Parce que pêcher c'est difficile -end

— « Pas la peine d'être aussi formel avec moi, Rusty. Tu peux m'appeler par 'tu' - à moins que tu ne souhaites le contraire, bien sûr.
— J-je, et Rusty se tut car sinon les étincelles dans ses yeux se seraient versées de sa bouche.

Il déglutit, hocha la tête d'un geste succinct et c'était bizarre mais on aurait dit que le froid l'affectait moins, tout d'un coup...

— Quant à ta question, oui, je sais pêcher. Son nouvel ami se fit plus Brasier que Glacial en expliquant: Le Clan de la Rivière tout entier sait pêcher, c'est quelque chose d'essentiel pour nous. Et par rapport à la question que tu n'as pas encore posée, oui, je compte t'apprendre.

Incapable de ficeler d'autres syllabes ensemble l'Abyssin fut réduit à émettre des sons, ici, un petit piaillement de surprise qui firent se pointer très haut ses oreilles, raidissant sa queue dans la neige. Il l'agita, traça un sillon à la surface de la neige, et tâcha de se hisser sur quatre pattes tremblotantes pour se rapprocher du cours d'eau avec le chat à fourrure vive - mais à une certaine distance, tout de même! Il craignait que ses tremblements ne dérangent les ombres sous la surface de l'eau... Alors il s'installa en miche cannelle, à nouveau, mais plus détendu que plus tôt, buvant d'yeux azurs la prestesse de cet autre chasseur qui se mit en joue.

Lorsque Brasier Glacial perça la surface - et le mouvement fut si rapide que les pupilles de Rusty s'étaient dilatées sans prévenir au coup - sa patte dut bien tremper jusqu'à la jonction de son poignet car il hameçonna sans trop de difficulté une ombre qui ondoyait dessous. Rusty se hérissa et se retrouva sur quatre pattes lorsqu'un éclair d'argent et irisé sortit des eaux et tomba près de lui en frémissant.

— « Mii--
Avec une carapace comme celle des voitures, ou la transparence du verre des fenêtres--
— « Mais d'abord, mange un peu. C'est pas dans cet état là que tu vas arriver à sortir ton premier poisson de l'eau.

Les oreilles de Rusty s’aplatirent de chaque côté de sa tête et il rentra un peu la tête entre les épaules, s'avançant d'un prudent pas vers ce qui avait été appelé un "Poisson".

Brasier Glacial se chargea de "l'étouffer", d'un coup de dent - sa méthode laissait à désirer selon un chat qui s'auto-proclamait non-tueur mais il apprécia l'offre en souriant au guerrier pour se pencher sur la proie.

— Je, je remercie Brasier Glacial de partager sa proie, ainsi que la Fée des Étoiles de l'avoir mise sur son chemin...

Il souffla son air froid et tenta un premier coup de dent, mais bien vite se fit plus gourmand - ses dents étaient longues, le tartre s'accumulait sans humain pour lui brosser les dents et toute la tension qu'il avait mit dedans à force de traîner des sacs de croquettes n'avait pas du les aider mais quelle joie, quel plaisir de pouvoir manger quelque chose d'aussi tendre, reconnaissant dans sa série de bouchées ce qui semblait être le goût d'un pâté...

Les truites ne font pas de saumons, mais laissez, rien que cette fois, un abyssin rêver.

Le solitaire - car sûrement, ce ne pouvait être un domestique, si ? - s'avança à petits pas hésitants de la proie, un peu crispé, ou intrigué peut-être. En même temps, c'était visiblement la première fois qu'il voyait quelqu'un pêcher, et réussir à sortir un poisson de la rivière. Néanmoins, il finit par me sourire. Cela me réchauffa un peu le cœur, bien que je ne lui rendis pas son sourire. Ça faisait toujours plaisir de voir un peu de gratitude lorsque l'on rend un service à quelqu'un, et encore plus quand ça avait l'air sincère.

Je fus surpris de le voir attendre un peu avant de goûter à la pièce de gibier, le temps de prononcer quelques mots :

"Je, je remercie Brasier Glacial de partager sa proie, ainsi que la Fée des Étoiles de l'avoir mise sur son chemin..."

Entendre un chat extérieur au clan évoquer les Étoiles piqua ma curiosité. Je me retins de lui poser la question immédiatement, tout de même : je le laissai profiter de la truite. S'il prit quelques précautions au début, le temps de goûter un peu la chair, il les oublia bien vite, et le poisson fut bien vite oublié, lui aussi. Je me demandais toujours d'où il tenait sa référence aux Étoiles. En chassant, bien sûr, c'était l'habitude de remercier le Clan des Étoiles d'avoir mis une proie sur notre chemin - mais la plupart d'entre nous ne le disions pas si souvent à voix haute. Comment avait-il pu apprendre cela ?

"Tu as déjà entendu parler du Clan des Étoiles, Rusty ? Je n'ai pas souvent croisé de solitaires, et encore moins de solitaires qui remercient les Étoiles avant de manger." lui demandai-je directement, par curiosité.

Dans d'autres circonstances, je n'aurais pas posé une telle question, mais maintenant que j'avais décidé de l'aider, peut-être était-il temps d'en apprendre un peu plus. Peut-être pourrais-je trouver un ami en ce solitaire, qui sait ?

— « Tu as déjà entendu parler du Clan des Étoiles, Rusty ? Rusty ne répondit pas tout de suite, mais il eut au moins la politesse de lever les yeux de son repas pour regarder son interlocuteur et redresser bien hautes ses larges oreilles noires. Je n'ai pas souvent croisé de solitaires, poursuivit Monsieur Brasier, et encore moins de solitaires qui remercient les Étoiles avant de manger.

— Euh, comment dire.

Il avala sa bouchée, sans se rendre compte que ses yeux pétillaient quant à cette explosion de saveur en bouche. Ce n'était pas la même chose qu'un pâté - c'était encore mieux! Mais comment dire, par où commencer? Il y avait beaucoup de choses à corriger dans ce que supposait Monsieur Brasier. Rusty se redressa un peu en sentant déjà quelques forces revenir. Manger l'avait réchauffé, aussi, mais il ne put empêcher un frisson de le faire vivement se secouer avant de parler.

Mais en ouvrant la bouche il se raidit car il vit devant lui, dans les yeux de ses pensées, une sombre figure à poils et à plumes noir/es lui feuler au nez « qu'il ne voulait pas savoir son histoire, ils n'étaient pas potes ». D'un

autre côté, Monsieur Brasier lui avait posé une question directe, alors il desserra un peu ses mâchoires, et rouvrit la bouche, la voix rauque au début comme il secouait doucement sa tête.

— « C'est... plus compliqué que ça, ah-ha... J'ai - il se mordit la langue. J'avais, une amie au Clan de l'Ombre. Elle prêchait beaucoup.

Il haussa une épaule, sur un sourire triste, un sourire de rien mais pesé par tout. Il abaissa une oreilles et relança Monsieur Brasier: Je ne suis pas solitaire depuis longtemps... avant, je vivais dans une maison. »

Nouveau sourire, plus forcé, plus meurtri, plus peiné, comme quoi il expliquait peut-être qu'un chat à la prime de son âge ne soit aussi mauvais chasseur. Il eut une pensée pour Madame Fée, la fée des Étoiles, et il se pencha pour profiter de son cadeau à quelques coups de dents à nouveau, mais après quoi il poussa légèrement la jeune truite du nez pour en offrir à Monsieur Brasier.

— « Oh- je suis désolé, c'est quand même vous qui l'avez euh-- (quel était ce mot déjà? Ah oui) "pêché" ! »

Je dois bien dire que c'était assez agréable de parler avec Rusty, même si jusque là peu de choses étaient dites. C'était évident que l'abyssin connaissait le respect, presque un peu trop de manières à mon goût, même. J'espérais simplement que je lui rendais assez bien la pareille, à ma façon, malgré mon caractère. Bien qu'il soit en train de déguster le poisson, je me sentais écouté, comme l'étranger semblait me prêter une oreille attentive. Après que j'ai fini de poser ma question et d'expliquer vite fait pourquoi je lui demander - histoire de pas passer pour un espion ou je ne sais quoi ! -, Rusty sembla commencer à répondre, mais le seul son qui sortir de sa bouche fut "Euh." Je me demandai si je n'avais pas peut-être déjà demandé quelque chose de trop personnel. Souvent, quand on ne connaît pas trop le chat à qui on parle, on pose des questions inappropriées sans s'en rendre compte...

" C'est... plus compliqué que ça, ah-ha... J'ai - J'avais, une amie au Clan de l'Ombre. Elle prêchait beaucoup." finit-il par répondre, un peu hésitant. Je ne savais pas si j'avais touché à un sujet sensible, ou s'il n'avait pas trop envie de me répondre tout court. Faisant de mon mieux pour ne pas laisser transparaître toutes ces pensées, j'écoutai attentivement ce qu'il avait à dire de plus. " Je ne suis pas solitaire depuis longtemps... avant, je vivais dans une maison." Voilà qui expliquait pourquoi il avait semblé si faible au bord de la rivière, toute à l'heure. C'était sans doute son premier hiver en liberté, et rien n'était facile, par cette saison. "Je vois..." répondis-je simplement, doucement, réponse typique de félin introverti. Au moins, il m'en avait dit un peu plus sur lui, alors peut-être ne l'avais-je pas froissé, finalement.

Puisqu'il reprenait son repas, je décidai de ne plus l'interrompre jusqu'à ce qu'il ait fini. Mais soudainement, Rusty sembla revenir à ses esprits, comme s'il s'était perdu dans ses pensées pendant quelques instants. "Oh- je suis désolé, c'est quand même vous qui l'avez euh-- "pêché" !"

Et encore des manières, et même si c'était très gentil de sa part, je commençais à avoir ma dose de diplomatie. Mais je décidai de ne pas le reprendre là-dessus après tout, les vieilles habitudes ont la vie dure... Je répondis simplement :

"Non merci. C'est gentil de penser à moi, mais je suis parti de mon camp pour chasser, et je n'ai donc pas le droit de manger avant de revenir au camp avec mes proies." Je pris une petite pause avant de continuer, "Sinon, ce serait enfreindre le Code du Guerrier - dont tu as peut-être déjà entendu parler, puisque tu connaissais des chats de Clan ? En tout cas, je préfère respecter les règles."

Je fis bien attention à parler de ses "connaissances" au passé, comme il l'avait fait. Je savais que ça n'empêcherait sûrement pas certains souvenirs de remonter à la surface, mais au moins, il ne pourrait pas m'en vouloir pour si peu. Et honnêtement, maintenant que nous avions un peu échangé, ça m'aurait vraiment dérangé d'installer moi-même une certaine rancœur entre nous.

Rusty se dit à cet instant qu'il était chanceux - que la bonne Fée des Étoiles veillait sur lui, là-haut, en mettant sur son chemin des chats capables de l'écouter sans l'interrompre ou sans cracher sur l'expérience de son passé. Monsieur Brasier refusa poliment son offre de partager:

— « Non merci. C'est gentil de penser à moi, mais je suis parti de mon camp pour chasser, et je n'ai donc pas le droit de manger avant de revenir au camp avec mes proies.
— Oh..! Alors permettez-

Sans perdre une seconde Rusty tendit sa patte vers la carcasse de la petite truite pour la ramener vers lui - les bouchées qu'il prit ensuite se firent gourmandes, savourant le repas qui lui était entièrement destiné sans l'obstruction d'avoir à la partager. À ne pas s'y méprendre, il aimait partager, seulement l'hiver était rude, Monsieur Houx ne pouvait pas toujours chasser pour lui et il avait faim. Il avait besoin de toute l'énergie de ce poisson pour réussir à en pêcher d'autres et survivre. Ça avait le goût de pâté, alors pour lui, les poissons étaient maintenant de petits pâtés ambulants qui glissaient sous les eaux.

— « Sinon, ce serait enfreindre le Code du Guerrier - dont tu as peut-être déjà entendu parler, puisque tu connaissais des chats de Clan ? En tout cas, je préfère respecter les règles.

— Gnoui, ch'est le code qui vous jinterdit de manger des croque'qchttes? - au postillon qui l'échappa il se hâta de déglutir, une patte devant la bouche, « oups! Héhé, pardon!... »

Bientôt les arêtes transparurent au travers des filets et Rusty dut s'y fourrer le nez et une patte, veillant à les picorer jusqu'au bout. Il passa sa langue sur toute la zone de ses babines, puis de son nez, poussant un petit ronron ravi. Volontiers, il en voulait d'autres, des comme ça! Mais avant qu'il ne prévienne Brasier Glacial qu'il était fin prêt à écouter sa leçon, il plongea, les yeux noirs, dans les entrailles du poisson avant de vite se reculer d'un glapissement.

— MMI-- »
C'est qu'à n'avoir mangé que des pâtés de poisson dans sa vie il n'avait jamais vu d'arrêtes. Les oreilles basses:

— « Monsieur Brasier, le poisson s'est vengé!...

Suivant ma remarque, Rusty reprit le cours de son repas, dégustant - mais sans le style que ce mot laisse entendre ! - peu à peu le poisson que j'avais sorti de l'eau. J'attendis simplement la fin de son repas, que le chat couleur cannelle ait repris quelques forces, bien qu'une simple truite ne suffise pas à remplir l'estomac d'un chat affamé. "Gnoui, ch'est le code qui vous jinterdit de manger des croque'qchttes ?" me demanda-t-il, toujours avec un peu trop de politesse à mon goût mais surtout avec un petit missile de salive qui fusa dans les airs. "Oups ! Héhé, pardon !..."

"Des... des quoi, tu dis ?" lui répondis-je. Des croquoi ? Jamais entendu parler... Enfin, je suppose que c'est de la nourriture de domestique ? Je décidai de répondre comme si c'était le cas. "Je sais pas trop ce que c'est... Mais oui, on n'a pas le droit de vivre comme des domestiques. Je suppose que si la règle existe, certains ont pu être tentés par le passé... Moi, en tout cas, ça ne me donne pas envie, même pas pour l'expérience. Je suis bien dans la forêt, près de la rivière !" La fin de mon court laïus fut ponctuée d'un petit cri de... douleur ?

"Monsieur Brasier, le poisson s'est vengé !..."

Sans mentir, cette réaction me soutira un léger sourire amusé. Finalement, les domestiques étaient peut-être un peu comme des chatons sur ce point : ils ne connaissaient vraiment pas grand chose de la survie dans la nature ! Plus qu'à espérer que Rusty apprenne un peu plus vite qu'un chaton de six lunes - je ne comptais pas répéter des dizaines de fois les mêmes conseils ! "Ce sont juste des arêtes. Ce sont les os du poisson, en quelque sorte. Fais un peu attention avec et tout ira bien !"

Patient, j'attendis que l'abyssin s'en sorte avec les arêtes avant de commencer une quelconque forme de leçon. J'avais eu deux apprentis avant, mais je dois bien dire, jamais tels que Rusty !

Avec les pattes dans la neige, comme ça, une douleur lui prit au poitrail à l'emplacement de ses trois cicatrices lorsque l'explication de Monsieur Brasier se juxtaposa aux mots d'une certaine Tache-d'If-Lieutenante-du-Clan-du-Vent qui lui glaça le sang:

« Je sais pas trop ce que c'est... Mais oui, on n'a pas le droit de vivre comme des domestiques. Je suppose que si la règle existe, certains ont pu être tentés par le passé...

Le code du Guerrier nous interdit de toucher à la nourriture des Bipèdes. Tu peux donc repartir avec ton « sac de croquettes »

« Moi, en tout cas, ça ne me donne pas envie, même pas pour l'expérience. Je suis bien dans la forêt, près de la Rivière ! »

Bien sûr qu'il était bien, il était chez lui, dans sa "maison" sans plancher ni toits, sans murs ni salle-de-bain, toilettes, foyer, salon, chambre à coucher, lit moelleux... Et Rusty en oublia presque l'attaque du poisson dans sa bouche, ne le regardant plus avec le même appétit, puisqu'il sentait sa langue se nouer dans sa bouche, mais aussi sa gorge, ses boyaux respiratoires, et son coeur se coincer dans tout ces noeuds nés de son malaise.

— Ce sont juste des arêtes. Ce sont les os du poisson, en quelque sorte. Fais un peu attention avec et tout ira bien !

Rusty hocha la tête, baissa les yeux et tenta de se changer les idées avec une petite blague :

— Oh, elles portent bien leur nom je trouve... Elles m'ont dit "arête" de manger!

Impossible de cacher à Monsieur Brasier ses grandes oreilles basses, qu'il redressa un peu, cherchant à reprendre du poil de la bête "sauvage" qu'il devait devenir s'il comptait survivre l'hiver. Il eut un petit rire, se secoua de long en large comme un chien pour se débarrasser des flocons de neige qui avaient collé à son poil et ancra ses pattes au sol, ouvrant grand ses yeux d'azur:

— Je suis prêt, Monsieur Brasier.

Une ambiance étrange s'installa le temps de quelques instants. Toutefois, je n'eus pas le temps de comprendre pourquoi, puisque Rusty vint détendre l'atmosphère avec une blague. "Oh, elles portent bien leur nom je trouve... Elles m'ont dit "arête" de manger !" Je souris doucement en entendant son jeu de mots. J'eus soudainement l'impression que la dernière fois que j'avais entendu une blague remontait à bien longtemps. Pourquoi ? Des temps bien sombres étaient passés sur la forêt, récemment, mais maintenant c'était fini. C'était comme si... Comme si les félins du Clan de la Rivière peinaient à retrouver leur bonne humeur passée.

Enfin, ça ne servait à rien de revenir là-dessus - en tout cas pas maintenant, et ce n'est pas seul que j'allais changer quelque chose sur ce point. Je n'étais pas mon oncle. Le félin solitaro-domestico-c'est-compliqué se redressa, se débarrassant de la neige qui avait osé s'accrocher à son pelage. Puis, concentré et avec un air de détermination, me miaula : "Je suis prêt, Monsieur Brasier."

Monsieur Brasier ? Alors ça, c'était bien la première fois que je l'entendais. Monsieur, monsieur... Qu'est-ce que ça pouvait vouloir dire ? Était-ce une moquerie, de l'ironie, du sarcasme ? Pourtant, jusque là l'abyssin ne m'avait montré que du respect... Peut-être était-ce ça, après tout. En tout cas je l'espère.

"Bien. Allons-y alors. Approchons-nous de l'eau, tu veux bien ?"

Je fis quelques pas pour traverser les quatre ou cinq longueurs de queue qui nous séparaient du bord de la rivière. Je m'arrêtai au bord, attendant que Rusty fasse de même. Une fois qu'il fut installé à côté de moi, je commençai à expliquer quelques choses utiles.

"Si tu veux pêcher avec succès, ce qui compte avant tout, c'est la rapidité d'exécution. Le poisson n'attendra pas gentiment devant toi pour que tu puisses le cueillir comme une plante. Puisque visiblement tu n'as jamais pêché, ne t'attends pas forcément à y arriver à tous les coups - pour beaucoup, ça demande de l'entraînement, alors pas d'inquiétude."

Je fis une pause dans mon monologue explicatif, jetant un coup d'oeil à Rusty, m'assurant que la leçon ne tombait pas dans les oreilles d'un sourd. Je regardai aussi rapidement le ciel. Surchargé de nuages, le soleil ne semblait pas sur le point de percer à travers ; tant pis.

"Mais savoir attraper un poisson, ça ne fait pas tout. Puisque pour l'attraper, encore faut-il le voir. Aujourd'hui pas de chance, il n'y a pas de soleil, donc les proies qui passent par ici ne reflèteront que très peu de lumière. En temps normal, la lumière se reflète sur les écailles, et même dans une eau agité, on peut voir le poisson très clairement. Cela dit, ce n'est quand même pas impossible de les repérer, même sans le soleil pour nous aider. Cherche dans l'eau des masses de couleur anormale, un peu grises ou argentées."

La théorie et les conseils, c'était bien beau, mais maintenant il fallait passer à l'action. Je n'avais pas encore tout dit au chat couleur cannelle, mais c'était suffisant pour de premiers essais. De toute façon, la plupart des conseils relèvent du bon sens après tout.

"Enfin, assez parlé pour l'instant, il est temps d'essayer, non ? Vas-y, approche-toi bien du bord de l'eau, et regarde bien droit dans la zone qui est devant toi. Quand tu vois quelque chose passer, sois vif et tente ta chance."

— « Bien. Allons-y alors. Approchons-nous de l'eau, tu veux bien ?

C'est ce qu'il fit.

C'était insensé à quel point un seul poisson dans son estomac (avait-il seulement eu le temps de descendre jusque là?) venait de faire des miracles quant à son attitude et surtout son énergie. Plus il mangerait mieux il chasserait, mieux il chasserait eh bien plus de chances il aurait de survivre. Et Rusty ne plaisantait pas avec ça.

Rusty ne plaisantait pas avec la mort. Alors il ne plaisanterait pas avec la chasse.

— « Si tu veux pêcher avec succès, ce qui compte avant tout, c'est la rapidité d'exécution.

L'eau ondoyait malgré le froid sous ses coussinets. Il tentait de regarder au travers comme le faisait Monsieur Brasier. Ce-dernier était tellement habitué - ce dernier connaissait tellement la rivière qu'il se demanda un instant s'il ne voyait pas directement les galets du lit.

— Le poisson n'attendra pas gentiment devant toi pour que tu puisses le cueillir comme une plante. Puisque visiblement tu n'as jamais pêché, ne t'attends pas forcément à y arriver à tous les coups - pour beaucoup, ça demande de l'entraînement, alors pas d'inquiétude.

C'est avec l'habitude que ça devient une aptitude - Rusty hocha la tête, et le coup d'oeil de Brasier fut reçut par un sourire entendu, et deux larges oreilles noires bien à l'écoute de la leçon. Lorsqu'il leva les yeux au ciel, Rusty fit pareil.

— Mais savoir attraper un poisson, ça ne fait pas tout. Puisque pour l'attraper, encore faut-il le voir. Aujourd'hui pas de chance, il n'y a pas de soleil, donc les proies qui passent par ici ne reflèteront que très peu de lumière.

Rusty baissa immédiatement d'yeux ronds sur son professeur. « Oh !! »

— En temps normal, la lumière se reflète sur les écailles, et même dans une eau agitée, on peut voir le poisson très clairement. Et il les baissa sur l'eau, sa queue prise d'un rapide mouvement de la queue en sentant l'anticipation le gagner. Cela dit, ce n'est quand même pas impossible de les repérer, même sans le soleil pour nous aider. Cherche dans l'eau des masses de couleur anormale, un peu grises ou argentées.
— Argentées...?

Un flash d'argent lui passa devant les yeux et il se raidit alors, tout au bord de l'eau, en sentant des picotements lui prendre à l'épaule et plus particulièrement en dessous, à l'opposée de celle où se trouvait sa cicatrice visible. Inspire... Expire... Il n'y avait pas de griffes d'argent ici, il parlait d'écailles, il parlait de poissons, mais...

— Enfin, assez parlé pour l'instant, il est temps d'essayer, non ? Vas-y, approche-toi bien du bord de l'eau, et regarde bien droit dans la zone qui est devant toi. Quand tu vois quelque chose passer, sois vif et tente ta chance.
— Être vif...

Rusty prit son courage à deux pattes, en ronflant du nez, secoué d'un frisson de froid autant pour se dégourdir que pour se réchauffer. Et il imita Monsieur Brasier : en s'installant au bord de l'eau, plus près que jamais, sur la pente de la berge, il immobilisa son dos et sa queue derrière lui et leva le nez pour regarder le ciel : pas de soleil, il le savait, mais c'était le protocole, alors il le redescendit sur l'eau et sortit nerveusement sa patte. Le poisson n'allait pas attendre qu'il le cueille, il allait passer directement, cela signifiait qu'il devait anticiper le poisson - jusque là Rusty comprenait.

Quelque chose - et Rusty fut vif, peut-être un peu trop merci son agilité, et son jab à la surface se fit trop d'avance et fit réagit le poisson sur son chemin à bifurquer brusquement de la queue pour le contourner et il s'en fut.

Rusty se mit à pépier sur place, fronçant ses sourcils blancs, toisant la direction par laquelle s'était enfuie le poisson. Mais quel!! Mais il!! Et son dos s'arrondit, il se mit à battre de la queue, et il s'affaissa sur l'arrière-train pour à nouveau se mettre en joue, piqué au vif. Y'a pas à dire, pêcher, c'était difficile!!