Amers partenaires [avec Œil de la Tempête]

Recule, recule, recule, recule, recule, recule, recule, recule, recule, recule, recule, recule...

Il ne supportait pas qu'elle soit si près.
De là, il avait tout loisir de contempler ce sourire gêné, de l'être par compassion, de se sentir idiot et puis, de sentir le fond de sa gueule lorsqu'elle se mit à rire. Son souffle se glissa contre son museau, il grimaça, mais elle sentait bon.

Il avait envie, comme une pulsion, de lui faire fermer sa gueule d'un coup de patte. Il se retint. Se contenta de montrer légèrement les crocs.

« Hawww mes excuses ! Ça sonnait bizarre mais, après tout... je suis certaine que l'Œil de la Tempête à l'impeccable image ne me raconterait pas de bobards, pas vrai ? Nan, c'est pas ton style. Tu me rassures, pendant un instant j'ai cru qu'il y avait vraiment un problème. » Il referma la gueule et se redressa un peu, jouant des pattes sur le sol pour paraître plus grand- Elle-même commençait, si ce n'était pas déjà le cas, à atteindre sa stature. Il tenait pourtant de la Rivière... S'en était désolant.

« Et donc... » Il savait qu'elle ne le croyait pas, elle était trop joyeuse pour ça.

« Tu passais par là et tu m'as juste vu en train de manger c'est ça ? Et donc... » mais il préféra imaginer qu'il avait réussi à la berner.

« Ce n'était pas toi qui m'observait, en plus d’Écharpe de Brume, pendant ma chasse ? »

Zut.

Il grimaça et détourna le regard, avouant immédiatement sa défaite. Il ne servait à rien de s'acharner, songea-t-il, elle avait déjà comprit. S'il faisait preuve de mauvaise foi, elle le saurait et pourrait s'en servir pour se moquer d'avantage, l'humilié.
Oh, elle était bien jolie cette chatte cassée, mais l'envie d'ajouter sa propre marque à ce corps couturé était toujours trop tentante.

« Ecoute, Feuille, je ne vais pas jouer à ça avec toi. » Il reposa les yeux dans les siens, masquant comme il le pouvait son malaise. Sa nature inexpressive lui donnait un avantage, mais bien que ses yeux dégagent une certaine agressivité, eux, ils étaient incapables de mentir.

Il se redressa, droit, parfait petit soldat. Toujours assit, il se persuadait qu'il maîtrisait la situation.

« Le hasard m'a mit sur ta route, j'ai constaté qui tu t'étais améliorée, j'ai cru bon de te le signaler. Que veux-tu de plus ? A quoi rime ce petit jeu ? » Il claqua sa langue contre son palais dans une grimace dégoûtée. « C'est indigne d'une future guerrière du Clan du Tonnerre. »

« Je ne suis plus « apprentie pour la vie » finalement. » Eut-elle l'audace de roucouler. Elle lui ricana au nez, vint jouer avec sa si longue queue. Œil de la Tempête retint un grondement exaspéré au fond de sa gorge, toujours immobile. Pourquoi fallait-il toujours qu'elle cherche à être la plus maligne, qu'elle joue sans cesse avec lui de la sorte ?

Il remarqua du coin de l'œil la patte de Feuille bouger. Il ne tiqua pas tout de suite, continuait de la fixer avec cette arrogante répulsion. Ce ne fut que lorsque les siennes encadrèrent celles de la rouquine qu'il se tendit brusquement, perdu dans la gestuelle de sa vis-à-vis. Il recula légèrement le poitrail, soulevant une de ses pattes, masquant mal sa gêne et sa déconcertassions.

Elle s'étendit, souple, dans une douceur menaçante. Tempête sentit une vague de peur l'envahir, subrepticement. La proximité n'avait jamais été quelque chose qu'il aimait, mais cet éclat rouge qu'il avait vu dans l'œil de Nuage de Feuille, aperçu une seconde lorsqu'il n'avait eut que cette iris profondément jade à voir, ce sourire sournois, rendait cette proximité malsaine.

« Ce « petit jeu », Œil de la Tempête... » Elle murmurait à son oreille, il pouvait sentir son souffle chaud la lui caresser. Celle-ci se recula légèrement contre son crâne, il se retint de fuir. « Ce n'est rien de plus que ma réponse à ta haine. »

Son sourire, il pouvait presque l'entendre.

Œil de la Tempête ne réagit pas tout de suite. Fébrile, son cœur battait fort dans sa poitrine et il ne savait quelle était la réaction la plus appropriée.
Jadis, il l'aurait sans doute frapper dans un excès de colère... Mais à présent, il était un chat adulte, baptisé, il ne pouvait se permettre la même impudence que lors de ses premières lunes.

Il déglutit discrètement pour se donner du courage et reposa sa patte au sol. Il reprit une posture plus digne, plus noble. Alors, son poitrail effleura celui de Nuage de Feuille et il songea qu'elle devait sûrement, à présent, percevoir ses battements de cœur profonds et rapides.
Il abaissa légèrement le museau, sur la défensive, mais força son corps au calme. Son regard fixait le tronc d'un arbre mousseux, en face.

« Au delà de l'immaturité d'une telle réaction, Nuage de Feuille, laisse moi te rappeler que tu es la première à avoir été hostile envers moi. Ne retombe pas dans tes travers... Le rôle de la victime ne te va plus aussi bien. » Son ton était calme, sa voix, plus grave, comme un grondement sourd.

Feuille ne pouvait pas voir son regard.

Ses yeux bleus, reflet d'une tempête brûlant de rage.

« Eh bien, un tel compliment dans ta gueule... c'est gentil ça Œil de la Tempête. » Ils étaient tellement proche, son visage près du sien, Tempête retenait son souffle. La tension montait en lui, bourdonnement à ses oreilles, et tout sembla retomber lorsque la jeune chatte le dépassa pour se diriger vers le ruisseau.
Il grimaça lorsque le bout de la queue de la rouquine vint glisser contre son nez. Qu'il aurait aimé la chasser d'un coup de patte-

« Mmh j'ai compris, en fait c'est ça ton problème. Mais oui, j'ai trouvé ! » Oeil de la Tempête se tourna vers elle, contorsionnant son cou, le corps immobile. « Tu ne sais plus jouer ! » Affirma-t-elle, pleine de certitudes.
Il ne comprenait pas son petit manège, justement, et il l'observait avec une hostilité retenue. Il se passa de tout commentaire, la laissant poursuivre sa réflexion.

« Ou alors tu n'as jamais su ? Mmh... ça demande réflexion... Faisons donc un test ! » Il fronça les sourcils, méfiant, perplexe. Peut-être souffrait-il d'un trop grand manque d'imagination car il ne s'attendit pas du tout à ce qui suivit.

Il se leva brutalement sur son rocher, se tournant à demi vers Nuage de Feuille lorsqu'il la vit balancer l'eau du ruisseau sur lui. C'était déjà trop tard et il sentit la morsure glaciale de l'eau contre son corps. Il grimaça, tous ses muscles se tendirent et il gonfla sa queue, la seule à avoir été épargnée par cette attaque.

Il eut un léger temps d'arrêt, un apesanteur avant le déchaînement de sa colère. Le temps pour lui de bien comprendre ce qu'il venait de se passer.
Il sentit comme une énergie électrique le transporter, brutalement. Il bondit rageusement devant elle, s'avança, menaçant. Il dû se contraindre à se retenir, forcer ses muscles à se crisper pour ne pas s'actionner trop vite. Son légendaire sang-froid était soumis à une rude épreuve.

Il s'arrêta très près de Feuille - encore trop près. Son regard était empli de colère et il tremblait tant la lutte était difficile. Il ne pouvait se permettre de laisser libre court à sa violence, il était un adulte maintenant.

« A quoi-... A quoi tu joues AU JUSTE ?! » Gronda-t-il, ne parvenant pas à maîtrisé sa voix sur les derniers mots.

« Haw tu vois ! J'avais raison : tu sais pas jouer. C'est dommage, il faut vraiment que tu te décoinces les fesses... » Elle riait. Elle osait se moquer de lui. « J't'explique, c'est très simple haw, je t'ai lancé de l'eau pour provoquer un session de jeu et toi, tu étais supposé me rendre la pareille. C'est comme avec une balle de mousse tu vois ! Quelqu'un te la lance entre les pattes, hop tu la renvoies et on joue. » Assise dans l'eau, Nuage de Feuille se moquait de lui.
Elle souriait, racontant ses ineptie sur un ton innocent- Lui, il savait bien, pourtant, qu'elle se gaussait. Il trouvait ça idiot, le jeu en général, mais là, sortant de la bouche de sa Némésis, il ne pouvait simplement pas l'écouter. Il n'y arrivait pas, lui prêter de bonnes intentions lui semblait aussi peu naturelle que de se mettre à manger du grain.

Pourtant, il l'écouta parler, laissant son cœur le faire respirer trop vite et trop profondément. Il espérait que cet apesanteur finirait par le calmer.

« Fleur d'Aubépine, même si elle est bête, elle sait faire ça ! Elle m'aurait renvoyer encore plus d'eau dans la tronche, haw haw. Pareil pour te sœur ! Et elle, elle aurait- ... »

...

...

« Nuage de Bécasse, elle aurait même été capable de faire la course dans l'eau. »

Il cligna trois fois des yeux.

Lesquels s'ouvrirent en grand.

Deux billes bleus, avisant la rouquine.

Elle ne souriait plus, semblait se rendre compte, s'être rendu compte. Trop tard.

Trop tard - songea-t-il.

Il avait voulu la rouspéter, lui feuler dessus pour ce qu'elle avait dit avant. Lui dire qu'elle était idiote, bête, mais il se retrouva penaud, comme un chaton. rien ne vint, plus rien ne venait, sa tête était vide. Sa sœur.
Il avait prit grand soin de l'oublier, comme son frère.

A ses yeux, ils étaient tous les deux...

Il baissa les yeux, plissa les paupières, déglutit péniblement. Une tornade se déchaînait dans son ventre.

Vivement, il se détourna de Nuage de Feuille. Il souleva un peu d'eau en la frôlant du bout de la queue, bondit en dehors du ruisseau. Quelques pas plus tard, près de l'arbre où la rouquine avait manger son repas, il s'arrêta. Il n'était pas capable de s'enfuir, bien qu'il le voulu de toutes ses forces.

A la place, il s'assit sur l'humus. Il enroula sa queue autours de sa cuisse, pensif. Il fixait le vide, droit vers le sol, ailleurs. Il ne comprenait pas vraiment.

Le vent au creux de son ventre lui soufflait des mots dans une langue qu'il n'était pas en mesure de saisir.

Mais  quelle   aubaine, que de voir deux pisseux se détremper les pattes sur leur territoire de merde. Il aurait préféré qu'ils n'y soient pas. Aurait préféré chasser - pêcher - en paix, sans se faire déranger, mais l'occasion était trop belle, n'est-ce pas? Il avait fallu qu'on le bannisse pour que les Étoiles lui donnent enfin ce qu'il voulait, pour qu'il noient enfin la femelle à la tête du Clan d'abrutis qu'il avait si longtemps servi.

Leurs voisins, ceux que Merle Noir avait toujours rêvé d'asservir, s'étaient émoussés, avec les années. Ils ne connaissaient rien de la vie, car ils ne connaissaient rien de la mort; l'ex-vétéran se pourlécha les babines, ses griffes se recourbant hors de leurs fourreaux pour gratter la terre meuble, moite et malléable.

— ...C'est ça qui coince, chez vous, les chats du Tonnerre. Vous perdez tellement votre temps avec vos simagrées que vous refusez d'agir.

L'exil n'avait pas fait du bien à Griffe de Jais.

Lentement, il porta son corps en dehors des pommelures du feuillage des arbres pour révéler sa fourrure hirsute, grasse sur le dos, signe à la fois de négligence et d'isolation sociale; ses sourcils étaient plus broussailleux qu'avant, froncés sur une expression dure et résignée; en retroussant les babines, il leur fit voir un autre élément: le tartre à sa dentition, distordant ses babines d'un demi-sourire parfaitement perfide.

— Eh, le gosse, s'adressa-t-il au mâle, testant sa réceptivité. Si elle t'embêtes autant on peut la retenir à deux, si tu vois ce que je veux dire...