Le pont [PV. Nuage d'Alizé et Nuage d'Émeraude] -abandon

Nuage des Vents avait profité, la veille, de son temps libre pour faire plus amplement le tour de son territoire. À nouveau, elle avait répété ce que Tache d’If lui avait montré lors de la première leçon et avait pris particulièrement soin de ne pas s’approcher des chûtes. D’après ce que l’on racontait, c’est là qu’Étoile Vaillante avait perdu la vie. Mais ce n’était à priori que des rumeurs, et d’autant plus un sujet sensible. Elle évitait donc de questionner les adultes à ce propos. Tout le monde avait besoin d’un peu de temps.
Le temps. On n’en avait jamais assez.

Elle l’avait malgré tout longé, tout en gardant une bonne distance entre sa position et le rebord de la rivière. Hors de question d’y tomber. L’eau la dégoutait.
C’était un exercice important à ses yeux, et particulièrement difficile. Une promenade de santé pour d’autre. Mais avec sa seule oreille désormais valide, et son crissement constant qui ne s’était jamais arrivé depuis le coup de tonnerre, le bruit du lit d’eau qui traversait son territoire était parfois difficilement supportable. Surtout lorsqu’elle s’approchait des chutes.
Cependant, tout le monde avait été très clair avec elle: jamais elle ne retrouverait cette audition perdue. La seule évolution possible était qu’elle ne la perde définitivement. Il faudrait donc que Nuage des Vents s’y habitue, elle n’avait pas d’autre choix. Et quoi de mieux que la rivière, dans ce cas là?

En arrivant au bout de son territoire - si elle poursuivait encore, elle arriverait aux quatre chênes - elle remarqua quelque chose d’étrange.
Atteindre la berge opposée - qui appartenait au Clan de la Rivière - lui avait toujours semblé impossible. Bien sûr, elle n’avait aucune envie d’y poser les pattes! Une terre d’étrangers… elle devait être humide et puer le poisson! Cependant, une sorte de tronc d’arbre plat et incroyablement étrange traversait la rivière sans jamais bouger. Si l’on marchait dessus, on pourrait traverser l’eau sans jamais se mouiller les pattes.
Mais une question essentielle subsistant: à qui appartenait ce pont? Au Clan du Vent ou au Clan de la Rivière?
Nuage des Vents y posa une patte et, soucieuse de bien faire, se rétracta. Cette chose n’avait pas l’air de vouloir bouger. Elle pourrait revenir demain, et accompagnée cette fois.



- Nuage d’Alizé, avait-elle soufflé un peu trop fort ce matin aux premières lueurs de l’aube. Nuage d’Alizé réveille toi. Tu devineras jamais ce que j’ai trouvé hier.

Se levant sans plus attendre, elle s’empressa d’avaler un petit déjeuner - un lapereau plutôt banal - avant de quitter le camp en invitant sa soeur à la suivre.
Reprenant le même chemin que celui emprunté la veille, elle arriva au bout d’une plutôt longue marche au petit pont. Il n’avait visiblement pas bougé.
Plus sûre d’elle que la veille - il fallait faire bonne impression - Nuage des Vents posa ses quatre pattes sur le pont de bois, n’hésitant pas à s’y rendre plus loin que nécessaire. Une fine couche de givre le recouvrait encore, en ce matin d’automne. Ce n’était pas glissant, mais désagréable. D’ici l’hiver, il serait sans doute dangereux de traverser.

- À ton avis, demanda Nuage des Vents, ça appartient à qui, ce truc? De l’autre côté, c’est le Clan de la Rivière.

La femelle aux yeux vairon acheva cette phrase sur un ton hautain empli de dégout. Elle détestait les autres Clans sans les connaitre. Leur simple existence était une insulte à ce monde et aux Étoiles.

Cela faisait plusieurs lunes que Nuage d'Émeraude était apprentie, à présent ; elle était au beau milieu de son apprentissage, et pour cause : trois lunes la séparaient de sa vie de chaton, et trois autres lunes la séparaient de sa vie de guerrière - si tout se passait bien. Mais tout se passait bien, a priori : Nuage d'Émeraude s'était révélée une apprentie de compétition, et ce malgré ce que laissaient présager les Olympiades, où elle avait lamentablement échoué. Désormais, elle était une novice déterminée et persévérante, et elle se révélait plutôt bonne en combat ; elle avait eu l'occasion de le prouver lors de la bataille de patrouilles qui avait opposé la Rivière au Vent quelques jours plus tôt, et pendant laquelle elle avait combattu un apprenti roux. Le combat s'était arrêté avant que l'un des deux ne déclara forfait, mais elle avait été plutôt fière de sa capacité à maintenir le rouquin en haleine. Cela dit, il s'était bien battu lui aussi, et elle portait encore les traces de sa morsure : elle boitait légèrement de la patte avant.
Une partie de chasse en solitaire l'avait menée vers le pont ; elle n'y avait pas beaucoup traîné, mais elle le connaissait de vue pour se rendre souvent près de la rivière, son lieu favori. Cette fois-ci, le pont lui avait paru plus intéressant que d'accoutumée, et pour cause : deux félins s'y trouvaient, deux novices d'après leur taille, et du Clan du Vent d'après l'odeur qu'ils portaient sur eux. Nuage d'Émeraude n'avait pas perdu sa curiosité de découvrir de nouveaux Clans - elle se souvenait de sa belle rencontre avec Nuage Pâle - mais elle se montrait plus prudente qu'avant depuis qu'elle avait eu affaire à l'agressivité non justifiée de cette patrouille du Vent quelques jours plus tôt.
À ton avis, ça appartient à qui, ce truc? De l’autre côté, c’est le Clan de la Rivière, avait murmuré l'une des silhouette, bicolore, à celle qui l'accompagnait. Nuage d'Émeraude, d'abord dissimulée sous le pont, décida de se montrer. Après tout, les deux novices avaient dû la sentir arriver à son odeur. Elle s'avança sur le pont mais maintint une distance raisonnable entre elles trois.

« Le pont appartient au Clan de la Rivière, dans sa totalité » déclara-t-elle en souhaitant répondre à l'interrogation de l'intruse ; toutefois sans se montrer agressive. « Jeunes apprenties ? » demanda-t-elle ensuite, curieuse et compatissante : elle aussi avait été débutante.

Après un entrainement au combat plus intensif que d'habitude, Rosée Nocturne avait annoncé à son apprentie, Nuage d'Alizé, que le lendemain serait pour elle une journée de repos. Cette dernière espérait qu'elle pourrait ainsi passer du temps avec ses deux sœurs, comme elle le faisait tous les jours auparavant. A présent, Nuage des Vents les avait rejoint dans la tanière des novices, héritant comme formatrice de leur grand-mère, Tâche d'If. Nuage de Foehn, quand à elle, avait entrainement lors de cette journée de pause, avec Force de la Nature. Seules les deux plus âgés pourraient donc se retrouver.

"Nuage d’Alizé réveille toi. Tu devineras jamais ce que j’ai trouvé hier."

Mmmmh
Et elle partit.
La grise se réveilla, s'étira, avant de rejoindre son aînée, bien décidée à connaitre ce que celle-ci avait trouvé, et passer un bon moment en sa compagnie. Elle ne prit rien comme nourriture, contrairement à elle, ne ressentant pas le besoin de se remplir l'estomac.
Elles quittèrent le camp, et marchèrent un petit moment, jusqu'à se retrouver à la frontière avec le clan de la Rivière. La novice rayée frissonna. Elle ne s'y était jamais approchée seule, préférant rester dans le cœur des territoires appartenant au Vent. Oui, elle avait peur. De ces monstres de contes pour enfant, de ces ombres factices, de ses visages cruels auxquels elle greffait un sourire,une grimace rappelant l'horreur.
Alors qu'il ne s'agissait que de chats. Comme elle. Comme Ventoutou, comme Fofo. Mais ça, c'était une réalité à laquelle elle était aveugle, baignée depuis sa naissance dans ce lavage de cerveau aux apparences d'histoires donnant à une morale.

Nuage des Vents monta sur un morceau de bois, recouvert d'une légère couche de givre, au dessus de la rivière, masse moussante terrifiante. Des chats ne pouvaient délibérément pas aller dedans, ce n'était tout simplement pas félin. Ni grimper à des arbres, ni chasser dans des marécages. Les chats, ça vivait dans des landes, balayées par le vent, réchauffées par le soleil, selon la saison. C'était sa définition erronée, réductrice aux possibles, basée sur les modes de vies. Comme ils ne vivent pas comme nous, ils ne sont pas normaux. Ils sont différents. Pas la différence comme la couleur du poil, ou sa longueur. Non, la différence aberrante, celle ne pouvant pas exister, celle étant un danger, une abomination. Une sorte de différence seulement présente dans sa tête et dans d'autres. C'était cette pensée, l'absurdité, pas autre chose.

Etre un chat, c'était avant tout, avoir des sentiments, un cœur, des doutes, une réflexion. Ou peut-être pas. Il était sans doute trop compliqué d'avoir une définition exacte,. Alors chacun avait la sienne, parfois diamétralement opposée l'une à l'autre.

"- À ton avis, demanda Nuage des Vents, ça appartient à qui, ce truc? De l’autre côté, c’est le Clan de la Rivière."

Au Vent, bien sur.

« Le pont appartient au Clan de la Rivière, dans sa totalité. Jeunes apprenties ?»

Une silhouette rousse. Une odeur puante, horripilante. Une expression calme, pas hostile. Inoffensive en apparence.
En apparence.

"Malheureusement ma grande, tu découvriras vite que ce qui fait que les étrangers sont si vils, c'est que tous ne sont pas aussi affreux physiquement qu'ils le sont pourtant à l'intérieur"

Cobra Royal avait raison ce jour la. Elle n'était pas affreuse physiquement, elle ressemblait même à l'une de leur camarade, Nuage du Crépuscule, l'oreille blanche en moins et avec des yeux verts. Mais à l'intérieur, si. Elle comprenait ses paroles à présent.
Elle voulait les piéger.
Mais elle n'y arriverait pas, elles ne se feraient pas avoir par ce visage amical.
Oh non.

Nuage d'Alizé se plaça devant sa sœur, poussée par un instinct de protection faisant sa première apparition. Sa fourrure doubla de volume, ses griffes se plantèrent dans le bois, un feulement se fit entendre, la haine se lisait dans ses yeux.

Pourquoi? Pourquoi cette haine? Comme ça, l'instinct.
Et pourquoi cet instinct? Car on lui a toujours appris cela, car elle a été formatée à haïr les autres.
Et a quoi cela sert? A rien.

"QU'EST CE QUE CA PEUT TE FAIRE? QU'EST CE QUE TU NOUS VEUX? ET POURQUOI CA SERAIT A VOUS? HEIN? C'EST QUI A DÉCIDÉ CA? VOUS? ET VOUS ETES QUI POUR VOUS LE PERMETTRE? C'EST QUOI CETTE MANIE DE VOUS APPROPRIER NOTRE TERRITOIRE?"

C'était un bout de bois. Elle ne connaissait même pas son existence jusque là. Alors pourquoi s'énerver t-elle à ce point.
La haine de l'inconnu, car on en a peur.

Était ce la raison qui l'empêchée de sauter sur l'apprentie de la Rivière qui n'avait rien demandé? Non. C'était un soupçon de peur, présent par une réflexion. L'autre était plus âgée, avait plus de chances de gagner.

La peur, encore une fois.

Nuage d'Émeraude avait déjà rencontré plusieurs félins de Clans adverses : il y avait d'abord eu Nuage Pâle, du même Clan que les deux novices auxquelles elle était confrontée ce jour-ci ; puis il y avait eu Nuage Roux, un petit mâle du Clan du Tonnerre ; et enfin, il y avait eu Coup de Foudre, un guerrier de ce même Clan, une rencontre déconcertante mais grâce à laquelle Nuage d'Émeraude avait mis les pattes dans le monde des adultes, du moins en partie. Aujourd'hui, elle avait le derrière entre deux rochers : elle vivait encore en majorité dans le monde des petits, mais elle sentait qu'elle entrait progressivement dans celui des grands. Et ce n'était pas pour lui déplaire.
Toujours est-il que les trois rencontres qu'elle avait faites lui avaient laissé un goût délicieux en bouche : Nuage Pâle et Nuage Roux avaient tous les deux été très sympathiques ; quant à Coup de Foudre, s'il avait été déstabilisant, son attitude avait pourtant intéressé la rouquine et elle avait tiré profit de la rencontre, au point d'en revenir avec la possibilité de demander tout ce qu'elle voulait au guerrier à l'avenir, comme une faveur. Certes, il lui manquait une rencontre avec le Clan de l'Ombre, qui était réputé froid et agressif ; mais jusqu'ici, elle n'avait eu que de bonnes surprises en rencontrant les Clans adverses. Jusqu'ici.

Car les deux apprenties au poil clair lui faisaient maintenant face avec toute l'agressivité dont elles semblaient capables. La première, gris tabby, avait pris les devants et avait agressé Nuage d'Émeraude sans crier gare - ou plutôt, si, en criant beaucoup. QU'EST CE QUE CA PEUT TE FAIRE? QU'EST CE QUE TU NOUS VEUX? ET POURQUOI CA SERAIT A VOUS? HEIN? C'EST QUI A DÉCIDÉ CA? VOUS? ET VOUS ETES QUI POUR VOUS LE PERMETTRE? C'EST QUOI CETTE MANIE DE VOUS APPROPRIER NOTRE TERRITOIRE? Immédiatement, les oreilles de la rouquine se plaquèrent contre sa nuque et son poil doubla de volume tandis qu'elle faisait le dos rond. Nuage d'Émeraude réagissait très mal aux agressives gratuites, d'autant plus que cela ne faisait pas longtemps qu'elle avait dû en essuyer une lors d'une patrouille, avec le même Clan que les deux novices, d'ailleurs : celui du Vent. Sa patience avait été mise à rude épreuve et l'attitude des deux ennemies n'arrangeaient pas le tableau. Nuage d'Émeraude s'apprêtait à répliquer mais l'autre apprentie, celle au pattes noires, s'avança un peu plus vers elle et se plaça volontairement sur le point, à la limite des deux territoires : une provocation évidente, qu'elle ne mesurait certainement pas mais que la fille d'Étoile de Pierre, elle, était tout à fait en mesure de comprendre. Alors que la blanche semblait un peu perturbée au début, ses paroles suivirent le sens de celles de son acolyte : C-C’est vrai ça! Pourquoi tout le pont pour vous et pas la moitié de votre côté à vous et l’autre moitié à nous? C’est ridicule ! Elle s'avança un peu plus sur le pont. Maintenant, ça, c’est à nous! C’est de notre côté, après tout. C'en était trop pour Nuage d'Émeraude. Elle s'avança sur le pont, sans l'ombre d'une hésitation, et avec une rapidité qui lui permit d'être sous le museau des deux effrontées en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Le pelage hérissé, le dos rond, les griffes sorties et un grondement grave sortant de sa gorge, elle faisait le double de la taille des deux petites et n'avait pas l'intention de laisser passer un tel affront. Si elle n'était pas regardante sur les frontières en temps normal, quand ça lui permettait de rencontrer d'autres Clans en toute amitié, elle comptait, cette fois, agir selon le code du guerrier.

« Le pont est au Clan de la Rivière depuis des lustres »

 dit-elle en insistant sur le dernier mot pour signifier que c'était là la chose la plus normale, et qu'elle n'avait jamais été remise en question - pas comme les Rochers du Soleil qui, eux, passaient souvent des pattes de la Rivière à celles du Tonnerre, et ce depuis le début. « Et la raison est évidente : c'est que vous, les chats du Vent, vous ne savez pas nager et nous, ceux de la Rivière, on en avait marre de venir vous repêcher à chaque fois »

 se moqua-t-elle sans retenue, non sans continuer à se montrer menaçante physiquement.

Nuage d'Émeraude avança un peu plus vers les deux apprenties. Plus elle s'approchait et plus elle appréciait la différence de taille. Elles étaient clairement toutes jeunes novices, et manquaient certainement d'entraînement. Mais elles étaient deux, et malgré tout, il faudrait se méfier.
Mais ça ne serait pas une raison pour laisser passer l'affront.

« Vous devez vraiment manquer d'entraînement pour ne pas connaître la limite de votre territoire ainsi que l'histoire de Cerfblanc »

 continua-t-elle à répliquer, se complaisant dans cette joute verbale qui ne tarderait pas, elle le savait, à se terminer en véritable bataille ; à moins que les deux jeunes ne retrouvent soudainement la raison, et le respect qu'elles lui devaient, pas la même occasion. « Maintenant, si vous avez l'âme conquérante, ne vous gênez pas, vous pouvez toujours essayer. »



Nuage d'Émeraude avait parlé avec un ton plus calme, presque ironique. Se défendre verbalement, enfoncer ses agresseurs avec des mots, constituaient déjà une façon pour elle de se venger, de récupérer son honneur. Cela la calmait légèrement. Mais elle sentait l'adrénaline et l'envie de se défouler remplir son corps ; la même qui l'avait assaillie face à l'apprenti rouquin du Vent lorsqu'il l'avait provoqué. Faire un affront à Nuage d'Émeraude, c'était comme lui redonner une dose d'énergie.
Mais ça, les deux novices du Vent ne le savaient pas, et elles semblaient bien ancrées dans leur certitude qu'elles avaient raison, que tout leur était dû, et que tout était acquis. Elles ne tarderaient pas à apprendre - à leur dépend - qu'elles avaient tord et qu'il valait mieux adapter son comportement à son interlocuteur.



Spoiler:

« C-C’est vrai ça! Pourquoi tout le pont pour vous et pas la moitié de votre côté à vous et l’autre moitié à nous? C’est ridicule! »

Nuage d'Alizé hocha de la tête, appuyant les propos de sa sœur. La logique voudrait en effet que le pont soit séparé en deux. Si cela ne l'était pas, ils étaient de leur devoir, en tant que membres du clan du Vent, de corriger cette erreur, et de reprendre leur morceau à ses voleurs de territoire.

Nuage des Vents passa devant elle, et se plaça sur le pont, les griffes rentrées dans le bois. Elles étaient venus récupérer ce qui leur revenait de droit.

« Maintenant, ça, c’est à nous! C’est de notre côté, après tout. »

Ça y est, la bombe était lancée. Un frisson parcourut son échine, et elle entendit la réaction de l'inconnue, la fixant droit dans les yeux. Nul doute qu'en un contre un, elle ou Ventoutou se serait fait rétamer. Mais à deux... les chances étaient un peu plus grandes .

La réaction ne se fit pas attendre. La rousse avança elle aussi, avec une rapidité étonnante. En un clin d’œil, elle se trouvait en face en face avec son aînée. Pour ne pas qu'elle oublie sa présence, et prouvait qu'elles étaient bien deux, elle passa sur le pont elle aussi, prête à agir.

« Le pont est au Clan de la Rivière depuis des lustres. Et la raison est évidente : c'est que vous, les chats du Vent, vous ne savez pas nager et nous, ceux de la Rivière, on en avait marre de venir vous repêcher à chaque fois »

Nuage d'Alizé grogna. Comment osait-elle déblatérer ce genre d'informations. Le Vent n'avait besoin de personne. Et surement pas de puants chats-poissons, qui allaient dans l'eau et oubliaient leur nature féline. Plonger délibérément dans cette masse bleu, ce n'était définitivement pas normal.

« Vous devez vraiment manquer d'entraînement pour ne pas connaître la limite de votre territoire ainsi que l'histoire de Cerfblanc. Maintenant, si vous avez l'âme conquérante, ne vous gênez pas, vous pouvez toujours essayer. »

Après l'attaque du groupe, l'attaque individuelle. La grise avait toujours été sensible aux critiques qu'on lui faisait. Elle prenait chaque mot pour elle, et se blâmait en les entendant, pensant qu'elle avait mal fait. Cependant, elle n'allait surement pas donné crédit aux paroles d'une étrangère. Certainement pas.

Il ne manquait plus que ça démarre pour que ses griffes, déjà sorties, s'élancent et soit prête à rencontrer la fourrure rousse. Et ce déclic, ce fut Nuage des Vents qui le lui donna.

« J'VAIS T'FAIRE REGRETTER! J'VAIS T'FAIRE REGRETTER TES FOUTUES PAROLES!! »

Et elle se jeta sur l'autre. Attaquant son échine de ses crocs et de ses griffes. Nuage d'Alizé eut un flash, la scène lui faisant penser à l'épisode de Patte Lunaire. C'était le même acharnement à présent. Mais si elle avait pleuré ce jour-là, elle ne recommencerait pas. Car là, la novice ennemie le méritait à ses yeux.

Prête à seconder sa sœur, elle s'élança à sa suite. Avec une lune d'entrainement de plus qu'elle, elle était légèrement plus expérimentée dans l'art du combat. De ce qu'elle avait appris, seule, elle se serait posté sur le dos de la féline de la Rivière, en lui endommageant celui-ci avant de sauter quand l'autre voudrait la dégager. Mais là, ce n'était pas vraiment possible. Elle se contenta donc des pattes et enfonça ses crocs dans la patte gauche de la rouquine, aussi fort qu'elle le pouvait.

Hors RPG:


La réaction des deux gamines ne se fit pas attendre. La première à attaquer fut celle qui s'était plantée sur le pont, affirmant son appartenance de moitié au Clan du Vent. Elle sauta sur l'échine de Nuage d'Émeraude et, avec une absence de discipline typique des jeunes novices, se déchaîna sur la moindre parcelle de chair lui tombant sous les griffes. Elle arriva ainsi à entailler sérieusement la rouquine, et malgré son manque de technique, on devait bien avouer qu'elle savait frapper fort et ne pas lâcher prise. Nuage d'Émeraude feula sous la douleur et sentit les blessures infligées l'autre jour lors de la bataille inter-frontalière se réveiller et s'ajouter aux nouvelles. Ce fut ensuite au tour de la femelle claire tigrée de se jeter dans le combat, aidant sa sœur à prendre le dessus sur leur ennemie aux yeux verts. Nuage d'Émeraude sentit des crocs se refermer sur sa patte avant, heureusement ce n'était pas celle qu'avait visé Nuage du Vent quelques jours plus tôt ; le réveil de cette terrible blessure aurait sérieusement handicapé la rouquine.
Nuage d'Émeraude feula de rage et de douleur en même temps. Elle sentait la colère l'envahir et lui chauffer le bout des oreilles. Elle avait sous-estimé les deux novices et voilà qu'elles lui infligeaient une terrible douleur, malgré leur manque évident de tactique et d'entraînement. Elles étaient deux, c'était là leur avantage ; Nuage d'Émeraude ne s'en était pas assez méfiée.

Plutôt que de battre en retraite afin d'échapper aux coups des deux apprenties du Vent, Nuage d'Émeraude décida de répliquer aussitôt. Bien entraînée, ses coups atteignirent leur cible ; mais affaiblie par ses blessures, sa force était réduite et les dégâts qu'elle causa à ses deux adversaires ne furent pas à la hauteur de sa rage et de la correction qu'elles méritaient.
Feulant à tout rompre, le poil hérissé couvert du sang des griffures infligées, Nuage d'Émeraude commença à s'inquiéter de l'issue du combat. Elle n'était pas encore par terre - ah ça non ! Elle ne se rendrait pas facilement, c'était une question d'honneur - mais elle sentait que plusieurs coups comme ça, portés par un duo, même peu entraîné, pourraient avoir raison d'elle. Être obligée d'abandonner le combat serait une humiliation que la rouquine aurait du mal à digérer ; cette possible issue la préoccupait grandement. Clan des Étoiles, aidez-moi à donner la leçon qu'elles méritent à ces deux vipères ! pria-t-elle en silence, convaincue que c'était elle qui se tenait du côté juste du code : la défaite devait être celle des deux apprenties, qui avaient brisé les règles ; la victoire devait revenir à Nuage d'Émeraude, qui ne faisait que défendre son territoire, même si son propre orgueil était aussi entré dans la danse.



Nuage des Vents et Nuage d'Alizé : 380/400
Nuage d'Émeraude : 130/200