[LP] Le temps est bon, le ciel est bleu ○ Pie Curieuse -end

Le temps est bon, Degiheugi

Papillon Blanc aimait bien les matins, surtout ceux comme aujourd’hui. Les mines endormies de certains la faisaient rire ; le soleil froid éclairait ses pensées ; il n’y avait pas cette agitation insupportable que le campement pouvait contenir en plein milieu de l’après-midi. Bon, après, elle s’ennuyait parfois un peu. Et puis, elle avait encore croisé Bruine, qui lui avait lancé un regard orageux avant de visiblement partir en patrouille. Elle ne comprenait franchement pas pourquoi il l’aimait si peu …

D’un geste vif, elle se décida à aller s’enquérir de ses tâches du jour. Elle eut l’air presque déçue lorsque Douce Orchidée lui indiqua qu’il n’y avait rien à faire, pour l’instant. Papillon Blanc la remercia d’un sourire, puis vit sa petite sœur sortir de l’antre des guerriers. D’un air guilleret, la blanche se dirigea vers elle, frotta sa tête contre la sienne en guise de salutations, puis lui demande :

« Coucou Pie ! Tu as bien dormi ? Dis, tu as quelque chose à faire, aujourd’hui ? Apparemment les patrouilles de chasse et de contrôle des frontières sont déjà parties pour la matinée, alors on n’a plus qu’à rester au campement en attendant qu’on nous donne quelque chose à faire … »

« Bonjour mon petit papillon. »

Petit, petit … C'est vite dit ! songea la guerrière, un peu vexée par l'adjectif. Pie Curieuse avait toujours été bien plus douée avec les relations sociales qu'elle, malgré leur différence d'âge, Papillon Blanc en avait été un peu jalouse. Et puis, elle avait tellement d'ambition ! Elle n'avait a priori rien à voir avec l'angoissée qu'était la femelle blanche, et pourtant elle semblait lui porter énormément d'affection, elle avait même été très souvent près d'elle lorsqu'elles étaient plus jeunes.

« Que je sache, je n'ai rien de prévu pour aujourd'hui. Et très franchement, c'est pas plus mal ! Mais assez parlé de moi ! »

La bicolore commençait à se rapprocher de Papillon Blanc, qui lui lança un regard suspicieux.

« Comment toi, tu te portes, grande sœur ? Est-ce que tu as des nouvelles de Nuage de Pluie ? Et de ton père là, Anguille quelque chose ?
- Piiiie … me colle paaaaas … puis me fixe pas comme ça, tu fais peur … »

Comme à chaque fois que sa sœur la taquinait, la guerrière n'osait pas la repousser tout en se montrant franchement gênée par toutes ces moqueries. Elle savait bien que c'était pour rire, mais la cadette n'était pas censée réussir à mettre l'aînée dans l'embarras …

« Ça fait tellement de temps que je ne te parle plus, j'ai envie de savoir ce qu'il y a de neuf dans ta vie !»

Papillon Blanc lâcha un grand soupir, puis poussa Pie Curieuse d'un coup de hanche, pour la forcer à lui laisser un peu d'air. Elle commença par faire semblant d'être en colère et finit par se fendre d'un sourire, s'exprimant sur un ton léger :

« Je sais, ça fait longtemps, mais on a chacune nos préoccupations, hein ? Je vais très bien, surtout aujourd'hui, t'as vu ce beau soleil ? J'ai vu Nuage de Pluie y'a pas trop longtemps, on se parle assez souvent, ça va, il se remet lentement mais sûrement. Je pense qu'il va bientôt enfin pouvoir passer guerrier, c'est super chouette ! »

En parlant de son ex-apprenti, la blanche avait des étoiles dans les yeux. Elle espérait tellement que ce qu'elle dise soit vrai !

« Et c'est Vive Anguille, c'est pas hyper poli de parler de lui comme ça, tu vas t'attirer que des problèmes si tu casses du sucre sur le dos des gens ! Mais je lui ai pas parlé, non. Tu voudrais qu'on parle de quoi ? »

Elle haussa les épaules, un peu lasse. Voir son père biologique n'était pas réellement une priorité, elle préférait laisser tout ça de côté et mener sa vie au jour le jour.

« Ce qu'il ne sait pas ne peut pas lui faire du mal. »

Papillon Blanc cligna plusieurs fois des yeux pour signifier qu'elle n'avait pas compris. S'il savait des choses sur elle, ça lui ferait du mal ... ? La guerrière ne pensait pas qu'il soit si touché par son destin, bien qu'elle soit loin de le voir comme un monstre. Mais ils n'avaient pas grand-chose en commun, et l'idée de changer la donne ne l'inspirait aucunement.

« Mais je sais, je sais, c'est pas idéal de faire tout ça. Quoi qu'il en soit, c'est bon de savoir que Nuage de Pluie se remet correctement. C'était un accident un peu débile, mais ç'aurait été horrible qu'il finisse noyé. »

La blanche détourna le regard. Qu’on prononce le mot « noyade » la paniquait et la mettait intensément mal à l’aise. Et puis, « un accident un peu débile », c’était bien peu dire. Elle se sentait toujours tellement coupable du destin de son apprenti … Si seulement tout le monde ne pensait pas que c’était uniquement sa faute et qu’on ne lui avait pas retiré le mentorat de son apprenti, elle aurait pu se racheter, elle essayait d’ailleurs … Ses pattes martelaient le sol à un rythme régulier pour la rassurer et juguler son angoisse.

« Je t'avouerai, je ne sais pas encore si je veux avoir un apprenti... Ça doit être extrêmement enrichissant pour soi-même et tout, mais j'ai tellement pas le temps pour ça... »

Papillon Blanc aspira une grande goulée d’air et chassa le malaise qui l’avait traversée. Elle ne voulait pas imposer tous ses états d'âme à sa sœur, elle préférait les garder pour elle que de les faire déferler sur les autres. Sans regarder Pie Curieuse dans les yeux, elle sourit et répondit sur un ton qu’elle voulait plein d’entrain :

« Je comprends, mais tu peux toujours refuser si on t’en propose un, tu sais ! Et puis, si ton apprenti est vraiment motivé et que tu construis une bonne relation avec lui, ce sera forcément super ! »

Elle hésita un instant, se dandinant un tout petit peu sur ses pattes, le corps raide comme un cheval à bascule, avant de susurrer en se penchant vers elle et en la regardant dans les yeux :

« Tu penses qu’Etoile de Pierre finira par m’accorder le mentorat d’un apprenti ? Je ne sais pas trop s’il pense comme Etoile du Corbeau ou non … J’ai vraiment peur qu’on me prenne pour une incapable, parfois, tu sais. »

La blanche fit ensuite un pas en arrière, gênée par sa propre confidence. Elle n’aimait pas vraiment s’exprimer sur ses sentiments, ça la faisait simplement se sentir vulnérable. Et il n’y avait pas de pire sentiment que celui de la peur et du danger …

« Premièrement, peu importe ce que les autres peuvent penser, tu n'es pas une incapable ! »

Elle sourit timidement, toujours mal à l'aise à l'idée que ce soit sa petite sœur qui doive lui redonner confiance en elle. Malgré tout, la voir aussi convaincue de ce qu'elle disait lui faisait du bien.

« Deuxièmement, si Étoile de Pierre a un minimum d'empathie, il ne pensera pas comme cet autre connard misogyne. »

Papillon Blanc fronça légèrement le nez, ennuyée par les propos agressifs de Pie Curieuse. Elle n'aimait pas vraiment qu'elle dise du mal des autres, et encore moins en ces termes - la blanche n'était pas réellement habituée à la vulgarité.

« Et troisièmement, même s'il pense comme lui, il y aura bien un moment où il devra te pardonner. Ce qu'il s'est passé avec Pluie est regrettable, et je suppose qu'il y a de quoi subir une punition, mais il faudra bien que celle-ci s'arrête un moment ou un autre. »

Elle haussa un peu les épaules, moins convaincue par cette tirade. Il y avait des gens qui ne pardonnaient jamais - Nuage de Bruine, par exemple, semblait toujours aussi en colère de l'accident de Nuage de Pluie. Elle songea ensuite qu'elle était peut-être un peu dure avec lui, et que le temps finirait par changer les choses. Et puis, ils étaient encore des enfants, la colère était leur pain quotidien à cet âge.

« Je peux même aller lui demander quand tu pourras avoir un autre apprenti, si tu veux. »

Ses yeux s'agrandirent et elle émit un vigoureux non de la tête.

« C'est super gentil, Pie, mais si j'envoie quelqu'un poser des questions au chef à la ma place, de quoi j'aurai l'air ? »

D'une guerrière encore plus empotée et incompétente qu'on ne semble déjà le penser ... se répondit-elle en son for intérieur. Essayant de passer sur cette mauvaise amorce de conversation, elle redressa et se ragaillardit, s'exclamant en regardant la bicolore dans les yeux :

« Mais toi, je suis sûre qu'on t'en accordera un sous peu ! Enfin, tu es peut-être un peu jeune pour ça, hein ? On aurait peur que tu fasses des apprentis des bêtes d'ambition ... »

Elle l'observait d'un air malicieux, pour lui signifier qu'elle avait vraiment envie de passer à un autre sujet - et arrêter de s'apitoyer sur son sort.

Papillon Blanc perçut la gêne de Pie Curieuse. Elle fit aller et venir ses oreilles, sans trop savoir où se mettre, priant fort pour se transformer en souris et pouvoir se cacher dans un trou à tout jamais.

« Je veux dire, si je venais donner de l'ambition à mes apprentis, ils vont vouloir s'accaparer toutes les choses qui me reviendront à un moment ou un autre. »

Il y avait dans l’ambition de Pie une pointe de prétention, mais c’était loin de rebuter sa sœur. Elle l’admirait plus encore, cette féline capable de dire tout haut ce qu’elle pensait vraiment. Elle avait cette force de caractère que la blanche n’aurait jamais, cette audace qui la caractérisait si bien et que la guerrière lui enviait tellement …

« Et je ne peux raisonnablement pas me permettre de me faire usurper par de plus jeunes que moi, n'est-ce pas ? Ou pire, être devancée par les morveux. De quoi aurais-je donc l'air, moi ? »

La blanche sourit. Elle inspira un grand coup, bomba le torse et se reprit.

« Tu as raison. Mais de toute façon, ils ne t’arriveraient pas à la cheville, Etoile de Pie ! »

Elle dodelina un peu de la tête pour dénouer les muscles entre ses omoplates, avant de poursuive sur un ton plus discret :

« Tu penses qu’une fois cheffe, Douce Orchidée te choisirait ? Elle a quand même l’air dure en affaire … Moi, je t’avoue, elle me fait parfois un peu peur à être si sévère. Mais bon, avec des personnages comme Matin Embrasé, il vaut mieux l’être parfois, hein ? »