n'était-ce pas le principe de l'humour? La stupeur, l'imprévu, la subversion, l'absurde?

Qu'y avait-il de plus absurde qu'au Pigeon qui menaçait de le trahir de tout abandonner et de plonger à sa rescousse???

— HA HA HA HA HA!!!

Sur le dos, une patte sur son ventre douloureux, toutes ses vies se disputaient l'espace de son corps, comme si l'une d'elle aurait eu la sagesse et la retenue nécessaire de brider tout ce qui faisait Étoile Foudroyante Coup de Foudre.

— Tu aurais pu mourir avec tes bêtises ! Je n'sais pas où tu en es dans tes vies, mais les Etoiles ne les donne pas pour que tu les gâche avec des enfantillages !

Brusquement, son rire mourrut.

...Mais voilà qu'il renaissait de ses cendres, s'enflammant avec toute la chaleur de son cynisme. Bien sûr que les Étoiles ne donnaient pas les vies pour qu'il les gâche - elles préféraient les lui enlever d'elles-mêmes, sous la forme d'un Éclair, devant l'entièreté du Clan!

Les yeux rieurs d'Étoile Foudroyante se plissèrent. De ravissement, de douleur, d'une peine et d'un vide insatiables qu'il ne lui était même pas donné de ressentir pleinement. D'un habile coup de rein et d'une torsion de la colonne, il parvint à se rouler sur le flanc, et la violente quinte de rires se détendit, un peu.

Juste assez pour redonner assez de tonus à ses muscles pour s'asseoir, et retrouver une position   -- une dernière gerbe de boue s'expulsa de sa bouche, avec patience, roulant sur sa langue en caillots.

Étoile Foudroyante secoua sa tête, dévisageant tout le goudron qui lui collait au poil, qui lui sortait du corps. Puis, entre la berlue et le vertige de sa quasi-mort, un son atypique lui fit redresser les oreilles, et tourner la tête ainsi que d'yeux cafardeux vers la source.

Ses pupilles se dilatèrent, et l'objectif de ses yeux devint net, trop net, occultant tout sauf le coupable.

Nuage de Tempête avait été contaminé par la crise, et malgré lui ses paupières s'étaient plissés, éclairant ses yeux d'une lueur à la fois cruelle et espiègle. Le sourire meurtri du bengal se raviva presqu'aussitôt.

...N'est-ce pas?

N'est-ce pas qu'il avait fière allure?

N'est-ce pas que toute cette situation était parfaitement ridicule, et que leur obsession au paraître ne se détruisait qu'à la maladresse d'une simple chute?

Il riait encore - de bonne ou de mauvaise foi peu importe - la gorge rauque mais le coeur flottant, léger, comme si ce-dernier ne l'avait jamais rejoint sous la surface de la combe.

— --Putaaaain Pépette, non mais t'as vu comment tu m'as éjecté? Ha _ha ha, dire qu'avant, même en foxtrot tu peinais à repousser mes pattes!  Envol de la Tempête! - Rossignol - Bond de la Tempête! - Coeur de Loutre - Bris de la Tempête, ha ha ha! - Coeur Brisé - ...Rires de la Tempête? ♡

Une douleur lui électrisa l'échine; il l'atténua d'un las rouler des épaules, et, d'un crac à l'autre de la nuque, dégourdissant son pauvre corps à la fois brûlant et figé dans la glace.

Habité de la même sérénité que de se réveiller d'une bonne sieste au soleil:
— ... Où est le pigeon?