Imagine | ft Fifou -end

Il dut prendre quelques secondes pour se remettre de la chute, ne voyant de la princesse de Lune et d'Écume que son ombre, une fois descendue du grand arbre. Ah non - il entendit sa voix, aussi:

— « Tu as essayé d'apprendre à voler ?

Bien sûr il se passa toute réponse ou toute boutade sur les écureuils volants car il n'aimait pas cette appellation, et ne sortit réellement de ses vapes que lorsque la Belle Museau Bleu vint lui donner un petit coup de museau, joint à un doux ronron, réveillant le bengal qui secoua sa tête avant de se dénouer de sa drôle de position pour retomber, assit, les coussinets enfoncés dans la terre. Il souffla tout son air.

— « Quand je te demandais si tu allais bien, ce n'était pas une raison pour que ça change ! Le taquina son amie. Ce à quoi il répondit:
— Tu dois me connaître, maintenant, j'adore les défis!... »

Un faible rire, puis il remit ses pendules à l'heure et repartit l'engrenage de ses articulations. Il fléchit un coude, s'abaissa, puis défléchit tout en même temps pour se hisser sur ses quatre pattes et fortement se secouer. « Achhh si j'ai cassé tout le reste, » il commença en terminant sa pensée d'un autre gloussement, redressant sa tête pour rendre à sa douce compagnie la lueur dans ses yeux, lui papillonnant des cils.

— « On chasse et on partage ?

Bien qu'il ressentait sa distance il en fit fi, se rapprochant en se mettant au trot pour se frotter contre toute sa fourrure de toute la longueur de la sienne. Il termina le mouvement en s'engouffrant le front dans la moelleuse épaisseur de son collet et se distança, satisfait d'y avoir mis son odeur. Ils avaient batifolé dans les branches, et certes pas comme ils en avaient eus envie mais qu'à cela ne tienne, puisqu'ils partageaient maintenant la mémoire de ce et-si ensemble qui les faisait marcher sur un fil dangereux. Et comme tout chat Tonnerre, il était à son aise, dans ce genre de hauteurs...

— À vos ordres, ma belle Museau Bleu. ♡

Sa queue se recourba de délice et le Prince des Ténèbres s'engouffra dans les ombres de bon pas d'abord, avant de s'y fondre en silence, se feutrant dans ce reste de nuit pour scanner les lieux à la recherche d'un mouvement. Il en vit un - ou plutôt il vit le reflet irisé dans ses plumes ; c'était un corbeau, pas si gros que ça, qui avait chuté, comme eux (et à cause d'eux) se remettant de cette chute impromptue dans des débris de branches cassées.

L'oiseau roula dans l'herbe sèche pour descendre ses serres à terre et crispa ses tarses, sortit le croupion et déploya ses ailes mais en s'arrachant de terre le bengal l'imita comme un éclair, percutant l'oiseau avant son envol - au contact du sol, ils roulèrent sur une distance de quelques queues à coups de becs et griffes et bruyants croassements et Coup de Foudre réussit à le retenir au sol avant de plonger sa gueule à sa gorge, lui casser le cou et s'octroyer le silence. Aucune prière (mais aucun nananère non plus), il sortit simplement de sa cachette d'un bruissement avec l'oiseau en gueule en guise d'offrande, levant haute sa queue sous les Étoiles pour signaler sa position à son amie. Chasser la nuit était définitivement trop facile...

« Tu dois me connaître, maintenant, j'adore les défis!... »

Un petit rire se fit entendre, et la fille de la rivière, jolie princesse de lune, sentit également ses moustaches s'agiter, face à ce mouvement de joie si communicatif, qui secoua les membres du Bengal se remettant en place. Quel amusant personnage que ce guerrier... Le regard vert jade s'emplit d'une brève étincelle de nostalgie, un brin de tristesse vite chassé, face à la pensée qui lui traversa l'esprit, pleine de sourires, d'entraînements, de nages, de constellations, de passé, de proies, de souvenirs, de couleurs, d'histoires, de non-dits, d'interdits, de petits secrets, et de plus grandes cachoteries, mais surtout, de bonheur, malgré les difficultés et des comportements qu'elle n'avait pas toujours cautionnés. revint à la réalité juste à temps pour trouver la lumière dans les prunelles d'ambre sous une rivière de cils sombres battant comme des ailes délicates et fines, et pour l'entendre glousser: « Achhh si j'ai cassé tout le reste, ».

Leurs fourrures se frôlèrent, leurs corps en parallèle s'effleurant en un geste aussi doux qu'un rêve, aussi délicat que la plus fine dentelle, en une caresse semblable au murmure du vent, les fragrances de leurs deux pelisses se mêlant, s'accrochant l'un à l'autre tandis que le guerrier enfouissait son front dans le cou de la lieutenante, au creux de ses ronrons et tout près des battements de son cœur. Elle sourit, en lui rendant ce geste pour conclure cette nuit, les deux félins dansant sur un fil très haut; le danger importait peu. Mais ça ne devait durer. Alors, elle fut heureuse de l'entendre répondre, approuvant sa proposition - non sans un peu la courtiser au passage...

« À vos ordres, ma belle Museau Bleu. ♡ »

Et sans plus de fioritures, il était parti, laissant le silence reprendre ses droits tandis que l'intéressée, sa seule mélodie en guise de compagnie, un brin de nostalgie dans l'âme mais une bonne dose d'apaisement remplaçant la colère et les bouleversements d'avant les Quatre Chênes dans son cœur et son esprit, se dirigeait elle aussi vers un coin, à la lisière de la clairière, pour chercher une proie. Mais elle était bien trop perdue dans ses pensées pour ça... Un craquement sous ses pattes fit s'envoler un oiseau proche, et sa griffe le rata de quelques millimètres, malgré un bond puissant. Elle secoua la tête dans un atterrissage souple, gracieux, mais infructueux, et, frustrée, se donna d'elle-même une petite tape sur la tête, du bout des coussinets, comme parfois le faisait son mentor quand elle rêvassait. Museau Bleu s'amusa de ce souvenir: Chant des Cascades l'aurait sans doute taquinée sur son inattention, décidément. Et, comme - trop - souvent, il aurait eu raison. Mais les Étoiles restaient muettes, veillant avec peut-être un peu de compassion sur cette soirée, et sur la silhouette amie qui retrouvait, lentement, celle de la reine de l'eau, au royaume pastel. Le prince des ombres émergea de celle-ci, entouré de ténèbres mais avec dans les yeux deux immenses soleils, tenant, au moins, pour sa part, dans sa gueule une proie... Mais quel repas que celui-ci ! Avec en filigrane, sans doute, la moindre de ses erreurs. Au pattes de la princesse, le mâle de tonnerre et de foudre posa délicatement un offrande - un corbeau. Un sourire erra sur le joli visage, puis se stabilisa, avant qu'elle ne vienne, en toute tendresse, poésie infinie, mêler leurs deux fourrures.- c'était ça, leur rêve, après tout; la paix, et l'attachement. Elle prit une bouchée, poussa l'oiseau vers son nouvel ami, souhaitant, dans le secret de chacun de ses battements, pouvoir lui prendre une plume, pour réécrire le monde. Une nouvelle bouchée, après qu'il eut pris la sienne. Les queues entrelacées de ceux que tout opposait formaient comme une promesse... Les fronts se posèrent l'un contre l'autre. Puis elle souffla, avec amusement:

« Je vois que tu chasses aussi bien toutes les sortes de proies ? »

Elle n'était pas assez folle ou naïve pour se croire unique.

Heureusement qu'il n'avait pas vu la belle Museau Bleu rater sa proie, sans quoi il n'aurait pu s'empêcher de se moquer! Il aurait bien vanté la taille de la sienne (on parle de proie), ou l'aurait bien taquinée de devoir s'aiguiser les griffes avant de se frotter à un défi contre lui... À la vue de son sourire, le sien parut s’agrandir, trottinant tout ronron et la gueule pleine vers la Princesse et sa Lumière pour lui donner son offrande ainsi que la première bouchée dedans. Capricieuse comme la Rivière, elle résilia cette précédente distance non-dite en allant se frotter contre lui, et il put y répondre par la même en s'appuyant sur les pattes arrières, hissant hautes les épaules jusqu'à ce qu'ils finissent front contre front : le Bengal sentit à nouveau un agréable frisson lui prendre au dos et il inclina sa tête de régal contre celle de son amie qui ne repoussait pas ses avances.

Elle repoussa le corbeau, plutôt, et Coup de Foudre s'inclina sans cérémonie, arrachant à l'oiseau ses plumes pour s'attaquer à sa chair en dessous. Il la tira en barrant le dos et le morceau céda en lui donnant la satisfaction d'avoir vaincu son repas : au vainqueur son butin, il savoura donc son corbeau un peu plus qu'il ne l'avait fait de sa souris plus tôt.

— « Je vois que tu chasses aussi bien toutes les sortes de proies ?

Son oreille guérie tiqua et il se para d'un sourire de je-sais-que-tu-sais en entendant ce double-entendre:

— Seulement la nuit. Ses dodus tissus de corbeau pendirent de sa bouche une seconde avant que d'un coup de langue il ne les fasse disparaître, rendant à sa Princesse son sourire. Il pencha sa tête tout en plissant ses paupières de ravissement - la proximité, la montée du Chêne, l'échange d'idées au sommet, il ne voulait jamais oublier. Je suis invisible, la nuit. ♡ » inutile de dire la suite à voix haute, ils étaient si proches qu'elle devait pouvoir le lire directement dans ses yeux...

Bien sûr la nuit tirait à sa fin et il n'en avait pas envie, il voulait retenir la lune de ses griffes et rester dans leur clair-obscur confortable, à l'ombre des Quatre Chênes de leur Assemblée secrète, à manger l'un de ceux qui avaient mangé le corps de leurs guerriers morts cet été sous les rayons de la Lune Rouge...

« Seulement la nuit. »

La muse de la lune, au milieu des ténèbres comme une douce caresse, sourit aux prunelles de soleil qui brillaient juste pour elle, laissant fleurir dans son cœur quelque peu l'amitié, et préservant là, auprès de Vent, auprès de tous ceux de son Clan, cette vision interdite qu'ils avaient partagée; le printemps refleurirait... Pour l'heure, le Tonnerre se montrait, au cœur de la nuit, sous un jour nouveau, pour la belle lieutenante - et elle pardonnait. Parce que c'était beau, les deuxièmes chances, et que tous les félins n'étaient pas Suie. Pour le sourire de Foudre, aussi. Étrange ami que celui-ci, mais pourtant, lors de cette cérémonie du partage, au mépris de toutes lois, comme une Assemblée peut-être aussi bancale qu'eux, mais bien réelle, elle s'était sentie proche de ce prince d'illusions, tous deux parlant de rêves, et d'eux, aussi. Quelle étrange utopie ! Il plissa les paupières, sous le joli regard vert, qui souriait, royaume de plantes, de douceur, d'eau et d'un peu de tendresse. Seulement la joie. Seulement cet instant de bonheur. Et pour l'instant, rien d'autre n'importait. Que la lumière des étoiles se reflétant dans les yeux. Que les fourrures mêlées. Que le goût d'une proie partagée, précieuse. Que les parfums de deux Clans opposés qui se mélangeaient, auprès des deux amis. Et que les voix, comme deux mélodies, qui formaient, ensemble, une seule symphonie.

« Je suis invisible, la nuit. ♡ » disaient ses yeux.
« Moi, je te vois. » répondirent ceux de la fée bleue.

L'aube ne tarderait plus à parer d'or et de rose le ciel pâlissant, la nuit emportant dans son sillage, belle ensorceleuse, le moindre de leurs mirages; et contre le temps, les griffes ne pouvaient rien. Mais les deux amis gravaient, silhouettes côte à côte, esprits reflets, ce moment dans leur tête - si fragiles soient-elles - et ce joli souvenir, jamais le soleil ne le leur volerait. Ils étaient comme Arès et Aphrodite, Éros et Psyché; la nuit serait leur royaume, avant qu'Hélios, le soleil mutin, ne vienne les surprendre pour mieux les dénoncer. Alors il faudrait bientôt se séparer... Mais avant, une question subsistait, éclose, pour la princesse, qui l'offrit à son camarade, éclair dans la nuit, dans la vie:

« Tu penses te souvenir de tes proies ? »

Tu crois qu'on se reverra ?

« Moi, je te vois. »

Vraiment? L'aurait-elle vraiment vu dans la nuit noire s'il ne s'était pas révélé à elle, en venant lui offrir sa souris? Était-ce la Princesse de Lune et d'Écume qui le voyait, ou le Prince des Ombres qui avait choisi qu'elle le voit? Première lumière dans l'horizon. Elle le dénuda lentement de sa cape d'obscurité, révélant au jour-levant les cicatrices de leur dernière et sanglante Assemblée qui avaient été marquées sur son corps - une derrière sa patte, au-dessus de l'ergot comme feu Étoile de Suie, une et celles à son dos lui venant d'Étoile Vaillante, et deux à la nuque qui venaient d'ailleurs, comme celles à son oreille guérie, comme celles à sa cuisse, aussi. Le soleil révéla aussi tous les copeaux de bois qui s'étaient collés à sa fourrure, les feuilles mortes, et même des plumes du corbeau contre qui il avait lutté ; vraiment, il avait piètre allure sous les dénonciations d'Hélios.

— « Tu penses te souvenir de tes proies ?
Coup de Foudre remua les épaules sur un rire sous-cape, secouant sa tête:
— Ha hah bien sûr que non! Il était catégorique, aussi c'est pourquoi il jeta un aussi catégorique coup de langue au front de sa belle amie pour lui glisser:

— Mais je me souviendrai de toi. ♫ »

En se levant, il monta sur le bout de ses orteils pour sortir toute la rondeur de son dos en tiquant d'une oreille à l'élancement qui lui prit dans l'épaule - décidément son envol entre les branches d'un des Quatre Chênes ne serait pas oublié de sitôt, il s'était tout de même assuré de laisser les branches lui fouetter la peau à défaut de pouvoir s'être glissé sous celle de Museau Bleu... Dans son œil brillait ce même intérêt, cette même fascination pour cette chatte qui rêvait d'entente, comme lui, et qui était mûre d'expériences qui lui ravissait la peur de faire la cour à son tour. Il la taquina en lui balayant le nez de la queue, lui faisant dos histoire d'induire ses rêves de cette image de lui qui s'enfuyait.

— « On a bien dit à la Rivière, la prochaine fois? ♡

Bien sûr qu'ils se reverraient.

« Ha hah bien sûr que non! »

Don Juan ne se rappellerait pas de ses proies, évidemment, disaient les mots, le ton du Bengal qui, avec dans les yeux toutes les étincelles de la nuit, semblait appeler les prochains papillons des ténèbres pour que ceux-ci, captivés, viennent s'y brûler les ailes... Combien de félines étaient restées prisonnières de ce royaume d'Éros, combien avaient abandonné tout le reste, pour une nuit des plus belles ? La Muse de la vie, sinon d'aucun des Arts, rendit un regard vert jade doux et posé, tendre et glacé, à ce mâle dont la pelisse sublime se discernait, à présent, couturée de cicatrices mais pourtant œuvre d'art, silhouette sculptée par le monde dans l'ébène, bois précieux veiné de jais, décoré de deux grandes perles d'or pour iris. Il était beau, malgré les cicatrices qu'Hélios révélait. Beau, différent, enchanteur un peu, désinvolte, beaucoup, charmeur, toujours, et espiègle, aussi. Mais surtout, catégorique. Dans son attitude, à cueillir le jour, la nuit, les étoiles, au mépris des lois, des Clans, des guerres. Dans ses réponses, dans cet air qu'il avait, quand elle lui avait parlé, à mi-mot, d'une toute autre chasse que celle qui leur avait offert un festin de minuit. Dans ses gestes, quand il gratifia la belle lieutenante de la rivière, dans les derniers rayons de lune et les premières couleurs de l'aube, d'un petit coup de langue sur le front. Et de souffler:

« Mais je me souviendrai de toi. ♫ »

Un étirement, aussi gracieux que douloureux, élan d'un cygne fêlé, en un étrange ballet, deux êtres aux cœurs épris de liberté, aux corps enflammés, un instant dans la nuit plus tôt emmêlés, éclosion interdite, deux êtres aux ailes peut-être un peu brisées, mais qui n'en défiaient pas moins l'absolu pour s'envoler, et plongeraient, ensemble, se moquant éperdument des chances de se noyer... Deux regards brillants se croisèrent, avant qu'il ne se détourne, effleurant le nez de la belle d'un petit mouvement de queue, taquin - elle rit; bien sûr qu'il serait le premier à s'en aller... Encore quelques mots, dans le clair obscur qui décorait le beige de la riveuse d'or et de rose, et rendait ses taches grises bleutées juste un peu plus violettes. Elle souriait toujours, en répondant.

« On a bien dit à la Rivière, la prochaine fois? ♡ »
« Si tu ne renonces pas à jouer dans mon royaume ~ »

Évidemment.