Hors du temps ft Foudre - abandon

Nuage de Mouche ouvrit les yeux.
L'air était saturé de d'odeurs de peur et de sang.
L'odeur métallique du sang le prit à la gorge et lui retourna le cœur.
Il se traîna jusqu'à un buisson pour vomir.

Même après avoir rendu le rien qu'il avait mangé, il ne se sentait pas mieux. Son dégoût de la guerre et les images qu'il avait vuees ne se vomissaient pas.
Pourquoi était-il tout seul sur le champ de bataille abandonné ?

Il fit un effort douloureux pour se souvenir. Il avait été emmené à l'écart par une guerrière du Clan de la Rivière après qu'il ait essayé de défendre ...

Maternelle !

Il fit un bond dans la direction du promontoire. Puis un autre souvenir resurgit qui le coupa dans son élan. Lorsqu'il était revenu auprès de sa mère, c'était pour assister impuissant à son exécution.
Elle avait été tuée quatre fois, comme si une ne suffisait pas, avec cette volonté malsaine de partager la gloire de sa mort.

La brume matinale se dissipait lentement, et les rares rayons de lumière lui permettait de distinguer une silhouette assise.
C'était Etoile de Suie ? Peut-être qu'elle s'en était remise, après tout elle était coriace.
Mouche traversa d'une démarche sautillante la distance qui le séparait de l'ombre, évitant les flaques de sang séché, les touffes de poils et les cadavres laissés en pâtures aux corbeaux des Lunar Pods.
Même si il n'avait jamais éprouvé pour sa mère biologique que de la crainte, il était heureux qu'elle s'en soit sorti.

Mais au fur et à mesure qu'il se rapprochait, il constata qu'il n'y avait pas une mais deux silhouettes.
Une silhouette assise devant un tas de chair et de sang.
Mouche dans sa courte existence avait trop vu la mort pour ne pas la reconnaître. Et c'était le cadavre de sa mère qui gisait devant lui.
L'apprenti leva les yeux vers le félin qui fixait avec obstination la défunte chef.
Il reconnu Coup de Foudre qui avait eu la gentillesse de lui redonner une demie-famille, la première ayant disparu.

Pourquoi personne n'avait eu l'idée de la ramener au camp pour la veiller ?
La scène était irréelle. Mouche n'osait pas parler, de peur de briser le silence qui les enveloppait tous les deux.
Finalement il décida de se presser contre son père adoptif, contre un vivant, un élu du champ de bataille.

Les corbeaux causaient un tintamarre de croassements et avaient noirci la terre souillée de sang là où s'était déroulée la guerre. Ils ouvraient leurs ailes et battaient l'air mais au milieu de toute cette agitation, une ombre, immobile, se tenait assise devant ce qui semblait être un monticule en décomposition.

Étoile de Suie n'était pas son Étoile - il ne pouvait de toute façon pas la pleurer - mais son influence et son histoire avaient bouleversés bien plus que ceux de son Clan. Elle avait voulu une révolution, elle en avait payé le prix - et le prix était juste, mais la justice n'avait pu empêcher le bengal de s'asseoir devant le corps et d'attendre qu'elle ne se relève une cinquième fois.

Elle s'était bien relevée quatre fois.

Il ne voyait ni le mouvement des charognards autour, ni le passage du temps, aussi il ne s'était pas rendu compte qu'il s'était assit sous les rayons de la Lune rouge toute la nuit et qui sait s'il ne les avait peut-être pas même absorbés.

Relève-toi, disaient ses yeux. Relève-toi - tu t'es relevée quatre fois. Ils n'avaient même pas pris le temps de creuser un trou et la ranger sous terre, non, ils l'avait laissée là à la vue de quiconque viendrait - et avec sa corpulence, qui leur disait qu'elle n'y serait pas encore, un mois plus tard ? La prochaine assemblée risquerait d'être bien gênante avec le corps de la grosse meneuse en décomposition...

Il n'entendit pas les pas qui se rapprochaient de lui ni ne vit la seconde ombre qui se faufila entre les corbeaux, se poussant en à peine quelques petits bonds, se pivotant sur eux-mêmes pour dévisager l'importun.

Las de sa nuit sans sommeil, avec sur la langue l'amertume d'une de ces innombrables veillées pendant le blizzard, ce qui lui avait valu sa tête cassée par les éclats de glace martelant sa tête, Coup de Foudre ne se rendit compte de la présence de quelqu'un d'autre que lorsque ce-dernier initia un contact. Ses yeux s'arrondirent, il hoqueta en silence, sa queue eut un swish nerveux et sa vision embrouillée redevint nette comme s'il venait d’émerger à la surface d'une très longue transe dans laquelle il aurait aimé rester. Sans chagrin, ni peine, ni pleurs, tout ce qui lui restait était la frustration et peut-être une germe de sa morbide curiosité. Lui aussi avait envie de se faire tuer - mais pour revivre ensuite.

Un ronron le secoua sans honte aucune en se penchant contre le premier né d'Étoile de Suie pour lui rendre son contact d'un très affectueux frottement de la tête, l'enfouissant dans son poil. Qu'il eut s'agit de Nuage de Mouche ou non n'aurait rien changé - il avait envie de s'abandonner dans un contact et de s'engourdir jusqu'à ce qu'il en oublie complètement quoi appartenait à qui. À ne pas être rentré au campement, les blessures que lui avaient infligées Étoile Vaillante et Tache d'If n'avaient pas été traitées, mais la douleur qu'elles occasionnaient en se mouvant créaient un agréable pincement qui le divertissait, en ce moment.

Un ronron répondit à son étreinte. Mouche entoura les pattes du mâle tigré, s'y cramponnant de toutes ses forces.
Aucun doute, la chaleur qu'il lui renvoyait, le bruit de sa respiration, le léger mouvement de son corps, il était bien vivant et si l'apprenti continuait de le serrer ainsi, c'était pour s'assurer qu'il ne disparaisse pas dans la brume matinale, vers le monde des morts.

Coup de Foudre était pour Mouche un des guerriers du camp qu'il croisait tous les jours. Il faisait partie du décor de fond dans le théâtre sa vie. Il était tantôt une silhouette floue qui partait en patrouille ou une voix parmi les autres dans le brouhaha du camp. Impossible pour Mouche d'imaginer que le guerrier avait lui aussi ses soucis, ses envies, ses préoccupations.
Mais aujourd’hui, à cet instant précis, Coup de Foudre ne pouvait plus être un élément du décor puisque leurs deux vies venaient de se percuter.

Mouche le lâcha finalement puis regarda Etoile de Suie. Les corbeaux croassaient bruyamment, se disputant la carcasse et attaquant avec énergie la fourrure et la peau qui protégeaient les organes de la chatte. Mais Mouche pensait que toutes ces ailes noires et vrombissantes tentaient d'emmener sa mère rejoindre le Clan des Etoiles. Même si Etoile de Suie n'y croyait pas, son fils y croyait pour elle. Les oiseaux allaient la porter vers les cieux, il leur fallait juste un peu de temps à cause de sa corpulence.
Les yeux de Mouche repérèrent ensuite les insectes. Ils escaladaient avec facilité la montagne de chair qu'était sa mère, parvenant à se faufiler à l'intérieur. Même maintenant, Mouche ne pouvait s'empêcher d'être fasciné par les propreurs de la nature comme il les appelait.
Mais quelque chose n'allait pas.
Ce n'était pas comme ça que les insectes aimaient s'occuper des cadavres.

Devrait-on pas l'entomber ? C'est ce qu'on a fait pour mon fraternel.

En se serrant à ses pattes, Nuage de Mouche toucha l'une de ses griffures encore à vif et électrisa le Bengal de douleur - il retint tout éclat de voix en fondant dans le poil de l'apprenti pour le mordre, les yeux fixes, les oreilles plaquées et le corps tremblotant à son ronron qui s'était intensifié dans sa gorge. Heureusement ces mottes de fourrure après-hiver étaient très épaisses et empêchèrent au guerrier de percer l'écorce de sa chair, et la précipitation du geste ne semblait pas avoir incommodé l'apprenti.

Après avoir cligné des paupières, Coup de Foudre mordilla ce qu'il tenait dans sa bouche, consentant à ensuite ouvrir les mâchoires et plutôt opter de lécher le poil de l'apprenti, se perdant dans les longues lapées successives pour redonner un peu de lustre à son poil.

Ce-faisant, il ne fixait plus le corps de Feu leur meneuse - si les corbeaux comptaient vraiment la porter vers les cieux, ce serait morceau par morceau, et il doutait que le petit avait envie d'assister au voyage mais le Bengal était trop tendu pour réfléchir comme un adulte responsable. Il léchait sans discrimination le pauvre à ses côtés qui observait les insectes. C'est d'ailleurs sur lui que retomba la responsabilité de mener un quelconque échange entre les deux:

— « Devrait-on pas l'entomber ? C'est ce qu'on a fait pour mon fraternel.
— « L'en-tom-ber?

Le verbe de la mettre en tombe ; l'entomber. Coup de Foudre donna une plus grande lapée à l'apprenti avant de se secouer et de tenter de remettre le pied dans la réalité. Il eut l'air de lever la patte pour ce faire, mais elle s'immobilisa dans le geste.

— « ...Pourquoi faire?

La question, d'ordre d'utilitaire, avait été posée sans le moindre filtre de faux-semblant ou d'émotion feinte en situation sociale. Nuage de Mouche avait entre ses pattes un Coup de Foudre à son état naturel : réactif, attentif, et efficace. Sans oublier une propension sensorielle très, très accrue...

Coup de Foudre le mord, puis Coup de Foudre le lèche. Nuage de Mouche n'était pas certain d'apprécier ces variations de traitement. De plus, il s'estimait déjà propre.
En réalité, il devait puer un étrange mélange de poussière de sang et de vomi, mais l'apprenti n'avait jamais aimé les bains.
D'un bond aussi vif que le permettait sa corpulence, il s'éloigna de Coup de Foudre, rompant le contact.

— L'en-tom-ber? répondit Foudre en écho.
— Mh !

Aussi étrange que cela puisse paraître, personne ne lui avait jamais demandé de répéter ou de reformuler. Mouche ne se sentait pas différent. Puisque tout le monde le comprenait, c'est qu'il devait parler comme tout le monde.

...Pourquoi faire?

La deuxième question l'interpella. Il se tu.
Parce que c'était la tradition ou parce que c'était comme ça qu'on faisait n'était pas une bonne réponse. Chaque fois qu'on lui avait répondu "parce que c'est comme ça" Mouche s'était senti frustré de ne pas comprendre.
Mais il avait une théorie.

L'apprenti se précipita près du cadavre de sa mère. Ce n'était plus sa mère. Ce n'était qu'une masse grouillante d'insectes et autres nécrophages qui le laissait indifférent.
Sa mère était ailleurs maintenant. Peut-être était-elle devenu ce vent qui faisait bruire les feuilles ou cette brume froide qui les enveloppaient en cette matinée.
Sa mère était quelque part ailleurs dans un monde meilleur et il était heureux pour elle.
Nuage de Mouche poussa donc le corps de la défunte meneuse sur le flanc révélant une armée de coléoptères noirs aux tâches orange qui s'affairaient sous le cadavre.

Tu visionnes ? C'est eux les propeurs de la nature qui ingestionnent les choses trépassées. Mouche remarqua qu'ils avaient même pondu des larves. Il faut l'entomber sinon il va plus rien rester pour les vers !

Lorsque le corps s'échappa de sa langue, le Bengal, à ce point plongé dans son geste, en alla jusqu'à laper le vent. Il sortit de sa transe ce-faisant car il n'y avait plus de résistance à son mouvement. Et il se retrouva à cligner des paupières, penaud, confus, et à très lentement tourner sa tête dans l'espoir de se repérer dans la brume et cette nuée de corvidés. Un mouvement trop brusque le tira de son interrogation : l'apprenti venait de se précipiter sur la grosse masse pour la pousser de l'épaule. Étoile de Suie fit reddition à cette demande et se roula sur son flanc en leur exposant les masses grouillantes qui s'y agglutinaient.

— « Tu visionnes ?
— Vi-sionne?
— « C'est eux les propeurs de la nature qui ingestionnent les choses trépassées.
— ...
— Il faut l'entomber sinon il va plus rien rester pour les vers ! »

Le bengal plaqua ses oreilles sur sa tête avant de rechigner et de rentrer le menton dans le cou, traduisant sa frustration en claquant de la queue.

— « Je ne comprends pas ce que tu dis.

Visionnes, propreurs, ingestionnes, les vers... Car dans le sillage de sa vie Coup de Foudre n'avait jamais connu les insectes dans la mort - juste le gel, épuré, et la raideur post-mortem dans leurs corps jusqu'à leur lente disparition sous la neige du Blizzard. En toute sincérité:

— « ... Dis-moi ce que je regarde.

Car il n'avait plus de repères pour mettre un sens à la scène à laquelle il assistait.

— Je ne comprends pas ce que tu dis.
— Ooooh..

La phrase tomba comme une sentence. Mouche était condamné à la solitude car il était dans l'impossibilité de communiquer avec l'autre.
Ça lui faisait tout drôle de tendre une main qu'on ne saisissait pas.
Il rejeta l'emblée l'hypothèse que c'était lui que Coup de Foudre ne comprenait pas. Non, le problème c'est que Coup de Foudre ne devait rien comprendre aux insectes. Il lui faudrait un cours élémentaire de base, dans lequel Mouche serait ravi de se lancer.

La deuxième hypothèses était que Foudre ne comprenait pas la scène sous ses yeux. Avait-il déjà vu quelqu'un mourir ?
Avait-il déjà été frappé par la constatation que l'être aimé n'était plus qu'un corps froid et ne reviendrait-plus ?
Avait-il déjà imaginer la vie sans l'être aimé et cette pensée lui avait-elle parue insupportable à hurler ?

Alors oui, Mouche non plus ne comprenait pas. Qu'étaient ses histoires d'insectes de réincarnation sinon une réponse bancale sur laquelle s’appuyer pour pouvoir continuer de sourire comme si de rien n'était ?

... Dis-moi ce que je regarde.

Mouche revient de sa démarche pataude vers Foudre. Il le frôla de sa longue queue, l'incitant à s'approcher. Il avait remarqué que ses pairs étaient dégoûtés par les insectes. Au mieux ils les ignoraient, au pire ils les écrasaient avec des moues écœurées et le sentiment d'avoir rendu le monde meilleur.
Mais tout petits et souvent invisibles, les insectes étaient tout autour d'eux, colonisant chaque recoins de leur espace de vie et cohabitant avec eux au quotidien.
On ne pouvait pas se contenter de les ignorer ou les tuer.
Il fallait se rapprocher.

Mouche montra encore les insectes qui formaient une petite file jusqu'au cadavre de la meneuse, qui entraient et sortaient des trous qu'ils avaient eux même pratiqués dans la chair ou qui se reposaient simplement de leur dur labeur dans cette maison tombée du ciel.
Mais pas de vers, non décidément pas de vers en vue.
Comment Petit Ver allait-il manger ? Il devait avoir faim, son frère avait toujours faim.


I-Il.. Il f.. Il faut nutritionner les vers !!! répéta Mouche perturbé.

À défaut d'avoir une réponse, il eut un contact, et Coup de Foudre réagit aussiôt à cette incitation en se redressant carré sur ses pattes, suivant de la tête le mouvement folâtre de la queue qui s'en allait. Par réflexe, il se repassait les mots de l'apprenti: "Entomber", "visionner", "propreurs", "ingestionnent", et quelque chose par rapport aux "vers". Mouche l'approcha du cadavre et le Bengal plissa ses paupières, ne parvenant plus à reconnaître Étoile de Suie de ces chairs en putréfaction. Comme si l'infection à sa patte avait soudain grimpé toute son épaule et parcouru son corps et tout dévoré jusqu'à ne plus rien laisser - ou presque, car il en restait suffisamment pour les corbeaux, qui croassaient, et pour les... ce que Mouche appelait les " vers ", qui... grouillaient.

Mouche lui pointa d'une patte ces-derniers, et le bengal tendit le cou afin de les observer plus en détail: ce genre d'insecte ne l'avait jamais fasciné mais dans la présente situation, et dans la présente compagnie surtout, sa tête se pencha doucereusement sur le côté comme s'il s'octroyait à cette instant un nouvel angle à explorer.

— « I-Il.. Il f.. Il faut nutritionner les vers !!!
— « Nu-tri-tio-nner? Je ne comprends pas. Tu veux dire nourrir?

Il recula sa tête, la redressant dans le mouvement, pivotant ses deux oreilles vers l'arrière pour s'assurer que lui et Mouche regardaient la même scène sans ne rien manquer:

— Tu veux nourrir les vers? Pourquoi faire?
Il donna un coup de patte pour perturber la scène, écartant des vers en les roulant sur leur ventre ou sur leur dos - constatant rapidement qu'ils n'avaient ni l'un ni l'autre. Sans queue ni tête.

Nn-- ...Ils n'ont même pas de bouches.

—Nu-tri-tio-nner? Je ne comprends pas. Tu veux dire nourrir?
— Evidencemment !

N'était-ce pas ce qu'il disait depuis tout à l'heure ? Pourquoi Foudre ne comprenait-il pas ? Les grands yeux jaunes de Mouche scrutaient intensément le visage de Foudre dans une tentative de compréhension. Observer c'était comprendre. Cette technique avait bien fonctionné pour ce qui était des insectes.
Il allait maintenant pouvoir transmettre son savoir à Foudre, s'il arrivait à reprendre ses esprits.

Mais pour l'instant cette idée fixe de nourrir les vers martelait dans le crâne de Mouche empêchant tout autre raisonnement et son désespoir de se voir incompris lui ôtait une partie de son assurance habituelle.

Tu veux nourrir les vers? Pourquoi faire?
— Po-pourr.. quoi .. faire ??

Mouche se redressa, comme si il venait de se prendre un choc électrique. Lui avait tout le temps faim, il présupposait que les insectes avaient faim eux aussi. S'ils ne mangeaient pas, ils devenaient tout secs dans ceux qu'il avait gardés sa tanière.
Mouche aussi s'était senti sec les jours il n'avait pas mangé parce qu'il était resté immobile sur la tombe de V-

Nn-- ...Ils n'ont même pas de bouches.

S'en était trop pour l'apprenti. Il eut encore un spasme outré devant tant d'ignorance et promena frénétiquement son regard doré sur la place.
Il se précipita vers un sol terreux et sans herbe, tanné par le passage des chats et commença à creuser frénétiquement. Ses griffes raclaient la terre sèche dans un agaçant bruit répétitif.

A..Assurément qu'ils ont des caves bucales !! Ils indigèrent tout ! La terre volait furieusement. tout ce qui déchoit sur la terre est à eux. Et ainsi, ils font disparaître tout ce qu'ils tactilent. Des propreurs ! POUUUFFF ! Il interrompit un instant son ouvrage pour mimer la disparition. Mais la problémation est que les mouches ingrugitent tout et elles produisent des bébés mouches qui collationnent tout elles aussi. Et les Mouches peuvent bien partager avec les Ver !

Après ce discours entrecoupé d'halètements, Mouche sortit la tête du trou qu'il avait creusé. Il se tourna d'un bloc vers Foudre et Suie, avant d'enjamber d'un bond peu gracieux le cadavre de la meneuse. Là, l'apprenti se baissa au niveau du sol de sorte que son épaule se trouvait désormais contre le flanc de la défunte. Mouche entreprit ensuite de la faire rouler jusqu'à sa tombe improvisée. Profond mais peu large, le trou ne pouvait évidemment pas contenir le cadavre tout entier de l'imposante meneuse.

Chemin inverse, Mouche bondit à nouveau de l'autre côté du corps, pour creuser, plus large, plus profond, plus vite. Il recommença ce manège encore et encore, Mouche au milieu des mouches, voletant et s'affairant autour du cadavre.

Viens donc me porter une assistance !

L'apprenti reprit brusquement vie et décontenança le guerrier par sa précipitation à creuser. Coup de Foudre dut papillonner des cils, froncer les sourcils, reculer la tête et pincer ses babines dans une moue pour le moins indécise quant au discours du premier né de feu Étoile de Suie:

— « A..Assurément qu'ils ont des caves bucales !! Ils indigèrent tout ! Le Bengal se décala d'un pas de chassé pour éviter à une motte de terre de s'écraser entre ses deux yeux. Il suivit du nez l'arc de cette-dernière jusqu'à s'écraser par-terre, et se retourna d'un bloc vers le petit et sa longue queue qui s'agitait pendant qu'il creusait. Tout ce qui déchoit sur la terre est à eux. Et ainsi, ils font disparaître tout ce qu'ils tactilent. Des propreurs ! POUUUFFF !

Caves buccales, bouches (du moins en théorie), indigèrent, indigeste? Tout ce qu'ils mangeaient avec leurs "caves buccales" leur suscitait une indigestion? Déchoit, déchet, choir, choir sur la terre - tout ce qui tombait sur la terre était aux Vers? Et ils faisaient disparaître ce qu'ils tactilaient - ce qu'ils touchaient? Pour "proprer" les sols.

La démonstration de Mouche quant à la "propration" des sols provoqua une brimade au bengal qui réprima le sursaut d'un rire dans ses épaules, dévisageant le petit comme s'il venait d'ailleurs. Il leva ses deux avant-mains et écarta ses phalanges en répétant, sans énergie toutefois, le geste de l'apprenti:

« ...Poufff. »

Et il regarda Mouche reprendre son infernale descente sous les sols en creusant et en grattant avec la vigueur des attaques de leur Guerre la veille. Coup de Foudre observa ses pattes une seconde, et consentit à se rasseoir, sobre.

— « Mais la problémation est que les mouches ingrugitent tout et elles produisent des bébés mouches qui collationnent tout elles aussi. Et les Mouches peuvent bien partager avec les Ver !
— Non, tu as dit que tout ce que mangent les vers leur est indigeste. ...Logiquement, les Mouches devraient manger pour deux, non?

La tête de Mouche surgit au travers du trou qu'il avait creusé et ils s'échangèrent un regard mus de la même confusion. Puis il s'en extirpa d'un bond, avant, d'un autre, enjamber les restes d'Étoile de Suie pour appuyer son épaule contre sa masse et tenter de la faire rouler dans le trou. Un rapide coup d'oeil vers celui-ci les fit tout deux arriver au constat que le trou ne serait pas assez grand, aussi Mouche prit l'initiative de réescalader le cadavre pour retourner à sa terre et la creuser davantage, attirant l'attention des corbeaux autour qui sautillaient et battaient des ailes et s'échangeaient des mots tout en jugeant les deux félins perdus dans leur festin.

— « Viens donc me porter une assistance !
— Ha hah, rien qu'une? ~ »

Le bengal se hissa sur ses quatre pattes, secouant sa tête et déhanchant sa croupe en sortant de son immobilité, contournant sagement Étoile de Suie. Arrivé de l'autre côté cependant ses oreilles se couchèrent sur sa tête et il baissa les yeux sur ceux de la morte. Il la revoyait encore reprendre vie - son regard allait soudain redevenir clair et elle se relèverait pour les invectiver tous les deux -- mais c'est en voyant un "ver" sortir d'un globe oculaire qu'il recula vivement la tête et rentra le menton dans le cou et même si le vocabulaire de Mouche était étrange, ce qu'il avait dit sur les "propreurs" lui semblait vrai, trop vrai, vrai à en être dégoûtant et dégoûtant au point de lui faire relever son poil. Ce-faisant toutefois ses sens s'accentuèrent et il ressentit autant sur lui que sur feu leur meneuse les toutes petites pattes des tout petits insectes qui se chargeraient, tous ensemble, de faire disparaître celle qui avait été l'une de ses plus grandes influences.

.... Autant leur être utile.

Il appuya son épaule contre le cadavre à son tour, prit son souffle et poussa dans le ventre raide de feu la mère de Mouche pour la déplacer de quelques centimètres, son corps lourd et immobile au même endroit ayant creusé un tout petit dénivelé qui rendait difficile la tâche de la rouler.

— Mouche... Et les corbeaux?

Et soudain sa voix fit écho - ou plutôt leurs voix firent écho, sur le champ de bataille déserté :

Et les corbeaux?
Et les corbeaux?
Et les corbeaux?

Ils indigèrent tout!

POUUUF !!

Quelques oiseaux allèrent se poser sur le cadavre qu'il poussait, ouvrant leurs ailes, lui couvrant sa vue du ciel de la noirceur de leurs plumes comme s'ils n'attendaient plus que Mouche et lui ne tournent le dos pour reprendre leurs festivités après-guerre.