Toutes les roses fânent - PV Coup de Foudre - end

Tout avait changé si vite. Ça avait commencé avec cette folle de lieutenante au Vent qui avait voulu se venger après que Vipère et Coup de Foudre aient ôté une vie à sa chère cheffe. Il y avait donc eu l'assaut de cette harpie qu'ils avaient véritablement subit, l'enlèvement d'une guerrière du Tonnerre, et entre tout ça et la naissance d'enfants illégitimes de guérisseuses, Vipère Audacieuse vieillissante devenait de plus en plus exécrable. Et puis il y avait eu le décès de Vautour. Le sol s'était alors comme effondré sous ses pattes. Le seul chat pour qui elle avait pu ressentir quelque chose de fort, avec qui elle s'était imaginé un avenir peut être plus lointain que juste une partie de pattes en l'air était parti. La révélation que le Clan des Etoiles ne lui avait donc pas accordé les neufs vies qui revenaient aux chefs de la forêt avait suffit à éteindre tout semblant de foi que la siamoise avait pour eux. La tristesse, elle n'était pas de ceux qui la vivaient. Elle l'avait enfouie, profondément, cachée au fond d'elle. Mais plus les lunes passaient, plus tout ce qu'elle gardait pour elle la dévorait de l'intérieur. Et la création du rang de chanteur... La Vipère se désespérait de ce qu'elle voyait son Clan devenir. Elle méprisait cette nouvelle mentalité, ces nouveaux délires diplomatiques, et se morfondait sur les souvenirs qu'elle avait d'un Clan solide, intouchable. Il était loin le temps où le Tonnerre était fort, dur, droit. Comme elle avait vieilli.
Et puis il y avait eu la canicule, le feu, les cendres. La disparition, la mort de tant de chats. Des pertes autrefois nécessaires, mais aujourd'hui, que nourrissaient ces sacrifices ? Un Clan de faiblards, de pseudos guerriers mous. La perte de sa cousine devenue guérisseuse lui avait fait voir les choses en face. Ce Clan était perdu. Elle n'avait plus de famille, plus de chats dignes d'être des camarades de clans à ses yeux. Summum de la décadence, ce faiblard de Raton était devenu chef. Il avait osé accueillir parmi eux les matous de la Rivière touchés par une épidémie. Le Tonnerre faisait donc désormais dans la charité. A lui, les étoiles lui avaient-elles donné neuf vies ? Quelle aberration.
Elle était profondément fatiguée. Le petit handicapé qui lui avait servi d'apprenti était devenu Bec Croisé. Lui aussi, il s'était détourné d'elle pour participer à cette mascarade. Plus elle voyait ses repères disparaître, plus elle devenait froide, colérique, et évitée par ses camarades de clan. Tant mieux, qu'avait-elle à leur dire ? Il n'y avait personne digne du Tonnerre qu'elle avait connu. Qu'elle aurait aimé voir devenir. Elle n'était devenue qu'un corps marqué par le temps, affaibli par les lunes, habité par une âme froide et dans ses yeux océan, on ne pouvait voir qu'une profonde déception, la désillusion, et tout le dégoût qu'elle portait à ce nouveau Clan qu'elle avait autrefois tant chéri.

Alors que la nuit ne tarderait pas à tomber sur la forêt, la siamoise s'était dérobée du camps en silence, comme à son habitude. Elle ne parlait plus à grand monde, ne faisait plus grand chose d'autre que chasser quelques proie et attendre le jour où ce pauvre Raton l'enverrai à la tanière des anciens. Elle était partagée sur ce qu'elle ferai. Quel était sa place dans ce Tonnerre amputé de sa grandeur ? Mais jamais elle ne pourrait déserter.
Ses pattes la guidèrent jusqu'aux Rochers aux Serpents, un endroit qu'elle eu affectionné. Son corps n'avait plus la même vivacité, la même fougue qu'autrefois. Elle son esprit non plus. Quel gâchis. Elle s'apprêtait à bondir sur les roches quand un bruissement derrière elle lui fit tourner l'oreille.

《 Coup de Foudre. 》Bien sûr qu'elle reconnaissait l'odeur feutrée de son vieux compagnon. Même lui, il n'était devenu qu'une sorte de diplomate, de médiateur de la forêt. Mais depuis quand visait-on la paix entre les Clans ? Depuis quand faisait-on amis amis avec les autres ? Même lui n'avait rien compris, et pourtant il était devenu lieutenant. Un sacré spectacle. Elle ne prit pas la peine de se retourner, et se contenta de miauler vers l'origine du bruit.《 C'est la minette qui te sert de chef qui t'envoie me dire que je suis trop vieille pour compter encore parmi vos valeureux guerriers ? 》Sa langue de vipère n'avait jamais arrêté de siffler, et si les chats qui entendaient sa voix étaient désormais rares, ils ne le regrettaient souvent pas. Pourtant, plus personne ne s'intéressait à ce qu'lele avait à dire, elle qui était considérée bien trop extrême, comme une relique de l'ancien temps de Suie, les tristes ruines de son règne de terreur.

Le matou tigré avait perdu la malice de son habitude, même lui laissait une tristesse transparaître dans un léger rictus que Vipère capta du coin de l'oeil. Lui fait-elle pitié ? Elle en était donc là.

《 Tu n'as pas su t'adapter, hein?... Quand il est parti. 》La neige grinça sous les pattes noires de la siamoises, et le silence glacial de la forêt vint s'installer un instant.
S'adapter ? Le mot paraissait presque faible pour la rupture qui s'imposait à la vétérante. Mais le lien avec Vautour était-il justifié ? Elle n'en savait rien. En réalité, amour perdu ou pas, les changements qui s'étaient imposés à elle avaient été trop grands pour qu'elle aie pu s'y adapter, qu'importe la situation. Mais il avait été le seul repère qu'elle avait, et elle ne pouvait nier le vide profond q'il avait laissé en elle. Aujourd'hui, il ne lui restait plus rien, et à mesure que les lunes passaient, elle sentait son cœur et ses blessures se glacer.
Elle s'assit dans la neige, et leva une patte pour la porter à sa bouche ôtant quelques flocons qui s'étaient coincés entre ses griffes usées.

《 Tu sais, il y a bien longtemps, j'ai tendu une embuscade à Etoile de Corbeau pour lui arracher une vie, sous les yeux de son propre fils et apprenti guérisseur, sous les ordres de Suie. 》Elle marqua une pause, évitant le sujet de Vautour. Personne n'avait à savoir ce qu'elle ressentait, et puis de toute façon,il était parti... Quand à l'embuscade, cela lui paraissait inimaginable aujourd'hui, et pourtant quel grand coup ça avait été à l'époque.《 Le chef du même clan dont le petit raton accueille avec joie les guerriers malades. 》C'était absurde. Accueillir à bras ouverts la maladie au Clan du Tonnerre, sous couvert d'une bienveillance insupportable pour la Vipère. Au lieu de profiter de la faiblesse d'un clan ennemi et en prime de protéger ses propres guerriers, cet incapable de meneur prenait le risque de contaminer ses combattants. Elle n'y comprenait plus rien. Ça n'allait nulle part.
L'écart était trop grand entre les deux situations qu'elle venait d'énoncer, ça en était presque ridicule. Elle se sentait comme une relique ancestrale, venue d'un autre temps, alors qu'elle n'était qu'une chatte, âgée certes, mais tout avait changé si vite.

《 On m'a apprit à donner ma vie pour mon chef, j'ai consacré ma vie à mon Clan. Elle miaula, presque tristement. Mais je ne confierait même pas une souris malade à cet incapable. 》siffla-t-elle, ses pupilles fatiguées réduites à deux fentes sombres, plissées. Sa queue battit furieusement derrière elle, puis se calma. Si elle partait, ce serai dans la colère et pas autrement.

Elle leva son regard vers les quelques flocons qui descendaient doucement du ciel gris.《 C'est fini. 》Laissa-t-elle échapper à voix basse. Elle abaissa son visage pour planter ses yeux froids dans ceux du matou et souffla :《 Vous avez tous trahis Suie, et Vautour. Vous n'êtes plus le Tonnerre. 》Et pour cela, elle ne leur pardonnerait jamais. Sa voix avait failli se briser, mais la colère avait réussit à porter ses mots. Il valait peut-être mieux qu'elle parte, qu'elle emporte avec elle sa haine et sa rancœur. Elle ne pouvait rien changer, elle n'avait plus aucun poids. Elle ne su même soutenir le regard de Coup de Foudre, elle ne voulait pas voir sa pitié ni qu'il sonde trop longtemps ses pupilles débordantes de dégoût et de déception. Ses yeux s'abaissèrent vers le sol blanc, et le silence de l'hiver tomba à nouveau.

Elle entendit le matou souffler, rire, soupirer ou peu importe ce qu'il émettait comme son quand il faisait son numéro.

《 Tant mieux. 》Elle montra les crocs et souffla de dégoût. Il attendait d'elle qu'elle comprenne son point de vue ? N'avait-il pas encore compris qu'il n'existait d'esprit plus obtus que celui de la Vipère ? 《 ... Secret du Firmament [...] Lunar Pods [...] Suie, le Vent, l'Ombre.. 》Vivi ? Depuis quand se permettait-il tout cela ? La siamoise entendait les mots du matou, mais qu'espérait-il. Elle n'y saisissait rien, à ces histoires, elle se fichait bien de savoir tout ça, profondément.《 Je ne suis plus le Tonnerre, Vipère Audacieuse? 》Elle émit un rire rauque. L'avait-il déjà seulement été, à ses yeux ? Oui, autrefois, lorsque la verve et l'esprit étaient de son répertoire, lorsque la stratégie lui importait encore. Mais aujourd'hui, ils n'étaient tous que trop faibles pour elle. Ce n'était pas ça, son Tonnerre. Si lui pouvait imposer son idéal à la forêt, pourquoi pas elle ? Parce qu'elle avait manqué son tour. Tant pis, ce ne sera pas pour cette fois.

Elle soupira. Il lui opposait des arguments, il développait, développait. Sans but. Elle n'en avait que trop entendu. Tu ne comprends pas ?《 Je ne suis plus une stratège Coup de Foudre. Je ne suis plus une pupille avec qui tu peux fomenter tes plans fabuleusement ficellés. N'espère pas de moi que je comprenne. Je n'ai plus aucun poids dans cette forêt. 》Sa voix monta :

《 Et je me fiche totalement de ce qu'il arrive aux autres Clans tu devrais le savoir. Et ne vient pas me parler de ces petits, et du sort de ma sotte de cousine, il en faut plus pour me faire verser la larme. Je ne l'ai pas engrossée, moi. 》siffla-t-elle, le regard lourd d'accusations. Elle se fichait bien de dissimuler ce qu'elle pensait désormais. personne n'était venu lui parler depuis des lunes alors le matou bengal pouvait bien l'écouter quelques instants.
《 Ils peuvent bien tous mourir dans leur coin, je n'en ai rien à carrer, depuis toujours et d'autant plus maintenant. 》Son ton s'abaissa, et un voile froid, mais surtout triste pour ceux qui sauraient le lire, vint couvrir son regard océan.《 Tu ne peux pas être le Tonnerre à toi tout seul. Et vois les choses en face, chanteur, tu ne me convaincras pas. 》Son museau et ses oreilles frémirent.《 Tu parles de choses qui ne me touchent pas. 》Ses babines noires s'étirèrent en un maigre rictus sarcastique.

Finalement, elle siffla :《 La vieillesse n'arrange pas les choses tu le sais, les vieux guerriers sont les pires. Tout était mieux de leur temps. Tout était mieux de mon temps, j'en suis persuadée. Tes petits idéaux de paix, d'entente, de soutien, je ne pourrais jamais ne serait-ce que les concevoir. Alors ne t'évertue pas à essayer de me faire voir le monde à travers tes yeux, s'il te plaît. 》S'il te plaît. La vétérante était fatiguée, les jeux de mots et d'esprit n'étaient plus de son âge.

Le silence était retombé. Elle vit le corps de Coup de Foudre se raidir violemment, et compris qu'elle avait touché un point sensible. Mais avait-elle déjà eu pitié de l'effet de ses mots sur les chats ? Elle cru qu'il allait lever la patte sur elle, mais ça n'arriva pas.
La siamoise le regarda la sonder, elle fronçait ses sourcils et plissait les yeux. Il la dérangeait, il lisait trop en elle à son goût, et elle se désespérait de se voir aigrie, malheureuse et rongée par la haine dans le reflet de ses yeux jaunes.

《 ... Te souviens-tu de ce que tu m'as dit, avant. 》Elle plissa les yeux, fouillant dans sa grise mémoire. Ils avaient joué fut un temps oui, ils avaient conclu une sorte d'alliance tacite, c'était vrai. Elle se souvenait, de bribes seulement.《 Sois mes yeux et ma bouche, je serai tes griffes et ton instinct. Ou l'inverse, peu importe. 》Et puis il y avait eu les Lunars Pods, la trahison, quand ils avaient arraché une vie à la cheffe du Vent ensemble, et puis tout s'était enchaîné encore. Mais qu'avait donné leur accord ? Pas grand chose au final. Enfin, lui avait réussi à se hisser en lieutenant, mais elle qu'avait-elle eu. Elle qui prônait le règlement par la force, la preuve de sa valeur sur le champs de bataille. Et lui non. Ils s'étaient retrouvés fut un temps, par leur esprit aiguisé, leur façon de jouer de l'esprit et de conclure alliances pour parvenir à leurs fins, mais aujourd'hui, que les idéaux du matou étaient en voie de se réaliser, la rupture était claire.

《 On voit ce que ça a donné. 》se contenta-t-elle de répondre, se laissant tomber dans la neige pour s'allonger en soupirant. 《 ... C'est pour bientôt? 》Quoi? Ses oreilles se tournèrent vers l'arrière, et elle leva un sourcil. Ce chat était un vrai sorcier.

《 Ça ne saurait tarder... 》Fit-elle finalement en soufflant, baissant la tête vers le sol poudreux. Il fallait se rendre à l'évidence, elle ne savait pas si elle pourrait élever ces chatons. Elle sorti ses griffes pour jouer doucement avec la neige sous ses pattes noires.
《 Je n'ai pas voulu rejoindre les reines. 》constata-t-elle en haussant les épaules. Elle préférait aller chasser, se sentir encore utile comme elle le pouvait. Elle vint relever son menton et placer son regard dans celui doré du matou.《 Quand tu seras chef, tu feras bien attention hein. 》fit-elle en ricanant doucement, mi-sarcastique, mi-sérieuse. Faire bien attention au Clan, à lui aussi, et surtout à ces petits qui prenaient place en son ventre sans avoir prévenu personne. Mais elle ne pouvait pas mettre des mots sur tout cela, ni s'ouvrir davantage.

Le mouvement de patte du bengal ne la fit pas ciller d'un poil et elle le regarda faire, muette. Ce chat avait toujours été un réel mystère pour elle, si terre à terre et concrète, qu'elle le regardait faire ses spectacles et se donner en représentation sans jamais trop comprendre ce qu'il projetait. Il se contenta de répondre à sa propre question, mielleux :

《 ..J'étais tes yeux et tes mots. Ces mêmes mots qui ont noué des alliances à travers tous les Clans. 》

Elle pencha doucement la tête sur le côté. C'était vrai qu'elle avait dit ça, mais comme elle était jeune à l'époque. Et comme elle avait cru qu'elle saurait garder le matou sous son contrôle. Pourtant, nouer ces alliances, ça n'avait jamais été ce qu'elle avait voulu. Qu'avait-il bien pu se passer ?

《 Si j'avais su. 》rit-elle doucement, pensive. Elle s'était peut-être fourvoyée à l'époque, en faisant autant confiance au matou. Elle ne s'était pas rendu compte à quel point ses envies de paix et d'entente étaient fortes, et elle avait toujours été persuadée que la force physique dont elle avait fait son apanage l'aurait emporté. Pourtant elle n'avait peut être été assez vigilante, ou elle ne savait quoi lui avait manqué, mais c'était ces valeurs de paix et de conciliation qui l'avaient emporté, sans qu'elle ne puisse rien y faire. Il fallait croire que cela avait parfaitement convenu aux faiblards qui peuplaient cette forêt.
La siamoise suivit le mâle de ses prunelles bleues, le regardant enchaîner les sourires chargés de nostalgie et de mystères.

《 Je n'ai pas ta force mais ne sous-estime pas la mienne, vu? ♡ ...Tu sais que si tu meures trop vite je compte en faire de vrais cœurs saignants comme moi, pas vrai? 》

Elle souffla, frappée par l'idée. Bien sûr qu'elle allait partir, et que ça ne saurait tarder. Elle sentait ses muscles s'éteindre, ses sens s'éroder, et tout son corps s’essoufflait à mesure que la vie en son ventre grandissait. Elle se leva doucement, dépliant ses pattes noires, et s'étira longuement. Elle s'ébroua pour chasser les flocons de son poil sable et dépassa le chat par la droite, avant de tourner son visage fatigué vers son vieux compagnon, les oreilles frémissantes.

《 Ne m'enterre pas trop vite, j'espère bien durer encore un peu. 》grogna-t-elle simplement, montrant les crocs. Y croyait-elle vraiment ? Même elle ne le savait pas, personne ne pouvait prédire des choses là. Elle leva la tête vers le ciel. Là-haut, y'avait-il vraiment quelqu'un pour elle ? Mais à part Vautour, qui l'attendait ?