welcome to a world || pv. la Famille

WELCOME TO A WORLD

ft. Chauve-Souris & la Famille

Il se sentait bien, il se sentait flotté. Il était agréablement lové, comprimé contre ses frères et sœurs. Il se sentait au chaud, il se sentait reposé. Tout était calme, la plupart du temps. Il arrivait parfois qu'un coup échappe de ses frères et sœurs, et par contestation, il rétorquait avec des coups à son tour, parfois sur sa fratrie, parfois sur les parois de ce cocon qui le protégeait. Pourtant, pour rien au monde il n'aurait échangé ce mode de vie avec un autre, il ne pensait à rien, il ne ressentait rien, il flottait, si loin au dessus de la Terre. Il se sentait bien, il n'était ni mort, ni vivant.

Cependant, plus son cocon se faisait petit, plus il se débattait par peur que les murs se referment sur lui. Il se sentait serré, presque étouffé. Et visiblement, le sentiment était partagé avec ses adelphes, car par période de secousses, les petits monstres se débattaient dans des gestes aussi grands que le permettait l'espace. Il aurait bien ouvert la gueule pour se plaindre, mais aucun son n'en sortirait. Il se tournait, se retournait, se collait, les repoussait, se débattait. La place manquait; et bien vite, ce qui étaient des secousses devinrent des tremblements de terre. Leur monde s'écroulait aussi vite qu'il s'était construit. Il se battait contre un adversaire invisible, qui l'étranglait et le comprimait. C'était douloureux, mais d'un côté, il voulait accepté cette douleur dans l'espoir qu'elle s'éteigne aussi rapidement qu'elle était apparue.

Il se sentit tiré vers le bas, poussé par ses frères et sœurs. Pourtant, à chaque chute, il s'arrêtait un peu plus bas, stoppé par les parois qui se resserraient, congestionnant l'espace. Ils étaient bloqués, puis libérés, puis poussés, et encore bloqués. Il avait l'impression de tomber d'une montagne, et chaque fois qu'il touchait la roche, c'était comme si elle lui arrachait la peau.

Et un calme plat, pendant de longues minutes, beaucoup trop longues minutes. Il se détendait, appréciant cette instant pour souffler un peu. Ce qu'il ne savait pas, c'est que ces quelques minutes de répit coûteraient chères. Car une fois encore, l'univers tremblait à en déchirer la terre. Il fut entraîné vers le bas, forcé de descendre de ses nuages pour heurter le sol.

Le choc fut pourtant doux, il s'allongea sur une paillasse d'un froid brûlant. Il ouvrit la gueule dans l'espoir de lâcher une plainte, et l'air qu'il aspira était calcinant. Il gargouilla quelques instants, comme s'il se noyait, respirant à petites secousses. C'était d'une douleur encore inconnue. Le froid fut chassé de quelques coups de langues à la salive chaude. Une nouvelle fois encore, il était malmené de gauche à droite, alors qu'il se tortillait sur la mousse humide.

« - Petit Lait. »

Il n'apprendra que plus tard l'ironie de son existence; Petit Lait, pour la blancheur de son pelage. Le même que celui de Belle Coccinelle, qu'on lui inculquera de voir comme une deuxième mère, et qui pourtant dépérissait à cause de sa fourrure. Encore plus tard, il apprendra la tragédie de sa naissance. Petite Aile, sa sœur, avec qui il avait échangé quelques coups durant ces quelques mois de gestation, n'avait pas survécu à la naissance. Il n'avait jamais réellement su comment le prendre; devrait-il être triste? Si elle n'était pas vivante à sa naissance, avait-elle réellement été vivante à un quelconque instant? La mort de cette dernière était un concept trop compliqué pour le jeune cerveau de Petit Lait. Tout ce qu'il avait comprit, c'est qu'ils n'étaient que trois à s'en être sortis; à être nés.

Chauve-Souris avait eu des complications, causées principalement par sa petite taille et le nombre de chatons qu'elle avait portée. Petit Lait était le premier né, et sa carrure trapue avait elle-aussi causée problème. La seule femelle restante, nommée Petit Oiseau, avait emboîtée le pas de son frère. Avant d'être rapidement suivie par le deuxième frère, nommé Petit Lucane. Et finalement, Petite Aile, qui s'était étouffée lors d'une contraction, la vie l'ayant quittée avant même qu'elle ne puisse respirer sa première bouffée. C'était tragique, et Vol de Papillon avait fait tout son possible pour éviter ce résultat. Mais il y avait certaines choses qui étaient inévitables, c'était le Destin, c'était le dessein du Clan des Étoiles.

Dans l'obscurité douillette de son petit monde, il flotte, bercé par des mouvements rythmiques et apaisants. Chaque ondulation qui le berce est comme une douce caresse qui le rassure au quotidien. Au beau milieu de son cocon, il peut sentir la chaleur et la proximité de sa maman, ainsi que de ses frères et sœurs qu'il ne connaîtra que plus tard. Ironique, eux qui n'ont jamais été aussi proches.

Ces derniers temps, il y a eu des changements. Les secousses et les tremblements sont plus fréquents et s'il pouvait penser, il se demanderait ce qui était en train de se passer. Parfois, il sent des pressions autour de son corps frêle, alors il se blottit encore plus près de sa mère, essayant de se rassurer inconsciemment.

Des voix qui lui parvenaient autrefois comme de doux murmures sont devenues plus claires et plus animées, est-ce que les autres peuvent les entendre ? Lui en tout cas, il entend, mais il ne comprend rien. C'est un son doux et rassurant qui l'appelle et soudain tout change. Les mouvements deviennent plus intenses, presque frénétiques. Les secousses qu'il ressent sont plus puissantes, comme si le monde autour de lui était en train de bouger. Le petite sent que quelque chose se prépare, mais est-il seulement conscient de son rôle immense ?

Et puis, au milieu de cette agitation, une merveille se produit. Une pression immense le pousse vers l'avant, le faisant glisser à travers un espace étroit. C'est à la fois effrayant et curieux, comme une aventure qu'il n'avait jamais vu venir. Ses sens sont submergés par des sensations nouvelles et intenses, et il n'est pas sûr d'aimer ça.

La lumière du monde extérieur l'éblouit malgré ses paupières fermées, et l'air frais chatouille sa peau pour la première fois. Les sons sont plus forts, les lumières plus vives. Tout est nouveau et inconnu, mais bien sûr, il n'est pas seul. D'ailleurs, sa mère, son père, tout le monde a fait ce trajet avant lui.

Sauf qu'aujourd'hui, c'est Petit Lucane qui est né.