Geôlier [feat. Nuage de Soleil] - end

Que son travail était passionnant. Vraiment. Abandonner les longues heures de chasse, les patrouilles solitaires et les quelques rares siestes pour abattre des chats, écouter les conversations de ses voisins et surveiller une pauvre gamine arrachée aux siens. Enfin gamine, en mettant de côté le fait que seulement quelques lunes séparaient les deux chats.

Mais Feulement ne s'en plaignait pas. Bon clébard bien dressé, droit et se contentant d'obéir. Il supposait que c'était peu-être bien aussi, de savoir exactement ce qu'il avait à faire. Ses journées étaient plus remplies que jamais et au moins garder la prisonnière lui permettait d'éviter le camp. Le monde, la foule et les "camarades". Trop de chats, trop de blah blah, trop de bruit. Tout le temps.

Nuage de Soleil, elle, restait silencieuse et il lui devait bien ça. (Oh qu'il avait tort.)

Alors pendant que son apprenti et Dents de Sabre s'occupaient de surveiller chaque fait et gestes des membres de l'Ombre pour potentiellement les dénoncer au moindre faux pas, lui, avait pour ordre de jouer les geôlier.

D'ici la tomber de la nuit l'un de deux autres chuchoteurs viendrait prendre le relai.

Pour l'instant l'énorme corps du jeune guerrier barrait la sortie de la tanière comme une porte d'acier. Il portait encore quelques cicatrices de la bataille menée contre le clan du Vent. Mais elles s'estompaient, rapidement.

Son regard ambré était rivé sur le paysage qui s'offrait à lui. Familier. Trop d'ailleurs. A force de passer des journées ou des nuits entières assis au même endroit on finit par se lasser du grand sapin surplombant les racines qui faisaient office de toit à la renardière.

Et puis l'ennuie se faisait sentir. Il était rare pour le fils du Serpentaire de s'ennuyer, pourtant. Il avait toujours quelque chose à faire. N'était pas du genre à beaucoup réfléchir ou à tourner en rond. Mais là? Il ne pouvait pas dormir. Ni chasser. Ni patrouiller. Coincé avec comme compagnie ses propres pensées et un otage.

Il faisait chaud. Trop chaud. Son épaisse fourrure ne l'aidait en rien. L'orphelin passait décidément une journée lassante. Mais il était en vie et cela le contentait. Lui qui avait pour habitude de livrer un combat permanent afin d'avoir le droit d'exister. Il supposait que de ne rien faire de temps en temps c'était bien aussi. Et depuis l'assassinat de Feuille de Houx il devait s'avouer bien plus tranquille.

" Bonjour, Feulement. Je voulais savoir s’il était possible d’avoir de la mousse ou une graine de pavot pour soulager mon dos. J’ai l’impression qu’un troupeau de mouton m’est passé dessus. "

La voix de la femelle monta aux oreilles du grand guerrier mais seul une de ces dernières pivota en direction du son.

" J’aimerais savoir si je pouvais avoir de l’eau aussi. J’ai la gorge terriblement sèche. S'il te plaît. "

Elle s'était approchée de l'unique entrée où était posté son geôlier. Feulement n'avait pas besoin de jeter un coup d'œil par-dessus son épaule pour le savoir. Le simple écho de ses mots, plus claire et moins distant, l'avait alerté du déplacement de la chatte.

" Non. "

Répondit froidement et sans une once d'hésitation le chuchoteur. Pas question de quitter son poste pour lui apporter quoi que ce soit. Le prenait elle pour un idiot? Sa réputation de sauvage lui seyait bien mais manque d'éducation ne voulait pas dire stupide.

Et puis, aussi loin dont-il s'en souvenait, lorsqu'il avait été prisonnier personne ne lui avait apporté de mousse ou de graine de pavot. Il n'avait que la boue, les rochers et ses larmes pour pleurer. Une telle demande lui aurait valut de perdre un œil. La venteuse avait bien de la chance d'être traité avec autant de clémence.

A l'ombre, à l'abri et sans os brisés.

HRP:

" Tu dois rudement t'ennuyer, là, à surveiller un pauvre sac d'os. "

Continua t-elle.

" Je sens de la mousse, s'il te plaît Feulement, tu veux bien m'en apporter un petit peu ? Je te promet, sur la vie de ma sœur, et le ciel sait à quel point j'y tiens, de ne pas bouger. "

Les supplications de Nuage de Soleil agacèrent légèrement Feulement dont le calme ne cessait d'être troublé par ses requêtes. Mais il resta de marbre, comme toujours. Immobile, préférant continuer de scanner le paysage en face de lui qu'adresser ne serait-ce qu'un regard à sa prisonnière.

" Non. "

Articula t-il à nouveau de son ton éternellement neutre. Pas de mépris, pas de colère, pas de frustration, pas d'arrogance ou bien de compassion. Une simple réponse à une question.

Le sauvage espérait bien qu'elle abandonnerait assez tôt ses tentatives de communication. Il préférait de loin le chant des grillons et des crapauds qui s'égosillaient dans les marais voisins. Bon dieu qu'il aurait apprécié faire une petite sieste pour supporter plus aisément la chaleur et laisser le temps couler plus vite.

Mais ses responsabilités l'en empêchaient.

C'était souvent comme ça.

Cette fois-ci il y eut un contacte physique au grand dam de Feulement. La patte claire de l'apprentie sentinelle toucha la fourrure sombre de l'épaule du matou et son pelage tressauta presque aussitôt de manière désagréable. Son regard menaçant se posa sur celui de la prisonnière tandis que sa queue duveteuse la repoussa à une distance plus acceptable.

" Pourquoi refuses-tu d'aller me chercher de la mousse à trois pas de là ? Je comprends pour la graine de pavot, mais pour de la mousse ? Je t'ai fait du tord ? "

Le guerrier, sans quitter des yeux ceux de Nuage du Soleil pris cette fois-ci le temps de formuler plus qu'un simple mot.

" Je suis les ordres d'mon chef. "

Il dût se retenir de passer quelques coups de langue sur la zone qu'avait tapotée la venteuse. Pas qu'elle le dégoûtait en particulier mais c'était le toucher en général qui lui hérissait le poil. Bien que ce dernier était resté plat en l'occurrence.

" Me touche pas aussi. J'aime pas ça. "

Mais il n'avait pas le droit de lui faire du mal (à part si elle tentait de s'enfuir bien sûr) alors il ne pouvait pas non plus la gifler pour si peu. La bataille contre le clan adverse était encore fraiche et si le chuchoteur n'avait pas confiance envers les siens comment pouvait il baisser sa garde face à "l'ennemi" ? Surtout une prisonnière. Lorsqu'on se fait enlever on n'a qu'un souhait: Se tirer. Et vite. Donc forcément il avait le doigt sur la gâchette, griffes sorties et prête à être utilisés même s'il était plus question d'intimider et de dissuader l'étrangère d'essayer d'aller chercher sa mousse par elle même.

HRP:

La prisonnière finit par se retirer au fond de sa prison sans ajouter un mot de plus. Les muscles du guerrier se détendirent tandis que, cette fois-ci, il se coucha toujours à son poste à l'entrée de la renardière.

Le calme revint laissant la parole aux grives musiciennes, rougequeues à front blanc et merles à plastron dont la symphonie s'éleva entre les murmures du vent et les discussions animées des corneilles bavardes au-dessus de leur tête.

Puis au cœur du brouhaha aviaire une plainte troubla l'harmonie du chant quotidien des terres de l'Ombre. Des pleurs. Les pleurs de Nuage du Soleil. De quoi se plaignait-elle encore, la soif lui était-elle si insupportable?

" Maman… "

L'oreille droite du chuchoteur tourna en direction de la petite voix étouffée par la douleur et la profondeur du tunnel.

" Maman… Pourquoi t’es plus là ? Tu serais venue, toi, au moins… Où que tu sois dans le ciel… Fais-moi sortir de là… S’il te plaît… Maman… Ils m’ont tous abandonnée… Je me sens si seule… Maman… Fais-leur comprendre… Que j’ai rien fait de mal… J’ai juste voulu prouver… Que nous sommes tous des chats… Je veux sortir… S’il te plaît… Maman… J’espère que tu entendras… Ma prière… "

Une prière envers une mère apparemment disparue. Un désespoir désagréablement familier pour l'orphelin qui se souvenait encore et à jamais de son petit corps malmené, blessé et mal nourrit, replié au cœur d'une boue froide et collante. Enfant loin des siens suppliant silencieusement sa mère de venir le chercher de le sortir du joug de ses bourreaux. Il était persuadé de la retrouver un jour. Il se battait pour retrouver la chaleur de son cœur. Quel idiot était-il ... Car lorsqu'il fut de retour dans son clan ce ne fut que pour apprendre la mort de Fleur Noire.

Sacrée vie de merde.

Elle lui faisait pitié.

Finalement le charcoal s'autorisa à faire un pas ou deux pour récupérer la mousse presque sèche qui se tenait non loin de la cellule de terre, silencieusement et sur ses gardes pour que l'étrangère ne se rende compte de sa courte absence. Il fut de retour bien assez tôt, lançant la végétation imbibé aux pieds de la miséricordieuse.

" Tu gaspilles ta salive. "

Maudit ne lui en voudrait pas il devait garder la prisonnière en vie alors un petit peu d'eau sous cette chaleur ne devait pas être interdit. Du moins il ne lui avait rien dit de ça. Ou il ne l'aurait pas fait.

" Ta mère viendras pas. "

Spoiler:

HRP: