Patte de Loutre reste rarement à traîner au milieu du camp sans rien faire. Il préfère passer son temps à l’extérieur, chasser, s’entraîner, s’occuper. Ce matin, le temps n’est pas de la partie : il pleut des cordes et l’envie de sortir n’est pas au rendez-vous. Il est assis à l’entrée de la tanière des guerriers et il regarde la pluie tomber sur le camp. Les roseaux se tordent sous le souffle du vent et il frémit. Détestant être inutile, le matou décide de se rendre dans la pouponnière.

Le guerrier traverse le camp en courant avant de freiner à l’entrée de la pouponnière. Il lèche brièvement son pelage ne voulant pas réveiller et déranger les reines assoupies. Il regarde au sol les petits encore endormis. Il ne se rappelle pas vraiment de son stage de six lunes à la pouponnière. Le guerrier brun regarde en biais et il repère une petite au pelage gris-bleu dans un coin de la tanière. Ses yeux verts brillent dans la nuit. Patte de Loutre ne sait pas comment l’aborder, il n’aime pas les petits. Il commence déjà à regretter sa visite à la pouponnière.

Il fait demi-tour et s’apprête à ressortir sans demander son reste.

Contrairement à ce à quoi s’attendait le guerrier : sa visite à la pouponnière risquait d’être bien plus longue que prévu. Il soupire lorsqu’il entend quelques pas derrière lui, il comprend alors que sa journée allait être bien moins constructive. Il tourne légèrement la tête et jette un coup d’œil par dessus son épaule. Une petite boule de poils au pelage bleuté le regarde de ses yeux verts et demande d’une voix douce et innocente :

« - Bonzour monsieur … Qu'est-ce que vous faites ici ? »

La gentillesse de la petite devrai attendrir le guerrier mais ce n’est pas le cas. Agacé par la situation, Patte de Loutre décide de faire comme s’il n’avait pas entendu la jeune et de continuer son chemin avant de se raviser de peur de la vexer. C’est avec la mauvaise impression de perdre son temps que le guerrier finit par lui dire :

« - Je nourrissais les reines. »

Il répond donc sèchement, essayant de prêter le minimum d’attention possible à cette chatonne avec qui il n’a pas vraiment envie de passer du temps. Cependant, la petite semble déterminée à discuter avec le guerrier.

Il ne l’avouera jamais mais Patte de Loutre rêve d’une famille. Bien qu’il n’aime pas les chatons, l’idée de voir des petits sachant que son sang coule dans leur veine le fascine. Il n’a jamais réellement compris qu’elle pouvait être le plaisir d’être père. Il soupire lorsque la jeune qu’il ne connaît pas arrive :

« - Vous nourrissiez les reines ? A cette heure-là ? Pourtant, ma maman m'a dit que la nuit, on ne mange pas … on dort simplement, pour être mieux préparé au lendemain. ous ne dormez pas la nuit, vous ? … Je m'appelle Petit Printemps, et je suis la fille d'Eau Turquoise. Et vous ? Comment vous vous appelez ?»

Elle est toute douce et le guerrier se retient de peu de lui dire qu’elle l’emmerde avec toutes ses questions. Elle est trop jeune, il ne doit pas être cru avec elle. Prenant un sourire hypocrite, il dit d’une voix douce :

« - C’est pour qu’elles puissent manger au réveil. Je suis Patte de Loutre. Et on dort la nuit lorsque l’on ne fait pas de patrouille et cette nuit, j’étais de patrouille … Pourquoi tu ne dors pas toi ?! »

Sa dernière question est posée d’un ton sec pour “réprimander” le chaton qui commence à véritablement l’agacer. Elle ne fait rien de mal mais Patte de Loutre est d’humeur très grincheuse aujourd’hui.

Patte de Loutre ne pensait pas qu'en nourrissant les reines au beau milieu de la nuit il se retrouverait à discuter avec un de leur petit. Sa réputation n'est pas fausse : le guerrier n'aime pas les chatons et les évite autant qu'il peut. Comme si l'avoir croisé ne suffit pas, voilà que la petite se met à se confesser auprès du grand matou :

« - Je... J'ai fait un cauchemar. Ça m'a réveillé. Vous étiez là, quand je me suis réveillée. Alors je me suis demandé qu'est-ce que vous pouviez faire ici, à une heure pareille. Vous savez, je fais souvent le même cauchemar. Je ne sais pas comment faire pour cesser de le faire. Perdre tous ses proches, ce n'est pas agréable. Vous aussi vous faites des rêves désagréables, monsieur le guerrier ? »

Bla bla bla. Décidément, c'est une véritable pipelette celle là. Légèrement touché par le ton et la mine triste de la jeune, Patte de Loutre décide de faire un effort et s'installe en face de la petite. Il écoute ses paroles et réfléchit un instant avant de répondre :

« - Tu peux m'appeler Patte de Loutre. Pour ce qui est des cauchemars, tous les guerriers en font, même les plus grands. Il n'est pas rare que mes rêves se répètent. Et lorsqu'ils se répètent c'est parce qu'ils sont tirés de quelque chose que j'ai vécu et qui est bien réel. Tu peux me raconter ton rêve si tu le souhaites ... »

Soupire-t-il, comprenant qu'il venait de se coincer tout seul à répondre à la petite. Il aurait mieux fait de ne pas l'écouter et de tracer sa route comme s'il ne l'avait pas remarquée. Sa voix est plus douce, lorsqu'il était chaton il devait lui aussi embêter les guerriers alors pourquoi est-ce qu'il enverrait chier cette petite ?

La future guerrière se met à sourire, contente de l'invitation du guerrier. Le mâle ne regrette pas sa proposition mais il aurait préféré se faufiler hors des pattes de la jeune pour pouvoir chasser ou se rendre utile pour son clan. Au final, il se retrouve là à "perdre son temps" à écouter gémir une petite qui semble avoir simplement fait un cauchemar. Il soupire et écoute Petit Printemps lorsqu'elle piaille :

« - Bah en fait... Moi j'ai rien vécu... Je fais des rêves qui viennent du futur. Tu penses que le Clan des Etoiles essaie de m'envoyer un signe ? Lorsque je rêve, je me retrouve dans le camp, entourée de tout ceux que j'aime et surtout, de mon père et de mon futur compagnon. Je ressens alors une grande joie, mais cet instant de bonheur ne dure pas ; au moment où j'essaie de toucher quelqu'un, les images s'envolent et je me retrouve toute seule... dans le noir. Puis je me réveille. ça ne peut pas être un rêve du Clan des Étoiles, n'est-ce pas ? Le Clan de la Rivière ne peut pas se briser, comme ça. Et puis... Je suis beaucoup trop jeune et petite, je n'ai jamais rien fait à quiconque. Ça ne peut pas être une punition. Patte de Loutre... Ce sont quoi tes cauchemars, à toi... ? »

La question de la petite dérange plutôt le mâle qui ne sait pas quoi répondre. Il sait pertinemment qu'il ne faut pas s'inquiéter des rêves de la femelle qu'ils ne sont que le fruit de son imagination. Elle rêve d'avoir un compagnon, une famille donc le cauchemar parfait est de perdre tout cela, c'est évident. Le guerrier réfléchit un petit instant avant de lui répondre :

« - Tu n'as pas à t'inquiéter pour tes rêves. Ils ne sont nullement prémonitoire car tu n'es pas une future guérisseuse. Pour ma part … Cela fait des lunes que je ne rêve ni ne cauchemarde. Ne me demande pas pourquoi, je n'en sais rien ! »

Il hoche la tête et salue la femelle d'un signe de tête, bien déterminé à s'échapper maintenant. La discussion a assez duré, il n'a pas plus de temps à perdre dans les pattes d'une chatonne. Ne sachant comment s'échapper de ce dialogue, Patte de Loutre invente un mensonge banal et tourne les talons :

« - Je dois faire une patrouille. Je reviendrai te voir plus tard. »