La tête dans les nuages || ft. Python Balafré - abandon

Un dernier coup de langue de sa sœur vient fixer les poils de sa nuque, et Edelweiss Sauvage s'extirpa de son nid en râlant. Pourquoi fallait-il que cette fichue patrouille matinale lui tombe dessus ? On lui avait ordonné, la veille, de prendre la tête d'une vérification frontalière et d'assumer la bordure qu'ils avaient en commun avec le clan du vent. Leurs voisins étaient particulièrement à cran depuis l'été et tous suspectaient que les proies sur leurs terres ne soient plus assez nombreuses pour les nourrir. Ne voyant pas comment échapper à cette ennuyeuse patrouille, un ordre étant un ordre, elle ne pût rien faire d'autre qu'obtempérer en grinçant des dents. Tandis que l'autre chatte se roulait en boule, prête à retrouver le sommeil, elle circula entre les félins endormis, s'approchant de l'entrée et des guerriers les plus jeunes.

Le nid devant lequel la grande minette s'arrêta appartenait à un guerrier au poil court, brun et marbré qu'elle connaissait à peine ; Python Balafré. Bah, c'est l'occasion ou jamais de créer des liens ! Du museau, elle lui donna un petit coup sur l'épaule, puis un second et enfin un troisième, un peu plus fort celui-là. Les muscles du chat s'animèrent, signes de son éveil.

C'est l'heure, chuchota-t-elle. Je t'attends à l'extérieur.

Il avait normalement été averti la veille qu'il prendrait part à la patrouille et Edelweiss Sauvage ne s'épancha donc pas à lui réexpliquer la situation.
Elle sortit.

À l'extérieur, une nappe de brouillard matinal s'était posée sur le camp tel un nuage cotonneux, l'enveloppant dans son lourd manteau blanc. La guerrière frissonna lorsque le vent lui frappa le museau. La température avait dégringolé à toute vitesse au cours des deux dernières lunes, passant d'une chaleur étouffante ‐ typique de la canicule ‐ à une humidité plus fraîche et bien plus de saison. Les herbes se flétrissaient et jaunissaient désormais sur tout leur territoire, tandis que le niveau de la rivière, alors presque à sec, remontait progressivement. Pourtant, c'était bien la première fois de la saison qu'elle constatait la présence de brouillard...

La femelle se dirigea jusqu'à la sortie du campement, le nez et les yeux plissés, puis s'installa devant le chemin creusé dans les roseaux, agacée. Elle n'aimait pas les vérifications de frontière, toujours bien trop prises au sérieux. Pour les patrouilles de chasse, il était fréquent que l'on se détende entre deux proies et que l'on s'amuse un peu. Durant les frontalières, en revanche, les félins restaient tendus et crispés en permanence. Et c'était assez normal ; toute trace d'intrusion pouvait signifier une déclaration de guerre.

Python Balafré arriva enfin, avec le même air pas tout à fait éveillé qu'elle sur le visage.

Bon, ben on y va je suppose ? , grommela-t-elle avant de s'engouffrer dans le tunnel.

Le brouillard était également présent hors du campement, s'accrochant aux arbustes et hautes-herbes ci et là. La grande femelle s'arrêta quelques instants pour laisser planer son regard sur leurs terres métamorphosées.

" C'est l'heure. Je t'attends à l'extérieur. "

Les paroles parvinrent à ses oreilles presque inaudibles : parce qu'elles étaient chuchotées, mais aussi car elles étaient enveloppées de la somnolence du guerrier, qui venait tout juste d'émerger de son état comateux après le troisième coup que le chat lui porta.
Le réveil le fit revenir à la cruelle réalité. Blotti contre sa soeur, elle lui transmettait sa chaleur corporelle qu'il vampirisait volontiers. En revanche, le bout de ses oreilles qui s'agitèrent lui semblèrent glacées en comparaison. Le mâle brun était réticent à se lever mais il avait des responsabilités et des devoirs ; il entreprit de réveiller ses muscles, réchauffant son corps qui s'extirpa de l'entrelacement avec prudence, sans réveiller Couleuvre. Il s'étira longuement en baillant, exhalant un nuage blanc qui se dissipa en quelques secondes.

Cependant, c'est lorsqu'il mit les pattes hors de la tanière qu'il ressentit le froid. Il lui semblait qu'il n'avait jamais vécu un hiver si... hivernal - et encore, ce n'était que le début de la Saison des Feuilles Mortes - mais en conclut rapidement que cette impression était dûe au fait que c'était le matin, qu'il venait de quitter sa couche réchauffée par sa soeur, et que la transition canicule-hiver n'avait visiblement jamais eu lieu. Le changement de température s'était effectué aussi vite que le passage de la vie à la mort d'une proie qu'on étouffe.

Python Balafré se dirigea vers l'entrée puis vers la guerrière une fois qu'elle fut repérée.

" Je m'excuse de t'avoir faite attendre. "

Avec son pelage laiteux, il était quelque peu difficile de la voir à travers la brume. Elle n'avait pas l'air très enchantée, ce qui était compréhensible. Le guerrier, lui aussi, avait une mine endormie, bien qu'il s'efforcait de maintenir une pose bien droite et assurée.

" Bon, ben on y va je suppose ? " Le ton revêche de la femelle confirma sa mauvaise humeur.
Il hocha la tête. " Il ne sers à rien de s'attarder trop longtemps. On se réchauffera en marchant. "

La vérité, c'est que lui aussi n'était pas particulièrement enthousiasmé à l'idée de faire une patrouille frontalière à je-ne-sais-quelle-heure-du-matin, surtout d'un tel temps, mais voilà : le guerrier comptait s'absenter pendant peut-être plusieurs lunes si la situation dégénérait, séjournant au Clan du Tonnerre pour se préserver du danger de la mort. Il était plus qu'évident qu'il devait s'exécuter quand on lui donnait un ordre et sans ronchonner s'il ne voulait pas qu'on le traite de déserteur, ni qu'on le soupçonne de ne pas vouloir aider le Clan de la Rivière.
L'esquisse d'une maladie étant présente dans la tanière du guérisseur, Python n'était pas tout à fait serein mais on leur assura que ça n'était pas matière à s'inquiéter. Il l'espérait. Il n'avait qu'à éviter d'entrer en contact avec les malades. D'ailleurs, il remarqua que cette patrouille était petite : composée de seulement deux chats, probablement à cause du manque d'adultes en forme.

Les deux guerriers s'enfonçaient dans les terres de la Rivière, longeant les limites de leur territoire. Celui-ci était passé d'enfer humide à terre fantomatique. La femelle menait la marche : il en déduit qu'elle devait être plus âgée que lui. Il l'aurait bien déterminé grâce à son empreinte olfactive, mais l'atmosphère chargée d'eau entravait son odorat et il doute qu'elle apprécierait que le mâle lui reniffle l'arrière-train.

" J'arrive pas à détecter les odeurs avec le brouillard. Et toi ? " Ce qui était problématique pour une patrouille. " J'imagine qu'il va falloir utiliser nos yeux plus que nos narines..."

Ce fut tout naturellement qu'elle s'installa en tête de leur duo, traçant un chemin à suivre dans le brouillard qui aveuglait leurs sens. Elle ne devançait son camarade que d'une demie-queue, pour satisfaire les attentes du lieutenant qui l'avait nominée chef de la patrouille sans pour autant réellement coller à son rôle. Ils ne feraient que marcher d'un point A à un point B, marquer une frontière que de toute façon personne ne sentirait et détaller à toute allure si ils croisaient une vraie patrouille ennemie sur leur territoire ( il fallait avoir le sens des réalités ; à eux deux contre quatre ou cinq venteux désespérés, c'était perdu d'avance … ). Elle n'avait pas besoin de lui donner d'ordres ou de se montrer particulièrement autoritaire pour cela.
Le silence régnait autant sur l’ensemble du territoire qu'entre les deux félins à peine tirés de leurs lits. Ils marchaient chacun à une allure réduite qu'Edelweiss Sauvage imposait par précaution, quitte à passer plus de temps qu'il n'en fallait en mission ; l'air était tellement emplit d'humidité du fait du brouillard que leurs odorats en devenaient inutiles, ce qui les aveuglaient grandement.
Python Balafré avait comprit tout aussi vite qu'elle la nécessitée de rester prudent.

J'arrive pas à détecter les odeurs avec le brouillard. Et toi ?
Non plus.
J'imagine qu'il va falloir utiliser nos yeux plus que nos narines...
Mm. Son visage s'assombrit. Et il va falloir rester particulièrement aux aguets durant toute la patrouille…

Mais il fallait se rendre à l'évidence, entre les décès causés par la sécheresse dont ils ne s'étaient pas tout à fait remis, Étoile d'Or prenait la décision qu'il fallait en privilégiant quantité de patrouille à la qualité de celles-ci. D'autant plus que selon Écho des Ruisseaux, le brusque et pourtant tant attendu rafraîchissement de l'air risquait d'amener plus de maladies encore…
Et Edelweiss Sauvage faisait tout à fait confiance à son guérisseur de grand frère quant à ce genre de sujet, bien qu'elle ne saisisse rien du résonnement qui l'amenait à avoir cette pensée. Nuage de Hyène, elle, aurait sans doute comprit.


Ils rejoignirent ainsi la frontière venteuse à son point le plus éloigné du campement, traversant la colline, glissant sur les cailloux qui parsemaient leur chemin et qu'ils ne voyaient qu'au dernier instant. Leur clan possédait un avantage de taille pour dissuader les intrusions ennemies ; la rivière elle-même, ayant à leurs yeux un air de déesse protectrice et effrayant les autres clans (notamment à cause de la perspective de mourir noyé).
Les deux chats se dirigèrent vers le passage à gué connu le plus proche.

Enfin ! On essaye de faire ça assez rapidement, d'accord ?

Aucune odeur ennemie. Pas de traces d'introduction, quel qu’elles soient. Edelweiss Sauvage commença à marquer le territoire, frottant son pelage blanc contre les buissons autour du gué et y laissant de nombreuses touffes de poils.
Direction le second passage, à présent...