L'invitation au voyage ○ Pluie ♥ -end

Papillon Blanc l'observait depuis quelques temps déjà. Elle savait bien que Pluie Battante se levait toujours après elle, elle profitait donc parfois de ce temps précieux où elle oscillait entre rêve et réalité pour regarder son ancien apprenti du coin de l’œil. Désormais, elle avait Nuage d'Ambroisie à sa charge, mais prenait toujours le temps d'aller discuter avec Pluie, même si elle était épuisée ou pas vraiment d'humeur, sa présence la calmait à chaque fois.

Depuis qu'il avait rejoint la tanière des guerriers et que la terrible sentence d'Etoile de Pierre lui avait été infligée, Papillon Blanc le considérait moins Pluie Battante comme son apprenti que comme son égal. Dans leurs conversations, elle sentait qu'elle ne lui parlait plus comme à un enfant. Elle respectait ce qu'il avait vécu et avait tenté d'être présente dès qu'il montrait ne serait-ce qu'un seul signe de baisse de moral. Elle osait espérer que cela lui avait été bénéfique, et avoir parfois peur d'être un peu trop insistante - voire effrayante.

Malgré ses appréhensions, elle songea qu'ils n'avaient pas eu vraiment de moment seul à seule, loin des autres, des activités quotidiennes, des mots échangés autour d'une souris partagée entre deux patrouilles. Elle aurait aimé aller changer d'air, pourquoi pas proposer au mâle de la suivre ? Elle se dirigea donc vers la couche du félin une fois qu'elle l'ait vu ouvrir les yeux, et souffla :

« Pluie ... Eh, gros flemmard ... Tu viendrais te balader avec moi, aujourd'hui, si tu n'as rien à faire ? »

Valery, Amy Winehouse

Sa queue battait un peu nerveusement au rythme de son cœur – un peu accéléré, un tout, tout petit peu en voyant Pluie sourire. Elle aimait le voir heureux. C’était normal, non ? Elle l’aimait beaucoup. Elle l’aimait comme on aimait un apprenti auquel on avait tout dévoué, des heures, des jours, des lunes. C’est ça, elle l’aimait à cause du temps qu’il avait passé pour lui. Il était devenu pour elle unique au monde, et elle espérait l’être pour lui aussi, au fond.

« Bien sûr que je viens. Laisse-moi juste faire ma toilette, s’il te plaît. Cœur de Bruine gigote tellement qu’il m’a envoyé de la mousse sur la tête durant la nuit. »

Elle ronronna de plaisir et d’amusement en se dirigeant vers la sortie de la tanière des guerriers, afin de laisser le temps à Pluie de se faire un brin de toilette. Cœur de Bruine ne lui adressait que rarement la parole, et souvent leurs conversations tournaient exclusivement autour de Pluie Battante – ils ne se parlaient donc jamais vraiment. Le jeune guerrier sortit de la tanière, rayonnant.

« Voilà, je suis prêt, désolé de t’avoir fait attendre. Tu veux que l’on aille où ?
- Euh j- j- ‘sais pas … »

Oh bon sang reprends-toi … Depuis quand tu perds tes moyens devant ton ancien apprenti, Papillon ? se sermonna-t-elle en son for intérieur. Papillon Blanc évitait de le regarder dans les yeux. Pluie avait grandi, et le regard de la guerrière changeait sur lui, elle s’en rendait bien compte, mais tentait d’étouffer ses sentiments. Ces derniers jours, elle savait bien qu’elle avait agi d’une manière parfois ambiguë avec lui et s’en sentait mal à l’aise. C’était indécent, de tomber sous le charme de son ancien apprenti, si jeune, si neuf dans la vie du Clan ! Et puis, il pouvait trouver mieux qu’elle …

« La prairie. La prairie, ce serait bien, non ? Il y a des plantes et pas la rivière. La rivière … tu sais que je travaille sur ma peur, enfin notre peur au final, mais là j’ai … j’ai juste envie qu’on passe un bon moment, du style euuuh- … sans prise de tête ? Sans qu’on parle du fait que tu retrouves des souvenirs ? ou que tu retrouves des capacités ? Même si hein c’est TRÈS TRÈS TRÈS bien et que ça me rend super heureuse de le savoir mais j’aimerais beaucoup qu’on parle de trucs plus légers genre euh- euh- la euuuh … couleur que tu préfères ? »

Elle s’arrêta de parler en se rendant compte de la stupidité de sa question, et marmonna en baissant son museau rougissant :

« Je parle vraiment trop, parfois … »

Elle donna un petit coup de patte à une fleur de coucou puis se balança d’une patte sur l’autre, priant pour que Pluie Battante sache briser le silence gênant qu’elle avait encore une fois installé.

HRP :

Il rit comme une étoile-grelot. Papillon Blanc le regarde de ses yeux bleus hagards, elle hésite à rire avec lui mais se contente finalement d’un rictus malaisé.

« Pardon, excuse-moi. Je n’ai pas a rigolé, mais tu étais un peu drôle, je l’admets.

Elle cligne des yeux, hausse les épaules. Elle a l’habitude d’être l’amie rigolote, un peu maladroite, un peu amusante.

« La clairière, ça me va bien comme destination. J’aime bien cet endroit. Même si j’ai beaucoup moins peur de l’eau depuis que j’ai été forcé de plonger une tête avec Matin Embrasé pour fuir un renard. »

La guerrière frissonne. Elle se rappelle qu’il lui a raconté cette histoire dans les grandes lignes, mais elle ne l’aime pas trop. Elle n’aime pas l’imaginer blessé, ça lui fait un peu peur. Pendant qu’elle marche, elle réfléchit à toute allure, à la recherche de quelque chose, n’importe quoi d’intéressant à dire, pour que Pluie ne pense pas qu’elle ne veuille pas parler, mais c’est finalement lui qui prend la parole. Elle pouffe quand il ne se rappelle plus si son souvenir est issu d’un rêve, rougit un peu quand il la complimente, bafouille un « merci … » inaudible, incapable de savoir où se placer sous cette pluie de douces paroles.

« Tu as vu les petits de Perche Farouche ? Ils sont adorables, non ? J’aime beaucoup les chatons. J’espère qu’un jour, j’en aurais. »

Son expression hésite entre la déception et l’amusement. Pluie Battante, papa, ça c’est une idée ! Mais avec qui aurait-il des chatons ? …

« Oh … Oui, oui, je les ai vus ! C’est vrai qu’ils sont mimis, comme presque tous les chatons, non ? J’aime bien aussi les tout-petits … Il y a tellement de choses merveilleuses qui se passent dans leurs toutes petites têtes ! »

Elle se dandine un peu en marchant, regardant à gauche, à droite, en haut, en bas, l’air de ne rien chercher de particulier tout en tentant de trouver la formulation parfaite pour ce qu’elle avait à dire.

« Tu serais un chouette papa … Mais il faudrait une maman pour ça, hein ? Tu vas pas faire des bébés tout seul hahaha ! »

Elle rit quelques instants, amusée par sa propre blague, un peu plus détendue qu’avant, espérant qu’elle ferait passer sa prochaine question l’air de rien :

« D’ailleurs, tu … »

Elle s'arrête. Elle va le dire. Elle va finir sa phrase. Elle le regarde quelques fractions de seconde, puis finit par continuer de marcher, ajoutant distraitement :

« En fait c'est rien, oublie. Tu as pu un peu jouer avec les chatons ? Tu aimes bien qui parmi eux ? »


D’ailleurs, tu aimes quelqu'un, toi ? … Si seulement elle avait le courage de vraiment lui poser la question …

Flapper girl, the Lumineers

Quand Pluie Battante haussa les épaules, Papillon abaissa son regard. C’est idiot d’avoir dit ça, songea-t-elle en rougissant de honte.

« Oui, ils sont si vivants ! C’est un plaisir de les garder à la place des Reines ! Puis, je les trouve tous adorables à leur façon. Et toi ? Y en a un que tu préfères dans la portée ? T’aimerais bien avoir une portée ? Désolé si ma question est indiscrète. »

Les yeux de la guerrière devinrent deux soucoupes. On aurait dit une apprentie à laquelle on demandait qui était son amoureux, et elle se confondit en gargouillements inaudibles avant d’articuler :

« J’en préfère aucun. Ils … Ils sont tous mignons, et puis, tous les chatons sont mignons, non ? »

Elle avait vraiment posé une question, à la recherche de l’approbation de Pluie Battante. Elle n’était jamais trop sûre de ce qu’elle affirmait, était incapable d’assumer ses propres opinions et préférait s’écraser devant l’avis des autres. Mais fallait-il vraiment qu’elle se diminue face à Pluie, qui ne demandait rien que de passer du temps avec elle, sans rapport de force, sans jugement ? Elle avait du mal à le concevoir …

« T’es toujours direct sans être méchant, c’est … une grande qualité, je pense. J’aimerais bien avoir une portée, oui. Et avoir un bébé qui s’appelle Petite Vibrisse, ou Petite Griffe, ou encore Petit Ventre … oh oui, c’est mignon, ça, Petit Ventre, tu ne trouves pas, Pluie ? Ça ferait pas un beau nom pour un bébé ? »

Elle promena son regard étincelant sur le guerrier, guettant sa réponse comme si elle attendait qu'il approuve les noms de leur portée, avant de se raviser et que les étoiles de ses yeux ne s’éteignent une à une :

« Enfin … Pas comme si … Tu vois … Pas comme si j’imaginais quoique ce soit hein hahaha ? Genre entre nous … Elle fixait Pluie Battante avec un sourire figé, qu'elle abandonna avant d'ajouter à voix basse : Mais merde je peux jamais dire des trucs sans être malaisante … »

Papillon Blanc essayait de se cacher dans ses longs poils blancs, espérant qu’elle disparaisse sous eux. Elle capta à travers le rideau de sa longue queue agitée de geste nerveux l’air blessé de Pluie Battante. Son cœur cognait dans sa poitrine, aussi bien que son souffle commençait à être court, précipité, gagné par la panique.

« Je… Non…Bien sur… Moi, non plus… J’imaginais rien… Entre nous… Ha ha ha… Malaise, bonjour… Je crois que c’est un rejet… »

La guerrière évitait soigneusement de croiser le regard du tigré, faisant presque semblant de n'avoir rien entendu, consciente de l’atmosphère pesante qu’elle venait d’installer. Elle avait l’habitude, de toute façon. C’était toujours comme ça : la personne à laquelle elle parlait finissait par se trouver une excuse pour partir loin, très loin d’elle et de ses compétences dans le domaine du malaise et elle se retrouvait toute seule, à repasser en boucle toutes les choses idiotes qu’elle avait dites. Ce n’était pas grave si c’était pareil aujourd’hui …

« Heeeeeeeu…. T’aime le poisson, sinon ? … Non, réponds pas, évidemment que oui, chuis bête, on mange presque que ça… »

Elle hésitait entre le rire et les larmes, songeant qu'elle n'était bonne qu'à provoquer son propre malheur, puis elle finit par opter pour une étrange entre-deux, riant tout doucement avec de petites perles d'eau au coin des yeux, le regard peiné.

« Désolée … »

Sa gorge se serra.

« Je suis désolée d’être comme ça … Je fais toujours n'importe quoi et je … je veux pas que tu partes toi aussi parce que je suis trop bizarre tu comprends ? Que tu te rendes compte que je suis pas aussi assurée que je l'étais en tant que mentor puis en t'aidant à retrouver la mémoire et tout … que je suis pas aussi encourageante et enthousiaste d'habitude … J'ai pas fait semblant hein ! Mais … c'est pas ce que je suis tous les jours avec les autres. J'ai super peur des gens et je m'angoisse pour rien. Du style … Là tu as eu ce regard triste, et au lieu de te demander ce qu'il y avait ou de chercher à comprendre j'ai commencé à paniquer, et j'arrive pas à faire autrement. En bref j'ai … J'ai peur de te décevoir si tu commences à voir toutes les facettes de ce que je suis, parce que je suis pas aussi optimiste que toi. Ça nous avance à rien que je le dise mais … Mais de toute façon c'est dit, hahaha … »

Elle écarquilla les yeux, surprise de tout ce qu'elle venait de dire, mais aussi soulagée et un peu moins angoissée. De toute façon, c'était dit … Et puis, c'était ce qu'elle pensait vraiment. Elle n'osait pas lever les yeux. Je suis vraiment le pire boulet de cette planète …

HRP :