Le temps d'une dissuasion || Nuage du Renard -end

Qu'importe si on le réveille aux aurores ou en fin de journée, pour Nuage du Regard, ce sera toujours bien trop tôt. Le rouquin est un vrai loire et ce n'est jamais vraiment évident pour lui de mettre les pattes hors de son nid. D'autant plus que, la veille au soir, il a préféré enquiquiner Nuage du Goujon plutôt que se coucher tôt. Résultat, il était prêt à dormir une lune entière lorsque Belle-de-Nuit est venu le secouer. Il lui a d'abord répondu par un ronchonnement digne d'un blaireau agacé avant de voir la réalité en face et d'ouvrir les yeux. La vision troublée par le sommeil, l'apprenti bâille à s'en décrocher la mémoire, regrettant déjà la chaleur de sa couche. Ces derniers temps, ses entraînements suivent une cadance régulière et cela se voit aux nets progrès qu'il a fait, en chasse notamment. S'il est bien plus stimulé par les entraînements de combat, il sait déjà que ses lacunes ne concernent pas cela et que, fatalement, son mentor ne s'attardera pas dessus. Le but de Belle-de-Nuit est bel et bien de le former afin qu'il se débrouille suffisamment dans tous les domaines. D'ailleurs, qu'est-ce qu'elle peut bien lui réserver pour aujourd'hui ? De la pêche ? A en juger par la fine particule de neige recouvrant le sol, Nuage du Renard en doute. Si ça se trouve, la rivière a même gelé. Réveillé par sa curiosité, le novice emboîte finalement le pas de Belle-de-Nuit sans prendre le temps de manger un petit quelque chose – curieusement, il n'a pas spécialement faim, ce matin.

Gambadant dans la neige, Nuage du Renard ne peut s'empêcher de bavarder comme une pie tandis qu'ils rejoignent le lieu choisi par Belle-de-Nuit. Il ne raconte rien de bien intéressant, quelques bêtises dont il est fier surtout, et il n'est même pas certain que son mentor l'écoute vraiment. Ils arrivent finalement aux abors de la prairie, joliment fleurie pendant la saison des feuilles vertes. Aujourd'hui cependant, dans l'atmosphère froide et grisâtre de l'hiver, elle a perdu tout son charme. Si Nuage du Renard frissonne de froid, il n'hésite pas à rouler des mécaniques pour faire circuler son sang plus efficacement et, ainsi, réchauffer son corps encore tout engourdie par le sommeil malgré le chemin parcouru. En tout cas, ils ne sont pas venu ici pour chasser, c'est certain. Vu le froid, les proies sont recroquevillées au fond de leur nid – et Nuage du Renard donnera tout pour faire de même. Un entraînement au combat, alors ? La prairie était bien dégagée, elle offre la place suffisante pour s'exercer sans être déranger par un arbre ou un buisson. Cependant, c'est tout autre chose que la chatte noire a en tête.

Autrefois c'était ton père qui se tenait à ma place, il te ressemblait beaucoup, de physique surtout. Nous n'allons ni chasser, ni apprendre le combat aujourd'hui. Cet apprentissage est particulier, il m'a été transmit par mon mentor et j'ai décidé de le transmettre à sa progéniture, débouche tes oreilles Nuage du Renard. C'est important pour moi.

Son ton inhabituel étonne le novice. Il y a comme une note de nostalgie dans sa voix. Ce que Nuage du Renard ne peut comprendre qu'en partie. Son père, il n'a malheureusement pas eu l'occasion de vraiment le connaître. Il n'en garde que peu de souvenirs, parce qu'il a rejoint le Clan des Etoiles peu de temps après sa naissance. Le rouquin sait néanmoins qu'il a été le mentor de Belle-de-Nuit et, à travers son apprentissage, il a cette petite impression d'être un peu plus proche de lui. En tout cas, elle n'est pas la première à lui que, physiquement, ils se ressemblaient beaucoup. Parfois, d'ailleurs, il a l'impression que sa mère le dévisage d'un air absent, comme si des souvenirs de son idylles avec Matin Embrasé lui revenait en mémoire. Si Nuage du Renard est fier de ressembler à son père, il ne veut néanmoins pas qu'on le compare à lui. Il compte bien exister en tant qu'être unique aux yeux de tous. Néanmoins, toute son attention est réservée à Belle-de-Nuit. Pour elle, il accepte d'être vu comme le fils de Matin Embrasé, et pas seulement comme Nuage du Renard lui-même.

Or donc, l'exercice consiste à utiliser sa matière grise, et ses cinq sens donc ? Bien plus habitué à agir plutôt que réfléchir – du moins, lorsque ça ne concerne pas les bêtises – Nuage du Renard esquisse une moue un peu dubitative, avant de se prêter au jeu. Ses yeux balaient d'abord les alentours : un terrain découvert, sans possibilité de se dissimuler ou que ce soit. Au dessus de sa tête, aucun arbre qui fait barrière entre le ciel et la terre. En fait, il ne serait vraiment pas aisé de se cacher ou que ce soit. L'apprenti renifle finalement l'air, et il est surprit de capter quelques effluves lointaines du Clan du Vent. Après tout, par delà la prairie se trouvent les Chutes, frontière naturelle avec leurs voisins des landes. Mais d'ici à ce qu'ils arrivent jusqu'ici, n'importe qui les aurait repéré …

Ben … Nous sommes tellement à découverts ici qu'il est difficile de se cacher, surtout en cette saison. Je dirai qu'un danger potentiel peut venir du ciel ? La prairie est tellement dégagée que de gros oiseaux auraient tôt fait de repérer un chaton ou un guerrier blessé. Sinon, je ne vois vraiment pas.

Comme tous les chatons, Nuage du Renard a déjà entendu moult fois ce conte de pouponnière, comme quoi des oiseaux immenses aux serres acérées n'hésiteraient pas une seconde à les attraper pour en faire leur dîner. Si l'apprenti roux n'en a jamais vu de ses propres yeux, il n'a étrangement aucune peine à croire que les rapaces puissent se montrer si cruels. D'ailleurs, paraît-il qu'ils ne sont pas rares, sur les landes. Et le territoire du Clan du Vent étant tout proche, il n'est pas impossible que certains viennent jusqu'ici. Le novice se permet d'ailleurs un regard vers le ciel, mais rien à l'horizon si ce n'est de gros nuages qui promettent une nouvelle tombée de neige dans peu de temps. Quelle saison désagréable !

Si le cerveau de Nuage du Renard tourne sans arrêt à plein régime, c'est bien plus pour imaginer des bêtises plus farfelues les unes que les autres que pour quoi que ce soit d'autre. Pas qu'il soit bête dans d'autres domaines, loin de là. Seulement, jamais auparavant on ne lui a demandé d'utiliser ainsi sa tête. Observer les alentours, appréhender son environnement, deviner les failles … Voilà une chose bien plus ardue qu'esquiver une attaque directe ou tirer un poisson hors de l'eau. Et étonnement, le jeune chat trouve cela tout aussi intéressant. Il est d'ailleurs certain qu'aucun autre apprenti ne doit avoir pareil entraînement, et cela l'encourage à profiter à fond de l'exercice. C'est pourquoi il emboîte le pas de Belle-de-Nuit avec une curiosité sincère lorsqu'elle se dirige vers une petite butte qu'il n'avait su repérer sous la neige. En quelques coups de patte, la poudreuse laisse place à un terrier, trop large pour appartenir à des lapins. Et l'apprenti a beau humer l'air et la terre autour, il ne parvient pas à isoler une effluve particulier – si ce n'est celle, très forte, de l'humidité.

Ce terrier abritait des renards, je ne veux pas que tu renifles leur effluve mais juste que tu comprennes qu'on ne peut pas se fier seulement à la vue ou l'odorat. Nombreux sont les félins étrangers qui savent masquer leur odeur en se recouvrant de boue ou au plus extrême d’excréments. Je suis presque sûre que certains solitaires serraient prêt à se planquer dans ce terrier pour se rouler dans l'effluve de goupil. Ce que je veux conclure c'est que tu ne dois pas seulement interpréter le paysage avec tes yeux et ton museau. Utilises ton ouïe, ton toucher, essaye d'enclencher tous tes sens pour pouvoir repérer ce que tu cherches.

Si l'apprenti tient son nom des prédateurs roux tant craint des Clans, il n'en a encore jamais vu de ses propres yeux – si ce n'est au loin, de l'autre côté de la frontière. Et s'il dit à qui veut l'entendre qu'il serait prêt à égorger lui-même un goupil pour protéger les siens, Nuage du Renard sait qu'il ne faut surtout pas affronter cette créature seul. Alors, malgré lui, quelques poils se hérissent le long de sa colonne vertébrale. Un terrier se trouvait si près de lui et il n'en avait pas la moindre idée. Comme quoi, il a encore beaucoup à apprendre, même sur le territoire qu'il estime être sien. Qu'à cela ne tienne, Nuage du Renard compte bien observer son environnement avec bien plus d'attention, à présent. Il connaîtra bientôt le territoire du Clan de la Rivière sur le bout des pattes, au point d'être capable de le traverser en long en large et en travers les yeux fermés ! C'est peut-être un objectif un peu présomptueux mais comptez sur Nuage du Renard pour tenir cette promesse. Après tout, mieux il connaîtra le territoire, mieux il pourra le défendre. Et le rouquin compte bien veiller sur son Clan comme une mère veille sur ses petits. Que personne n'ose douter de la fidélité de ce petit.

Néanmoins, Nuage du Renard n'a pas le temps de se perdre en élucubration : Belle-de-Nuit lui propose déjà un nouvel exercice. Cette fois, il doit exploiter son imagination – et son mentor sait à quel point le peutiot est doué pour ça. Imaginer un ennemi, donc ? Il veut bien mais … comment la chatte saura-t-elle ce qu'il imagine ? Après tout, ce qu'il y a dans sa tête reste sans sa tête. Cependant, l'apprenti décide de quand même se prêter au jeu : sait-on jamais, Belle-de-Nuit sait certainement ce qu'elle fait. Le rouquin choisi alors d'imaginer un ennemi du Clan de l'Ombre. Après tout, quoi de plus représentatif qu'un chat des Clans ? Nuage du Renard imagine donc sans mal un guerrier rachitique, aux poils sombres, aux griffes acérées, à la mâchoire féroce et aux yeux brillants de vilénie. Une description bien peu originale mais ainsi sont vu les guerriers du Clan de l'Ombre dans la tête des autres Clans. Vient ensuite leur odeur, un mélange de sous-bois trempé et de marécage nauséabond. La truffe du novice se plisse d'ailleurs à l'idée même que son propre pelage puisse porter un parfum aussi désagréable – pourtant, les guerriers du Clan de la Rivière sentent fort le poisson, mais c'est un fumet bien plus agréable, nous sommes d'accord ? Bref, Nuage du Renard a désormais une image bien nette de son guerrier de l'Ombre, de son museau tordu à sa démarche silencieuse. Mais maintenant ? Comment savoir s'il a réussi l'exercice ?

Penaud, il ouvre un œil et remarque que son mentor lui fair toujours face. Qu'attend-t-elle de lui, exactement ? Incapable de tenir sa langue plus longtemps, le novice fini par s'adresser à la chatte noire :

Et euh … donc ? Je l'imagine bien, mais maintenant ?

Belle-de-Nuit va devoir être un peu plus précise. Nuage du Renard comprend vite mais … il faut parfois lui expliquer longtemps !

Bien évidemment, tout fait sens lorsque Belle-de-Nuit se montre plus précise. Après tout, elle lui a demandé d’imaginer un ennemi, pas de le décrire. Eh oui, Nuage du Renard fait parti de ces chats qui ont besoin de consigne précise, sinon il se contente du minimum syndical. En tout cas, il a bien conscience que son mentor compte sur lui pour cet exercice, parce qu’elle fait parti de ceux qui connaissent mieux que quiconque son imagination débordante - et bien souvent à leurs dépends, d’ailleurs. Il ne peut donc pas se permettre de la décevoir, n’est-ce pas ? C’est là l’occasion rêvée de lui prouver que son intelligence et sa créativité ne s’arrêtent pas aux farces de mauvais goûts - même si, soyons honnête, le rouquin a un réel don pour cela.

Enfin bref, Nuage du Renard referme les yeux tandis que son mentor s’assoit à ses côtés. Il doit donc faire en sorte que Belle-de-Nuit imagine son guerrier aussi efficacement que lui. Il ne doit donc omettre aucun détail, et s’assurer de ne pas oublier la moindre petite précision. En soi, un chat n’est guère différent d’un autre si nous ne prenons pas le temps de s’arrêter sur les détails qui forment sa singularité. Nuage du Renard, par exemple, ressemble à n’importe quel autre chat roux et blanc, mais sa petite particularité est sa tâche sur son front - s’il était un Bipède, il dirait qu’elle ressemble à un W. Ce n’est pas grand chose en soi, mais c’est un peu comme sa marque de fabrique. Comme l’unique patte grise - qui lui a valu son nom - de Nuage Gris. Un petit quelque chose qui fait la différence.

Je vois un chat du Clan de l’Ombre. Il est tout maigre, comme s’il n’avait pas mangé depuis des lunes. Ses poils sont noirs et bruns, parfaitement adaptés à son élément. Sa mâchoire est tordue et ses oreilles déchiquetées, résultats d’un combat acharné contre un blaireau. Ses yeux jaunes brillent de méchanceté, comme s’il préparait constamment un mauvais coup. Son odeur est forte, un mélange de tourbe et de sous-bois, comme s’il venait de traverser un marécage. Malgré tout il se déplace vite, ses pattes sont musclées, c’est un pisteur et un chasseur hors pair. Et bien évidemment, un combattant redoutable.

Nuage du Renard est tellement concentré par son exercice qu’il se surprend même à frissonner. S’il se retrouvait face à un chat pareil, il ne donnerait pas cher de sa peau. Et il a beau savoir qu’il ne s’agit là que du fruit de son imagination, il ne peut s’empêcher de redouter l’existence d’un tel guerrier au sein du Clan de l’Ombre.

En tout cas, il espère que sa description est convaincante. Il ne l’a peut-être pas faite de façon très structurée, mais il s’est contenté de laisser filer les mots tels qu’ils lui venaient. S’il ouvre de nouveau les yeux, Nuage du Renard ne cherche pas ceux de Belle-de-Nuit. Il préfère épier les environs, comme s’il craignait que ce guerrier imaginaire ne vienne rôder dans le monde réel.

Au bout du compte, l’exercice se montre plus dur que prévu. Nuage du Renard a bien décrit son guerrier mais Belle-de-Nuit en veut plus. Plus qu’une apparence, il doit lui donner une identité, un but. Il doit lui donner vie, tout simplement. Enfin, tout simplement, façon de parler évidemment. Après tout le rouquin ne connaît pas toutes les habitudes de vie des chats du Clan de l’Ombre. Tout ce qu’il sait à leurs sujets, c’est ce qu’il a pu entendre de la bouche des autres. Ce sont donc ces connaissances-ci qu’il doit exploiter. Et puis, Belle-de-Nuit a été claire : il ne doit pas utiliser que ses yeux. Comme pour le premier exercice, le novice s’est contenté d’utiliser qu’un sens - exploitant à peine un deuxième. Malgré la frustration qui commence à grandir en lui, Nuage du Renard ferme les yeux de nouveau. Il doit exploiter ses cinq sens.

Il se concentre d’abord sur le toucher. La terre froide sous ses pattes se manifeste en première, suivie de la légère brise qui caresse son pelage. Puis ses oreilles se mettent à bouger, recueillant le moindre son environnant. Il entend bien évidemment le fracas de la cascade au loin, mais aussi le sifflement du vent dans les feuilles et la respiration calme de sa marraine. Aucun goût ne se manifeste dans sa bouche, si ce n’est celui de sa propre salive, alors il ouvre légèrement la gueule. Là, goût et odorat travaillent de concert et bientôt, Nuage du Renard a l’impression d’avoir croqué dans un tas de neige. Le vent porte l’odeur du froid et de l’humidité, camouflant presque le fumet des poissons pourtant si distinctif de son Clan. Quelle odeur porte le territoire de l’Ombre, d’ailleurs ?

Il a du mal à se déplacer dans la neige. Les hauts arbres de sa pinède natale protège le sol de son territoire, alors la poudreuse n’atteint jamais une bonne hauteur. Il est agacé car il fait froid et qu’il a faim. Il voudrait trouver quelque chose à se mettre sous la dent, même une charogne. Alors il franchit la frontière et cherche à manger, qu’importe le code du guerrier. Il y a un tel vide dans son ventre qu’il en a la tête qui tourne. Et pourtant, il se sent prêt à arracher la fourrure à quiconque se mettrait sur son chemin.

Petit à petit, une identité propre se créait dans la tête du novice. Son guerrier n’est pas si mauvais, en fin de compte. Il est simplement désespéré. Il n’en reste pas moins dangereux, cependant. C’est justement dans la souffrance que nos actes sont les plus terribles.

Il s’est introduit sur le territoire du Clan du Vent, mais les lapins sont trop rapides et le vent trop violent. Alors il vient jusqu’ici, grelottant de froid mais déterminé à se remplir l’estomac. L’odeur du poisson, qu’il trouve si dégoûtante, lui met pourtant l’eau à la bouche. Il veut pêcher mais l’eau gelée lui brûle les coussinets, et le soleil déploie son ombre sur l’eau. Il ne connaît pas nos techniques et pourtant il persévère. Mais en vain.

Nuage du Renard se sent soudain prit de pitié pour ce chat affamé. S’il existait vraiment et que le novice le rencontrait.. serait-il capable de le chasser en ignorant son désespoir ? Si le rouquin est fidèle au Clan de la Rivière, il ne saurait dire s’il ne pourrait résister à la tentation de lui tendre la patte.

Belle-de-Nuit … J’ai envie de l’aider ! S’il existait … Je ne pourrai pas le laisser mourir de faim ! Est-ce … est-ce une mauvaise chose ?

Si Nuage du Renard commence à ressentir de la compassion pour ce chat factice, cela signifie qu'il est suffisamment immergé dans l'exercice pour que le pont entre l'imaginaire et la réalité commence à s'effacer. Néanmoins, le rouquin ne s'en réjouit pas : face à tout cela, il ne sait plus quoi penser. Si jamais il devait, un jour, croiser un chat ainsi dans le besoin, comment réagirait-il ? Aurait-il seulement le cœur de le chasser pour l'empêcher de voler leurs proies ? Jusqu'à quel point doit-il écouter sa loyauté plus que son propre cœur ?

Nuage du Renard est confus. De toute sa vie – encore courte, certes – il n'a jamais eu à faire à un chat dans le besoin. Du moins, pas un chat étranger. Lorsqu'un membre de la Rivière a un souci, ces camarades et le guérisseur s'assurent de lui porter leur aide. Mais comment réagissent-ils face un ennemi ? Tous les intrus qu'il a pu croiser sur la frontière depuis qu'il est novice étaient en pleine forme, et il ne ressentait donc pas le moindre remords à les poursuivre jusqu'à leur territoire. C'est pourquoi le rouquin se sent si bizarre. S'il était face à un intrus malade, affamé ou que sais-je encore, qui aurait l'avantage dans sa tête ? Son cœur ? Sa loyauté ? Personne ne l'a jamais préparé à devoir faire un tel choix. Et c'est bien en ça que l'exercice de Belle-de-Nuit est intéressant : elle le confronte à des situations trop rares pour qu'il les vivent concrètement, mais qu'il doit savoir appréhender avec efficacité et, surtout, sans se mettre en danger. S'attendait-elle à ce que Nuage du Renard se retrouve à compatir avec un chat imaginaire ? Sûrement que oui. Après tout, elle a elle-même eu droit au même entraînement de la part de Matin Embrasé, elle est donc parfaitement consciente des sentiments étranges que certaines situations peuvent créer en notre fort intérieur. Nuage du Renard ne se soupçonnait d'ailleurs pas si empathique – est-ce une qualité ou bien un défaut, il est bien incapable de le dire.

Belle-de-Nuit se hâte néanmoins à le calmer, en posant doucement une patte sur sa tête. Si Nuage du Renard reprend bien avec la réalité, c'est non sans honte. Il a laissé son imagination le happer avec une telle force que, pendant un instant, il a cru voir son guerrier affamé à quelques pas d'ici. Comme quoi, ce n'est pas forcément une bonne chose d'avoir de la créativité à revendre, car elle a un pouvoir plus puissant qu'on ne pourrait le croire. Et le novice en paie les frais.

Non Nuage du Renard, ce n'est pas une mauvaise chose. Moi-même quand j'étais apprentie j'ai chassé pour un ancien Lunar Pod, ca peut paraître impensable comme acte surtout venant de moi mais ce petit avait été entraîné de force comme moi dans cette histoire et selon mon intuition il visait une vie meilleure, avec des amis. Je n'ai pas eu à enfreindre le code du guerrier. Si tu trouves un guerrier ennemi en mauvaise état sur notre territoire tu te dois de d'abord le chasser, c'est ta première fonction en tant que membre du Clan. Ensuite libre à toi de chasser sur les terres libres. Mais méfie toi toujours, parce que certains félins aux mauvaises attentions savent très bien comment paraître innocent.. Avant de te tailler la gorge d'une griffe.

Les Lunar Pod, hein ? Le jeune matou n'était pas encore né lorsque ce groupe de chats étranges a débarqué dans la forêt, mais leur réputation les précèdent. Et un frisson dégringole le long de sa colonne vertébrale à leur unique mention. Il préfère d'ailleurs ne pas s'attarder sur ce sujet sensible, préférant écouter les conseils de son mentor. Or donc, sa mission première est de chasser l'intrus … Réaction logique mais … entre ce qu'il doit faire et ce qu'il voudra faire à l'instant I, il y a un gouffre. Écoutera-t-il ses convictions ou le code du guerrier ? Le jeune chat est bien incapable de le dire. Pourtant, il hoche la tête, signifiant qu'il a bien compris la leçon. Quant à savoir s'il l'appliquera à la lettre … Après tout, Nuage du Renard a beau être un chat intelligent, il agit plus à l'intuition qu'à la réflexion. Ainsi, il peut bien monter tout un plan en amont, selon la situation, il se peut qu'il ne l'écoute même pas. Dissident jusqu'au bout, ce sale garnement.

Maintenant essayons de mélanger les deux, imagine que tu accompagnes Nuage de Printemps ici et que tu tombes sur cet étranger, ta réaction est toujours de vouloir l'aider ? Même s'il essaye de s'en prendre à ta camarade, que fais-tu en ces conditions ?

Instinctivement, Nuage du Renard sent quelques poils se dresser sur son échine. Étrangement, la réponse à cette question lui vient tout naturellement en tête : il protégera Nuage de Printemps, quoi qu'il advienne. Chat blessé ou pas, personne ne menace impunément l'un de ses camarades. La souffrance potentielle de l'ennemi ne l'intéresse plus le moins du monde, dans cette situation. Lorsqu'il n'est question que de lui, le rouquin est prêt à accorder le bénéfice du doute. Mais sinon, c'est une toute autre histoire. Parce que sa loyauté va avant tout à son Clan et à ceux qui lui sont chers plutôt qu'à n'importe qui d'autre. Ainsi, ses propres questionnements concernant la légitimité de sa loyauté fondent comme neige au soleil : oui, quoi qu'il arrive, Nuage du Renard sera fidèle au Clan de la Rivière et protégera quiconque est menacé.

S'il est effectivement hostile, je ne pourrais pas l'aider, bien sûr. La sécurité des nôtres passe avant tout ! Mais … s'il cherche le dialogue sans agressivité … Je pense que je lui accorderai le bénéfice du doute. Sans relâcher mon attention pour autant.

Belle-de-Nuit n'a pas tord concernant les bons comédiens : certains chats sont de fins acteurs, capables de feindre la misère et la douleur pour mieux vous manipuler. Or, Nuage du Renard refuse d'être trop crédule. Surtout maintenant que sa marraine l'a mit en garde contre ce genre de personnage. Un chat trop naïf – comme Nuage Gris, peut-être? - voudrait croire à la bonne foi d'un intrus qui prendrait un malin plaisir à le trahir de la pire des façons. Il n'y a pas de place pour la compassion ici-bas, du moins pas pour tout le monde. Certains êtres sont foncièrement mauvais, et contre cela, personne n'y peut rien. Pas même le Clan des Étoiles.

S'il essaie de s'en prendre à Nuage du Printemps, je n'aurais aucun remords à me dresser face à lui, quelque soit son état ! La souffrance ne doit pas être un générateur de haine.

Et pourtant, c'est bel et bien de la souffrance que naissent les plus grands problèmes de la forêt. Il suffit qu'une tribu soit affamée pour qu'elle décide de mener une lutte contre ses voisins, ou qu'un chat soit malheureux pour commettre le péché du meurtre. La ligne peut être franchie en un pas, et même le cœur le plus pur ne peut y échapper.

Nuage du Renard, qui a jusqu'alors toujours vu le monde d'un blanc immaculé, commence petit à petit à percevoir ces tâches d'ombres – et elles sont effrayantes.