[INNONDATION] Mieux vaut tard que jamais | Etoile Foudroyante

« --Putaaaain Pépette, non mais t'as vu comment tu m'as éjecté? Ha ha ha, dire qu'avant, même en foxtrot tu peinais à repousser mes pattes! Envol de la Tempête! Bond de la Tempête! Bris de la Tempête, ha ha ha! ...Rires de la Tempête? ♡ » Nuage de Tempête donna un coup du bout de la patte contre l'épaule de son mentor. Il riait aussi, mais plus pudique, il retenait son éclat entre ses crocs dans un léger sourire.

Etoile Foudroyante s'étira à mesure que Nuage de Tempête se calmait. Aucun de ces noms ne lui allaient et il trouvait qu'ils étaient parfaitement ridicules sur lui, cela faisait certainement parti de la plaisanterie. Il souffla, vidé et soudainement détendu, serein comme après un entraînement satisfaisant.
Nuage de Tempête ne se souvenait pas avoir déjà rit.

« ... Où est le pigeon ? » L'apprenti se redressa, assit su le sol, trempé et boueux. Il rouvit grand les yeux et entreprit de chercher du regard le volatile mutilé. A droite, à gauche, il fureta et finit par se lever complètement, dressant la queue derrière lui, agitant son bout.

Il ne le voyait pas.

Il ferma les yeux, entrouvrit la gueule pour permettre aux odeurs d'être plus perceptibles, mais tout ce qu'il sentit ce fut l'odeur acre de la vase. Il grimaça, rouvrit les paupières.

« Je crois que je l'ai perdu, le pigeon. » Il soupira face à ce nom qui sonnait étrange à ses oreilles. « Je ne crois pas qu'il venait de nos forêts, de toute façon. » Et il se retourna vers son mentor.

La joie était passée, Tempête recouvrait son air faussement neutre qui donnait cette illusion d'indifférence.

« Tu empeste, Foudre, je crois qu'il faudrait que tu te lèche un coup- Ou bien, que tu plonges dans une eau propre. »

Et si Tempête ne souriait pas, il venait tout de même de faire l'une de ses premières innocentes plaisanteries.

Tempête riait, s'offusquait, brisant la convention sociale de la bulle personelle pour envoyer un coup de patte au bengal parfaitement éhonté, frappant ce-dernier d'un quatrième souvenir.

Un souvenir différent des trois précédents.

Un souvenir rare, car, plutôt que lui remémorer ses morts, il lui remémora sa vie.

Il y a quelques saisons, se rappelait-il, ce chaton qui partageait presque sa taille maintenant l'avait cloué au tronc, lui avait fauché l'équilibre, l'avait repêché et l'avait traîné sur la berge. Ce chaton qui le regardait autrefois avec sa propre Toison Argentée dans les yeux, se permettait enfin de rire, de jouer, de plaisanter.

— Je crois que je l'ai perdu, le pigeon.
— Ah, mais noooon, s'exclama à peine le bengal, sans prendre la peine de forcer l'intonation.
— Je ne crois pas qu'il venait de nos forêts, de toute façon.
— Tu parles, rigola Étoile Foudroyante, c'était un cadeau de mon charmant Moineau. Le sourire s'affaissa avec le geste de fureter la fange et la boue, s'imaginant malgré-lui son pauvre cadeau s'embourber sous la surface. Ses oreilles s'abaissèrent. Ah, quel gaspillage...

Mm... Moineau n'avait pas à savoir.

De toute manière, Moineau le lui avait donné, comme quoi Étoile Foudroyante était tout en son droit de faire ce qu'il voulait de l'oiseau, y compris l'échapper et le perdre à jamais à la bouche de la combe inondée. Même en penchant sa tête, en changeant l'angle de sa perception, aucun rayon du soleil ne parvenait à percer la surface opaque de l'eau pour observer le triste sort de son dû. Lui vint l'idée de redresser le nez et de chercher son pigeon entre les branches, que son apprenti l'interrompit.

— Tu empestes, Foudre, je crois qu'il faudrait que tu te lèche un coup- Ou bien, que tu plonges dans une eau propre.
Battant l'air d'une oreille, le bengal tourna vite sa tête afin de dévisager gentiment l'apprenti et sa fausse mine-de-rien.

— Ouaaais, quelle bonne idée. Allons plonger dans cette même "eau propre" qui a emportée Étoile Déchirée et tout ses guerriers, lui renvoya-t-il, tout-sourire et pointu. Il se radoucit, serpentant sa queue boueuse contre les racines, la soulevant difficilement en l'air pour la recourber et tacher le pauvre apprenti d'un contact de celle-ci - autant pour la recourber contre une patte dans un geste de solidarité, que pour directement l'enquiquiner.

— Mais si tu comptes m'y repêcher...

« Ouaaais, quelle bonne idée. Allons plonger dans cette même "eau propre" qui a emportée Étoile Déchirée et tout ses guerriers. » Si une vague de malaise envahit le jeune apprenti, elle fut succédée par une tout autre émotion qui lui pressa la poitrine. Parfois, il l'oubliait, mais il n'y avait pas que les guerriers de la Rivière qui avait été emportés et s'il se moquait pas mal du sort des autres clans, n'en déplaise à son mentor, c'était tout autre chose de savoir que son frère avait disparu entre les flots.

Il frissonna en sentant la boue contre son poil et ce, bien qu'il en fut lui-même couvert. Il se recula un peu trop vivement, trahissant son trouble momentané.

« Mais si tu comptes m'y repêcher... »

Pourquoi pensait il à ça, maintenant ?

Nuage Soufflant n'était pas être pas parti rejoindre le clan des Etoiles, peut-être qu'il avait seulement été emporté loin, trop loin.

Il n'avait pas put le repêcher, lui. Il en aurait été capable, mais il n'était pas au bon endroit au bon moment. Tempête n'avait qu'à peine vécu les flots qui s'étaient déchaînés sur leur territoire. Il était dans une zone où l'eau l'avait à peine effleurée. Il se souvenait, à ce moment là, avoir naïvement cru qu'il n'y aurait que peu de victimes à déplorer. Après tout, ils étaient loin de la rivière et ses frères et sœurs avaient la même horreur entre les doigts, ces palmes qui lui avaient permit de sauver son mentor.

Il grimaça, détournant le regard pour cacher ce trouble qui l'envahissait et il se leva pour reculer un peu.

« Tu devrais apprendre à nager, plutôt, ça t'serais utile. » Il se redressa, déglutissant pour recouvrer un semblant de calme. « Imagine un peu si le Clan de la Rivière perdait son seul avantage : être des poissons-chats. »

Oh...

Oh, il jouait plus, le gamin.

Grandes apparences pour lui cacher sa frousse d'avoir presque perdu son grand-père/idole/chef/mentor référent, ou autre chose...? Peut-être que la plaisanterie avait été trop pointue - peut-être qu'il aurait du rentrer les griffes et commencer plus léger...

...Y'avait-il des préliminaires, en humour?

— Tu devrais apprendre à nager, plutôt, ça t'serais utile.

Étoile Foudroyante ramena sa queue à lui, c'est à dire qu'elle pendit lamentablement à côté de son épaule, alourdie par les caillots de boue.

— Imagine un peu si le Clan de la Rivière perdait son seul avantage : être des poissons-chats.
— Ha hah!

Sans s'enjoliver à l'excès, son sourire s'assymétrisa de sincérité.

— J'ai toujours voulu apprendre, tu sais? J'ai appris à Museau Bleu - c'était la lieutenante de la Rivière, à l'époque - à grimper aux arbres par les quatre chênes. En échange, elle devait m'apprendre à nager.

Son sourire s'affadit.

— Ah... J'avais bien ses souvenirs, et j'ai encore ceux de Jolie Abeille, mais leur apprentissage a été aiguisé sur leurs corps, pas le mien. Même si j'en connais la théorie..., il haussa simplement les épaules. Comme quoi je n'ai pas encore appris comment provoquer les Vies à s'emparer de mon corps.

Par automatisme, il sortit l'omoplate pour entreprendre un début de toilette, qu'il regretta aussitôt en retroussant les babines sur une grimace de dégoût. Et pourtant, sans perdre le rythme de la conversation, il poursuivit l'idée qui l'intéressait vraiment: T'en dis quoi, Tempête? Tu voudrais bien m'apprendre à nager?

« J'ai toujours voulu apprendre, tu sais? J'ai appris à Museau Bleu - c'était la lieutenante de la Rivière, à l'époque - à grimper aux arbres par les quatre chênes. En échange, elle devait m'apprendre à nager. » Tempête posa sur lui un regard méfiant, sur la défensive. Il ne sut trop dire pourquoi, mais il s'attendait à un retournement de situation, à une pique ou une plaisanterie mal placée.

Au moins, cette soudaine défiance lui permit une fois de plus d'oublier l'existence même de son frère. Ce qui faisait souffrir, il fallait l'enterrer.

« Ah... J'avais bien ses souvenirs, et j'ai encore ceux de Jolie Abeille, mais leur apprentissage a été aiguisé sur leurs corps, pas le mien. Même si j'en connais la théorie..., Comme quoi je n'ai pas encore appris comment provoquer les Vies à s'emparer de mon corps. » Et voilà que Foudre commençait sa toilette. Par empathie, lorsqu'il vit sa grimace, Nuage de Tempête l'imita. Lui, il préférait toujours tenter sa chance dans la rivière elle-même. Au moins, elle ne risquait pas de lui laisser un goût amer dans la gueule.

« T'en dis quoi, Tempête? Tu voudrais bien m'apprendre à nager? »

Tempête tomba des nues.

Il écarquilla les yeux et entrouvrit la gueule, soudainement coit. Que pouvait-il répondre à cela ? Son mentor, son modèle depuis toujours, son grand-père venait vers lui pour lui demander de lui apprendre quelque chose. Le jeune chat déglutit de nouveau, soudainement gêné.
Il ne se sentait pas à la hauteur de la tâche, pas réellement légitime. Sa mère aurait pu le lui enseigner, c'était elle qui lui avait apprit, après tout. Pourquoi lui demander à lui ?

« Je-... Oui, je pense. Ce doit être dans mes cordes. » Souffla-t-il, peu convaincu. Il ne voulait pas décevoir Foudre, alors il s'interdit de lui faire part de ses doutes quant à ses capacités. Cela dit, en dépit de son naturel secret, il était aisé de comprendre quel genre de malaise l'envahissait.

Il détourna le regard.

« Mais si tu te noies, je décline toute réponsabilités. »




Il ne plaisantait pas.

— Bien sûr.

Plus aucun ronron n'habitait le ventre et la gorge dégoulinants de son grand-père, dont le sourire s'était figé sur son faciès plastique. Ses deux oreilles étaient droites, poils carbonisés au rebond, et ses yeux étaient noirs, presqu'invisibles dans son poil charbon. Il avait penché sa tête, se permettant de montrer un autre angle à son apprenti, qui deviendrait sous peu son mentor de natation.

Plic.

Plic.

S'égouttait de son menton la boue qui s'y était collée.

— Jusqu'à ce que je ne te sois plus utile.

Quelque part dans la combe gisait un pigeon - à la fois sous la boue, à la fois dans les branches. Sans savoir où il était les deux options étaient parfaitement plausibles à la fois.

Alors, lequel a raison?

— Dis-moi, quand tu m'auras pris tout ce que tu m'envies - la tournure des mots, délibérée, n'avait aucune chaleur dedans - tu me laisseras couler?

C'est tout ce que je mérite, tu ne crois pas?

« Bien sûr. »

Quelque chose dans la voix de Foudre avait changé. Quelque chose qui arrache à son apprenti un frisson, qui le figea un instant, lui fit cesser de penser à autre chose qu'à la conversation.
Il posa un nouveau regard sur lui sans vraiment savoir quand ses yeux étaient devenus si noir et son cou si souple. Depuis quand avait-il cet air macabre de hiboux moqueur ?

« Jusqu'à ce que je ne te sois plus utile. » Un nouveau frisson ébouriffa son poil, tendit ses muscles.

Pourquoi sentait-il une soudaine urgence vrombir autours de lui, jusque dans ses pattes, jusque dans ses oreilles ?

« Dis-moi, quand tu m'auras pris tout ce que tu m'envies tu me laisseras couler ? »

Qu'avait-il dit ? Qu'avait-il fait...

« C'est tout ce que je mérite, tu ne crois pas ? »

... Pour déclencher ça ?

Le jeune félin déglutit discrètement, le souffle court. Il lui sembla qu'il tentait involontairement de dissimuler sa respiration, comme s'il eut été chassé par un prédateur invisible. Il lui sembla qu'il était terrifié, mais il ne sentait plus en lui que le crépitement de l'adrénaline. Elle lui hurlait deux choses :

FRAPPE LE ET FUIT.

Ses yeux étaient ronds comme des billes et un grimace crispée couvrait son visage.

Pourtant, il brisa cette étrange sensation, le bruit sourd de ses veines à ses oreilles.

« Ce n'est pas à moi d'en juger, Etoile de Foudre, je n'suis pas habilité à ça, j'crois bien. » Le débit était lent, comme s'il mesurait chacun de ses mots, son visage se détendit, revint à sa neutralité. C'était sa barrière, son ultime défense, ne rien laisser paraître- Oh, mais ses yeux en disait long.

Au fond de ses iris bleues, dans les remous noirs de ses pupilles, il n'était pas difficile d'y lire la terreur.

« Ce que je ressens pour toi va bien au delà de la simple envie. »

Plus aussi amorphe, Tempête se retrouva la garde baissée devant quelque chose qui le surpris tellement qu'il révéla, malgré tout ses efforts, la véritable couleur de sa peur dans la rondeur de ses yeux. Se tenait derrière lui un bengal au poil souillé par la boue, dissimulant des années et des années de toilettage d'arabesques marbrées dont il se servait pour épater et séduire autrui.

Il n'avait plus d'apparats que dans son sourire, qui ne portrait pas la définition de la bonne humeur. Pourtant, que son apprenti bientôt mentor de natation n'accepte sa requête afin de retourner leurs rôles, son coeur avait dû se gonfler plusieurs fois dans sa poitrine; mais cette menace, non dissimulée, de laisser son nom disparaître sous les flots n'eut droit qu'à un reflet parfaitement imité de la part de l'aîné.

Tempête comprenait-il enfin?

— Ce n'est pas à moi d'en juger, Etoile de Foudre, je n'suis pas habilité à ça, j'crois bien.

Qui sait où l'attention d'Étoile Foudroyante était dirigée, en ce moment. Ses pupilles étaient si gonflées qu'on n'en voyait plus les sclères.

— Ah... vibra le ténor de sa voix. Pas une seule griffe sortie de son fourreau...

Et pourtant, cette terreur, poignante, faisait se débattre à l'interne ce pauvre guerrier-en-devenir qui s'exhortait pourtant au calme en contrôlant le souffle de sa respiration.

— Ce que je ressens pour toi va bien au delà de la simple envie.
— Vraiment.

Comme le déclic d'une lentille, les pupilles s'amincirent verticalement pour redevenir de simples fentes, redonnant à ses iris leur jaune électrisant, plus marqué encore depuis qu'il avait momentanément fait trempette dans la combe inondée.

— Je t'aime aussi, garçon.

Son sourire retrouva toute sa chaleur, et d'un pied lourd, humide et las, il s'engagea à suivre le gamin le devançant juste pour lui donner un léger coup avec l'épaule afin de l'aider à se sortir de sa torpeur.

— Oh... Je t'ai fait peur? ♡

Qu'il n'oublie pas que cette terreur qui l'empoignait de la sorte, Étoile Foudroyante était incapable de la ressentir.

Qu'il comprenne, donc, ce que devenir son chanteur pourrait impliquer.

D'ici là, le nom de Tempête avait fait irruption dans un coin de sa tête, et il lui tardait - non, il lui brûlait enfin de le baptiser.

« Vraiment. »

BABOUM.

Coup de tambour - ou de tonnerre - dans sa poitrine. Il se hérissa un peu plus, une nouvelle vibration parcouru ses muscles. Il se retint.
Il n'y avait aucune menace dans le ton de son mentor, pourtant, il en perçu une bien tangible. Il la sentait. Et la peur se débattait tout au fond de lui.
Il la retenait.

Puis, la crainte se brisa. Comme si tout cet échange était d'un naturel évident, Etoile Foudroyante redevint Foudre. Ses yeux redevinrent d'ambre fendue, son sourire n'avait plus rien de menaçant.
« Je t'aime aussi, garçon. » Drôle de façon de le lui montrer.

Tempête ne changea d'attitude que lorsque le coup d'épaule de Foudre le fit sursauter. Il cligna plusieurs fois des yeux, comme au sortir d'un mauvais rêve et il posa sur son mentor un regard interloqué.

« Oh... Je t'ai fait peur? ♡ »

Après quelques secondes d'apesanteur, une grimace déforma le visage du jeune félin. Il se sentit soudainement humilié et stupide. La colère remplaça bientôt sa consoeur et il dû la retenir, elle aussi.

Il se redressa et souffla entre ses crocs à demi serré un : va te faire foutre. à peine audible. Puis, sans demander son reste ni même chercher une explication, il entreprit de suivre docilement son maître.

Toujours aucune griffe de sortie! 'Fallait le faire, même Coeur de Puma finissait par hausser la voix quand il poussait un peu trop (et au risque de me répéter pour une énième fois: pas comme ça). Le boueux bengal voulut s'ébrouer, mais y repensa deux fois après la peur qu'il avait foutue au guerrier-en-devenir. Si en plus il ajoutait des éclats de boue sur sa fourrure (m'enfin, plus qu'il ne lui en collait déjà dessus depuis qu'il avait plongé à sa rescousse...), peut-être que la prochaine fois que Tempête lui planterait ses dents dans la peau serait un peu moins agréable que la première...

— Va te faire foutre, maugréa le guerrier-en-devenir, arrachant une bruyante esclaffée à son chef qui ne retenait plus du tout ses rires.

Il pressa le pas, trottinant histoire de baisser la tête et lui jeter un regard dessous son épaule, où il entendait battre son propre cœur de renard.

— Mais Pépète, je reviens tout juste de chez Moineau!

Un clin d'oeil, trois fois rien, s'arrêtant à chaque fois que la distance entre lui et le ronchon chat sur ses talons s'agrandissait un peu trop.

— Chaque chose en son temps, mm? C'est que je ne suis pas le seul à empester... ♡

Direction la Rivière, en espérant que celle-ci ne se soit drainée de toutes ses cochonneries, pour que deux chats réussissent deux toilettes in-extrémis...!