Drôle de Discussion ▬ Coup de Foudre. - end

Est-ce que ça fait... mal ? L'étape d'avant faisait assurément très mal, alors ce n'était pas une expérience sans son risque. Mais c'était l'étape d'après qui l'intéressait, l'étape d'après qui les faisait tous se soumettre au joug insensé des Étoiles pour ramper devant elles, et leur demander de leur attribuer une, ou deux, trois - il lui semblait que c'était quatre fois qu'É--

Son oreille capta une voix qui lui adressait:

— « Hum. Tu n'as pas la tête des grands jours. Que t'arrive-t-il ? »

Le Bengal s'était figé comme rivière en hiver, tournant à peine sa tête pour voir que par-dessus son épaule, derrière, se tenait un chat tout-gris. Un maigre espoir fit battre son cœur plus vite en s'imaginant qu'il s'agissait de Mistigris mais non, autrement il l'aurait piqué d'un sarcasme après avoir immédiatement vanté ses louanges. Il plissa ses paupières et écarta Busard Cendré, le nouveau lieutenant, de sa liste de possibilités, surtout face au masque sombre au visage de son interlocuteur. Ce visage qu'il ne reconnut pas immédiatement, car il semblait maintenant coupé en deux d'une griffe en diagonale. Pas besoin de réfléchir longtemps pour déterminer d'où lui venait cette blessure, ainsi Coup de Foudre, d'abord à peine interloqué par ces mots, fit l'effort visible de se faire accommodant pour le vétéran.

« ...La même chose que toi, je suppose. »

Et si ces mots avaient été dits avec légèreté comme avant, son air à lui semblait alourdi par l'ambiance dans la Tanière des Guerriers. Et bien vite le Bengal se défila : il se hissa sur ses pattes, fit volte-face et passa sous le nez du plus vieux en se frottant la face contre sa fourrure au passage, se dirigeant stratégiquement vers la sortie. Ce n'est pas ici qu'il allait s'autoriser à parler - pas là où les oreilles indiscrètes pouvaient l'écouter.

Une fois les moustaches hors de la tanière, le Bengal put respirer un air qui ne lui semblait pas si frais que ça - froid oui, mais l'atmosphère créée par le ressentiment collectif des chats de son Clan pesait le campement d'une désagréable moiteur qui lui fit tiquer de l'oreille et agiter sa queue d'un mouvement d'agacement. Il traîna ses pattes dans la terre, avant de se rendre compte qu'il était suivi et que Raton Laveur avait décidé qu'aujourd'hui, ils inversaient les rôles. Déjà le Bengal s'avançait entre les arbres, tandis que le vétéran, derrière, avançait une plaisanterie:

— « Qui l'aurait crû ? Nous deux, en dehors du camp à papoter de nos problèmes. C'est la bataille qui te met dans cet état là ? Tu es méconnaissable.
— « Méconnaissable, répéta Coup de Foudre, le ton plat comme l'avait été celui du Masqué par le passé. Moi qui croyait qu'on se connaissait à peine. ~ »

Bon, il dut admettre que sa propre répartie fit relever ses commissures d'un feint sourire, mais il s'éteignit tout de suite ensuite après quoi. Et après quoi, d'un tour de queue, agile, il bifurqua la direction de leur conversation (qu'il s'était contenté de miroiter à son interlocuteur) pour plutôt l'aiguiller au vif du sujet, et y planter les dents. Un oeil expert aurait pu voir ses pupilles se dilater au fil de ses mots, déguisant son interrogatoire derrière une bête promenade/patrouille-à-deux-à-qui-mieux-mieux.

— « Tu es griffé, il observa, jetant un discret regard par-dessus son épaule à l'aide de sa tête inclinée pour s'assurer que la balafre qu'il avait vue sur le vétéran était belle et bien réelle et non une interprétation déformée de sa mémoire visuelle. Tu t'es battu.     Jusqu'au bout? »

S'était-il battu jusqu'au bout? S'était-il battu jusqu'au bout de la bataille? Jusqu'au bout de ses forces? Jusqu'au bout de son sang? Il tenait ses questions courtes pour susciter Raton Laveur à réfléchir et à compléter lui-même ses réponses : même si ses questions auraient pu se faire répondre par un oui ou un non, il savait que Raton Laveur serait beaucoup trop pointilleux (curieux, et aussi bizarrement affecté par son comportement, Coup de Foudre soupçonnant que c'était par "altruisme") pour fermer ainsi la discussion:

— « Je me suis pas battu longtemps. Tache d'If – la lieutenante du Clan du Vent – s'est acharné sur moi et a continué à me blesser alors que j'étais inconscient.

Il avait réussi à lui arracher un nom, un grade, une situation alors qu'il ne s'agissait en rien d'une réponse à la question qu'il lui avait posée.

— J'ai donc été mit hors jeux très vite. Nuit Hivernale m'a évacué et m'a amené auprès de Nuage du Firmament qui a pansé mes plaies. Surtout celle-ci.

Celle-ci, la balafre dans la face - Nuage du Firmament, la siamoise qui était proche de Raton Laveur - Nuit Hivernale, la birmane guérisseuse à la tête de Nuage du Firmament. Comme la lumière d'un éclair la scène que lui décrivait Raton Laveur se peignit dans les yeux du bengal qui visualisait sans mal chaque élément se mouver sur le champ de bataille et férocement se faire la guerre.

Et cette explication réveilla sa mémoire motrice : les muscles à ses avant-mains se crispèrent et il se sentit prit d'un hoquet en reprenant son souffle après avoir eu l'impression que des crocs venaient de se planter dans sa gorge, pour l'empêcher de (il inspira) respirer. Un tic de la tête - car cette fois il se rappelait d'avoir été plaqué au sol - ou était-ce plutôt lui qui avait plaqué quelqu'un? Un frisson lui grimpa depuis le bout des griffes à son dos, remontant d'un courant son échine avant de s'arrêter à la froideur de sa tête et se terminer en un tic de l'oreille - celle guérie, dernier vestige de sa relation avec Étoile de Suie (euh, sans compter les enfants).

...En constatant que Raton Laveur s'était arrêté de marcher et qu'il ne s'éloignait pas, Coup de Foudre haussa ses sourcils et baissa les yeux pour se rendre compte, penaud, que ses pattes à lui s'étaient aussi arrêtées.

— « Et toi ? Je suppose que tu as tout vu, tu ne me le demanderais pas sinon.

Le Bengal redressa un peu sa tête, avant de la détourner vers l'avant et reprendre le pas - mais il eut l'impression de tomber. C'est parce-qu'il avait posé sa patte sur une branche cassée et qu'il n'avait pas prévu les quelques centimètres de différence avec le sol et brusquement-- en levant son nez, il vit le feuillage en hauteur du très grand Sycomore, et son train de pensée ne s'interrompit plus seulement, il se dissipa comme de l'eau en vapeur.

Il pesa ses coussinets sur les branche et sa queue ondula, par mimétisme à celle d'une certaine Pupille avec qui il avait passé la terrible nuit de Lune Rouge.

— « Tu as dis "Hors-jeu"?

..."Hors-jeu", avait-on dit au Gambler.

— Tu as dit Hors-jeu— non Tonton, je n'ai pas tout vu, je n'étais pas à l'Assemblée, pas avant que Fifi ne débarque au campement en criant au carnage devant les gosses qui dormaient.

Ses oreilles se plaquèrent sur sa tête.

— Vipère Audacieuse a assassiné quelqu'un, je sais plus qui, et ta lieutenante lui a sauté dessus. Puis sa cheffe. Puis j'ai sauté sur la cheffe (ses griffes étaient sorties et il passa sa langue sur ses babines pour s'empêcher de serrer les dents comme il l'avait fait dans la nuque d'Étoile Vaillante), on s'est acharnés dessus et on l'a tuée. »

Une légèrement brise fit bruisser les feuilles des arbres autour, et Coup de Foudre se tourna pour monter à Raton Laveur non plus son masque souriant mais les profondeurs de son analyse:

— « Elle était "hors-jeu", elle aussi. Momentanément. Et pendant ce moment, je me suis demandé : qu'est-ce qu'on est en train de faire? C'est illogique.

Si la menace était les Lunar Pods, pourquoi ne pas se retourner contre eux et les attaquer? Même Étoile de Suie était d'accord pour le faire. Mais tu l'as vu (son dos se hissa et son expression s'endurcit, accusateur) personne n'avait le coeur de reculer. Avant que je ne rentre dans la bataille, tous les guérisseurs étaient en péril et la seule à avoir seulement posé un geste pour les aider,

c'est la Lieutenante qui t'as déchiré la face.

Ceci dit cependant Coup de Foudre perdit l'intensité de son regard, s'effaçant devant les yeux du vétéran pour abaisser les épaules, retomber la queue et détourner la tête pour flirter des yeux ailleurs.

— Les deux chefs qui étaient morts sont revenus à la vie et ils se sont réunis tous les trois en empêchant au Tonnerre d'intervenir. Ils ont tué Étoile de Suie. Ils l'ont tuée quatre fois.

Un sourire en coin.

— "Pas la tête des grands jours", hein? Qui se crispa.  Je suis resté derrière pour la regarder, au cas où elle se relèverait. Et tu sais ce que j'ai pensé à ce moment là Tonton?

Puis se distordit - et il échappa un gloussement avant d'encourager Raton d'un coup de menton.

— Allez, toi qui semble si bien me connaître maintenant,  devines donc à quoi je pensais.

HRP:

Non --!

Il avait voulu le provoquer et le faire réagir mais il voyait que peu à peu, en se reculant, en imitant le rythme de son souffle, en dilatant ses pupilles, Raton Laveur n'était plus aussi réceptif à jouer les supérieurs qui en savaient plus que lui, à démentir son point de vue, à le remettre à sa place... il avait désormais toute son attention et

— « Tu as vu bien des horreurs.

on s'en fout.

— Finalement je devrais peut être remercier Tâche d'If.

On s'en fout !!

— Je ne sais pas à quoi tu pensais mais je compte sur toi pour me le dire.
— « ... Tu ... comptes, sur moi?

Refroidi devant une telle ouverture (ou devant une telle ouverture feinte, la peur palpable dans les yeux de son interlocuteur au masque sombre venant déranger son train de pensée) Coup de Foudre ne sut où donner de la tête, se sentant soudain terriblement à nu sur le plancher des vaches, un frisson de malaise lui prenant la peau. Un peu par mimétisme, la peur de Raton devint la sienne, et il eut un mouvement de recul, sa queue s'abaissant, ondulant à ses jarrets près de l'herbe haute en baissant son poids dans ses postérieurs... et brusquement il se propulsa vers l'arbre le plus proche (et pas le Sycomore, cette fois) un élan des avant-mains lui faisant planter ses griffes dans son écorce qu'il escalada jusqu'à monter sur une branche, sa longue queue marbrée s'agitant dessous lui.

Il lui semblait que son cœur battait soudain trop vite et que c'était lui qu'on observait maintenant et son seul salut se trouvait dans les ombres du couvert des arbres.

— « Tu m'énerves. »

Il lui en avait peut-être trop dit - ou il ne lui en disait pas assez, il brûlait de lui en dire plus, mais - il y avait trop de variables qui dansaient dans sa tête. Il avait vu des horreurs d'accord, mais ce n'était pas ce qu'il avait voulu lui montrer, il avait voulu lui souligner son hypocrisie - celle de tout le Clan, et lui faire comprendre la raison qui expliquait qu'il se tempérait devant les membres pour ne pas se moquer de leur deuil sans quoi-- BORDEL, ça avait été si facile d'expliquer tout ça à Fifi, pourquoi Tonton était si bizarre?

Pourquoi Tonton était si... bizarre ??

Son poil se hérissa et ses pupilles engloutirent la presque totalité de son œil, trop concentré sur l'abstraction de toutes ces pensées car pourquoi Raton Laveur avait pitié de lui !?

En s'illustrant le portrait de Raton Laveur en tête, il vit sa cicatrice, s'imagina Tache d'If s'acharner dessus jusqu'à lui donner, il se vit se déplacer sur le champ de bataille sans participer avant de trouver Vipère Audacieuse - il vit une chatte à la fourrure couleur soir protéger Nuage de Mouche et un poids lui pesa sur les épaules, ou du moins, il en eut "l'impression", car sa tête n'était pas gelée jusqu'à ce qu'elle se réchauffe, elle était gelée et tout espoir de rétention de ressenti était morte dans le blizzard avec son frère Tonnerre - ainsi que, avouons-nous le, une très large section de sa reconnaissance faciale et de ses mémoires visuelles.

HRP:

« Je compte sur toi » tâcha de le rassurer Raton-Laveur, mais impossible de lui faire confiance - cet individu avait beau être dans ses bonnes grâces, après avoir appris de lui qu'il caressait les mêmes rêves de cohésion entre les quatre Clans, il l'avait quand même traité d'ordure à leur première rencontre (ou du moins, la première rencontre que le bengal se rappelait...).

Coup de Foudre n'était pas affecté par l'insulte - seulement par la sentiment qui en tirait sa souche, qui lui faisait s'interroger si la haine de Raton-Laveur à son égard ne découlait pas d'un sentiment plus profond que son vœu de protéger Nuage du Firmament.

— Tu peux te confier, me dire les choses. Il n'existe pas que des manipulateurs ici. Je sais très bien que d'une certaine manière tu étais attaché à Étoile de Suie. La voir disparaître ainsi à dû être une torture. »

Les oreilles du bengal s'abaissèrent, car Fifi l'avait placardé à ce sujet. La mort était horrible - une exécution publique encore pire, mais il savait qu'elle célébrait pas-si-secrètement le jugement final de la grosse meneuse. On ne pouvait pas en dire autant pour le bengal, qui avait trouvé sa stabilité dans l'instabilité et le chaos des décisions d'Étoile de Suie. Et avec les frères Vautour à la tête du Clan, il avait l'impression que la réforme des choses ne serait plus d'ordre chaotique mais d'ordre militaire, et après une telle guerre...

Raton-Laveur avait grimpé son arbre et avait frotté son épaule contre la sienne, sortant le bengal de sa réflexion, lui arrachant un hoquet, un grondement - le genre de montée de voix qu'il ne faisait presque jamais - qui s'éteignit d'un coup de vent dans la fumée d'un soupir. Coup de Foudre se laissa retomber contre le guerrier masqué, la tête sur son épaule, le dos en courbe, sa queue cessant de s'agiter autant. Il ne voulait plus l'écouter et il avait envie de casser leur branche pour qu'ils tombent mais la proximité et le contact avaient suffis pour le hameçonner.

— « Tu dois admettre que tu as besoin d'aide Coup de Foudre. C'est un passage difficile mais je serai là pour t'aider à le surmonter même si je ne suis pas en accord avec chacun de tes actes.
— ... Qui tu crois berner, Tonton? grommela le Bengal, étouffé dans la fourrure grise du guerrier contre qui il reposait.

Ça m'énerve. Tu m'énerves. La mort d'Étoile de Suie m'énerve, parce-que tout le monde est ennuyant maintenant. »

Il entrouvrit ses paupières, mais fuit le regard sur le ôté, ignorant volontairement les risques d'une telle révélation.

— « Je me fiche que tout le monde la détestait, au moins, elle n'était pas contre un coup de langue, elle. (Il serra ses dents ensemble, qui s'alignèrent d'un clap, puis se passa la langue sur les babines) Même si je voulais en donner un aux frères Vautour, tu as vu leur tête? Ils sont encore plus rabats-joie que toi.

Ses pupilles s'arrondirent, il écarta la tête et dressa une oreille en gardant l'autre pivotée, rallumant son visage d'un demi-sourire d'embarras:

— ... Sans vouloir t'offenser. »