[INONDATION - flashback] Soft Moans of the Remains [avec Nuage de Glycine]

Le monde avait perdu ses couleurs.
Il n’y avait plus, autour de lui, que des nuances de gris. Il n’entendait plus le chant des oiseaux, ne voyait plus la beauté dans les mille couleurs des feuilles mortes et le bruit du vent dans les branches. Les histoires qu’il s’inventait dans son esprit avaient disparu comme si elles n’avaient jamais existé. Ne restait qu’un long bourdonnement continu, sombre et monotone, qui pesait un poids de mort sur ces épaules.

Nuage de Glycine se levait par automatisme, partait patrouiller par automatisme, chassait par automatisme, mangeait par automatisme. Il se grattait, aussi — ou plutôt se démangeait par réflexe. Jolie Rafflésie lui avait prescrit de quoi faire contre les puces, sans jamais en trouver une seule dans son pelage.

Ses yeux avaient perdu le peu de lumière qui leur restait, et se suspendait au dessus de lourdes cernes qui ne cessaient de se creuser. La nuit, quand il fermait les yeux, il ne voyait qu’une chose.

Le corps ensanglanté et inerte de sa soeur, sur le sol.

C’était seulement le soir, lorsqu’il rentrait au camp, qu’il commençait à ressentir quelque chose.
Quelque chose d’affreux, qui lui donnait envie de rester vide à tout jamais, plutôt, quelque chose qui lui donnait l’impression que son coeur allait exploser d’une seconde à l’autre ou qu’il allait étouffer comme si des griffes acérées le maintenaient profondément au fin fond de la rivière.
L’angoisse.
Alors il partait d’un pas lourd rejoindre la tanière de la guérisseuse, qu’il trouva vide ce soir là, à son grand désarroi, et s’allongeait sur le sol près de sa soeur, le regard tourné vers l’entrée.

Il se jurait de buter chaque. putain. d’oiseau.

Chaque. putain. de bête. à plumes.

Une par une, jusqu’à la dernière.

Il ne les boufferait même pas. Il laisserait leur cadavre moisir là, bons pour les charognards.

Le seul destin qu’ils méritaient.

- Tu es en colère.

Nuage de Glycine tourna la tête vers sa sœur, abaissant son regard vers le bout de sa queue qui lui couvrait le museau, pour ne surtout, surtout pas poser le regard sur ses énormes cicatrices.
Elles lui rappellent le sang, le corps, la mort. Toutes ces choses qui creusent encore davantage les fissures de son cœur. Il ne s'y attarda de toute manière pas, reportant à nouveau son attention vers l'extérieur, vers le ciel nuageux et pluvieux qui cache peut-être ces putains de volatiles.

Il maudit le ciel.

- Non, lui répondit-il simplement.

Ce n'était pas un mensonge. Il en était lui-même convaincu, et pourtant, elle avait raison. Nuage de Glycine était en colère depuis tellement longtemps qu'il en avait oublié ce que ça faisait, de l'être. Tout comme n'importe quel chat oubliait ce que ça fait de respirer, car il s'agissait d'un acte tellement commun et important que l'on y pensait plus, que ça devenait un automatisme comme un autre. Comme sa colère.
Nuage de Glycine était en colère. Ca faisait partie de lui, maintenant. Depuis trop de lunes, déjà.
En colère contre le monde, contre l'injustice qui le portait, contre le ciel, contre les oiseaux, contre les autres, et contre lui-même par dessus tout.

- Repose toi.

Il n'y avait rien d'autre à faire, pour le moment. Elle ne pouvait que dormir, et lui, veiller.

Son regard se tourna vers les étoiles. Non pas pour les contempler, mais pour surveiller les ennemis qui pourraient venir du ciel. Il les préférait de toute façon là haut, plus utiles pour prévenir le danger, et loin des cicatrices de sa sœur.
– Je ne suis pas en colère, fulmina-t-il.
Ce n’était toujours pas un mensonge, car il en était convaincu. Persuadé que sa sœur lui imaginait une colère soudaine, fictive, alors qu’il était en colère depuis le début de son apprentissage.
– Tu peux être avec moi et dormir en même temps.
Ce n’est pas comme s’il avait eu l’intention de bouger. Il resterait là toute la nuit, et celle d’après, et celle encore d’après s’il le fallait – il continuerai de veiller pour s’assurer que le hibou ne ferait aucune victime, ce soir là, ni aucun soir, et tant pis s’il n’en dormait plus. Il ne pourrait jamais fermer l’œil en sachant que le danger rodait, de toute manière.
– Il faut te reposer, si tu veux guérir.
Dormir, pour reprendre des forces. Mais pas trop profondément non plus. Pas aussi profondément qu’elle l’avait fait, quelques minutes après avoir été libérée des serres du rapaces. Plus jamais. Pas tant qu’il serait vivant.
– C’est important.

[Dsl c'est court mais je gère 35 gamins survoltés en écrivant ce rp fhudj c'est dur et en plus le clavier du taff est AFFREUX]

Il avait l’impression que sa sœur ne comprenait pas la gravité de la situation – de sa situation. Inquiet, Nuage de Glycine se contentait de justifier cela par le choc, par le déni, par une tentative, aussi, peut-être, de rassurer son frère. Ça ne l’aurait pas vraiment étonné, après tout. Elle avait toujours été du genre à en faire trop, depuis qu’elle avait commencer à reprendre plus ou moins une certaine assurance. Il avait toujours ignoré si cette ignorance était réelle, cependant. Il y avait une part de lui, qui, quelque part, était convaincu que ce n’était encore qu’une façade. Comme toujours, depuis qu’ils étaient petits, finalement.
Encore et toujours des façades. Comme hier, comme aujourd’hui, comme maintenant.
Mais il était nécessaire qu’il lui fasse comprendre que cette fois ci, encore, ça ne tiendrait pas. Qu’il en avait assez des façades, et qu’il y avait des choses plus importantes que de faire semblant que tout allait bien, quand tout allait mal, en réalité.

– Les guérisseuses sont collantes pour une raison, répondit-il d’un ton catégorique, le regard toujours tourné vers le ciel. Tu aurais pu mourir, Nuage de Feuille.

Le verbe « pouvoir » n’était pas vraiment celui qu’il recherchait. Tous les chats pouvaient mourir à tout moment. Un chien qui débarquait dans le camp sans prévenir. Un monstre arrivant un peu trop vite. Une épidémie frappant les clans. Une inondation. Un hibou.

– Tu aurais du mourir. En fait, tu vois, tu avais plus de chance de crever que d’être là, encore vivante. En sale état, mais vivante.

Est-ce qu’elle pourrait seulement devenir guerrière un jour ? Il ne l’avait pas vue se lever, mais entre sa chute et ses blessures… aurait-elle encore un équilibre lui permettant de grimper aux arbres ? Il avait préféré ne rien demander aux guérisseuses, laissant place, pour une fois, à l’ignorance.

– Alors non, y’a pas plus grave. Y’A PAS PLUS GRAVE, putain, fulmina-t-il avant de baisser d’un ton, se rappelant que sa sœur était derrière lui. Sa sœur, et ses oreilles sensibles. Y’a pas plus grave. Le reste, ça tue pas. Alors par pitié, pour l’amour du Clan des Étoiles, dors.

TW : idées suicidaires.

Derrière lui, Nuage de Feuille est active. Trop active, trop agitée pour un chat qui vient de froler la mort. Elle lui parle, s’énerve, lui explique qu’elle en a marre d’être enterrée vivante. Il l’écoute, les yeux rivés vers le ciel, à la recherche d’un ennemi. D’un prédateur, qui pourrait donner du sens à leur souffrance. Qui pourrait enfin lui donner une raison d’être, qui pourrait enfin mettre fin à cet horrible sentiment d’impuissance qui le broie de l’interieur.

Sa sœur l’insulte derrière lui. Ca ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. Il l’entend bien, et trouve qu'elle a raison, mais ses prunelles sont rivées sur ce maudit ciel. Lorsqu’une ombre le traverse, elles se réduisent à deux traits fins, presque invisibles. Ses griffes plongent dans la terre, tandis que son coeur, lui, se met à battre plus vite qu’un monstre enragé fonçant sur le chemin du tonnerre. Il l’entend frapper ses tempes.

Dans le même temps, Nuage de Feuille lui explique que c’est ainsi, tout simplement. Qu’ils seront sans doute amenés à souffrir encore, encore et encore. Qu’on ne pouvait parfois pas l’en empêcher.

Alors c'est ça, la vie ? Ils seront amenés à souffrir toute leur vie ? Comment pouvait-il être heureux face à une telle conclusion ?
Il n'a pas souvenir d'avoir vu Nuage de Feuille heureuse bien longtemps, dans leur vie qui a toujours été si misérable, surtout envers elle. Ses souvenirs le ramènent aux pires instants de sa vie. Au corps frêle et fragile de Petite Feuille, qui refusait de se nourrir, quitte à se laisser mourir à l'age de seulement 6 lunes. Quelles souffrances pouvaient amener une enfant à vouloir mourir si jeune ?
Il repensa à son état, lorsqu'elle revenait des entraînements avec Tempête de Suie. D'abord mentalement abîmée, puis physiquement, plus tard. Sa cicatrice sur la lèvre en témoigne encore.

Nuage de Feuille s'excuse, mais il n'entend plus. Son rythme cardiaque est tellement affolé que ses pattes en tremblent. Nuage de Glycine se lève, s'enfonce plus profondément dans la tanière du guérisseur, quitte à abandonner son poste de garde face au ciel si menaçant. Il n'entend pas la pluie qui s'arrête.

Ses pattes tremblantes, comme si son corps était pris de convulsions, il se met à fouiller frénétiquement dans les remèdes des deux guérisseuses. Il essaie d'être délicat, mais les feuilles volent, dansent un instant dans le ciel pour retomber dans un désordre que cette réserve a probablement rarement connu.

- Du pavot.. du pavot, du pavot. Ils doivent bien en avoir, ici..., marmonne t-il à lui même. Il se rappelle que Moustache Hirsute lui en avait donné, a l'époque, quand il avait été blessé. Ça avait soulagé sa douleur, et ca l'avait endormi. Mais il n'en trouve pas. Il ne sait même plus vraiment à quoi ca ressemble, du pavot, mais il n'abandonne pas sa recherche. Des larmes de colère et de frustration se mettent à couler incontrolablerent, tandis qu'il cherche désespérerent les remedes dont il a besoin.

Mais rien ne porte ses fruits. Il est, encore une fois, et comme toujours, complètement impuissant. Les feuilles ne sont plus les seules choses qui volent dans la tanière. Ce sont aussi ses propres poils, à lui, qu’il s’arrache dans des touffes entières sans même s’en apercevoir. Sa respiration, elle, se fait plus dure.
Il voudrait juste que sa sœur s’endorme, calmement, pour se réveiller guérie. Pour se réveiller sans ces putains de cicatrices de MERDE qui venaient toujours le hanter chaque fois qu’il posait son regard sur elle. Il voudrait qu’elle s’endorme, et qu’elle se réveille comme on se réveille d’un cauchemar. Que tout ce qui s’est produit jusqu’ici ne soit qu’un mensonge. Un terrible mensonge qu’on leur aurait raconté.

Il ne trouve toujours pas, et, pire encore, il y a du sang qui coule. Il ne réalise pas que c’est le sien. A qui d’autre pourrait-il être, si ce n’est à sa sœur, qui avait désormais plus de cicatrices que de peau sur le dos ? Il aurait pu hurler s’il n’était pas en train d’etouffer sous la panique. Ses inspirations ne sont plus que de longs râles douloureux, tandis qu’il s’extirpe de la tanière, terrorisé, les yeux exhorbités par la peur.

- Rafflésie, je dois- Rafflésie-

Il voulait trouver Rafflésie pour soigner sa sœur qui saigne. Trouver Rafflésie pour qu’elle mette un terme à tout ça. Un terme à toute cette souffrance. Mais il n’était même pas capable de franchir la sortie de l’antre sans etouffer tout seul. Nuage de Glycine s’effondre au sol, incapable de respirer, incapable de faire quoique ce soit face à la souffrance que le monde leur impose.

Il en a marre.

La vie est devenue terne. Elle est devenue terrible. Il n’aime plus ce monde sur lequel il pose les yeux, et sur lequel il aimait tant chanter.

Peut-être qu’il aimerait bien trouver Rafflésie pour lui demander de mettre un terme à sa vie, aussi.

Il ne s’aime plus lui même. Il n’aime plus ce qui l’entoure. Il n’aime plus ce dans quoi il vit. Et les seules choses qu’il aime lui sont systématiquement enlevées. Alors à quoi bon ?

Ah, s’il avait pu trouver des baies d’if, avec son pavot. Mais il était incapable, comme d'habitude. Incapable de trouver quoique ce soit.

Lui aussi, il aurait aimer dormir jusqu’à ce que les souffrances se taisent enfin.