Avoir un frère, ça fait du bien ! Feat. Nico - Abandon

Fin Brouillard se sentait frais et capable. Mais autour de lui tout était silencieux. Il était tôt. Que faire ? Où aller ? Qui trouver ? A tout hasard, il se dirigea jusqu'à un fameux merisier qui était savait-il de bonne compagnie, non loin du camp. Il y bavarda un peu.

Et c'était tout blême sous son pelage qu'il s'en éloigna. Comme s'il avait vu la mort. Ses pas hésitants le conduisirent jusqu'à une fougère où il s'installa lourdement. Il fallait réfléchir car quelque chose d'important avait lieu.

C'était souvent quand on réfléchissait trop qu'on se laissait surprendre. Il en perdit le fil de ses pensées et hérissa son pelage un quart de seconde avant de reconnaître la voix de son frère :

" Salut face de lapin ! La forme ? T'as bien dormi ? "

Givre. Décidément, que de rencontres opportunes. Fin Brouillard n'avait pas envie que son frère connaisse la nature et la profondeur de le drôle de peur qui l'avait envahie sous le merisier. Mais il ne pouvait pas non plus lui cacher ce qu'il avait vu. Ce serait déloyal.

" 'ava. grommela Fin Brouillard en léchouillant l'épaule qui l'avait heurté. " 't'avais pas entendu. "

Et pourtant, si son frère lui avait toujours paru briller de multiples qualités, il ne l'avait jamais trouvé très discret. Je dois être un peu affecté, supposa-t-il. Un frère, un proche, quelqu'un que vous connaissez mais qui ne vous ressemble pas, il vous aide souvent à comprendre qui vous êtes, en-dehors de votre petit nombril.

" Figure-toi que je reviens du merisier. La mère va bien, et le père, de moins en moins. "

Il laissait échapper les choses de cette manière là. Sans montrer la violente manière qu'il avait, lui, de les recevoir en sa chair. Fin Brouillard avait la naïveté de juger utile l'exagérée pudeur qu'il revêtait.

Pour ne pas s'attarder en terrain sensible, il se redressa, se tourna pour mieux regarder son frère, fit mine d'aplatir une touffe rebelle sur son poitrail, et reprit :
" J'ai pas encore eu souvent l'occasion de t'appeler Œil de Givre. S'est pas foulé pour te trouver un nom, le chef ! "

" Ouais ouais, parle toujours Fin Brouillard, tu portes aussi bien ton nom que moi ! T'es tout maigre, voilà pourquoi on t'a nommé comme ça ! "

Fin Brouillard. Il avait toujours aimé le sens de son nom. Le brouillard, c'était ce qu'il y avait au monde de plus insaisissable. C'était une sorte d'élément mû par une volonté propre et qui changeait complètement le rapport que l'on pouvait avoir au monde, mais qu'on était pourtant bien incapable de tout à fait traverser.

Il eut un petit sourire tranquille. Il n'avait jamais dit à son frère ce qu'il pensait de son propre nom, et ça l'amusait de le voir essayer. Quand on a un petit secret rien qu'à soi, on se sent peut-être plus confiant même lorsqu'on passe pour un esprit faible et trop peu hargneux.

" Je dois dire que l'idée ne me serait pas venue de t'appeler Givre Fin. Pourtant, ça sonnerait pas si mal ! " lança-t-il.

Son ironie n'était pas agressive car il y avait un peu d'autodérision dans sa posture. En restant aussi détendu qu'il pouvait l'être, il tenta un ton un peu plus grave pour reprendre :

" Nous n'aurons sans doute pas l'occasion de nous côtoyer souvent, maintenant que tu es Sentinelle. Qu'en penses-tu ? "

Derrière son frère, il voyait l'immensité des landes désertes. Et lui, derrière moi, il voit le camp. Peut-être ne sommes-nous pas au meilleur endroit, pour parler.

Au fond, Fin Brouillard ne savait pas ce qu'il pouvait lui dire et ce qu'ils pourraient faire ensemble. Ce temps des toilettes communes devait-il être considéré comme révolu ? Devraient-ils, les deux frères que le sort avait laissés si unis, envisager de suivre désormais des chemins tout à fait séparés comme un destin moqueur le leur avait peut-être parfois suggéré ?

Quelque chose dans les entrailles de Fin Brouillard lui criait de rester soudé à son frère. C'était peut-être ce sens de la famille, aux Étoiles si cher car il était un des sentiments qui renforçaient le Clan plus que tous les petits égos des uns et des autres. Mais un guerrier comme lui pourrait-il jamais se représenter un avenir s'il restait auprès du confiant Œil de Givre dont le charisme et la candeur brillaient tant ? Avait-il raison de vouloir être comme un arbre entre le soleil et une partie du monde ?

Fin Brouillard soupçonnait qu'il était souvent difficile de démêler les passions destructrices et les liens solides. Il se méfiait des élans fraternels lorsque ceux-ci venaient trop du cœur et pas assez d'une projection dans l'avenir. N'était-ce pas le cœur, au fond, qui guidait Moineau Cendré lorsque celui-ci prenait des risques et s'exposait à la médisance de ses pairs ?

Il avait besoin de son frère pour délibérer. De toute façon, même si j'étais sûr d'avoir raison, il y a de ces choses qui ne se font jamais seul.

Œil de Givre l'arrêta net. C'était soulageant.

" Tu as tout faux. "

Fin Brouillard tourna une oreille. Il avait besoin de bien entendre les mots de son frère et de les graver dans sa mémoire. Peut-être leur avenir à tous les deux était-il en train de se jouer et de se graver à cet instant.

" J'aurai toujours besoin de toi. De toute manière, qui pourrait défendre ta petite bouille si je ne suis pas avec toi, hein ? Ah et...Peut-être qu'on ne sert pas le clan de la même manière mais rien ne nous empêche de passer nos temps libres ensemble !
- J'te l'fais pas dire ! ronronna Fin Brouillard en guise de réponse. Il sentait que ses mots venaient de très loin et cela le perturbait, mais il ne s'arrêta pas. De toute façon on ne cesse pas d'être frères et... on serait sans doute un peu perdus l'un sans l'autre. "

La mort un jour les séparerait peut-être, et ce jour-là, le survivant pourrait au moins avoir en lui la fierté de ne jamais avoir laissé tombé ses devoirs fraternels. Rien n'était pire sans doute que d'apprendre la disparition d'un très-proche perdu de vue.

Fin Brouillard se sentait nerveux des pattes. Il faut marcher. Il se redressa et montra à son frère d'un signe de tête un coin des pâturages d'où un oiseau venait de s'envoler.

" Est-ce quelqu'un qui arrive ? " souffla-t-il en tentant de se représenter ce que dissimulait la montée. Il avait développé ses sens en devenant chasseur. Son frère pouvait le découvrir comme figé, les muscles tendus, très concentré.

" Je ne sais pas, mais laisse-moi aller voir. C'est moi le combattant aguerri ici. " rétorqua Givre qui semblait croire au danger, spontanément.

C'est plus probablement un lapin. songea-t-il. Son frère sans doute le ferait fuir mais comment l'empêcher de trancher. Tête de mule ! songea-t-il affectueusement en le regardant s'approcher du lieu d'où s'était enfui le volatile. C'est sûr que l'on se méfie moins, quand on me défie, moi. Mais cela me simplifie souvent les choses.

Doucement, bien qu'il fût inutile de rester silencieux, Fin Brouillard commençait à le rejoindre lorsqu'Oeil de Givre faisait demi-tour en criant.

" Un écureuil avec des nageoires ! Vite, sauve-toi ! "

Dans ces moments-là, et surtout lorsque vous connaissiez Œil de Givre réputé pour ne jamais avoir peur, tout dépendait de l'ordre dans lequel les informations arrivaient jusqu'à votre cerveau.

Comme il vit d'abord la fuite de son frère, il se crispa brusquement. Il se passe quelque chose !

Comme son frère criait et finissait "Vite ! sauve-toi !", il se préparait à courir. D'ailleurs, déjà, Œil de Givre le dépassait.

Ce n'était qu'après que l'on comprenait tout à fait ce qu'était l'écureuil à nageoires.

Tssssssss souffla Fin Brouillard en saisissant alors quelque chose d'illogique dans ces regards répétés que son frère tournait vers lui.

Je serais un gamin, mais en même temps...

C'était bien tentant de courir le rattraper.

" Escroc !!! lui cria-t-il comme un gamin dans sa course. C'est plutôt toi, l'écureuil à nageoires ! "

Quand quelqu'un jouait à vous courir après, logiquement, vous continuiez de courir. Surtout si vous aviez une haute opinion de vous-même. C'était un des jeux les plus vieux du monde qui venait de commencer. Un jeu auquel Fin Brouillard était bien entraîné. Il parvint habilement à contourner son frère et à le devancer. Le but était de le coincer, de lui faire perdre du temps, de le chopper comme s'il n'était qu'une proie en fuite.

Arrivant sur le côté, il put le heurter soudainement et le déséquilibrer assez pour le faire tomber.

Pas mécontent du résultat, mais haletant, Fin Brouillard s'approcha un peu de son frère.

" Je suis sûr que tu me l'as... déjà faite... cette blague. "

Dans ces moments-là, il fallait paraître tout à fait à bout de souffle mais se préparer à tout. Il supposait que son frère n'admettrait pas facilement une défaite aussi rapide. Quand on voulait avoir une image de dur, on suscitait naturellement un peu plus de méfiance qu'un autre !

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'Chasse - Collines' :