[Assemblée] Nous ne sommes plus seuls - end

Enfin éloigné du Camp, Cœur de Puma galope sans réfléchir. Il doit trouver Coup de Foudre. Chef, presque-chef, chef-mais-pas-vraiment ou simple lieutenant en perdition, qu'importe ! Il a ce devoir de guerrier; celui de faire au mieux pour son Clan. Et ce soir, le mieux est d'aller trouver son supérieur hiérarchique.

Ses larges pattes foulent l'humus exposé de la forêt, balayant au passage l'herbe et la mousse denses. Lorsqu'enfin il s'extirpe de l'ombre oppressante de ces arbres qu'il admire tant le jour, le mâle balafré s'inquiète enfin de ce qu'il va bien pouvoir dire une fois parvenu aux Quatre Chênes.

Pardon ? Un intrus ? Le pisseur ? Coup d'Foudre ? Besoin de toi ? Vite ?
Il s'en fiche.
C'est plus que ça.
D'une vulgarité.
Sinon qui ?
Je ne parlerais pas de besoin…
Oui !

Trop tard. Il bondit déjà de derrière l'énorme chêne qui se dresse de son côté du territoire. Les guerriers du Clan de l'Ombre à côté desquels il apparaît en un éclair posent déjà leurs grands yeux interrogateurs. Il les confronte désormais du sien; affolé.

Ses deux pupilles fondent sur le matou le plus sombre sombre qui se tient bien haut sur le Promontoire quand il s'époumone, libérant son usuelle voix rauque et portante : « Coup de Foudre ! » en interrompant le pauvre chef du Clan du Vent, son intonation ne laissant aucune chance au malheureux de terminer sa phrase.

Des yeux. Partout, des yeux lui piquent le pelage et le saigne sans avoir à user du moindre croc.
Il se réfugie dans ceux de son camarade. Jaunes. Électriques. Et ce soir, lumineux.

« Il est au Camp. » Le pisseur. « L'intrus ! » Il reprend son souffle. « 'dit qui veut t'voir ! »

Sa queue fouette l'air avec une nervosité rarement observée. S'il pouvait chasser tous ces regards à coup de griffes, il y a longtemps qu'il aurait -encore- versé du sang sur cette terre, aussi sacrée soit-elle.

Libère-moi de toute cette attention.

C'est la chatte rayée à la robe claire qui grelottait qui mena le bal, à l'aide d'une forte introduction: Bonsoir à tous, chats de tous Clans ! Le brouaha des foules se dissémina et Coup de Foudre observa en silence le tableau des chats de son propre Clan discuter, au calme, en paix, avec tout ces chats d'Ailleurs.

Ça lui semblait impossible, et il cilla plusieurs fois, autant pour s'assurer d'être encore éveillé, autant pour capturer l'image et la ranger précieusement dans un coin de ses pensées, espérant, secrètement, naïvement, qu'elle ne serait pas affectée par son amnésie.

— « Ca ne vous dérange pas que je commence n'est-ce pas ? Je suis sûre qu'on a tous hâte de retourner dans nos tanières bien chaudes.

Étoile d'Or ne dit rien, contrairement aux attentes de Coup de Foudre. Il s'était attendu à ce que ce soit elle qui se présente la première, qui parle de son Clan en premier, qui les rassure, tous autant qu'ils étaient, qu'elle et les siens étaient en pleine forme malgré une période difficile de maladie.

Puis, il s'était attendu à ce que petit Serpent n'intervienne, la langue bien pendue, mais il laissa ce qui devait donc être par élimination l'Étoile de l'Ombre poursuivre sans l'interrompre.

Alors Coup de Foudre fit de même, rendant son plus joli sourire à la belle chatte qui ne semblait plus rêver que de vouloir être au chaud. Il lui avait bien offert de l'aider, non? Le bengal croisa ses pattes, versant sa tête de côté, haussant haut ses sourcils comme quoi ce n'était pas son problème, si elle avait refusé ~

— « Étoile Maudite a pris sa retraite, c'est moi qui lui succède désormais, et Feulement est mon lieutenant.

Coup de Foudre suivit le regard de la chatte qui descendit sur le grand gaillard dissimulé dans les ombres. "Feulement", alors. Juste Feulement, ou bien c'était un surnom? (C'était un surnom, ou c'était plutôt un "petit nom" d'affection?)

— « Esprit Soucieux a lui aussi pris sa retraite, poursuivit l'Étoile de l'Ombre, Corbeau Ensoleillé est notre nouveau guérisseur. De nombreux apprentis et guerriers ont grossi nos rangs, le Clan du l'Ombre est paré pour affronter la saison des neiges. »

Somme toute, la présentation lui parut plutôt courte, mais si c'était ainsi que les choses se faisaient...

— « Mais je vois ici de nouvelles têtes, peut-être ont-ils des nouvelles plus palpitantes à raconter ?

Ça, ça lui était directement adressé, sinon aux autres lieutenants (et à cette place vide entre eux-trois, plus bas). C'est bien qu'on ne lui ait posé aucune question quant à son arrivée solo, mais Coup de Foudre se douta qu'il ne s'en sortirait sans doute pas si facilement. D'ailleurs, la surprise de voir Moineau assied tout près du lieutenant de la Rivière, Brasier Glacial, lui titillait encore l'oreille, qui ne s'était pas encore redressée avec l'autre, pivotée vers l'arrière, avec le reste de ses motifs ultérieurs.

— « Ravi de savoir que le clan de l'Ombre se porte si bien, avait dit Petit Serpent. Il semblait à ses aises, signifiant qu'il n'en était pas à sa première fois à miauler sur le promontoire. J'ai pris les rênes du clan du Vent il y a plusieurs lunes déjà, suite à la mort d'Étoile Tropicale et Moineau Cendré est mon lieutenant. »

Hypothèse confirmée. L'attention de Petit Serpent se tourna vers lui aussi, et Coup de Foudre répondit à toute cette curiosité en penchant la tête de l'autre côté.

— « Et je vois moi aussi de nouveaux visages ... Mais aucun qui ne ressemble au matou qui se croit un peu trop libre vis à vis des frontières ...

— Oh, ce n'est pas un cas isolé alors? Je croyais que ça se passait seulement de notre côté.

Coup de Foudre ferma ses yeux autant pour adoucir son sourire que pour contrôler le rythme de sa respiration, se tenant calme, posé, léger, s'assouplissant parmis tout ces soi-disant "Grands" chacun à la tête de leur Clan. Ce n'était pas la première fois qu'il grimpait dans l'Un des Quatre Chênes, mais c'était la première fois qu'il le faisait devant un public.

Autant leur donner toute une scène:

— Ça doit faire trois lunes maintenant qu'on a un pisseur qui--

Et sous le teint de la lune qui était blanche, dans la foule des chats qui encerclait leur promontoire, les oreilles grandes ouvertes et attentives à tout ce qu'ils auraient pu échanger entre eux, que l'arrivée d'un guerrier en pleine course fit un mouvement de vague, dans la masse.

On grommella à l'interruption (parce-qu'une Assemblée, c'était supposé être sacré), mais l'instigateur n'en fit rien car il se carra les pattes dans la percée pour crier:

« Coup de Foudre ! »

Et l'interpellé ferma sa bouche dans un cliquettis de dents droites, baissant d'yeux ronds et brillants sur la silhouette en contrebas. C'était... il plissa les paupières, pencha la tête.

— « Coeur de Puma...?

Et toute l'attention qu'on avait montée sur lui se braqua sur le pauvre Coeur de Puma, en bas. Toute, sauf celle de Coeur de Puma lui-même, qui se fit violence pour occulter le mauvais oeil de la masse et foudroyer le bengal d'une expression méconnaissable qui le faisait haleter et qui le fit presque supplier:

— « Il est au Camp.
Coup de Foudre eut la moue penaude, rebondissant de la tête avec les poils d'oreilles.

— L'intrus !
Ses pupilles se dilatèrent dans ses yeux jaunes.

— 'dit qui veut t'voir !

Le mouvement vif que fit la queue de Puma, trahissant sa nervosité, sortit Coup de Foudre de sa torpeur. Immédiatement ses oreilles se couchèrent, et immédiatement il couvra ses yeux de superbe en fermant à demi ses paupières.

— J'hallucine, il maugréa, c'est pas possible d'avoir  une  Assemblée où il ne se passe rien? »

Par mimétisme, sa queue chassa l'air aussi, mais ses pupilles se recontractèrent en fentes verticales en répondant à la panique de Coeur de Puma d'un succinct hochement de la tête. Car c'était Coeur de Puma. Ça signifiait qu'il ne mentait pas - jamais Coeur de Puma n'interromperait le milieu d'une Assemblée pour un canular.

Ça signifiait que ce n'était pas un coup du Hasard, mais un coup Planifié: leur "pisseur" avait du les observer et savoir qu'ils s'en iraient avant de rentrer au Camp. Qu'il demande à Coup de Foudre de le voir, passe encore, il l'aurait fait attendre, qui se pisseur croyait-il être pour lui faire une telle requête? Même Coeur de Puma avait du attendre quelques Lunes avant d'accepter de prêter du temps à ce guerrier qui n'avait rêvé rien d'autre que de le critiquer, en privé.

Mais la donne avait changée en sachant que non seulement il le demandait, il se trouvait au milieu du Camp, c'est à dire qu'il savait comment y entrer. Impossible de nier le danger.

Tant pis - le bengal ne se pria pas de descendre quelques branches de son promontoire et de jouer des coudes quitte à bousculer les Étoiles du Vent et de la Rivière, descendant à la verticale le tronc du grand Chêne avant de s'en décrocher d'une chute calculée.

Il se réceptionna par-terre, sur terre, et à la hauteur de tous les autres guerriers, dressant haute sa queue au dessus de sa croupe en perdant tout de son masque de bonhommie.

— « À votre place, je ne perdrais pas de temps. Si on partage tous le même problème,...

Enfin, il ondula de la queue en guise de salutation, donna un coup de tête et d'épaule au guerrier pour le remercier de son effort physique mais il se doutait qu'il ne pourrait pas rebrousser chemin avec la même énergie.

— « Tu restes ici avec le Clan — que quelqu'un lui apporte de l'eau! — rentrez quand les nuages couvriront le ciel.

Et puis à l'intention du reste des... du reste de "ses" guerriers (en devenir).

— « Pour le reste... Qui m'aime me suive. »

Autant dire que la masse qui s'était mouvée plus tôt ne réagit pas à son offre de la même façon qu'elle avait l'avait fait à l'arrivée galoppante de l'irruption de Coeur de Puma, laissant entraperçevoir, aux autres Clans, ce fossé qui existait entre le Clan du Tonnerre et leur Chef-en-devenir, seulement pourchassé d'un peu moins qu'une poignée de chats.

Pourtant c'était pour ce même Clan que Coup de Foudre amblait rapidement entre les fourrés. L'occasion était trop belle, la coïncidence trop bonne, et en levant les yeux au ciel entre les arbres dénudés de l'hiver, il vit les Étoiles le juger d'en haut au travers, n'entendant qu'une seule chose.

C'était un test.

Ça devait l'être, sans quoi c'était l'opportunité de montrer au Clan sa réelle, et bizarrement, sincère, ambition de les protéger. Voilà bien la raison pourquoi il ne courait pas - si son Clan était doué pour quelque chose c'était bien pour parler, et donc distraire l'Étranger (et leur faire gagner du temps). S'il comptait arriver dans le campement pour intervenir, il comptait le faire en pleine possession de tout ses moyens.

Dernier regard vers la pleine lune, pour confirmer sa couleur,

sait-on jamais.

[Assemblée] Nous ne sommes plus seuls.

Le félin se hérissa quand un nouveau venu, un tonnerreux - quel pas surprise - se permit d'appeler leur meneur - pas encore Étoile au passage. N'avait on jamais appris à ce vieux fou la politesse ? Pour autant, le Cobra pencha la tête de côté, curieux de l'urgence du guerrier. Il y avait toujours matière à tirer des autres. Et les paroles firent presque sourire le félin. Un intru dans le camp même de leur voisin, pourtant d'u regard, le sombre observa les groupes, avant de laisser poser sur son propre lieutenant ses prunelles. Quelque part, la nouvelle apporter prudence et rappeler un peu ... Les Lunar. Il grogna pour lui même, ceux qui avaient connus les lunars devaient eux aussi y songer à voir comme plusieurs félins se hérissaient en plus des tonnerreux ...

- Une assemblée calme est une assemblée sans saveur ...

Il répliqua à Coup de Foudre du tac au tac, tendis que lui-même bondissait plus bas, au milieu de ses pairs. L'assemblée était close, clairement.

- Moineau, on rentre !

Il n'en dirait pas davantage, déjà l était prêt à partir, non sans observer le clan du tonnerre qui semblait long à la détente, à moins que ... L'idée le faisait rire, sa propre place n'était après tout pas plus sûr avec Vent du Nord ... Mais sa guérisseuse de petite fille savait aussi que la toison argenté avait fait son choix, preuve en était ses neufs vie et il ne comptait guère en perdre une seule. A la place, il chercha dans la foule de ces chats quelques uns de ces plus proches comparses. Si un inconnu avait foutu patte dans leur camp, Cobra ferait mine d'écouter, mais il comptait bien se passer d'enquiquineur. Il était chef depuis trop peu de temps à son goût pour laisser le premier étranger venu semer trouble à son règne ...

Dire que le lieutenant prêtait une attention soutenue aux paroles des quatre chefs qui, haut perchés depuis leur promontoire déblatéraient sur le bien porté de leur clan, serait un mensonge.

Le regard du matou charcoal sautait d'un chat à l'autre, reconnaissant certains minois et en oubliant d'autres à la seconde où il passait à un autre félin. Sa tête était ailleurs, dans cette bulle inconfortable de souvenirs dilués et de misère sourde, tant et si bien qu'il n'entendit ni le Cobra ni Foudre mentionner l'intrus.

La première fois qu'il en discerna la mention fut lorsque le beuglement d'un guerrier manqua de le faire sursauter. Agacé par l'interruption soudaine ses muscles noueux se tendirent et ses griffes noires crissèrent légèrement contre la roche en dessous de lui.

De nombreux murmures parcoururent la foule, chuchotements devenant brouhaha. Ce qu'il restait des oreilles du lieutenant s'aplatir. Si se persuader que la lune était bien blanche et non rouge était déjà une tâche difficile ... Un feulement lui échappa, dirigé envers personne en particulier.

Il détestait cet endroit et il détestait cette assemblée. Mais plus que tout, il craignait le retour des lunar pods. Sa peur n'était pas raisonnable, le pisseur était peu-être seulement un solitaire comme un autre, un domestique même, mais l'ancien otage de la tribu ne pouvait imaginer que la peau lisse de Krov.

Est-ce qu'Esprit Soucieux allait bien ?

Le gros matou s'était dressé sur ses grandes échasses depuis quelques secondes déjà, sa queue fouettant furieusement l'air tandis qu'il leva le museau vers Étoile Dansante. De nature muette et suiveuse il ne put s'empêcher, pourtant, de prendre l'initiative de lui miauler de sa voix rauque:

" Faut' qu'on rentre. "

—Faut' qu'on rentre.
—Eh bien, si la fête est finie... répondit-elle d'un air faussement désinvolte à son lieutenant.

Il ne pouvait probablement pas l'entendre d'en bas, perdu dans le brouhaha inquiet des voix. La clairière se vidait sous ses yeux, hémorragie de chats sous la lumière rouge de la lune. Elle sauta à son tour à bas du rocher, n'ayant pas particulièrement envie de rester perchée là-haut toute seule.

Y avait-il un intrus dans son camp ? Son poil se hérissa et son pas se raidit tandis qu'elle traversait la clairière, comme prête à se jeter dans une bataille.