« Oh non, je ne disais pas ça forcément pour moi. Même si je suis sentinelle. Je pense que la majorité des apprentis se mettent en danger sans le voir, pour tout et n'importe quoi, on est fier et on se croit plus fort. Ça ne t'ai jamais arrivé à toi quand tu étais apprenti, Crocs Nacrés ?
- Oh ben moi c'est simple à chaque fois que je fais une imprudence ça tourne à la catastrophe... Alors bon forcément je suis pas trop fier hein. »
La tête basse, il repensait encore à la plus incroyable, la plus folle de ses imprudences. Les trois petites qu'il avait engendrées avec Brise Argentée. La catastrophe qui s’abattrait le jour où la vérité éclaterait. Le peu de sang qui coulait encore dans son corps sembla un instant se figer, puis ça repartit. Cette perspective le démoralisa tout à fait.
« Halala franchement j'aime mieux pas y penser... » trouva-t-il le moyen de se plaindre d'une façon fuyante. C'était peut-être là qu'il sentait l'avantage d'être aussi expressif qu'un morceau de peau qui traînait sur le sol : au moins ne pouvait-on pas deviner tout à fait l'ampleur de sa peur. « Mais c'est vrai que tu as raison, souvent à ces moments-là, c'est comme si on n'était plus capables de réfléchir. On peut rester pendant des heures après à se demander pourquoi, qu'est-ce qui nous a pris... On se demande si on est fous... » La premier blaireau, il avait l'impression d'en trembler encore.
« Et pourtant... » il semblait retrouver une pensée consolatrice à laquelle se rattacher. « Et pourtant y'en a qui ne sont jamais imprudents... Je sais pas comment dire... Ils ont l’œil, ils devinent le danger, toujours, ils n'ont même pas besoin de réfléchir t'as l'impression, ils ont juste besoin de sentir. »
Il s'interrompit. S'il n'avait aucun appétit, au moins prenait-il le temps de réfléchir à ce qu'il disait. Il avait l'impression qu'il y avait du vrai là-dedans. « C'est comme mon frère, tu vois. Il fait plein de conneries, tu te dis, je sais, mais pourtant et bien... Il a un truc... Ça se goupille toujours bien. Il sait toujours exactement la limite entre ce qu'il peut faire et ce qu'il ne peut pas faire. Quand on est avec lui, on n'a rien à craindre. »
Il disait ça le plus sincèrement du monde, sans jalousie, mais comme une observation construite au fil du temps qu'il était toujours absolument incapable d'expliquer. « C'est bizarre, hein ? »