Trusty Rusty [Ft Sugaar] - end

— Je vois!  répondit monsieur Sugaar après sa démonstration d'une "réponse" à une "demande". Merci de m'avoir expliqué!
— C'est la moindre des choses! »

Pour Rusty, qu'on avait élevé dans le respect de l'horaire, s'expliquer ainsi lorsqu'on lui posait une question était naturel. Comme il trouvait naturel de vivre dans une ville. Comme il trouvait naturel de côtoyer les voitures. Comme il trouvait naturel d'anticiper les demandes des humains. D'ailleurs, la comparaison du Sien avec Sugaar suscita l'intérêt de ce-dernier:

— Et sinon, ton humain est comment? D'après ce que tu me dis de lui, il a l'air d'être plutôt gentil.
— Monsieur Sugaar, Rusty avait presque des Étoiles dans les yeux, c'est le meilleur!

Il est toujours prêt à travailler avec moi ou à m'apprendre de nouvelles choses! Il m'enseigne même quelques sons parfois - des indications verbales - pour remplacer le bâton Pointeur! »

En constatant qu'il ne révélait pas à Sugaar un portrait authentique de sa maison, Rusty baissa les yeux sur ses pattes, tendant un peu le cou et tirant ses lèvres vers l'arrière sur une moue embarrassée. D'embarrassée à contrariée. De contrariée à contrite, s'effaçant un peu.

— « Il,...   il semble préoccupé, ces derniers temps...   Je lui fais confiance de se ressaisir mais...

Il redressa ses deux oreilles à sa bévue:

— « Oh--   ne me laissez pas continuer sur ce chemin de pensée, enfin, Monsieur Sugaar!

Rusty poussa un soupir, sans se rendre compte qu'il avait rassemblé ses pattes ensemble pour s'empêcher de déborder. Alors je vous retourne la question, comment est le Vôtre?

Car Rusty trouvait aussi naturel, que chaque chat ait son humain.

— Je n'en ai pas.
— Vous--?

Il n'avait pas quoi? Pas de réponse? Pas de question? Pas de, pas de chemin de pensée? Le sourire de Rusty se teignit d'un doute comme si Monsieur Sugaar le faisait marcher, mais Rusty ne savait pas encore à quel sujet. Sugaar clarifia:

— Je vis seul, sans humain, je n'en n'ai jamais eu mais ne t'inquiètes pas, tâcha-t-il de le rassurer, je le vis très bien! »

Les oreilles de l'abyssin se raidirent en tombant de chaque côté de sa tête. Il peinait à s'imaginer un autre chat, un semblable, vivre loin des humains. Qui lui servait sa pâtée? Qui venait le caresser les soirs après une longue journée? Où se trouvait sa maison? - Ou avait-il seulement une maison?... Monsieur Sugaar lui assurait qu'il le vivait très bien mais à la mine déconfite du petit chat on pouvait deviner qu'il n'en croyait pas un mot.

Sa queue eut un mouvement nerveux, autant à cause de sa mélancolie qui menaçait de remonter à la surface des eaux troubles de ses sentiments, mais aussi car il craignait être impoli en assumant des choses à propos du sacré de Birmanie. Ils avaient établis plus tôt que même leur langage était différent. Un effort de compréhension, allez, même si Rusty peinait à s'imaginer la vie que vivait Sugaar exempte de présence humaine (enfin, sauf ceux dans la ville et les voitures).

Une feuille tomba, tout juste sur son nez, le faisant sursauter et arrondir les pupilles en se rendant compte de cette espèce de latence qui l'avait saisi pendant au moins quelques secondes. Il secoua sa tête histoire de se ressaisir et redescendre le stress. Un coup de langue sur son nez lui échappa:

— « Ah-- je suis désolé Monsieur Sugaar, c'est... c'est juste que ça me semble... Un chat qui vit dans la ville sans humains, ça me semble... Sa mine s'assombrit un peu malgré le sourire qu'il s'efforçait de garder. Ça lui semblait triste. Monsieur Sugaar vivait-il vraiment tout seul?...

Rusty redressa ses oreilles sur sa tête.

— C'est pour ça que vous m'avez posé les questions sur le bâton pointeur? Car vous n'en avez jamais fait les frais? Il releva sa queue. Si vous me le permettez, pouvez-vous m'en dire plus? Il parut un peu embarrassé de la construction de sa phrase, tremblotante comme une feuille et hésitante.

Il offrit donc à Sugaar de l'accompagner: Euh... Tous les jours, je fais ma promenade en ville. Ça vous dirait de m'accompagner ? D'habitude c'est mon humain qui le fait, mais... » Sugaar pouvait remplir les trous. " Il sembl[ait] préoccupé, ces derniers temps. "

Rusty et Sugaar se mirent donc en marche, suivant l'itinéraire habituel du domestique. Il connaissait le chemin par-cœur, s'arrêtant aux coins de rue pour s'asseoir sur le rebord du trottoir et patiemment regarder à gauche, puis à droite, le temps que les files de voitures passent leur chemin, leur donnant la chance de traverser. Parfois ils croisaient des piétons en sens inverse, qui passaient non sans commenter sur la présence de Rusty, un des chats du quartier, qui se promenait sans son maître aujourd'hui - plutôt avec un autre chat.

Mais ce-dernier ne les écoutait pas car il était concentré à suivre ce que Monsieur Sugaar lui disait à côté:

— « J'aime voyager, c'est pour ça que je vis seul car je préfère découvrir de nouveaux paysages, faire de nouvelles rencontres et comprendre la vie des autres.

Rusty hocha la tête tandis que leur petit tandem passait dessous l'ombre d'un arbre qui perdait ses feuilles. Lui était plutôt du genre à suivre sa routine, comme un chien. Il se levait tout les matins, accueillait son Humain, allait manger un peu, et sortait dehors se promener. Les activités dans la journée pouvaient changer mais le modèle était plus ou moins le même - stable, efficace, et fiable.

— On pourrait croire qu'en tant que solitaire on souffre de la solitude mais ce n'est pas mon cas, poursuivit Sugaar. J'en croise parfois d'autres et on discute ensemble le temps de manger. Peut-être que tu trouves cela triste mais cela me convient parfaitement.

L'abyssin fit la moue, n'appréciant pas être paraphrasé de la sorte. Il abaissa légèrement ses oreilles et décrivit une vague de sa queue qu'il avait descendue à la hauteur de ses jarrets.

— Je vois bien que vous n'êtes pas triste, monsieur Sugaar ! C'est juste que j'ai du mal à me l'imaginer... Une vie sans mon humain sur qui veiller, avec qui aller me promener, avec qui travailler et apprendre et jouer...

Sa tête aussi tomba un peu vers l'avant, cherchant, dans sa tête, à s'illustrer le genre de vie que vivait le Sacré de Birmanie en retirant de la sienne toutes les variables qui la constituaient. Il ne lui resterait plus grand chose, sans son humain... Ça signifie que vous n'avez pas de maison? Nul-part où retourner avant la nuit et prendre du repos? »

Peut-être que la loi du couvre-feu chez lui ne s'appliquait pas à tout le monde, non plus.

— « Je n'ai pas de point de repos fixe , j'en trouve un sur le moment. Le matin, je repère un coin où je pourrais passer la nuit au cas ou. »

La prévention de Sugaar était complètement alien au mode de vie de Rusty, mais il ne le jugeait pas. Après tout, s'il existait des chats sans humains et sans maisons, ceci signifiait qu'ils devaient tout de même trouver une manière de survivre. Cette réflexion ouvrit la porte à une farandole de questions qu'il se retint de lui poser. Par exemple, où trouvait-il à manger s'il n'avait pas de gamelle? Se souvenait-il des endroits où il s'était reposé? Y revenait-il parfois? Y avait-il une sorte de, de rotation d'endroits où se reposer? Rusty était incapable de concevoir l'idée que Monsieur Sugaar ait pu se balader, tout seul d'ailleurs, au delà des limites de la Ville. Il était sans se douter qu'il ferait pareil un jour.

Tiens, d'ailleurs:

— « A-au cas où? »

Leur promenade dans le voisinage se poursuivit quand Rusty, par habitude, monta sur le muret ceinturant une file de maisons, laissant à Sugaar l'espace du trottoir pour marcher. L'abyssin serra son allure et dressa haute sa queue au-dessus de lui en parabole d'équilibre, et le bout de sa longue queue toucha quelques branches des arbres bas à l'entrée des maisons. Quelques feuilles orange et rouille traçaient leur chemin en virevoltant autour. Elles ajoutaient des couleurs à cette matinée frisquette.

— « Au cas où quoi?

L'expérience de Monsieur Sugaar était fascinante, car, contrairement à lui, Rusty ne voyait pas les dangers.

Une tempête.

En voilà une réflexion qui ne lui avait jamais effleurée l'esprit. En cas de mauvais temps, Rusty pouvait juste rester à l'intérieur et regarder la météo se déchaîner par la fenêtre sans même se mouiller une moustache dehors. Et si jamais il était sorti et surprit par le temps, il lui suffisait de rentrer. Sugaar n'avait pas ce loisir, et Rusty baissa les yeux en se rendant compte de tout ce qu'il avait versus tout ce que Sugaar n'avait pas. Les feuilles continuaient à tomber doucement autour d'eux, masquant l'abyssin cannelle dans le décor.

— « Tu t'es déjà fait surprendre par le temps?
— ... Bien sûr Monsieur Sugaar. Ça arrive à tout le monde !

Il eut un doux petit sourire, en versant sa tête vers son ami pour le regarder. Il s'efforçait à ne pas s'attrister mais la chose lui semblait plus difficile que jamais. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer la fourrure du Sacré de Birmanie, ruisselant d'eau de pluie, gondolée, gonflée, gelant dehors sans ne bénéficier du feu d'un foyer pour le réchauffer.

— Mais lorsqu'il se met à pleuvoir ou qu'un orage s'approche, je peux rentrer à la maison...

Ses oreilles s'abaissèrent, il secoua légèrement la tête pour se donner du pep en se redressant un peu.

— Si..., si vous cherchez une place où dormir cette nuit, dans le jardin, chez moi, il y a ce petit coin sous le balcon qui est à l'abri du vent!... »