Rocher surprise ! Ft. Boule de Roc - abandon

La journée touche à sa fin.

Éreinté, je rentre au camp. Difficile de ne pas avoir l'air abattu, ces temps-ci. Beaucoup d'entre nous ont subi la canicule de plein fouet, et je n'y fais pas exception. Heureusement, après ce qui m'a semblé une éternité, la vague de chaleur touche à sa fin. L'eau reprend petit à petit sa place dans son lit - j'ai l'occasion d'observer la rivière reprendre ses droits chaque jour. Avec l'eau, et avec des journées plus clémentes, la vie revient aussi. Cela doit bien faire une ou deux lunes qu'il est à nouveau possible de chasser sans revenir sans rien, et en conséquence, la vie au camp revient peu à peu à la normale... Enfin, c'est ce que l'on aurait souhaité. Beaucoup d'entre nous sont encore anormalement fatigués. J'en fais partie, mais je suis convaincu d'avoir trop donné à la chasse pendant la canicule - cela doit faire presque une lune que je tourne au ralenti. Mais pour d'autres, ce n'est pas pareil... On ne sait pas trop ce qu'il se passe. Et notre chef et guérisseur non plus, apparemment. Quant à notre lieutenant... Je préfère ne pas y penser. On ne voit pas beaucoup Étoile d'Or ces temps-ci, et après la mort de Museau Bleu... Des temps difficiles s'annoncent à nouveau.

Je marche lentement à travers le camp, prenant soin de déposer mes proies à l'endroit fait pour, avant de me diriger vers la pouponnière. J'avais pris l'habitude d'y passer quand mes propres filles y étaient, et bien qu'elles soient devenues apprenties maintenant, je continuais d'aller voir ce qui s'y passait de temps en temps. Enfin, c'est aussi qu'avec la canicule, les reines et leurs chatons prenaient la priorité sur tout le reste, comme si tout le clan était à leurs petits soins - et avec raison. Les favoriser pendant les périodes de famine, c'est préserver l'avenir du clan, et pour ça, je pense que tout guerrier accepterait volontiers de faire quelques sacrifices. C'était ce qu'on avait tous fait. Mais maintenant, je commençais à craindre que tous nos efforts ne suffisent pas. Peut-être n'était-ce qu'un simple pressentiment ; mais si une maladie parcourait vraiment nos rangs... Alors, peut-être que nous étions foutus. Mais je ne m'avouerai pas vaincu si facilement.

Je m'approche tranquillement, m'attendant à voir des petits se chamailler, ou en voir un débouler vers moi à tout instant. Cette dernière pensée me fait sourire un peu. Mais en ce moment, je crois bien qu'il y a assez peu de chatons par ici, une portée étant passée à l'âge d'apprenti il y a une ou deux lunes de ça. Il y avait encore sans doute deux portées qui se partageaient l'espace par ici, de quoi tomber sur un chaton curieux ou deux.

Note:

Ces temps-ci étaient particulièrement étranges. Mes journées étaient plus... longues? Je ne me rendais pas compte, mais résister à une chaleur étouffante sappait mon énergie. Ainsi, en période de canicule, j'étais active mais pendant de très courts moments de la journée. Pour moi, à ce moment-là, c'était normal.

Et là, depuis quelques jours... J'étais moins fatiguée. Je me sentais toute légère, comme si on m'avait donné un coup d'accélérateur! Et je crois bien que le goût du lait de maman était meilleur encore. Quoiqu'il en soit, je devenais une pile électrique. Je jouais énormément avec mon frère même s'il pouvait pas trop bouger. Je ne comprenais pas encore pourquoi, et finalement, je me disais que c'était normal. Je n'étais pas (encore) atteinte par les jugements, par le regard des autres.

Aujourd'hui ne faisait pas exception. Certes nous étions en fin de journée, mais je venais tout juste de finir ma sieste. Petit Espoir dormait encore, et maman me disait d'arrêter de le réveiller sans arrêts. (Bon, on me disait aussi d'arrêter d'embêter les grands). Un éclair roux attira mon attention à l'orée de la pouponnière. Quelle gentille petite fille pourraient dire certains, elle écoute sa maman en laissant son frère dormir. La vérité résidait surtout dans le fait que j'avais trouvé un autre moyen de divertissement.

Je m'aplatissais au sol. En ce moment, j'aimais bien me cacher pour mieux attaquer les ennemis! Et cette fourrure me paraissait être parfaite pour faire un ennemi. Aplatie au sol, je rampais de manière très élégante (c'est faux) au sol, en tentant (j'ai bien dit en tentant) d'être discrète. Soudain, mince! Je fis rouler un caillou en sa direction. Ni une, ni deux, je me roule en boule, en faisant mine de dormir. Comme ça, il ne portera pas son attention sur moi, en se disant que je suis une petite chose endormie inoffensive et puis pouf! je lui bondirais dessus.

Spoiler:

Je marchais tranquillement, quelque peu perdu dans mes pensées. Qui sait, peut-être que de croiser un peu de jeunesse me redonnerait un peu de dynamisme ? J'en avais bien besoin ces jours-ci. Je continuais de me lever tous les matins et de chasser, comme d'habitude, mais tous les jours, la fatigue prenait son dû. Je connaissais plus d'échecs que d'habitude, et ce n'étaient sans doute pas les proies qui étaient devenues plus alertes (enfin, je crois ?). Enfin, c'était démoralisant quoi. J'espérais simplement retrouver mon talent d'avant, mais cela prendrait sûrement plus de quelques journées sans les fortes chaleurs de la saison des feuilles vertes. Donnez-moi une lune, et peut-être serai-je à nouveau opérationnel.

Soudainement, j'entendis un petit bruit non loin de moi, et vis un caillou rouler dans ma direction. Je marquai un temps d'arrêt. Un caillou ? Qui roule tout seul ? À cet endroit du camp ? Ça faisait beaucoup de coïncidences quand même... Curieux, je jetai un coup d'œil dans la direction de laquelle venait le caillou. Je fus surpris d'y découvrir un autre caillou. Avec de la fourrure grise, et plus gros que le premier caillou. En bref, un chaton au poil gris foncé roulé en boule, qui paraissait endormi. Pas besoin d'être un génie pour comprendre ce qui venait de se passer ! Je souris doucement, et décidai de jouer le jeu.

Je me remis à marcher tranquillement en direction de la pouponnière, comme si de rien n'était. Je me demandais si la petite aurait le cran de me surprendre, ou si elle se contenterait de me laisser passer comme si je n'y avais rien vu. J'espérais secrètement que ce soit la première option ! Rien de mieux qu'un peu de jeu avec les petits pour se détendre un peu après des journées parfois décevantes - enfin, j'ai bien dit un peu de jeu, bien sûr, car certains chatons arrivent tout de même au bout de la patience des reines les plus calmes. Je continuai donc de marcher, gardant un œil sur la jeune boule de poils qui semblait dormir. N'était-ce pas la fille de Papillon Blanc et Pluie Battante ? Je pourrais le leur demander, mais je crois bien que c'était elle. Qu'importe après tout ! On ne choisit pas ses parents, et dans tous les cas, ça faisait un futur apprenti de plus à rencontrer !

Coucou:

Le guerrier s'arrêta un instant pour regarder la pierre. Je retins mon souffle, et mon coeur se mit à battre la chamade. Je fermai également très fort les yeux, pour simuler parfaitement quelqu'un qui dort... Mais du coup, je ne sus pas pendant combien de temps il regarda la pierre, ni s'il s'était mis à marcher.

Je pris le risque d'ouvrir un œil, et vis le guerrier déjà trop loin pour que je l'atteigne en un seul bond. Zut. Mais en tout cas mon plan avait marché à merveille! Je commençais alors ma traque. D'instinct, je m'aplatis au sol, et essayais de marcher silencieusement vers lui. Dès qu'il tournait la tête, pouf! Je me remettais en boule et faisais semblant de dormir.

Et finalement, de manière très discrète, j'étais enfin à sa hauteur. Quand il eut la tête tournée, je m'élançais! Je bondis, de manière désordonnée, avec les pattes qui moulinaient dans le vent dans l'espoir d'atteindre ma cible. Que la guerre commence!

La petite s'avança vers moi dans mon dos, ses petites pattes de jeune chaton frappant le sol avec très peu de bruit. Mais à chaque fois que je jetais un coup d'oeil vers l'arrière, la boule de poils gris bleutés semblait se rapprocher, encore et encore... Quel curieux phénomène, n'est-ce pas ? Je fis comme si je n'avais rien vu venir, la laissant s'approcher toujours plus, assez amusé par la scène.

Après quelques étapes, la traque du chaton toucha à sa fin. Je sentis soudainement une petite masse de fourrure frapper l'une de mes pattes de ses petits mouvements encore bien désordonnés. Jouant le jeu (presque) jusqu'au bout, je fis semblant de m'effondrer au sol avec un feulement feint. "Aaargh ! Je suis vaincu !" dis-je de manière volontairement dramatique, en restant allongé par terre.

Puis... Je me retournai pour tomber face à face avec Boule de Roc, ma tête à peu près à son niveau puisque j'étais encore au sol. "... Ou peut-être pas !" Soudainement, je me relevai de toute ma hauteur. Même si je n'étais pas le plus grand félin du clan, c'était bien suffisant pour être beaucoup plus grand que la petite. "Tu as osé attaquer ton aîné ? Tu ne manques pas de courage, dis-moi !" lui dis-je sur un ton assez jovial. Je ne voulais pas me montrer intimidant face à un jeune chaton, même si je doutais que Boule de Roc ait peur de qui que ce soit dans le clan, vu la façon dont elle m'avait approché !

"Aaargh ! Je suis vaincu !"

Et ma cible s'effondra au sol! J'avais vaincu si vite! Quelle force! Quelle puissance ! Un grand sourire étira mes babines. Je me préparais à monter sur son flanc, d'un air victorieux, quand le roux se tourna vers moi ! J'eus un violent sursaut de surprise, mes yeux s'agrandirent en "O" et mes poils se redressèrent!

"... Ou peut-être pas !"

Et il se leva. Je dus lever beaucouuup la tête pour le regarder! (bon, moins que pour voir mon papa, mais c'est parce que c'est le plus grand!) Etrangement je faisais beaucoup moins la maline.

"Tu as osé attaquer ton aîné ? Tu ne manques pas de courage, dis-moi !"

Je penchai la tête sur le côté, interloquée par cette remarque. Je restais un ptit moment à le regarder comme ça, puis j'haussai les épaules:

"Beeeeen. T'étais Etoile de Poussière, le gros méchant pas beau du clan du tonnerre! C'est pas parce que t'es grand qu'jvais pas défendre le clan de la rivière!"

Je me remis aussitôt en position d'attaque, prête à en découdre. Pour ce faire, je fis un bond en arrière (que je ratais, et donc je dus prendre le temps de me relever) et je baissais (un peu) le poids de mon corps et je le regardais fixement. Tayoooooo!

La petite ne manquait pas de cran. Certains chatons auraient pris la fuite, ou se seraient excusés maladroitement. Mais pas aujourd'hui ! Non, aujourd'hui, il était temps de jouer. Les yeux pétillants d'amusement, je fixai le chaton gris qui se tenait vaillamment devant moi. Malgré un petit temps d'hésitation, Boule de Roc campa sur ses positions, et me répondit tranquillement :

"Beeeeen. T'étais Etoile de Poussière, le gros méchant pas beau du clan du tonnerre ! C'est pas parce que t'es grand qu'jvais pas défendre le clan de la rivière !"

Je décidai de jouer le jeu, souriant. Boule de Roc, se prépara à attaquer - enfin, du mieux que ce qu'un chaton est capable de faire, bien sûr. Elle fit un petit bond en arrière pour prendre un peu plus de distance... Et tomba par terre. Je rigolai légèrement, attendant qu'elle se relève. Après quelques instants, elle était prête à lancer l'assaut. C'est parti !

La bataille d'Étoile de Poussière face à Étoile de Roc fut terrible, mais légendaire selon tous les témoins présents (quelques chatons peut-être, enfin pas grand monde en fait). Comme à la fin de toutes les bonnes histoires de la Rivière, Étoile de Poussière fut vaincu par la valeureuse guerrière ! Après avoir repoussé quelques assauts de la petite, je fis semblant de tomber au sol, un peu comme avant - malgré mes talents d'acteur sans doute un peu limités.

"Le Clan de la Rivière est vraiment trop fort... Aie pitié ! Je n'attaquerai plus jamais, promis !"

C'était sans doute un peu ridicule, mais je me prêtai volontiers au jeu. Ce n'était pas tous les jours que j'avais le temps et l'humeur de jouer avec les petits. Une pensée un peu plus sombre me traversa l'esprit. On en a bien besoin en ce moment, de bonne humeur... Je fis de mon mieux pour chasser cette réflexion.

Spoiler:

Je lançais ma première offensive avec une rapidité sans pareille. Ma vivacité était impressionnante, mais l'ennemi était malin (bah oui c'est un chef) et réussit à me bloquer. Je grimaçais (imitant un feulement), et balançais ma patte avant dans le vide pour feinter de vouloir le toucher! Mais en fait je fis une roulade sur le côté, sautais pour me remettre sur mes pattes et bondis à nouveau sur lui, en lâchant un puissant et terrifiant grognement. Enfin, ça c'était la théorie. La pratique donnait plutôt: chaton qui court maladroitement, chaton qui donne un coup de patte dans le vide, qui met du temps à changer de direction, et faire une roulade. Qui met du temps à faire la roulade parce que, mine de rien, il ne faut pas s'emmêler les pattes. Et qui met du temps à se relever.

Mais mon stratagème marcha à merveille puisque mon ennemi s'effondra au sol, mourant. Je bombais le torse, fière.

"Le Clan de la Rivière est vraiment trop fort... Aie pitié ! Je n'attaquerai plus jamais, promis !"

J'hochai la tête, et pris un ton victorieux et condescendant:

"J'espère bien !"

Je me sentis soudainement très fatiguée. Que d'énergie dépensée. Pour appuyer ce changement d'état, un énorme bâillement étira mes babines. Je souris au guerrier qui avait bien voulu jouer avec moi, et miaulais:

"Merci d'avoir joué avec moi! "

Et je partis fissa vers ma mère, qui nous regardait tendrement de loin. Je me blottis contre elle et mon frère n'allait probablement pas tarder à nous rejoindre, et glissais doucement dans des rêves de chasse et de gloire... ou simplement de festin.

Out pour moi !