Hors du temps ft Foudre - abandon

Mouche secouait la tête et la poussière, obstiné dans sa tâche.
Non il n'y avait rien d'indigeste dans la nourriture des vers. Non les mouches ne devait pas tout manger. Et pour cause.
Mouche avait ses petites préférences en insectes.
Ses bien aimés étaient les coléoptères, à peu près tout ce qui avait une carapace croquante et brillante, aussi plaisante à regarder qu'à déguster.
Ensuite il aimait tout ce qui gigotait, tout ce qui ondulait devant ses yeux émerveillés. Les vers étaient mous et rigolos et il les aimaient car il riait avec eux, comme jadis il riait avec son frère. Dans lequel était son frère maintenant ? Il aimait ausculter tous les vers et essayer de trouver les traits de caractères parmi eux. Tiens celui était de la même couleur. Celui là n'avait-il pas fait blblbl ? Et il lui semblait que celui-ci était apparu comme pour venir le voir.
Mais les mouches. Les mouches étaient trop vives pour qu'il puisse les attraper et les croquer. Les mouches étaient attirées par tout ce qui le repoussait. Elles étaient les premières arrivées sur le lieu des catastrophes, se repaissant des flaques de sang, parasitant la veillée de ses proches par leurs bzz bzzz incessants. Et mouche avait beau leur donner des coups de pattes et de crocs, elles s'écartaient avant de revenir à la charge.
Elles ne voulaient pas se laisser étudier, ni manger.
A quoi servaient-elle alors ?
A Rien.
Elles existaient pour la misère. Elles vivaient pour mort. Et pour rien d'autre.

Mouche... Et les corbeaux?
Et les corbeaux ?

Et les corbeaux ?

Et les corbeaux ?

Mouche leva la tête vers ce ciel noir au dessus de sa tête.

Les corbeaux... il se pencha à nouveau pour d'un ultime coup d'épaule faire basculer la meneuse dans sa tombe, qui lui seyait parfaitement désormais.... ne sont assurancement pas des insectes.

Il revient se poster à côté de Foudre contemplant son oeuvre avec le regard de celui qui a accompli un travail bien fait. Et puis il fallait finir puisque la meneuse n'était pas encore protégé des assauts des mouches et des volatiles.
Mouche jeta une poignée de terre, la première d'une longue série.
Mouche laissait maintenant le relais à Ver, il était certain que ce dernier serait s'occuper d'elle comme il fallait. Il souffla du nez, soulagé.

C'est bien mieux de la sorte, hein ?

— « Les corbeaux...
— « Les corbeaux ! crièrent les corbeaux. Et Coup de Foudre aplatit ses oreilles sur sa tête car les oiseaux parlaient - avec leurs voix, certes, mais ils parlaient. Ou à tout le moins les imitaient, mais, n'était-ce pas ce qu'il faisait aussi, dans le Clan? "Maître Chanteur"... " L'oiseau "... Mouche parut nettement moins perturbé par la scène, rejoignant Coup de Foudre de l'autre côté de la dépouille pour donner le puissant coup d'épaule qui la fit rouler dans sa tombe. Il acheva sa pensée sur les corbeaux:

...ne sont assurancement pas des insectes.
— ... Assurancement pas, il acquiesça, sans toutefois savoir à quoi, pinçant ses commissures d'un sourire aussi fragile que faux.

Sa queue battit nerveusement à terre lorsque l'apprenti revint pour le rassurer de sa présence - Coup de Foudre n'attendit pas une seconde pour se coller contre lui et ronronner et chercher un tan soi peu de stabilité. Elle était belle, la dépouille de leur meneuse, dans son trou, sa grosseur créant un renflement au-dessus qui n'était pas tout à faitement couvert. Mouche tenta de palier au problème mais aucun chat n'aurait eu l'énergie de la faire disparaître complètement. Une poignée de terre et puis s'en fit, poussant un soupir, sa tête alourdie par celle du bengal qui reposait dessus.

— C'est bien mieux de la sorte, hein ?
— Presque autant que de t'entendre parler normalement... il voûta sa nuque à l'extrême jusqu'à pouvoir coller son front contre son occipital, soufflant du nez dans sa nuque. Lorsqu'il écarta sa tête, ce fut pour la tourner et se rendre compte que des "mouches" leur volait autour. ...Cherchaient-elles à le "proprer" à son tour?

— « J'ai du sang sur le dos » il remarqua, avec le ton aussi plat qu'on remarque que « tiens, il pleut aujourd'hui ».

Comme on remarque la pluie et le beau temps.

Il était content.
Content comme une âme simple, trop pour comprendre la tourmente d'émotions dans laquelle vous jetait la mort, mais juste assez pour savoir apprécier un grand trou et un grand chat qui rentrait parfaitement dedans.
Etoile de Suie lui rendait son sourire, rictus figé sur une rangée de crocs. Elle était morte comme elle avait vécu dans la violence et l'indécence et il n'y avait probablement rien qu'elle ne regrettait.
Personne pour la pleurer non plus.

Cette âme forte, qui avait dirigé son Clan d'une main de fer pendant des lunes, voulait le porter au sommet mais ne réussissant qu'à le précipiter dans sa chute, méritait sûrement mieux comme funérailles.
Mais la Mort n'écoutait décidément pas les souhaits des autres.
Un fils stupide et un amant insensible, c'était tout ce qu'elle lui accordait.

— Presque autant que de t'entendre parler normalement...
— Je peux discourir normalement quand j'en ai la désirance. rétorqua Mouche, un peu irrité de voir que la communication avec Foudre était difficile.

C'était faux, les mots sortaient comme ils se formaient, parmi les images fracassantes et les sons éclatants de son esprit. Contrairement à son aîné qui calculait chacun de ses gestes, Mouche était un flux, une action, une impulsion.. comme celle que Foudre venait d'avoir.

N..Nhh !! son beau père vint s'écraser contre lui, laissant entendre un ronron bruyant. Surpris encore une fois de ces paroles acerbes suivies d'un contact doux, Mouche se laissa faire.

Le silence du champ de bataille désert était seulement troublé par les bzzzz insistants des mouches qui leur tournaient autour. Mouche remarqua qu'ils sentaient le sang et le cadavre, les mouches devaient se laisser berner. Il lui semblait que leur bourdonnement couvrait le crôa des corbeaux. Il agita sa longue queue dans un vain désir de les faire fuir. Il n'y tint plus :

Pas maintenant ! glapit t-il, bondissant sur ses pattes. On est pas encore des trépassés !!

— J'ai du sang sur le dos
— ... ?

Mouche leva la tête, comme s'il s'était mis à pleuvoir du sang. Ne constata rien d'aussi apocalyptique - seulement quelques corbeaux ne mangeaient pas aussi proprement qu'ils devraient - il se mit à regarder le dos de Foudre.

Tu as une grosse plaie là d'autant plus. constata-il. Je sais pas si j'aurais assez d'énergie pour creuser une secondaire cavité corporelle.

Il s'assit, contrarié de voir que la Mort avait n'en était qu'au plat principal et voulait un dessert. Mais une bonne idée fit briller ses yeux :

On pourrait aller visiter mon amie Nuage du Firmament ! Elle va te guérisoigner c'est certain!!

Et puis il comprit autre chose aussi :

Tu n'es pas retourné au campement, n'est-ce pas cela ?

— « Je peux discourir normalement quand j'en ai la désirance.
— Euh, tu mens !! ♡ »

C'était bizarre, il devait admettre que les néologismes de Mouche le forçait à prendre du recul plutôt que de se laisser porter par la vague de scénarios appris par cœur... Ce genre de latences étaient neuves pour lui, donc intéressantes. Une sorte de regret - ou d'indice de regret, plutôt? - lui pesa sur les épaules en revoyant la silhouette embrouillée de la chatte mouchetée pleine de tiques qui n'avait plus toute sa tête. Peut-être que s'il avait pris le temps de tenter de comprendre ses "néologismes" à elle, il aurait pu outrepasser l'aura de folie qui l'avait dégoûté, confondu, voire qui l'avait effrayé... Rien ne l'effrayait vraiment plus que les aberrances, mais toute aberrance avait son explication...

Quant à son sang sur le dos, Mouche leva le nez pour scanner le ciel à la recherche de la "pluie" qu'il avait entendu dans l'absence d'urgence de sa voix, avant de comprendre:

— « Tu as une grosse plaie là d'autant plus, il dit, après à peine un coup d'oeil.
— Hm.
— Je sais pas si j'aurais assez d'énergie pour creuser une secondaire cavité corporelle.
— Ha hah, pauvre Mouche, il semblait contrarié de ne pas pouvoir creuser sa tombe au bengal. Ça ne fait rien. Suie nourrira les vers, moi, je nourrirai les corbeaux. »

Justement un petit groupe se rapprocha à ces mots et le sourire du bengal se surit à la pensée qu'ils comprenaient ce qu'il disait - ce n'était plus juste un jeu d'imitation, pas vrai?... Sa queue eut un mouvement et il se leva, motivé par la proposition de Mouche, mais surtout motivé de fuir les charognards et toutes ces nouvelles réflexions qu'ils lui suscitaient:

— « On pourrait aller visiter mon amie Nuage du Firmament ! Elle va te guérisoigner c'est certain!!
— Oh, tu connais Fifi? il le taquina, car bien sûr tout le Clan connaissait leur "guérisoigneuse" et son apprentie.

Et tandis qu'il s'étirait (ne ressentant bizarrement pas trop la douleur de ses plaies), Mouche relevait:

— « Tu n'es pas retourné au campement, n'est-ce pas cela ?

Coup de Foudre détourna le regard autant de l'apprenti que du monticule de chairs qui se décomposaient de leur ancienne meneuse, prenant le pas, nonchalant, direction leur forêt Tonnerre.

— ...Je    voulais la voir se lever   une cinquième fois. »

Il s'arrêta dans son mouvement pour regarder une dernière fois derrière, sur le champ de bataille et le festin des insectes grouillants et des gros oiseaux noirs, il regarda une dernière fois derrière au cas où. Au cas où se relevait, morte parmi la mort, Étoile de Suie que toutes les Étoiles avaient choisies de décrocher des cieux.

« ...Allons se faire "guérisoigner", tu veux? »