Amers partenaires [avec Œil de la Tempête]

HRP:

   Écharpe de Brume semble tout droit sortie d'une ombre, dans laquelle elle était bien cachée, indétectable. L'apprentie accueille la vétérane avec un sourire et un geste amical de la queue.

« - Bien joué Nuage de Feuille, la félicite-elle, lui rendant son salut d'un signe de tête. C'était juste, mais tu as su t'adapter aux mouvements imprévisibles du rouge-gorge. »

   Il est tellement rare de voir un sourire sur le visage de la guerrière, elle qui semble toujours austère quand elle n'est pas pleinement désagréable. Alors Nuage de Feuille élargit le sien en retour, ricanant gentiment.

« - J'aimerai te voir à l’œuvre encore une fois, pour clôturer cette évaluation.
- Haw pas de problème, je m'y colle. »

   Après avoir soigneusement enterrée sa proie sous une racine, l'apprentie se volatilise dans la forêt en quelques bonds, rapide et élégante. En règle général, elle n'apprécie pas trop d'être évaluée par un autre que Tempête de Suie mais... pour Écharpe de Brume, elle ne fait aucune vague. Après tout, c'est aussi grâce à l'appui têtu de la vétérane qu'elle a si vite retrouvé sa souplesse et sa vivacité, après son accident. Cet examen se passe même excellemment bien ; l'apprentie est de très bonne humeur et, pour le moment, elle réussit toutes ses chasses.

   Lentement mais sûrement, le soleil de fin d'été se cache derrière de grands bancs de nuages. Alors qu'elle gravit un arbre en à peine quelques secondes et se poste sur une branche, Feuille lève le nez vers le ciel. Le vent se lève, et elle se demande si elle ne va pas finir sa chasse sous la pluie.
   Soudain, un mouvement au sol lui fait tourner la tête. Les pupilles de la chatte se contractent jusqu'à se réduire à deux fines fentes. Un écureuil furète dans la mousse des racines, c'est une très belle proie, grande et grasse. Mais il semble relativement âgé ; ce n'est pas le genre d'individu qui s'attrape facilement, ceux-là. Bien cramponnée à sa branche, Nuage de Feuille s'abaisse sur ses appuis et se ramasse en une boule compacte et parfaitement dissimulée par la ramure jaunissante de l'arbre. Elle pense même à relever sa longue queue. Combien de fois Tempête de Suie et Écharpe de Brume le lui on dit, ça ? « Ne laisse pas pendre ta queue comme ça ! Elle est trop longue, et en plus ton pelage est voyant, ça te trahira pendant la chasse. » Un sourire se dessine sur ses lèvres ; c'est certain, c'est typiquement le genre de phrase qu'on lui a rabâché pendant les longues lunes d'entraînement.
   Ainsi, tout est parfait. Rien ne peut entraver la traque. Nuage de Feuille peut le sentir dans ses coussinets vibrant d'excitation contre l'écorce.
   L'écureuil gravit l'arbre juste en face du sien, tenant un fruit à coque dans sa petite gueule. Les oreilles de la chatte se tendent, elle attend, le moment idéal.
   Il ne tarde pas.

   Tout les muscles de son corps se gonflent d'un seul coup puis frappent, la chatte s'élance dans les airs en un bond impressionnant. Bien qu'elle soit très concentrée, un grand sourire est visible sur son visage et ses yeux sont rayonnants.
   Comme elle s'y attendait, l'écureuil est méfiant, malin et agile malgré sa corpulence ; de justesse, il échappe à ses griffes lorsqu'elle atterrit sur sa branche. Il se crapahute en criant, son fruit tombe. Feuille profite du rebond de la branche pour le poursuivre à grande vitesse, à la verticale. Tous deux foncent droit vers le sommet de l'arbre, il vire à droite, sur une fine branche, saute en direction du feuillu d'à côté.
   Elle l'avait vu venir. Alors la chasseuse est déjà là, son cou éclate dans sa gueule tandis qu'elle redescend, emportée par son élan.
   En un « mmph » d'efforts, la femelle retombe sur ses pattes, sur la douce mousse qui tapisse la forêt. Elle lâche sa proie et s’assoit, attendant l'évaluatrice d'un air satisfait. Néanmoins, une odeur flotte dans l'air, ravissant son expression pour la remplacer par une attention toute particulière. Elle se tend, ses oreilles sont à l'affût, elles passe au crible tous les sons qui l'entoure...
   Il y a quelqu'un d'autre pas loin ?

« - Eh bien... parfait. La séance est terminée. »

   Nuage de Feuille se retourne vers Écharpe de Brume qui la rejoint d'un pas tranquille. Elle ne semble pas avoir repéré quoi que ce soit d'anormal...
   « J'ai dû me tromper. », se dit-elle simplement, retrouvant son air guilleret et gentiment effronté.

« - S'il est au camp, tu peux compter sur moi pour en parler à Étoile Foudroyante. Tempête de Suie t'a peut-être déjà recommandé pour le baptême, mais je pense que-
- « Mon appui ne sera pas de trop ». »

   D'abord surprise, Écharpe de Brume hausse un sourcil. Puis, face au sourire et à la mine réjouit de l'apprentie, la femelle se déride. Elle souffle du nez tandis que Nuage de Feuille pouffe.

« - C'était probablement notre dernier entraînement ensemble, Nuage de Feuille.
- Je sais. Haw mais, rien ne nous empêchera de partir toutes les deux à la chasse quand même. »

   Le visage bourru de la guerrière grimace étrangement ; Feuille sait bien qu'elle tente de dissimuler ses émotions. D'une certaine manière, ça lui fait plaisir. Écharpe de Brume était une maîtresse ferme et sévère elle aussi, mais elle l'a beaucoup aidé et elles ont trouvé un terrain d'entente, si bien que Feuille mentirait si elle affirmait ne pas l'apprécier. C'est même tout le contraire.

« - Bien, se reprend Écharpe de Brume. Je vais aller chercher le rouge-gorge et la souris que t'as attrapé et je rentre.
- Ça fera plaisir aux vieux haw haw !
- Tu ferais bien de ne pas trop tarder non plus. »

   Son regard appuyé... Nuage de Feuille sait pertinemment à quoi elle fait référence. Du bout des lèvres, l'apprentie devenue grande souffle « promis » tout en donnant un coup de tête complice dans l'épaule de la vétérane. Un dernier salut de la tête, et voilà qu'Écharpe de Brume se dissipe au détour d'un tronc.
   Nuage de Feuille ouvre grand la gueule sur un bâillement et elle étend devant elle ses grandes guibolles pour les étirer, chassant un début d'engourdissement. Ses yeux retombent sur l'écureuil ; celui-là, elle peut bien le garder pour elle, après de tels efforts ! Ni une ni deux, l'apprentie saisit sa prise et remonte l'arbre qui l'a vu mourir. Vivement et discrètement, elle saute de branche en branches, cherchant un petit coin idéal.
   Qu'elle ne tarde pas à trouver ; la large branche d'un hêtre, avec vue sur un ruisseau clapotant tout doucement en contrebas, autours duquel volettent quelques libellules. Avec la fraîcheur d'une journée arrivant sur sa fin et, contre toute attente, une éclaircie, le mot idéal convient tout à fait.
   Nuage de Feuille s'allonge sur sa branche, bien décidée à profiter de son repas au calme. Sa patte arrière gauche pendouille mollement dans le vide, tout comme sa longue queue dont seul le bout frétille. Entre ses pattes avants, elle tient l'écureuil qu'elle entame sans tarder.
   Mais à nouveau, son oreille tique et elle redresse la tête. Là, encore une fois, elle a sentit quelque chose, et cette fois elle est certaine de ne pas fabuler. Tournant sa tête et ses sentinelles comme de véritables radars, la chatte scrute les environs.
   Ça lui semble familier.

Tempête n'aimait pas la chasse. Il fallait bien l'admettre, il n'était pas taillé pour ça. Son corps était puissant, encombrant, musculeux- S'il parvenait à grimper aux arbres, il n'aurait jamais la souplesse d'un sang pur. Il avait longtemps lutté contre, le vivait parfois encore comme une humiliation- Mais il en avait aussi prit son parti. Nager avec aisance était une plaisir que peu de chats du Tonnerre goûterait et il espérait devenir un défenseur aussi doué qu'il était mauvais à traquer des proies.

Enfin, cela ne l'absolvait pas de faire son devoir. En tant que membre du clan, il était responsable du ventre plein de tous les autres félins. Il n'était certes pas réellement un guerrier, mais il remplissait les même tâches qu'eux tant qu'on ne lui demandait pas de chanter.

En pleine chasse, donc, alors qu'il restait au sol pour guetter un rongeur, il sentit une odeur familière. Ramassé sur lui-même, se fondant avec les rares rochers mousseux, il agita l'oreille. Sa proie s'enfuit, elle n'avait eut aucun mal à le repérer.
Il pesta, se redressa. Finalement, il n'avait pas tant envie que cela de la traquer.

A la place, il entreprit de suivre cette odeur qu'il connaissait bien. Il ne savait trop pourquoi, mais la curiosité le poussait à en rejoindre l'origine.

C'est ainsi que, de loin, il observa la chasse de sa camarade. Il s'installa près d'un buisson, à l'abris des regards et usant de l'ombre pour ne pas être vu. Il regarda la chatte rousse qui avait, il fallait l'admettre, bien grandit, bondir sur un écureuil, le tuer d'un coup sec. Il ressentit un pincement au cœur, une ébauche de jalousie, mais il garda ça pour lui.

A la place, il l'observa discuter avec Echarpe de Brume, puis, partir de son côté. Il soupira, voulu la laisser s'en aller. Mais, encore une fois, quelque chose de profondément enfouit l'incita à la suivre.
Il restait à une distance raisonnable jusqu'à ce qu'elle se pose sur la branche d'un arbre. Le bruit du ruisseau fit frémir les vibrisses du jeune mâle et il hésita quant à la suite.

Il se ferait rapidement repérer s'il essayait de grimper à l'arbre : ce serait ridicule. Et d'en bas, il aurait l'air tout aussi bête.

Un soupir, il claqua sa langue contre son palais et s'avança finalement. Tant pis pour son entrée- Il traversa le ruisseau en laissant l'eau glisser sur ses pattes, grimpa sur un rocher, s'assit, impérieux. Il leva le museau pour observer Nuage de Feuille et, étrangement, choisit de ne rien dire.

La position qu'elle prend lorsqu'elle le voit-

Œil de la Tempête s'attendait à une forme de provocation de sa part lorsqu'il s'était approché, silencieux. Il n'avait aucun doute quant à sa capacité à le repérer. Elle s'étira, un peu, nonchalante et elle aussi, elle garda le silence. LA position qu'elle prit évoqua bien des choses à l'esprit fertile du jeune mâle et il comprit, avec une impression désagréable, qu'il était un adulte maintenant.

Et elle aussi.

Qu'importe, elle pouvait attiser des pensées fugaces, mais elles ne changeaient rien à toute la haine qu'il éprouvait à son encontre. Surtout lorsqu'il voyait Crinière de Glycine devenir une ombre, de jour en jour, en partie par sa faute à elle.
Il enroula sa trop longue queue autours de ses cuisses, plongea son regard dans le sien.

« T'es encore capable de bouger, toi ? » Il ne savait trop pourquoi, ce qu'elle avait réveillé en lui l'avait mit en colère. « Prends garde, on sait jamais quel ennui tu vas t'attirer, cette fois. »

« Haw c'est tout ? Maître chanteur, je m'attendais plutôt à une jolie chanson ! » Son pelage se souleva dans une frisson de rage. Il n'aimait pas son petit jeu- Elle jouait les indifférentes, laissait le temps aux minutes de filer avant de lui répondre. Elle se moquait de lui et Tempête ne supportait pas ça.

Il se demandait, finalement, pourquoi était-il venu la voir en premier lieu.

Sa queue fouetta son flanc, impatient, il plissa les yeux et fronça le nez. Elle n'avait pas belle allure, allongée contre sa branche, la gueule pleine du sang de sa proie. Elle avait l'air cassée, avec ses cicatrices et ses yeux verts, profonds, rieurs, moqueurs... Nouveau frisson.

Par les étoiles, qu'il la haïssait !

« Ce n'est pas ce que mon rôle veut dire, idiote ! Tu le sais très bien. » Il se leva, bomba le torse. « Et puis, toi, que vas-tu faire en tant qu'apprenti pour la vie ? Apprendre ? » Il roula des yeux et fit mine de se retourner, vexé.

Arrogante petite chatte.

Elle bondit de son arbre, de sa branche. Habile et souple, le corps reconstruit qui faisait onduler ses muscles comme l'aura de l'eau sur les galets. Légère, en un bond, elle se retrouve près de lui. Il dû contenir tous ses muscles, les maîtriser, pour ne pas avoir un vif mouvement de recul. A la place, il se figea.
Elle déposa l'écureuil et enroula elle-même sa queue, s'asseyant en parfait miroir. Cela fit grimacer Tempête, malgré lui. Elle brisait si facilement son inexpressivité naturelle.

« Ne prend pas la mouche pour si peu. Allez, souris quoi ! Et, dis-moi plutôt, pourquoi t'es venue me voir ? Un message, on me cherche au camp ? » Eh bien.

Il se rendit compte dans un coup d'éclair qu'il n'avait strictement aucune excuse, aucune raison, pour se trouve en ces lieux, à l'instant. Il déglutit discrètement, les sourcils froncés dans un air outré.
Il ne répondit pas de suite, réfléchit à toute vitesse à ce qu'il pourrait dire. Il l'observait ? Ce serait étrange d'être honnête. Il l'espionnait par curiosité, tout simplement, mais elle s'en moquerait.

Ou pire.

Elle pourrait en parler à Foudre.

« Erhm.... » Il plissa un peu les yeux, se redressa dans un air méprisant. « J-je... Je passais p-par là- Et je... » C'était tellement embarrassant. Il se rendit compte avec violence à quel point il n'était pas aisé de mentir. « J'ai sentit l'odeur de ton écureuil, voilà tout. Je constate que tu fais des progrès, félicitation. » Il hocha la tête.

Il prenait cet air, cette image du commandant pudique, mais il était mauvais acteur et il n'était pas certain que la rouquine ne gobe son mensonge. Oh, il aurait peut-être dû demande cela à Etoile Foudroyante, entre deux noyades.

Apprends moi à mentir, par pitié.