Monde de brutes (avec Museau Bleu) - end

Museau Bleu, princesse de la rivière, pensait à la guerre, ce matin-là; à ce conflit qui avait déchiré la forêt, mise à feu et à sang, et laissé des blessures à ses camarades, à la paix obtenue avec tant de peine, et au long trajet vers un avenir qu'elle espérait plus joli, plus coloré, plus radieux, pour son Clan et tous ceux qu'elle aimait. Il leur restait tant à faire, tant de chemin pour se remettre de cette bataille sous la lune qui argentait l'herbe trempée de sang des Quatre Chênes, ce soir-là, et aussi de la perte d'Étoile de Pierre... Quant à elle, il lui fallait encore s'habituer à la charge du rôle de lieutenante, pour épauler Étoile d'Or, en se dévouant à la tribu de l'eau, plus que jamais, et en espérant, dans le secret de son cœur, ne jamais devenir cheffe. Leur meneuse était si jeune ! Assez jeune, sa seconde l'espérait en tout cas, pour qu'elle-même puisse rejoindre la tanière des anciens sous le règne de la rousse et crème; rejoindre les anciens... Ou partir rejoindre le Clan des Étoiles. Mais jamais, jamais elle ne pourrait s'imaginer sur le Promontoire, en sachant qu'un nouvel astre fleurirait sur la voûte céleste le soir venu, après avoir, le cœur écrasé de chagrin et d'injustice, veillé la jolie femelle, auprès de Cœur de Lynx. Au fond, Museau Bleu était fatiguée, fatiguée de la mort. Elle avait vu bien trop de chefs se succéder! Pourtant, elle gardait la tête haute, silhouette gracieuse et forte, empreinte d'espoir et de confiance en la vie, de foi en leurs ancêtres. Ils y arriveraient.

Ses pattes la menèrent hors du camp, puis vers les territoires libres, tandis que, plongée dans ses pensées, la guerrière à la pelisse de sable et d'écume, le nez marqué d'une jolie tache bleutée, se mettait à courir dans le vent pour chasser ses soucis, entendant dans le murmure de la brise sous l'azur la voix de son ancien mentor, bien des lunes auparavant, lui répéter à nouveau à l'oreille, susurrant ces mots comme le plus beau des messages d'affection : "Le printemps refleurira". Du ciel, elle en était sûre, lui aussi veillait un peu sur elle... Emplie de nostalgie, elle songea qu'après toutes ces lunes, elle avait bien plus d'allégeances là-haut que sur les terres qu'elle arpentait encore; mais son temps n'était pas encore venu, alors elle poursuivait sa destinée, comme le cours de la rivière, en attendant de revoir les proches qui s'étaient envolés sans jamais la quitter. Quand on a aimé une personne, elle reste dans notre cœur, pour toujours. Un sourire éclot sur ses lèvres, malgré le lieu, dangereux, où elle venait de s'arrêter - sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte, un peu tourmentée au fil de son voyage, ses pas l'avaient menée au Chemin du Tonnerre, qui, pour l'heure silencieux, traversait les bois. Un vieil érable, le ruban de pierre noire... C'était là qu'elle avait rencontré Nuage du Vent. Là qu'une nouvelle fleur d'amitié, d'espoir et de bonheur avait été plantée, pour fleurir ensuite lors d'une autre rencontre, à la rivière, sous les rires.

« Regarde, je nage ! Je suis capable, je suis capable Museau Bleu ! Tu es fière de moi ?! » miaula le petit chat à la fourrure de flammes dans ses souvenirs, feu follet jouant, maladroit mais désarmant d'enthousiasme et adorable. Son enfant.

Tournant la tête, l'intéressée s'arrêta pourtant, stoïque, en remarquant une autre silhouette un peu plus loin, sur l'herbe qui bordait ce serpent géant où passaient les monstres. Une silhouette adulte, qui portait, comme le lui confia la brise, l'odeur du Clan du Vent. Une silhouette qu'elle reconnut de vue, tandis qu'il s'approchait - le guerrier avait du assister à quelques Assemblées - mais qu'elle n'aurait pas su nommer... Celui-ci, semblant hésiter, la salua ensuite d'un ton neutre, la princesse de l'eau lui rendant un signe de tête empli de courtoisie.

« Beaucoup de monstres, par ici, en ce moment. »
Et pas que ceux des Bipèdes, aurait-elle voulu ajouter.

Le souvenir des Lunar Pods était encore bien présent... Du reste, si les monstres, pour la saison, étaient encore bien présents, ils s'éloigneraient, l'hiver venu, et le Clan de la Rivière resterait relativement préservé de leurs incursions. Ils avaient appris à vivre dans la forêt en prenant en compte tout cela, après tout. La nouvelle lieutenante avait beaucoup de soucis - les Hommes n'en faisaient pas partie. Même cet inconnu, qui la contournait à présent, la faisant tourner, telle une ballerine sur pointes, pour le garder dans le rayon de ses grands yeux verts, l'inquiétait davantage. Davantage encore quand il feula, tout respect oublié, la femelle comprenant vite que le vent venait de la trahir:

« Tu as touché à l'un de nos apprentis. »

Il était crispé, hérissé, comme s'il avait voulu bondir sur elle, mais la vétérane savait garder son calme, et ce fut un regard posé, parfaitement paisible, qu'elle rendit au mâle à la fourrure grise tigrée. Elle ne reculerait pas, ne s'enfuirait pas, et ne cherchait en aucun cas le combat. D'une voix douce, elle répondit alors, ton égal, pour gagner du temps afin de réfléchir:

« Je ne vois pas de quoi tu veux parler. »

Mais l'innocence ne lui irait pas, cette fois - le secret s'était déjà envolé. Tout ce qu'elle espérait, c'était que le guerrier venteux voudrait protéger Nuage du Vent et n'en parlerait pas à tout le Clan; elle, elle ne pouvait rien y faire. Quoique... Elle pouvait endosser toute la faute, devenir réceptacle de toute la colère, toute la haine, tout le blâme. Elle pouvait s'interposer, servir de bouclier. Alors, peut-être que son interlocuteur oublierait que l'apprenti avait une part de responsabilité... Choisissant ses mots à la perfection, la princesse de la rivière souffla, du même ton calme, qui ajoutait encore à la provocation:

« En tout cas, une chose est sûre, ce n'est pas de toi qu'il a appris à être aimable. »

Elle se dressait seule, là, face à celui qui semblait à présent l'avoir choisie pour ennemie, loin de leurs territoires, et pourtant si près de cet érable qui avait abrité dans ses branches parées d'or et de feu, en compagnie de son enfant, leurs rêves et leurs vœux. Elle se dressait seule, là, face à l'absolu du ciel et l'immensité du monde, le sien se résumant pour l'heure à une mince petite silhouette rousse, aux prunelles d'ambre souriantes et au rire si doux qu'il réparait son cœur. Elle ne laisserait jamais rien lui arriver...

Don't be, don't be afraid
Our mistakes they were bound to be made
But I promise you I'll keep you safe
I'll keep you safe

Un feulement de rage
Déchirant le silence
Un ciel plein de nuages
Et une dernière danse

Museau Bleu avait toujours eu un grand cœur, une loyauté inébranlable à son Clan et ses proches, une immense détermination, et un code d'honneur qu'elle respectait au péril de sa vie, entre code du guerrier, empathie et simple amitié; elle avait toujours su trouver son chemin, dans la vie, le tracer seule, faire ses choix, les assumer, réparer ses erreurs, comprendre ceux qui l'entouraient. Là, la belle lieutenante, danseuse devant l'infini, ne pouvait se targuer de talent: le visage de l'inconnu était paré d'une fureur étincelant dans ses yeux, qu'elle était parvenue sans peine à provoquer. Parfait... Il n'aurait de colère que pour elle, à présent. À ce carrefour de sa vie, près de la route des Bipèdes, c'était à elle de devenir monstre. Mais rien ne pouvait la préparer à la réponse du Venteux, qui renfermait des trésors de tempête - et ce, même si elle jouait sans peine sous la pluie.

« Tu as tort de trouver ça drôle. Je te jure que si tu lui as fait du mal on s'en souviendra. En tout cas je m'en souviendrai, moi. Nuage du Vent, c'est mon apprenti et il n'a vraiment pas besoin de chats comme toi pour lui chercher des puces dans la tête. »

Un faux pas dans la danse
Qui la fit vaciller
Un masque de dernière chance
Et un cœur fissuré

Rien n'aurait pu la préparer à ce qui n'était que logique, mais qui la blessait cruellement, davantage que les griffes du mâle des landes qui, elle en était sûre, n'auraient rien voulu tant que de se planter dans sa fourrure. Elle aurait aimé pouvoir ressentir de la colère contre celui qui parlait ainsi, mais comment le pouvoir ? Devant elle se tenait le mentor de Nuage du Vent, prêt à le protéger, contre tout - contre elle. Alors ce ne fut qu'une vague de tristesse qui la submergea, derrière un visage posé: ne jamais montrer à l'ennemi qu'elle était blessée... Elle tenait à Nuage du Vent, comme à ses autres enfants. C'était son ami, et un fils offert par la vie! Elle ne voulait que son bonheur, parce qu'avec le petit prince des sables, simplement, sa vie à elle retrouvait mille couleurs. Mais le guerrier qui lui faisait face n'aurait pas compris, alors elle garda leur secret, ne voulant pas révéler à quel point elle l'aimait, posant seulement sur la silhouette grise tigrée face à elle un regard de jade immensément clair, avant de détourner la tête sur un sourire. Ses yeux se posaient sur les feuilles d'automne du vieil érable quand elle murmura, tranquille:

« Je ne lui ai fait aucun mal. »

Le matin de notre rencontre rêvée
Feuilles de feu, feuilles dorées
Le jour où je t'ai sauvé
On a simplement noué une amitié
Et je t'ai promis de te protéger
Je t'ai promis
De t'aimer

Elle tourna à nouveau son cou en un mouvement gracieux, pour vriller ses prunelles froides dans celles, ambrées, de cet étranger. Loin des éclats de soleil de son novice, celui-ci avait des yeux de feu qui semblaient vouloir la brûler; Museau Bleu, elle, avait ses orbes jade, comme certaines nuances de feuillages et d'eau pure au bord de la rivière, en ce royaume pastel où elle avait joué avec Nuage du Vent. Des pierres précieuses glacées, qui, à cet instant, n'exprimaient aucune peur, aucun doute, non plus. Elle haussa les épaules, poursuivant sur le ton de celle qui raconte une anecdote:

« Tu sais, c'est ici que je l'ai rencontré... »

Elle esquissa un demi-sourire en demandant, presque amusée mais aussi sérieuse:

« Tu aurais préféré que je ne l'aie pas rencontré ? Je vais te confier un secret: sans moi, tu n'aurais plus d'apprenti. »

La vérité faisait mal ? Tant mieux. Au fond, elle se fichait que le guerrier l'apprécie, il pouvait même bien l'attaquer; tout ce qu'elle voulait, c'était le secouer, pour qu'il comprenne qu'il devait mieux veiller sur le gentil novice, sensible et aimant, auquel elle s'était attachée. Son ami. Son fils. Elle ne pourrait pas toujours le protéger... Lui le devait. Mais Museau Bleu ne supplierait pas, alors elle lançait simplement ces évidences, en petites piques qui, elle l'espérait, toucheraient le matou. Même si elle devait payer le prix de ses paroles... Ce serait peu de choses, pour son petit prince des sables. « Je te protégerai » Elle lui avait fait une promesse, et elle tenait toujours ses promesses.

The sound of the branches
Breaking under your feet
The smell of the falling
And burning of leaves
The bitterness of winter
Or the sweetness of spring
You are an artist
But your heart is your masterpiece
And I'll keep it safe

« Je te demande comment tu peux avoir son odeur dans ton pelage. ET TU VAS ME LE DIRE ! »

Museau Bleu préférait rire plutôt que de pleurer, parce qu'au fil de sa vie, qui s'avérait plutôt longue et bien remplie, aujourd'hui, elle avait fait face à trop de tristesses, de douleurs et de deuils pour les laisser gagner; si elle tombait, elle ne pourrait jamais se relever. Alors elle riait, chassait, nageait, pêchait, faisait celle qui était heureuse, joyeuse, lumineuse. Toujours. Même quand les souvenirs s'imposaient à elle... Même quand elle aurait eu bien moins de mal à verser d'amères larmes. Alors elle gardait le sourire, ce sourire qui, pourtant sincère, joyeux, malicieux, même, d'ordinaire, s'était cette fois mué en une version paisible mais froide d'elle-même. Une image, un mirage. Elle souriait, simplement parce que Nuage de Vent serait sain et sauf. Son expression ne se fit plus sérieuse qu'en voyant la silhouette grise se mettre en mouvement, prunelles embrasées, pour bondir sur elle; une vision bien trop familière, après des lunes de combats. Le cœur gros, la vétérane était lasse, et regrettait plus que jamais le moment passé sous le vieil érable avec son protégé. Nuage du Vent lui manquait.

Savages! Savages!
Drive them from our shore!
They're not like you and me
Which means they must be evil
We must sound the drums of war!

Le mâle des landes l'attaqua, toutes griffes sorties, et Museau Bleu, qui ne tenait pas à se battre, voulut esquiver le coup; les Lunar Pods, les jumelles, Eos, tout se rappela à son bon souvenir - son épaule n'avait pas guéri, elle glissa légèrement, et si elle rattrapa vivement son mouvement, une blessure légère se dessina malgré tout sur sa fourrure de sable et d'écume. Rien de grave, ou de douloureux: juste la tristesse. La lieutenante riveuse se replaça, tournant autour de son adversaire pour ne plus avoir le désavantage du vent, écoutant le murmure de la brise comme s'il pouvait lui emmener la douce voix et le gentil rire de son enfant, puis souffla, d'une voix basse:

« Je ne veux pas te combattre. Qui es-tu, d'ailleurs ? »

They're savages! Savages!
Dirty shrieking devils!
Now we sound the drums of war!

Quelques gouttes de sang avaient taché sa fourrure, et son épaule non guérie s'avérait traîtreuse, elle le savait, mais pour peu qu'elle le veuille, elle pourrait vaincre sans trop de difficultés celui qui semblait être un assez jeune guerrier: après tout, elle était vétérane, lieutenante, elle avait grandi et su s'imposer, fleurir, dans un Clan misogyne. Elle était grande, et belle, et forte, une rose parée d'épines. Et elle était libre, courageuse, comme la rivière, sa douce amie à la voix cristalline. Mais surtout... Elle avait gardé son cœur d'enfant, la foi, la confiance et... La poussière de fée? Tout ce qu'il fallait pour pouvoir s'envoler. Alors elle gardait la tête haute, silhouette massive et élancée, retenant les larmes qui affluaient à ses paupières et la colère qui montait en elle, préférant montrer une attitude respectueuse et composée. Ce serait s'abaisser que de répondre ainsi à l'appel des griffes, et elle ne voulait trahir l'image qu'elle avait donnée à Nuage du Vent - elle voulait croire encore à un monde de paix. Sa voix, mélodie cristalline, aux accents chantants, s'éleva dans un scintillement de ses prunelles jade, tandis qu'elle répondait, du reste, au grognement du venteux.

« Du reste, pour répondre à ta question si gentiment posée... J'ai trouvé Nuage du Vent au milieu du Chemin du Tonnerre, et je l'ai sauvé au moment où un monstre fonçait vers lui - le pauvre devait être plongé dans de bien sombres pensées, pour ne pas s'en rendre compte. Il est gentil, et sincère... J'ai veillé à ce qu'il rentre sain et sauf. Il est trop doux et trop jeune pour rejoindre déjà le Clan des Étoiles. »

Elle haussa les épaules, avec un triste demi-sourire.

« Je ne regrette pas d'avoir son odeur sur ma fourrure pour ça. »

Plus sérieuse, elle lança du reste quelques autres mots, comme un léger conseil:

« Veille sur lui, et peut-être qu'il n'aura pas besoin d'être sauvé par des étrangers devenus des amis. »

Puis, attentive malgré tous aux gestes du guerrier, elle laissa la brise caresser sa fourrure pour écouter le chant et voir les couleurs du vent.

How loud are the drums of war ?

Spoiler:

Eau contre flammes
Ambres et jades
Deux silhouettes
Contre l'azur du ciel
Face à face
Vent et rivière
Ombre et lumière

C'était un étrange duel de regards qui se produisait là, au bord du Chemin du Tonnerre, qui pourtant, en cette scène de tempête, demeurait silencieux; mais dans les cœurs des deux félins, aux pelisses grises et beige, le temps était à l'orage, et les prunelles d'ambre scintillantes de colère du mâle trouvaient en face des yeux de jade au moins aussi glacés que les siens étaient brûlants. Elle ne disait rien. Elle attendait, simplement, en tentant de ne pas céder, impassible, grande, droite, fière et gracieuse, qu'il lui réponde. Parce qu'elle préférait parler que de se battre - au moins pour l'instant, juste pour Nuage du Vent.

« Crocs Nacrés. » lâcha finalement le guerrier. « Mais n'essaye pas de te dérober. »

Elle, se dérober ? Museau Bleu retint un rire amusé, tandis qu'un flot de souvenirs lui revenait en mémoire. Des entraînements, des patrouilles, des chasses, qui tournaient mal parfois, se muant en combats. Les batailles et les guerres, aux côtés de ses proches ou seule. Les visages de ses ennemis, ses adversaires, et celui, sublime, d'une beauté perfide, de la Lunar Pod qu'elle avait tuée, la nuit de la lune sanglante, en cette soirée qui aurait du être celle d'une Assemblée: elle avait vaincu Eos, en n'ayant que quelques craintes, du reste parfaitement justifiées, alors ce n'était pas Crocs Nacrés qui allait la faire trembler. Elle ne se dérobait jamais.

« Si c'est le cas, SI c'est bien tout ce qu'il s'est passé ; » continua néanmoins ce dernier, qui ne semblait pas y croire, « Tu as fait ton devoir de guerrière, mais tu dois surtout savoir que lui, il ne te doit rien. Laisse-le t'oublier, laisse-lui une chance de devenir un adulte. Épargne son avenir. Je ne veux jamais avoir la moindre raison de penser que tu cherches à l'en détourner. Il est un futur guerrier du Clan du Vent, et un futur guerrier du Clan du Vent a tout à perdre à sentir le poisson. »

Tu as fait ton devoir de guerrière. La vétérane aurait voulu effacer son expression de scepticisme suffisant à coups de griffes, sous son apparence encore calme - la rivière qui chantait,auparavant, à présent grondait... Museau Bleu inspira profondément, et sentit la brise caresser sa fourrure, avec douceur, comme pour l'apaiser; dans sa tête, une phrase rejoua, une leçon donnée par son ancien mentor, qui la toucha instantanément au cœur. Beaucoup de gens parleront et douteront, Nuage Bleu, mais tu n'as pas à les écouter; garde la tête haute, tu es une jeune fille douée, loyale, et courageuse, une bonne apprentie, une guerrière prometteuse. Ne laisse pas les paroles des autres t'atteindre... On ne gagne pas en se laissant aveugler par la colère. La lieutenante se sentit aussitôt rassurée. Il y avait des mots qu'on oubliait jamais...Elle décida pourtant de le laisser parler.

« Je n'oublierai pas ton odeur. Si un jour je te sens là où je n'aurais pas dû te sentir, je reviendrai. Et si c'est contre le Clan du Vent que mon apprenti se retrouve dressé par le destin, c'est contre le Clan de la Rivière que je me soulèverai. Et je ne serai pas seul. Tu es prévenue. »

La goutte d'eau qui faisait déborder le torrent. Museau Bleu ne laisserait jamais passer de menaces concernant ses proches, jamais, encore moins quand son seul crime avait été de venir en aide à un enfant gentil, doux, adorable et, elle en était sûre, un futur guerrier extraordinaire. Nuage du Vent méritait un avenir radieux, aux mille couleurs, empli de réussite et aussi d'amitiés, d'amour, de joie. Nuage du Vent méritait un avenir de paix, aussi... Elle aurait aimé pouvoir le lui offrir, mais ça, elle n'était même pas sûre d'y avoir elle-même droit. En tout cas, pas dans l'immédiat. Il y avait des choses à mettre, à plat, clairement, des choses à dire, et des attitudes à effacer: Crocs Nacrés ne s'en prendrait jamais à ceux qu'elle aimait. La lieutenante du Clan de la Rivière n'avait pas peur; le jeune guerrier ne l'intimidait pas. Après tout, Crocs Nacrés... Le nom sonnait familier: Nuage Nacré avait ramené au camp une Petite Opale perdue, par le passé, non ?

« Crocs Nacrés, donc. » fit-elle, posément. « Je me souviens du Nuage qui nous a ramené une petite de notre Clan, autrefois. C'était bien de ta part... Mais dans mes souvenirs, je crois que tu t'es fait remercier, pas attaquer, pour ce que tu as fait. »

Chaque mot était pesé, mais cette première partie de sa réponse n'était qu'anecdotique; c'était la suite qui importait réellement. Avançant de quelques pas pour vriller son regard vert dans celui, doré, du fils du vent, elle miaula simplement, neutre de colère contenue, de fierté et de détermination:

« Tu ne m'apprendras jamais mes devoirs de guerrière. J'ai sauvé Nuage du Vent parce que n'importe quel guerrier digne de ce nom doit assistance à un chaton ou un jeune apprenti, c'est tout. Je connais ma place, et je lui fais confiance pour connaître la sienne, auprès de son Clan. Il sait qu'il ne me doit rien, je me suis assurée qu'il comprenne qu'il n'avait pas à se sentir redevable. Mais toi, au contraire, si tu préférerais un apprenti mort à un apprenti qui sent le poisson, alors tu es un idiot. Je me suis assurée qu'il ait un avenir, et cet avenir n'appartient qu'à lui. »

S'il le fallait, s'il allait mieux en l'oubliant...
Elle le laisserait partir et l'effacer.
Elle voulait son bonheur, sincèrement.
Et elle lui souhaitait de continuer de rêver.
Je t'aime, Nuage du Vent.
Tu es mon enfant...

« Si tu t'inquiètes de sa loyauté, alors je vais penser que tu doutes de lui - à moins que tu n'admettes être mauvais professeur. » poursuivit-elle d'une voix froide, sans ciller une seconde. « Ça, c'est ton problème. Mais tu ne menaceras jamais mon Clan devant moi; fais leur le moindre mal, et je mettrai fin à tout ce que tu aimes. Considère toi aussi prévenu. »