Venin | Etoile Foudroyante

Quelques jours à peine avait souffler sur la plaie du jeune apprenti. Des croutes jaunâtres, puis brunes, s'était tour à tour succéder sur les bords de son oreilles et, grâce aux bons soins du guérisseurs, il ne lui faudrait encore que quelque jour pour laisser ces deux petits trous dans son corps sans risque d'infections.

Ces deux petits trous qui, comme des yeux, scrutaient le vide. Comme les siens, longeant la courbe de ses griffes sorties et enfoncées dans le sol. Et ses tendons tiraient sur ses muscles, pressant les hématomes sous sa fourrure.
Il se faisait mal à se mettre en colère, comme ça. Mais la douleur, elle écrasait la rage qui grondait en lui, faisait sortir le jus, comme d'une plaie infectée.

Puis, il avisa le mulot, entre ses pattes, et compris qu'il n'avait pas faim. Il fallait reprendre des forces, pourtant. Le serpent ne l'avait pas épargné, mais quelque part, il n'avait pas chercher à lui faire plus de mal que de raison. Nuage de Tempête n'était pas en danger, il était épuisé et son corps supportait mal les coups reçu, mais il n'y avait presque pas eut de griffes.

Et Tempête aurait préféré. Il ne lui restait que le goût amer de l'humiliation, sur la langue, et il lui coupait l'appétit.
Alors il resta là, au milieux de la clairière, les pattes dans le neige, assit, à fixer ce pauvre mulot.

Quel parfait imbécile.

Jamais en cent cycles il ne se serait douté que cet enfoiré de Petit Serpent ne range ses plans de grande guerre grandes morts pour aller se planter les dents dans l'oreille de son apprenti et lui livrer à lui un message on ne peut plus clair:

Je ferai de ta vie un calvaire.

Ça avait du bon — ça devait en avoir sans quoi Nuage de Tempête aurait été attaqué pour rien, aurait été traumatisé pour rien, était en colère pour RIEN — car c'était une preuve supplémentaire qu'après s'être mis les canines dans sa nuque et après avoir roulé-boulé sous les dessous d'un Monstre du Cirque et après lui avoir donné le privilège de goûter tout en même temps à une Grande mort autant qu'une Petite, il semblerait qu'Étoile du Cobra soit parfaitement obsédé avec lui.

Ç'avait été le plan. C'était donc un succès.

Mais.

— ... C'est inutile, tu sais.

Sans la politesse de s'annoncer, le bengal se coula aux côtés de l'apprenti-guerrier afin de fixer, comme lui, ce pauv' mulot qui traînait dans la neige. Fixer n'importe quoi d'autre que ses yeux de Rossignol que sa colère de Brisé que Ses Poinçons dans les oreilles et les poils qu'il s'y faisait pousser —

— Y'a que nos Salopes du ciel pour foudroyer les autres à volonté. Un battement, agacé, de son oreille et de tous les poils roussis dedans. C'est pas faute d'avoir essayé.

« ... C'est inutile, tu sais. » La voix de Foudre lui hérissa le poil. Il serra la mâchoire, plus fort, sans qu'il ne lui laisse l'occasion de le voir et il ne détacha pas son regard du mulot, tendu.
Il n'était pas en colère contre son mentor, loin de là, ce qui réveillait cette dernière, c'était la honte. Etoile Foudroyante était la dernière personne qu'il voulait voir.

« Y'a que nos Salopes du ciel pour foudroyer les autres à volonté. C'est pas faute d'avoir essayé. » Avait-il un regard apitoyant, ou bien, était-il déçu ? Peut-être les deux. Tempête ne voyait pas ses yeux.

Il découvrit les crocs, serrant ces derniers. Tous ses muscles vibraient de rage et sa queue se gonfla. Le cœur bourdonnait dans sa carotine, derrière son oreille, et il savait que son grand-père devait sûrement l'entendre, lui aussi. Silencieusement, il prit une grande inspiration. Lorsqu'il souffla, l'air qui s'échappa de son corps fit taire le vrombissement assourdissant de sa rage et s'il resta fermé et tendu, il put laisser son poil redevenir plat et lisse, sa mâchoire se desserrer un peu.

« Qu'est-ce que ça peut faire ? Ce mulot est déjà mort. » Il répondit sèchement sans le vouloir.

Oh — il avait du interrompre sa concentration. Aucun éclair ne chut sur le pauvre mulot, la frustration de son apprenti se canalisant dans ses crocs, qu'il découvrit, et un pas-ronron du tout qui vrombrit par ses tripes. Étoile Foudroyante ne manqua pas le soupir qu'il poussa, tendu et sec, qui donna un peu de lest à ses mâchoires comprimées.

— Qu'est-ce que ça peut faire ? siffla Nuage de Tempête, peu amène. Ce mulot est déjà mort.
— Ouais, ce qui en fait la cible idéale pour pratiquer ta technique de foudroiment du regard, non? plaisanta son mentor, ardemment conscient que ses pattes n'étaient pas du tout où il fallait et que son apprenti était à deux vibrisses de changer de cible.

Bien sûr, il en fit fi.

— Et il t'as fait quoi, dis-moi, ce pauvre mulot, pour mériter tout ton mépris? Après avoir levé les yeux au ciel, il se hasarda: tu es sûr d'avoir bien choisi ta cible?

« Ouais, ce qui en fait la cible idéale pour pratiquer ta technique de foudroiement du regard, non ? » Ce ton si désinvolte raidit un peu plus les muscles de l'apprenti. Il trouvait ça tout bonnement insupportable, tant de légèreté. Et, en même temps, peut-être aurait-il également trouvé un excès de sérieux dérangeant.

« Et il t'as fait quoi, dis-moi, ce pauvre mulot, pour mériter tout ton mépris ? » Tempête roula des yeux, agacé. « tu es sûr d'avoir bien choisi ta cible ? »

Son oreille tiqua, s'agita d'un coup comme pour chasser un son, une parole désagréable. Aussitôt, il tourna la tête vers son mentor, lentement, les canines découvertes dans une grimace étrange. Il regardait son poitrail, évitant toujours soigneusement de croiser son regard.
Il n'avait pas la patience pour ses jeux, pas aujourd'hui.

« Un regard et du mépris ne suffiront pas. » Et, après une réponse si calme, il se dressa sur ses pattes. « Qu'est-ce que tu veux ? Te moquer de moi, en fait ?! » Furibond, et bien qu'haussant le ton, il n'apparu cependant pas si en colère que ça. Son poil restait plat, comparé à ce qu'il avait put être il y a quelques minutes à peine. Son regard était furieux, mais il n'exprimait simplement pas physiquement tout l'étendu de sa rage.

— Un regard et du mépris ne suffiront pas, lui répondit l'apprenti, une sorte de réserve lui interdisant de soutenir le contact visuel. S'il se savait au mauvais endroit au mauvais moment, Étoile Foudroyante ne put s'empêcher de tirer la moue quant à l'insistance de se faire royalement ignorer. Allez, quoi, ça lui changeait des constellations qui s'allumaient dans les yeux de son apprenti, mais de là à se faire grogner dessus...!

— Qu'est-ce que tu veux ? Nuage de Tempête haussa le ton. Te moquer de moi, en fait ?!

L'accusation firent se coucher les deux oreilles du bengal. Lui-même regarda son propre poitrail une seconde, rentrant le menton dans le cou comme un chaton qu'on venait de réprimander.

J'espère que tu ne viens pas te moquer de moi...

La déception mourrut vite: en ignorant les éclaboussures et la panique soulevées par le souvenir, c'est sans se presser que le bengal vint s'asseoir, recourbant sa longue queue autour de ses pattes en créant un sillon dans la neige.

La clairière lui semblait toujours plus vaste, en hiver. Elle pourrait bien s'étendre jusqu'à l'horizon si le contour de leur palissade ne se découpait pas dans la distance, ceinturant leur campement.

En se rappelant le dernier chat qui avait refusé de manger avec lui, Étoile Foudroyante poussa un soupir.

— ... Juste ton bien, Nuage de Tempête.

Il pencha sa tête, plus las que vexé. Je m'y prend mal?

Mieux valait lui demander. La dernière fois, il avait tenté toutes sortes de combines pour remonter en vain le moral de Coeur de Puma, s'attirant plutôt les rires et les moqueries des guerriers qui en avaient été témoin.

HRP:

« ... Juste ton bien, Nuage de Tempête. »

Tempête se figea un instant, les yeux ronds. Sa colère mourut d'un coup d'un seul, aussi vite qu'elle était monté. Il n'en revenait jamais, le Nuage, de la manière dont son cœur faisait le yo-yo.

« Je m'y prend mal ? » Assit dans la neige, son grand-père lui donna l'air d'un chaton penaud, maladroit. Les rôles ainsi inversés firent tout bizarre à Nuage de Tempête qui ne sut plus trop quoi faire ni comment réagir. Un instant, il l'observa, puis une grimace tordit ses babines et il se détourne.

Dos au chef de clan, il s'assit à son tour dans un léger frisson. Il abaissa la tête et ses oreilles se glissèrent en arrière alors que sa longue - trop longue - queue revient couvrir ses pattes.

« Non, désolé. C'est moi qui suis trop en colère, en fait. » Souffla-t-il, maladroit. Il soupira, créant un léger nuage de buée.

Comme quoi il y avait du bon de s'avouer désarmé. Dans le même élan, il avait désarmé Nuage de Tempête, qui, abasourdi, se hâta de lui tourner le dos pour lui cacher toute la perplexité qui l'avait momentanément pris de court. Il lui cacha autre chose - sa honte - mais Étoile Foudroyante lui épargna de le lui faire remarquer.

Son apprenti prit le temps de s'asseoir, de recourber sa queue autour de ses pattes; par mimétisme de solidarité, son référent fit de même.

— Non, désolé. C'est moi qui suis trop en colère, en fait.

Mm, ça se tenait.

— C'est ce que j'ai cru remarquer, lui répondit Étoile Foudroyante. Il haussa les épaules, comme quoi son émotion ne lui faisait ni chaud ni froid, laissant à Tempête tout l'espace qu'il lui fallait, sans lui ravir sa chaleur d'un contact de la queue ou de la tête.

— Alors? Elle te dit quoi?

Non loin d'eux deux, le mulot, inerte, refroidissait à vue d'oeil dans la neige.

« C'est ce que j'ai cru remarquer. » Il le prit comme une moquerie, mais il eu la décence de ne pas réagir à vif. Il lui fallait économiser son énergie, de toute façon, avec le froid mordant qui les entourait. Plutôt, il conserva son air froid, légèrement mauvais.

« Alors ? Elle te dit quoi ? » Il resta bien en place, l'aîné des deux, pas perturbé le moins du monde par la situation. Ce n'était pas le cas de son apprenti qui releva la tête, redressant un peu le busque, le dos droit. Il observa Foudre, l'air de ne pas comprendre; et il ne comprenait pas.

Il se demanda d'abord de qui il parlait et il lui fallut quelques secondes pour saisir qu'il s'agissait de la colère. Cette dernière, d'ailleurs, le rendait bien moins vif.
Il prit quelques secondes de plus pour réfléchir à la question. Ce qu'elle lui disait ? Elle ne disait rien. Elle n'était qu'un bourdonnement désarticulé au fond de son crâne qui tambourinait sans cesse.

Il grimaça, tenta d'en extraire des bribes, des morceaux. Cela semblait être une entreprise dur et complexe, mais il parvint tout de même à en tirer quelques choses.
C'est plus détendu qu'il reprit la parole, observant le mulot qui se congelait à côté de lui, il parla d'un ton las.

« Que je suis nul. Elle me dit que je suis nul et que j'aurais dû être meilleur... Et elle me dit aussi de retrouver ce foutu serpent pour lui faire avaler sa LANGUE ! » Montant crescendo, son poil suivit l'exemple de sa voix en se gonflant. Puis, tout redevint calme, comme un coup de tonnerre, il reprit ce même ton emprunt de fatigue.

« Mais ça sert à rien, pas vrai ? Il est beaucoup plus fort que moi... »

Nuage de Tempête prit un moment. Tant mieux: aux yeux de son référent, prendre le temps d'inspirer pour tenter de démêler le chaos de son esprit valait mieux que se jeter en bas d'une branche toutes griffes dehors. Même, c'était un indice de maturité.

— Que je suis nul. Elle me dit que je suis nul et que j'aurais dû être meilleur... Et elle me dit aussi de retrouver ce foutu serpent pour lui faire avaler sa LANGUE !

Pour aucune raison Étoile Foudroyante battit de son oreille guérie dans l'air froid. Et pour aucune raison ses épaules s'étaient raidies sur son dos.

Ça... avait au moins le mérite d'être clair.

— Mais ça sert à rien, pas vrai ? Il est beaucoup plus fort que moi...

Le bengal redressa ses oreilles, sa tête se penchant à la mesure de leurs options.

— Mm, pas faux, il consentit, haussant une épaule parfaitement désinvolte après cette explosion de colère brut. Pour l'instant du moins.

Il tria l'ordre de priorité des opérations. Il y avait plus important que de révéler sa relation avec l'assaillant du pauvre apprenti démuni. De ce fait, Étoile Foudroyante pencha sa tête de l'autre côté, observant l'angle qui semblait lui échapper.

— ...Dis-moi, t'en es où avec tes bases martiales? C'était plus fort que lui, toute cette espièglerie. T'as envie qu'on s'en mette sur la gueule? ♡