Imagine | ft Fifou -end

Faute du silence qui s'installa peu après sa tirade, il se dit qu'il devait l'avoir aliénée pour de bon - il prenait habituellement le soin de faire marcher les autres à son rythme avant de leur révéler la condition à sa tête, mais Museau Bleu avait insisté à ce qu'il lui partage ses pensées. Comme Nuage du Firmament, elle devait sans doute le regretter. Elle-même s'était traitée d'ennemie en dérision à leurs traditions - même en s'en moquant, une part d'elle était encore contrôlée par leur culture d'intolérance et de méfiance.

Mais un mouvement dans l'air lui fit tiquer de son oreille guérie et il sentit soudain l'épaisse fourrure de la dame pâle le recouvrir dans un contact, et lui inclina derechef sa tête pour s'y frotter vigoureusement le front en ronronnant. Un deuxième coup de front, et il poursuivit l'élan de son geste en se faisant culbuter sur le dos dans l'herbe pour désigner et sa gorge et son ventre à la Princesse de lumière et de lune, étirant une patte pour aller instinctivement l'appuyer contre son poitrail, et boulanger.

— « Il n'y a pas que des mauvaises choses, à être guerrier, je pense... Moi, je vois ça comme le fait de chasser, de pêcher pour le Clan, on s'entraide, on protège les reines et les chatons... Mais parfois, je trouve que s'entraider, ce serait mieux, parce qu'on pourrait mieux prendre soin de ceux qu'on aime.

Et se battre, se diviser, c'est triste! Avoir des amis ou des amours dans d'autres Clans, ça ne remet pas nécessairement en cause notre loyauté - on peut avoir davantage qu'une allégeance. Mais surtout, c'est idiot de se détester dans les moments où on a besoin les uns des autres.
— « Davantage qu'une allégeance, bourdonna le bengal depuis sa position au sol, couvrant ses yeux d'un air serein.
— Davantage qu'un seul amant. »

Il suivit son trajet visuel lorsqu'elle regarda ailleurs, au loin, dans le futur qui sait, ou peut-être vers le passé. Il replia sa patte et s'étira le cou dans l'herbe pour regarder à l'envers la direction qui l'avait captivée - comme le fou à la potence pendu par le pied, qui ne partageait pas leur perspective limitée du monde. Mais c'était le Diable qui l'habitait - intuition, sensations, secrets, découvertes, création...

— « On ne parvient à former des alliances que lorsqu'on est menacés de disparaître, et je ne comprends pas pourquoi. Moi, je suis incapable de tourner le dos en voyant un chat en danger... J'ai sauvé un jeune apprenti sur le Chemin du Tonnerre, il y a peu; il s'appelle Nuage du Vent.
— « Nuage du Vent.

— En échange, son mentor m'a attaquée, en me reprochant de chercher à le détourner de sa vraie loyauté. C'est à croire que plutôt que des chats qui pourraient s'apprécier, s'entendre, se protéger, ils préféreraient des félins rejoignant les Étoiles trop jeunes. Mieux vaut un apprenti qui a rencontré une étrangère qu'un apprenti mort, non ?
Sans équivoque:
— Oui. »

Il cligna des paupières, analysant ce qu'on lui révélait. Nuage du Vent devait sans doute faire partie du Clan du Vent, et le Clan du Vent avait cher payé de ses guéri-frères et sœurs, lors de la dernière saison des Grands Froids. Que Museau Bleu n'ait été attaquée après leur souffrance coulait de source mais le Vent s'infligeait aussi à lui-même sa souffrance, en la perpétuant. Eux aussi, ils avaient besoin de faire leur deuil - et quoi de plus insultant que de se faire proposer une chose pareille par un chat qui n'en avait même pas la capacité émotionnelle.

Il la vit pleurer - comme quoi le choc d'avoir été attaqué pour quelque chose d'injuste l'avait tellement affectée que tout son corps en était bouleversé. Il pencha simplement sa tête, veillant à la regarder d'un autre angle, à admirer sa figure sous la voûte des Étoiles, à admirer sa réceptivité, sa douleur, distincte, qui tordait tout les traits de son visage en tentant de la réprimer. Il voulut lui dire de se laisser aller mais lorsqu'elle baissa les yeux il se tut.

— « Quand tu parles de la manière de traiter les guérisseurs... Tu penses à quelque chose en particulier ?

Il cligna des paupières, et ses sclères se contractèrent sous la lumière avant de se dilater à l'obscurité, comme s'il sortait de songes tellement profonds qu'il avait failli y rester.

— ... Je les vois fétichiser leur souffrance sous prétexte qu'elles sont les seules à pouvoir protéger les blessés. Elles mangent en dernier, elles s'isolent, elles oublient qui elles sont et ce qu'elles sentent, et elles n'ont même pas le droit de profiter de la vie avec leurs corps...

Coup de Foudre tiqua de l'oreille et d'une babine.

— C'est pervers - et mon nom n'a pas été choisi au hasard. »

D'une contraction du ventre et en repliant ses postérieurs, il se hissa assit contre la dame pâle pour se frotter à elle avant de s'éloigner de deux pas trottinants. Il s'ébroua après quoi, vascularisant son corps qui était demeuré stationnaire (ou presque) tout au long de leur échange. Son sang s'était réchauffé avec la réceptivité de Museau Bleu et il brûlait de lui rendre quelque chose - car on n'avait rien sans rien.

— « Tu veux que je te fasse une démonstration de tout le potentiel qu'une alliance pourrait offrir? Suis-moi.

Il l'invita d'un recourbement de sa queue, portant le poids sur un antérieur pour pencher la tête et la regarder par le biais de son épaule, les yeux brillants dans la nuit.

Quelle étrange sensation que celle de livrer ses pensées à un félin rencontré au cœur des ombres, prince de la nuit, sans se soucier des rivalités entre les Clans, en discutant comme des amis, sincèrement; quelle étrange impression que celle d'être comprise par un chat qu'elle venait de rencontrer, avec, dans ses yeux jaunes, des petits éclats de soleil, et une grande intelligence sous des dehors de charme... Museau Bleu savourait cette rencontre pour ce qu'elle était: un moment de bonheur et de magie. Elle parlait, racontait, se confiait, et Coup de Foudre, à présent couché sur le dos, un regard intense fixé sur elle, l'écoutait avec attention, soufflant de temps à autres de petits commentaires ponctuant son histoire; il était là, simplement, comme le plus érotique des confidents, mêlant leurs esprits, leurs voix, tous deux s'observant, prunelles d'eau et de feu, de jade et d'ambre, ombre et lumière, tissant dans l'obscurité un petit monde d'harmonie.

« Davantage qu'une allégeance. Davantage qu'un seul amant. »

Un brin d'amusement venait de trouver sa place dans le cœur de Museau Bleu, ajoutant à son jardin une petite plante représentative de son camarade, tandis qu'elle entendait ces mots - elle n'était pas intéressée, mais plutôt flattée, et amusée qu'il parle d'amant ainsi... C'était un peu ce qu'elle entendait par le mot « allégeance », mais elle avait aussi de nombreux liens platoniques, et son cœur à elle était pris. Pour ce qui était de son corps... Il y avait les Clans, les lois, et bien trop de risques. Non, en Coup de Foudre, elle trouvait simplement un ami pour parler, se courtiser, partager des rêves, des souvenirs et des idées. Pour raconter sa rencontre, avec...

« Nuage du Vent. »

Elle pensait comme lui
Il pensait comme elle
Miroirs et opposés
Semblables, différents
Trouvant une harmonie
Juste une étincelle
Ils se comprenaient
Tout simplement

Mieux vaut un apprenti qui a rencontré une étrangère qu'un apprenti mort, non ?

« Oui. »

Fugue et contrepoint, leurs voix, jolies mélodies, s'alternaient, se modulaient, se suivaient, et la belle lieutenante laissa bientôt le mystérieux guerrier parler à nouveau, expliquant, cette fois, ce qu'il reprochait aux lois des guérisseurs. Museau Bleu, silencieuse, attendait simplement, désireuse de comprendre, tout en repassant en vue ses pensées, appréciant cette discussion aux points de vue souvent semblables, parfois légèrement divergents. C'était un joli débat, sous les étoiles, une trêve bienvenue, simplicité, poésie, un peu de charme, aussi. Et au delà des regards et des gestes, ces paroles sérieuses, et ce monde qu'ils auraient refait. En tout cas, ils en parlaient...

« ... Je les vois fétichiser leur souffrance sous prétexte qu'elles sont les seules à pouvoir protéger les blessés. Elles mangent en dernier, elles s'isolent, elles oublient qui elles sont et ce qu'elles sentent, et elles n'ont même pas le droit de profiter de la vie avec leurs corps... C'est pervers - et mon nom n'a pas été choisi au hasard. »

Museau Bleu esquissa un sourire entendu.
Pourtant, sa voix était sérieuse quand elle répondit:

« C'est... J'aimerais te dire que ce n'est pas le cas dans tous les Clans, mais je vois ce que tu veux dire.
La voie du guérisseur est un chemin de privations... Parfois je me demande pourquoi. Pourquoi tout ça.
Ils n'ont pas à manger en dernier, à s'oublier, à s'effacer, ou à souffrir... Mais ce ne sont pas les seuls. »

Elle soupira.

« À se complaire dans la souffrance, je veux dire. Pour ce qui est de renoncer à l'amour...
C'est un choix. Une décision bien cruelle que celle-là. Un choix regretté, parfois.
Y a-t-il une raison à cela ? Je n'en sais rien. Mais le cœur n'a pas de code. »

Le matou de tempête et d'éclairs s'était relevé à présent, silhouette sombre et forte dans la nuit, venant effleurer la princesse d'eau et de lune, en un contact chaleureux, au milieu de tout ce qu'ils discutaient, bien réel, puis, s'éloignant un peu, l'enjoignit à le suivre d'une ondulation de la queue, ajoutant du reste, d'une voix douce et suave, joliment grave:

« Tu veux que je te fasse une démonstration de tout le potentiel qu'une alliance pourrait offrir? Suis-moi. »

Elle n'avait pas besoin d'une preuve, pour être convaincue; mais leur trêve continuait, tous deux discutaient, les yeux d'or brillaient, et quelque part, Museau Bleu était curieuse de ce qu'il pouvait lui montrer. Elle était curieuse de savoir ce qu'il considérait comme une alliance, et dans le même temps, de mieux cerner le caractère de ce guerrier du Tonnerre, un peu plus jeune qu'elle, avec qui elle partageait le royaume de la nuit. Alors, intriguée, souriante, les prunelles scintillantes, amusée, elle le suivit.

En s'éloignant du promontoire et de la clairière sous la lune où ils avaient discutés, le Prince des ombres retrouva son royaume en se volatilisant presque complètement de la vue de la Dame pâle à la seconde où il mit son pied dans l'obscurité. Il leva le nez : il pouvait sentir la brise du vent se glisser dans les interstices du tronc et ses racines sorties de terre, et se glisser sur le bout de son petit nez. Le pied sur un tapis de feuilles mortes, il s'arracha du sol d'un bond pour monter une racine en forme d'alcôve, suffisamment dodue pour à peine trembler lorsque son poids retomba dessus, et il fit courir ses yeux sur toute la hauteur du Titan en Chêne qui se prolongeait en centaines de branches se dégarnissant de toutes leurs feuilles qui bruissaient au vent.

Le Sycomore chez lui était grand et ses branches basses permettaient aux plus inexpérimentés d'apprendre à escalader, mais les chênes aux Quatre Chênes étaient corpulents comme dix arbres - et hauts, à l’œil, si hauts, haut comme deux Sycomores au moins. Les branches s'entrecroisaient comme si elles se tissaient dans le ciel et la hauteur lui donna le vertige une seconde, mais rien n'aurait pu le dissuader à s'amuser. Il tourna sa tête depuis sa position en hauteur pour repérer Museau Bleu qui l'avait rejoint dans les ombres et les feuilles mortes, dressant haute sa queue derrière lui pour se faire plus visible.

— Le cœur n'a pas de code, et personne ne cesse vraiment d'apprendre, non plus.

Il se pencha du haut de sa racine en s'y perchant, décochant à son amie un sourire carnassier, galvanisé:

— « Ha ha hah, monte, ma belle Museau Bleu! Je vais t'apprendre à grimper! ♡

Sitôt qu'il se fut glissé sous le couvert des arbres, arpentant les sentiers sous la voûte végétale aux couleurs automnales, à cette heure invisibles, Coup de Foudre se fondit lui aussi dans les arbres, et seule la bonne vision nocturne de Museau Bleu, qui scrutait le paysage du bois de ses grands yeux vert jade, lui permit de repérer le matou, qui balançait délicatement sa queue d'un côté et de l'autre pour se laisser mieux voir, lui rendant un regard de topazes étincelant depuis son perchoir sur une grande racine en forme d'alcôve. Ainsi, le prince de la nuit semblait s'élever bien loin de tous les soucis dont ils avaient discuté, comme si, prêt à s'envoler, il défiait toutes les lois, en une mélodie intense de liberté. Sa voix, du reste, porta quelques mots, complétant la phrase de la jolie lieutenante, ajoutant une suite qui sonna comme une invitation. Silencieuse, la fille de la rivière s'approcha donc de l'arbre...

« Le cœur n'a pas de code, et personne ne cesse vraiment d'apprendre, non plus. »

Le chêne, vu de son pied, semblait immense, se dressant bien haut, couronné de mille feuilles, comme unique prétendant à l'absolu, et Museau Bleu songea que, du sommet, elle aurait sans doute pu tutoyer les étoiles. L'écorce courait sur ce qui paraissait une éternité de bois, la brise murmurait dans les branches, jouait dans leurs fourrures, en un défi, comme pour les encourager à monter, plus haut, encore plus haut... Coup de Foudre susurrait, du reste, avec le vent, tandis que la guerrière de sable et d'écume, aux yeux glacés emplis de douceur, s'approchait de la grande silhouette immobile, millénaire. Quel géant ! Auprès de l'arbre, elle se sentait aussi frêle qu'un brin d'herbe, minuscule, comme une fleur, et pourtant, le défi emplissait son corps puissant et gracieux d'une nouvelle énergie qui la faisait sourire. Et le Bengal, lui, de l'encourager.

« Ha ha hah, monte, ma belle Museau Bleu! Je vais t'apprendre à grimper! ♡ »

Elle se replia sur elle-même, cherchant du regard un appui, puis, d'une détente puissante, s'installa sur une grosse racine, à la hauteur de son camarade d'une nuit, ronronnant face à cette proposition, les prunelles lumineuses d'enthousiasme, et prête pour une leçon... Elle voulait grimper, elle voulait s'envoler ! Et puis, apprendre ne la rendrait que plus forte. Avec amusement, elle imagina la tête des écureuils; les rongeurs n'avaient sans doute jamais senti l'odeur d'un chat-poisson !

« On y va ? Montre-moi le chemin vers le ciel. ♡ »

Ensemble, ils partaient arpenter la route des étoiles.

Lorsqu'elle le rejoint, leurs ronrons résonnèrent à l'unisson en s'harmonisant les tons. Lui comme Elle devaient trouver impossibles la situation qu'ils avaient créés mais qu'à cela ne tienne, car Elle comme Lui n'étaient pas prêts d'arrêter. Coup de Foudre se tourna pour faire dos à la Dame Pâle dans les ombres, mais glissa sa queue sous son menton pour l'intimer à lever le nez (en lui montrant coquin une charmante vision de son arrière-train):

— « Ce que j'ai compris de la Rivière est son courant, il débuta donc. Le courant vous emporte doucement et vous n'y résistez pas - plutôt, vous l'observez avant d'y entrer, pour vous adapter à son humeur et mesurer sa réaction. Je fais pareil - on peut dire que je partage la même stratégie avec autrui que vous de votre Rivière.

Grimper un arbre, cependant, n'est ni une question d'observation, ni une question d'adaptation.

HOP --

Aidé par la hauteur de la racine dodue sur laquelle ils s'étaient perchés, il se propulsa de ses pattes arrières pour sèchement se plaquer au tronc, raclant bruyamment l'écorce de ses griffes en s'y agrippant - impossible de voir dans l'obscurité la contraction de ses muscles sous sa fourrure, et la force de son élan lui fit perdre un peu de hauteur - il la reprit de deux larges tractions des avant-mains. Il tourna la tête pour héler à son élève:

« Il faut s'imposer dessus ! Nager à contre-courant en ne comptant sur plus rien d'autre que ton corps! Et si ton corps n'a pas la force de soulever son propre poids - tu tombes!

Il lâcha tout pour se laisser tomber en chute libre sur un fou-rire - et une brusque torsade du dos lui permit de se raccrocher à l'aide de ses griffes qui le firent descendre sur une longueur de queue de souris à peine, pianotaient instinctivement l'écorce à la recherche des appuis les plus stables. Il était dans son élément, ce genre d'effort physique était ce qu'il préférait car inutile d'avoir une tête saine pour l'apprécier - juste un corps sain.

« --Si tes griffes n'ont pas la force de s’agripper et glissent, tu tombes!

Il fit mine de perdre pied et son corps pivota la tête en bas mais il s'interrompit dans sa chute en s'agrippant au tronc à l'envers, la queue vers les branches, les pattes écartées et tendues et le sourire jusqu'aux oreilles en levant le nez pour fixer à l'endroit sa comparse tout en bas. Un miaulement - comme il n'en faisait jamais, mais il se laissait emporter par l'adrénaline du jeu:

« Tomber est une fatalité, Museau Bleu - à toi de la repousser! »

Quant au reste, c'était un adepte de l'escalade, préférant marcher sur les branches qui pouvaient casser à tout moment que sur l'herbe moite où il était de toute manière en sécurité. La verticalité des arbres le forçait à faire preuve d'endurance et de ténacité - et un peu de créativité : il lâcha l'écorce de ses griffes postérieurs pour fermement s'agripper de ses avant mains, faisant se balancer son corps avec la gravité pour reprendre une position plus apte à monter. Et il monta. Le chêne était large comme dix arbres et il avait l'impression de l'étreindre de partout en le gravissant à chaque poussée, à chaque traction, jusqu'à ce que son ascension ne l'amène à une branche où il se percha pour regarder tout en bas.

— « Le Ciel n'a pas de pitié!  Il n'appartient qu'à ceux qui ont dompté leurs corps !  Alors Museau Bleu, prête à t'affronter ??
Il s'assied, agitant sa très haute branche de la secousse de son rire.

— Ha _Hah hah!  Moi, j'ai très hâte de te voir essayer ! ♡ »

Et il souhaitait la voir réussir, car d'aussi haut on aurait dit qu'on pouvait toucher les fils qui composaient la toison argentée... Entre temps cependant, il s'était installé. Quelque chose lui disait qu'il apprécierait le spectacle.

Il y avait, dans l'attitude du prince des ombres, perché sur une des racines du grand chêne, au cœur d'un royaume de nuit, quelque chose de mystérieux, de secret, de beau, aussi, et de très sensuel, tandis qu'il ondulait doucement, comme les mouvements de la rivière, près de la lieutenante aux yeux clairs. De son côté, elle l'observait simplement, immobile, gracieuse silhouette de lune contre l'encre du ciel, ses prunelles de jade scintillant comme les plus belles pierreries, ancrées dans les orbes topaze du matou, écoutant ce cours de la part d'un mentor d'une nuit et surtout, d'un ami...

« Ce que j'ai compris de la Rivière est son courant » commença-t-il.
« Le courant vous emporte doucement et vous n'y résistez pas -
plutôt, vous l'observez avant d'y entrer, pour vous adapter à son humeur et mesurer sa réaction.
Je fais pareil - on peut dire que je partage la même stratégie avec autrui que vous de votre Rivière. »

Il n'avait pas tort, on apprenait d'abord aux apprentis à ressentir les courants, les voir, les apprivoiser, s'y adapter.
Même si elle, en soit... Elle aimait les défis, elle aimait affronter la rivière, s'y amuser, plonger, remonter les courants.
Elle aimait l'ivresse de la difficulté, la résistance de l'onde, sa force, qui nourrissait celle de sa princesse d'eau.
Mais elle ne le lui dit pas; elle attendait, curieuse, de savoir ce qu'il pouvait bien vouloir dire par ces mots...

Un souvenir précieux dans son cœur
Un moment léger, un moment de bonheur
Doux-amer, coloré de teintes pastelles
Entre la rivière, la terre et le ciel

Un sourire d'enfant, si innocent
Des conseils, des compliments
Des merveilles d'un monde nouveau
Et des sourires partagés sous l'eau

Nuage du Vent
Son enfant

La voix de Coup de Foudre ramena la riveuse à la réalité, en une autre rencontre au mépris de toutes les lois.
Mais Museau Bleu savait qu'elle ne remettait pas en cause sa loyauté alors... Elle se permettait cette fois-là.
Un soir, un moment d'amitié, un apprentissage, un rire, un jeu. Sous les étoiles, elle s'en donnait le droit.

« Grimper un arbre, cependant, n'est ni une question d'observation, ni une question d'adaptation.

HOP -- »

D'un bond agile et puissant, le mâle tonnerreux s'était fait éclair d'obscurité aux grands yeux de soleil, pour se plaquer au tronc, faisant corps avec l'écorce et se hissant de quelques tractions puissantes pour mieux la fixer des hauteurs où il s'était installé, miaulant des instructions à celle qui, un moment, de vétérane, redevenait novice. Cela lui rappelait les défis de son ancien mentor, quand elle était apprentie... Elle sourit pour elle-même; il vivait dans chacun de ses mouvements, chacun de ses appuis, chacun de ses équilibres. Mort et pourtant vivant. Étrange dualité dont elle retrouvait l'écho en elle, écrasée de chagrin et débordante d'un formidable élan de vie. Le printemps refleurira. Une leçon qu'elle se rappellerait toujours, et qui s'était incarnée dans sa rencontre avec Nuage du Vent... Qui revenait dans ses pensées, à présent.

« Il faut s'imposer dessus !
Nager à contre-courant en ne comptant sur plus rien d'autre que ton corps!
Et si ton corps n'a pas la force de soulever son propre poids - tu tombes! »

Il illustra son geste, et le sourire de la guerrière se fit appréciateur tout autant qu'amusé, face aux acrobaties de son camarade aux yeux dorés. Une fois à nouveau accroché, merveille d'équilibre et de force, prouesse de contrôle et d'agilité prouvant une immense habitude, il continua:

« --Si tes griffes n'ont pas la force de s’agripper et glissent, tu tombes! »

Cette fois, il était tête en bas, avec un grand sourire qui appelait au défi.
Elle l'imita, les traits de son visage s'illuminant doucement. C'était leur jeu.
Un moment rien que tous les deux, de force, de courage, de beauté aussi.
Un moment d'agilité qui menait aux étoiles, juste pour eux. Rien qu'à deux.

« Tomber est une fatalité, Museau Bleu - à toi de la repousser! »

Fatalité
Maîtresse de nos destins
Fatalité
Quand tu croises nos chemins
Fatalité
Qu'on soit prince ou moins que rien
Fatalité
Qu'on soit reine ou bien putain
Fatalité
Tu tiens nos vies dans ta main

Coup de Foudre s'éleva vers les nuées, dansant avec les branches, enlaçant l'arbre qui grimpait vers le ciel, et bientôt, créatif, rieur, aussi, content de ce moment en hauteur, où l'adrénaline ajoutait encore à chacun de leurs sens, il se percha sur une branche pour observer Museau Bleu. Celle-ci attendait en bas, mais s'était approchée de l'écorce, juste un peu, calculant son premier saut avec autant de détermination que de curiosité. La voix, mélodie grave, du mâle, prince des ombres, continuait de l'accompagner.

« Le Ciel n'a pas de pitié!
Il n'appartient qu'à ceux qui ont dompté leurs corps !
Alors Museau Bleu, prête à t'affronter ? »

Elle était plus prête que jamais
Et lui, depuis son perchoir, il riait
Dans cet arbre, ils s'amusaient
Et d'en haut, il la défiait

« Ha Hah hah! Moi, j'ai très hâte de te voir essayer ! ♡ »

Elle ne se le fit pas répéter deux fois; elle bondit vers le tronc, ses pattes s'y accrochant.
Un rire s'éleva - elle réalisa ensuite seulement que c'était le sien... Elle riait, elle riait vraiment.
La gravité la menait vers le sol, elle voulait cueillir les étoiles. Alors elle bondit, se hissant.
C'était loin de son royaume, loin de l'eau qui chantait, mais il lui restait tous les murmures du vent...
Les feuilles bruissaient autour d'eux, dans l'automne, la fraîcheur envahissait sa fourrure, et elle souriait.
Une ou deux fois, elle glissa, faillit tomber, mais comme lors des courses contre le courant, elle s'accrocha.
Encore. Encore. Un mètre. Un autre. Dans un dernier effort, elle se percha sur une autre branche, près du matou.
Son cœur battait à tout rompre, ses yeux brillaient, et chacun de ses muscles tirait... Elle se sentait plus vivante que jamais.
Bien sûr qu'elle avait un peu de mal, mais elle ne l'admettrait jamais; elle aimait les défis, avec son ami, elle aimait la vie.
Alors elle bascula la tête vers la voûte céleste et miaula, malicieuse, heureuse, ajoutant à cette découverte :

« C'était à la hauteur de tes espérances ? »

Un clin d'œil espiègle.

« On continue ? ♡ »

Elle rit - même poussée par sa provocation, il put l'entendre rire avec les feuilles qui bruissaient au vent ainsi que le son que firent ses griffes en se plantant à l'écorce de l'arbre. Il la vit glisser, s'accrocher, tenir bon, il l'entendit souffler bruyamment en cherchant à contrôler sa descente malgré-elle et il l'entendit inspirer plus fort en puisant de plus grands efforts pour se soulever vers ses sommets.

Coup de Foudre se dressa du haut de sa branche, se mit à tourner en rond dessus tout en ne lâchant plus la Princesse d'eau et de lumière des yeux durant sa vigoureuse ascension. Il rondit le dos, tremblotant des épaules à l'étirement et à la force de son ronron qui n'en finissait plus de s'amplifier - si bien que lorsqu'elle arriva à monter sa patte sur sa branche (celle-ci se secoua à la pesée de son poids joint à celui du bengal dessus), il n'entendait plus rien d'autre que ses vibrations.

— « C'était à la hauteur de tes espérances ?
— Ha hah !! Regarde-toi ! ♡
— On continue ? ♡ »

Tout près du Ciel avec elle, à partager l'étroit espace de sa branche, le bengal ne put s'empêcher de se rapprocher et de passer son front, sa joue, jusqu'aux muqueuses de ses babines sur toute la longueur de la chatte, s'arrêtant à son flanc où il s'écarta pour plutôt se hisser à-demi sur le tronc de l'arbre. Sa queue eut un folâtre mouvement en se levant bien haut au-dessus de sa croupe et il l'agita d'un côté comme de l'autre, sortant ses griffes pour se préparer à une nouvelle montée.

— « Mais après toi, Coeur de Tonnerre! Tu crois pouvoir me rejoindre à la cime? ♡

Il fit tournoyer sa queue d'un habile mouvement, en s'ôtant de sa branche d'un petit bond (s'assurant que le choc ne secoue pas trop la branche où elle se tenait de peur de la désarçonner complètement), arrêtant le tour de sa queue sous le menton de Museau Bleu derrière lui pour le lui relever histoire de l'aider à garder l’œil sur leur but commun, tout là-haut.

— Moi, il lui vrombit, je pense que oui. »

Il n'avait jamais vu un chat de la Rivière grimper aux arbres, et il n'avait jamais vu ou presque de chat d'où-qu'il-soit partager son vœu d'entente mutuelle - Raton Laveur à la limite, mais ce-dernier parlait de la guerre comme d'un jeu (hors-jeu...). L'ouverture de Museau Bleu était une inspiration et une invitation à la pousser plus loin - plus haut dans leur Chêne parmi Quatre, et après avoir été témoin de sa première réussite, il avait confiance qu'elle serait capable de répéter l'expérience et de relever haut la main son défi. Quel sentiment frivole, de trouver inspirant la simple montée d'un arbre avec une soi-disant ennemie... Si rien ne les avait opposés, cette nuit aurait été aussi banale que les autres, et Coup de Foudre se demanda un instant si toute cette euphorie ne venait pas plutôt du sentiment illicite de s'abandonner dans une amitié interdite, plutôt que celui d'avoir enfin trouvé quelqu'un d'enthousiaste avec qui jouer...

Ses réflexions se turent à la seconde où il sentit l'écorce lui griffer le corps comme il lui griffait le sien, en grimpant à petits bonds, prenant son temps, au final peu pressé d'atteindre leur destination. Ils l'atteindraient ensemble ou pas du tout.

En équilibre sur la fragile branche défiant le ciel et la pesanteur, à présent, les deux silhouettes se faisaient face, sourires délicats éclos en fleurs d'espoir et d'amusement, reflets l'un de l'autre, une lueur espiègle dans les yeux; ceux de Coup de Foudre, prunelles de topaze lumineuses comme des soleils, étaient captivants, et en l'occurence, chauds, amicaux, aussi - loin des idées que beaucoup avaient sur les chats du Tonnerre; il ronronnait, très fort, et à cet instant, définitivement, la muse de la rivière comprit qu'elle pouvait pardonner. Tous les félins des bois n'étaient pas comme Étoile de Suie... Le mal pouvait s'éloigner, le temps d'une trêve, et un croissant de lune blanc, nacré, remplacer dans le ciel la pleine lune ensanglantée; là, sous la voûte céleste brodée de mille étoiles scintillantes, envolés loin de la peine, de la douleur et de la haine, funambules dansant sur un fil, en une valse délicate, ils défiaient le monde... Le Bengal riait.

« Ha hah !! Regarde-toi ! ♡ »

Et elle se regardait
Dans les prunelles
De miel
Reflet lumineux
Guide éphémère
Espoir

Et elle se regardait
Là, posée sur une branche
Oiseau
Défiant l'absolu, dans le vent
Aux côtés du prince d'ombres
Heureuse

Sur cette branche fine, étroite, il se rapprocha, lentement, passant son visage sur la fourrure de la femelle en une douce caresse, qui la fit frissonner dans un murmure de la brise; étrange féerie que celle-là, vraiment... La belle princesse de lune et d'eau retint son souffle, comme si ce moment s'était mué en une feuille d'automne si frêle qu'elle quitterait sa branche au moindre coup de vent pour rejoindre le sol. Il y avait longtemps que ce genre de contact ne lui était plus réellement familier; et ce félin-là, d'un autre Clan, en plus, l'offrait sans contrepartie, avec une certaine douceur, de même que son amitié, d'une certaine manière, en cette tendre nuit, hors du temps; s'amusant de ces gestes, elle se fit joueuse, considérant qu'ils pouvaient esquisser tout cela à deux... Il s'était écarté, pour s'approcher du tronc, et lui miaula, en invitation:

« Mais après toi, Coeur de Tonnerre! Tu crois pouvoir me rejoindre à la cime? ♡ »

La cime
Près du ciel
Loin des terres
La cime
Vibrant dans le vent
Fragile et délicate
Danseuse sur pointe
En plein spectacle
La cime
Belle invitation
Mille appréhensions
Et le vertige, cette fois
Le cœur manque un battement

Un nouveau geste de Coup de Foudre arrêta les angoisses qui serraient la gorge de sa camarade, à présent, tandis que d'un petit mouvement de queue, il lui levait la tête pour lui montrer le ciel; là-haut, la cime du chêne se dessinait, effleurant les étoiles: leur royaume. Il lui fit oublier une seconde le sol, en contrebas, la terre, les feuilles mortes qui tombaient, et les dangers aussi. Ne restaient plus que les regards de jade et de soleil, et le ciel, et la lune, et les ombres, et leur arbre. Leur arbre, et une pousse d'amitié, étrange, nimbée de lumière et d'obscurité. Alors, il vrombit:

« Moi, je pense que oui. »

La confiance que ces simples mots marquait en elle fit sourire Museau Bleu, décidée, au-delà du défi, à partager leur jeu et leur désir de trêve; ils s'entendaient, là, sous le ciel, et elle n'abandonnerait clairement pas maintenant! Cette rencontre irréelle l'inspirait, lui donnait envie de vaincre cette peur pour grimper avec lui; il la croyait capable d'y arriver ? À elle, à présent, de se le prouver... Quelle étrange sensation que celle d'être rassurée par quelqu'un qui, en d'autres circonstances, se serait fait adversaire, camp opposé, ennemie. Mais le temps d'un soir, ils jouaient, ils parlaient, et le reste du monde n'avait plus d'importance - et la muse des cascades en était très heureuse. Après la triste rencontre d'un guerrier du Vent, cette amitié inespérée avec un chat-éclair lui réparait le cœur... Espoir. Tendresse. Courage.

Coup de Foudre avait bondi
Se plaquant contre l'arbre
Dansant contre l'écorce
Mais tout en retenue
Sensualité, attentes
Loyauté, gentillesse
Son regard posé sur elle
Comme une douce promesse
Il l'attendait, l'attendrait

Ensemble ou pas du tout

Museau Bleu s'élança elle aussi
Quittant la branche pour voler
S'accrochant au tronc immense
Pour marcher à ses côtés
Amitié, courage
Détermination, rire
Enthousiasme, confiance
Il ne la laissait pas tomber
Elle ne le laisserait pas tomber
Ensemble, à deux, ils montaient

« Alors allons cueillir les étoiles ! » souffla-t-elle.

Et même quand elle glissait
Sa présence la rassurait
Et même quand elle doutait, se figeait
Un regard, un sourire l'attendaient.
Ensemble ils pouvaient défier le ciel
En une amitié délicate merveille
Et ce nouveau vertige sans pareil
Souvenir d'une soirée si belle.

« Tu sais nager, toi ? » demanda-t-elle au fil de la montée.

C'aurait pu être une nouvelle occasion de se retrouver...
Et puis parler, penser, son royaume enchanté...
Tout ça l'aidait à se concentrer. À s'élever. Encore.
Quand ils arrivèrent, enfin, elle souriait.
Auprès de Coup de Foudre, elle volait;
Et elle aurait pu tutoyer le soleil.
Amusée, elle souffla, se pressant contre lui sur la branche,
Oiseaux sur leur perchoir, contemplant l'univers s'offrant à eux
Comme un nouveau monde, de confidences, de paix:

« À la base, j'ai le vertige, tu sais. »

Elle souriait.

Il ne savait pas nager, non (en théorie). Et (en théorie) elle ne savait pas grimper. Et pourtant ils étaient perchés au sommet du monde, pailletés par des milliers d'Étoiles qui approuvaient leur effort mutuel d'entente depuis la Toison Argentée. Qui sait s'il eut vraiment s'agit de leur vœu - Coup de Foudre s'en moquait. Si les Clans pouvaient utiliser la "parole des Étoiles" comme bon leur semblait alors il avait logiquement le droit de faire pareil. Et cette nuit il avait choisi que les Étoiles voulaient qu'ils soient ensemble tout au haut de cet énorme Chêne qui représentait antan leur entente entre Quatre Clans.

Museau Bleu se pressa contre lui et le bengal ronronna si fort qu'il en fit trembloter les feuilles restantes sur leur enchevêtrement de branches, mettant son nez dans l'épaisse toison de la Princesse de Lumière et d'Écume. Elle lui avoua, non sans un autre rire au bord des lèvres:

— « À la base, j'ai le vertige, tu sais.
— Ha ha hah !!

Leur branche eut des rebonds à la force de son rire (et de son ronron), qui, à cette hauteur, résonna dans l'acoustique du grand air en se précipitant aux quatre vents. Il dut s'écarter un peu de son manteau de fourrure mais non sans oublier de la gratifier d'un coup de langue sous le menton, frôlant ses vibrisses des siennes.

— Peut-être, mais tu as davantage de courage ! Tu as surpassé ta peur et tu as vaincu ton propre corps, ha hah.

Pas une mince affaire, si tu veux mon avis ♫

« Ha ha hah !! »

Au sommet du monde, les éclats de rire du prince des ténèbres aux grands yeux de lumière s'envolaient dans le vent, faisant danser leur branche, et Museau Bleu, quoique bien installée, se crispa légèrement, doutant de son équilibre, avant de desserrer à nouveau son étreinte sur la branche, légèrement rassurée. Tout allait bien, ils parlaient, ils riaient, les étoiles brillaient - donc ne s'opposaient pas à cette drôle d'amitié -, et à cette hauteur, à cet instant, la lieutenante de la rivière eut l'impression qu'elle pouvait tutoyer la lune et les constellations. C'était beau ! Le ciel était sombre, mais paré de petites nuances, grâce aux milliers d'étoiles; les feuilles qui, rares, s'accrochaient encore aux arbres tremblotaient dans la brise fraîche et sous les rires du Bengal - rires communicatifs, qui emportèrent bientôt également la princesse d'eau et de lune. Ils riaient, ensemble, malgré les Clans, parce qu'à cette hauteur, juste un moment, leurs choix n'appartenaient qu'à eux, et les frontières n'existaient pas. Coup de Foudre se mit à ronronner... Le regard vert de la belle guerrière quitta alors les étoiles pour venir lui sourire - elle était arrivée aux Quatre Chênes triste et en colère, mais à cet instant, à présent, elle était un peu fatiguée, mais elle était heureuse.

Le vent jouait avec les rires et les ronrons, avec leur branche, aussi, un peu, et avec quelques feuilles qui, en se détachant, venaient danser près des nuages, baignées dans la lumière argentée de la lune, résonnant au-dessus des cimes de la forêt; c'était beau. Museau Bleu avait toujours adoré la nuit, avec ses frères plus petite, pour compter les étoiles aux branches desquelles ils accrochaient leurs rêves de chatons, avec son mentor, apprentie, pour des entraînements de pêche et des patrouilles, des tests, des défis, avec Étoile du Corbeau ou toute seule, adulte... Elle avait toujours aimé la nuit - mais celle-ci, en escalade, paroles et amitié, était des plus jolies. Le matou du Tonnerre s'éloigna un peu d'elle et de son manteau de fourrure - à l'approche de la saison des neiges, que beaucoup appelaient la mauvaise saison, elle se réjouissait de son épaisse pelisse de sable et d'écume -, mais, au passage, vint la frôler, lui donnant un petit coup de langue sous le menton. Leurs moustaches s'effleurèrent. La vétérane sourit, autant face à cette marque d'affection que par les gentils mots qui l'accompagnaient. Adorable. Réconfortant. Sincère. Une mélodie joyeuse, chaleureuse, peut-être légèrement séductrice, aussi ? Museau Bleu s'en amusait, simplement.

« Peut-être, mais tu as davantage de courage !
Tu as surpassé ta peur et tu as vaincu ton propre corps, ha hah.
Pas une mince affaire, si tu veux mon avis ♫ »

Elle ronronna, en guise de remerciement. Enfouit son museau dans la pelisse amie.
Puis, relevant la tête et écartant leurs visages en douceur, elle souffla délicatement:

« La prochaine fois... Toi, moi, et la rivière. »

Ses yeux pétillaient, et elle riait. De toute façon, pour peu qu'ils s'en tiennent à l'eau...
Le torrent était la frontière - ils ne brisaient pas le code, et pourraient s'amuser un peu.
Moui, elle pensait peut-être à le noyer. Oups ! En cet instant, elle avait la malice d'une enfant...
Pourtant, sa voix était calme, pensive, quand elle lui posa une nouvelle question, au sommet.

« Tu fais ça souvent ? Venir tutoyer les étoiles ? »

Et puis, pour le taquiner :

« Tu ne m'as pas répondu... Peur de l'eau, peut-être ? »