Le temps perdu [ft.Soucieux] - abandon

Il était tard. La toison d'argent (partiellement dissimulés par d'imposants nuages noirs) brillait au-dessus de la canopée dont la cime des arbres baignait dans son éclat d'ivoire. Au pied des sapins la lumière peinait à éclairer le paysage sylvestre plongeant le marécage dans les ténèbres. En cette nuit d'automne Le clan de l'Ombre portait son titre à merveille.

Dans les entrailles de l'antre de ronce du campement il faisait si sombre qu'on ne voyait plus le bout de ses pattes. Les aiguilles s'accrochaient aux flancs des guerriers tandis qu'ils se glissaient dans le boyaux végétal à la suite de leur lieutenant.

Sans un mot la patrouille nocturne se dispersa lorsque Feulement les autorisa à disposer d'un mouvement de la queue.

Les nouvelles étaient bonnes. La forêt devenait plus humide, l'air plus giboyeux, entre les racines des sapins on pouvait occasionnellement apercevoir quelques petits rongeurs préparer leurs réserves pour l'hiver; de quoi remplir celle de la tribu.

C'est presque mécaniquement que le "sauvage" se dirigea d'un pas lourd de fatigue vers la niche des combattants protégée par le couvert d'épais fourrés mais avant qu'il ne disparaisse derrière le rideau de feuilles et de branches une silhouette dans le coin de sa vision périphérique mit fin à sa progression.

Il aurait pu reconnaître ce corps frêle et mal nourri parmi tous. Ces longues échasses cicatrisés qui lui servait de pattes, ces oreilles troués et ce pelage monochrome qui s'alliait si harmonieusement avec les couleurs froides de la nuit.

C'était lui, Esprit Soucieux, son père.

S'en était presque drôle ... Cela faisait maintenant des lunes qu'ils n'avaient pu trouver le temps de se parler et pourtant la vision lui était si familière. Assit sagement, visage pointant pieusement les cieux, Feulement pouvait y lire mille prières.

Hormis quelques rides le guérisseur n'avait pas changé. Cela lui faisait chaud au cœur. Personne ne pouvait réchauffer son âme comme l'envoyé des étoiles le faisait et cela bien souvent inconsciemment. Il suffisait à l'orphelin de croiser son ombre pour se sentir plus léger. Il lui manquait.

Ce soir il trouverait le temps d'oublier ses soucis auprès du soucieux. Comme il l'avait tant fait autrefois, tout au long de son enfance et de son adolescence douloureuse.

C'est en s'approchant du matou gris que l'ancien chuchoteur fut surpris par un détail physique idiot. Cela lui paraissait évident maintenant qu'il y pensait, mais le soigneur était plus petit qu'autrefois ou du moins c'était Feulement qui avait poussé comme une asperge, géant de muscles et de griffes.

Silencieusement il pris place à ses côtés, s'asseyant sans s'annoncer. Le lieutenant était loin d'être un grand religieux mais il savait que son père l'était. Il lui avait appris qu'il ne fallait pas déranger les prières alors il ne dérangerait pas. De toute façon ce serait bien lui le dernier à jouer les pipelettes ... quoiqu'il était toujours plus bavard en présence du vieux chat.

Les corbeaux, eux, étaient moins sages. Croassant au cœur de la nuit, jouant à qui cri le plus fort avec les grillons et les crapauds.

Le vieux gris sur ses échasses tremblantes pris un certain temps avant d'accorder à son fils son attention. D'une voix fatiguée il déclara:

" On vient voir son vieux père, fils ? "

Feulement en aurait presque ronronné néanmoins aucun son n'émana de son corps robuste. Son visage resta de marbre mais derrière son masque de fer il souriait. Toujours plus bavard avec Esprit Soucieux, pas même sa hantise des bavardages ne retenait sa langue.

" Ça fait longtemps. J'ai plus le temps d'voir grand monde entre les patrouilles, les rapports, mes gosses et Etoile Dansante. "

Son âme se sentait plus légère auprès de son père mais toujours alourdie par les tourments qu'avaient laissés son altercation avec déchet dans son sillage. Le grand mâle aurait voulut oublier son traumatisme mais il y a quelques jours à peine il y avait été confronté hors de ses cauchemars, seul face aux yeux de ses vieux démons. Et il avait fini par attraper le taureau par les cornes mais non pas sans faire couler le sang de celui qui avait autrefois marqué son visage. Il n'était pas mauvais, tout d'eux n'étaient que des pauvres gosses à l'époque et au final le lieutenant en voulait plus à ses ravisseurs qu'à lui... Mais les blessures anciennes ne raisonne pas.

Peu-être pourrait-il en parler avec celui qui avait toujours apporté des réponses à ses questions ? Celui sur lequel il avait pu, pouvait et pourrait toujours compter. La seule chose qui donnait un sens à sa chaotique existence. Le clan des étoiles savait que si ce n'était pas pour le soigneur l'orphelin se serait déjà réfugié dans le confort des bipèdes, loin des guerres futiles des claniques.

" J'pense toujours à toi tu sais. Tout l'temps presque. J'ai plus à m'occuper de Brasier Caniculaire alors j'essayerais de passer plus souvent. "

Le museau du guérisseur frôla la pelisse de son fils, ses moustaches chatouillant les poils sombres de son cou. Et il ne bougea pas, le lieutenant. Ses muscles n'exprimèrent aucune résistance à ce que le vieux mâle gris enfonce son visage dans sa nuque et partage la chaleur de son corps avec la sienne. Car il n'y avait que lui qui pouvait ainsi l'approcher si anodinement, il n'y avait que l'affection physique d'Esprit Soucieux que Feulement pouvait accepter, même apprécier. Peu-être ne lui rendit-il pas son étreinte mais il passa gentillement sa queue le long de son flanc, une façon amoindris de lui offrir son attention qui pourtant, venant de lui, valait tous les "je t'aime" du monde.

" Je pense toujours à toi aussi, fils, je te garde dans mes prières et dans ma vieille caboche. Alors, dis moi, raconte, comment c'est d'être le lieutenant de ma sœur ? Elle est pas trop terrible avec toi ? Tu veux que j'aille lui rappeler à quel point j'aurai pu facilement la défoncer quand on était chaton ? Elle s'appelle pas dernière pour rien... "

Les paroles du médecin ne le firent pas rire mais l'amusèrent, il s'installa plus confortablement tandis que mécaniquement il entreprit de faire la toilette de son père passant sa langue râpeuse sur le haut de son crâne presque à la manière dont une mère lave son petit. Il était incroyablement rare pour le grand mâle charcoal de démêler de la sorte la fourrure des autres. Le genre d'activité qu'il n'avait entrepris qu'avec une poignée de félins, principalement son père et ses gamines, parfois, lorsqu'il y avait été obligé par les autres reines de la pouponnière.

" Ça va. "

Répondit-il.

" J'm'y fais, ça demande de moins en moins d'effort. Fin ça prend moins d'temps. Même si c'est souvent à moi d'faire le sale boulot, j'suppose que j'suis là pour ça. "

Même s'il la trouvait collante Etoile Dansante lui demandait, en soit, moins d'effort qu'Oeil Vert en exigeait de lui à l'époque où il était chuchoteur.

" C'est drôle, ça me rappelle quand c'était moi qui te faisais la toilette, il y a des lunes et des lunes. C'est bien, que tu as grandi comme ça, pas trop cassé, je veux dire. Enfin, tu me diras, t'as vu ma gueule, tel père, tel fils. Te tues pas à la tâche avec ma soeur. Tu es content au moins, d'être le lieutenant ? "

Content d'être lieutenant ?

" Nan. "

Fidèle à lui même, toujours brutalement honnête. Mais dans la négation de son plaisir quand à sa situation il ne sonnait pas de malheur pour autant. Une certaine lassitude au pic de sa neutralité ennuyeuse.

Connaissant son père il avait compris au fil des lunes tout le sens de son nom et ne cherchant point à l'inquiéter il força d'autres paroles hors de sa gueule habituellement silencieuse.

" Jamais voulut être lieutenant mais j'ai connut pire. C'pas atroce non plus, 'fin si l'autre viens à crever j'ai pas envie d'être chef non plus. "

Il accompagna ses paroles d'un haussement mou des épaules.

" Après si y doit, y doit. "

C'est en s'attardant particulièrement sur l'arrière des oreilles du guérisseur, donnant des coups de langues avec une force qui aurait presque put faire chavirer son frêle corps, qu'il changea le sujet de manière relativement inconsciente. Il voulait simplement s'assurer du bien être de l'ancien.

" Et toi chez les vieux, ça va ? Tu t'fais pas trop chier ? "

" Fait gaffe fils, j'suis pas sûr que ta tante apprécierait que tu parles d'elle comme ça. Enfin bon, qu'est ce qu'elle apprécie à part son petit pouvoir, être une impie, et se taper la moitié du Clan, tu me diras. "

Le lieutenant ne pu retenir un coup d’œil aux alentours, se demandant un instant s'ils étaient écoutés. Vieux réflexe semi-paranoïaque d'un temps où lui et ses trois paires tendaient les oreilles, abattant sous les ordres du Maudit les chats qui osaient trop s'affirmer en parole contre son régime. Mais les chuchoteurs n'étaient plus et le sang qui autrefois tâchait la place de leur camp avait séché. M'enfin, vous me direz, rien ne pouvait affirmer que la nouvelle Étoile n'avait pas sa propre garde de l'ombre, après tout elle n'avait pas été mise au courant de son temps de lieutenante.

" Tu feras un bon chef, je le sens dans mes vieux os. J'espère que je serais encore là pour te voir couronner par nos ancêtres. Enfin, je veux pas non plus souhaiter du mal à ma soeur. Compliqué la famille, hein ?
- Mmrrrh. "

Fut sa réponse flou, à mi-chemin entre le miaulement et un son sourd de gorge qui n'avait ni connotation approbatrice ni connotation désapprobatrice. La famille, il ne trouvait pas cela si compliqué mais il trouvait que les félins autour de lui la rendait bien plus difficile qu'elle ne devrait être. Alors un oui ou un non, lui6même ne serait vous dire.

" Ah bah ça, je me fais chier, c'est le mot. Heureusement que tu viens me voir, y a personne qui veut de ma compagnie, ils ont peur que je leur refile la vieillesse. Y vont tous crever un jour pourtant, et je vais les enterrer, parce que les Étoiles vont me remercier avec une vie longue qui te verra aller loin, comme tu le dis. Elles me parlent de toi, tu sais. "

S'en suivi un petit silence pensif.

" Elles, t'parlent de moi ? "

Il s'était toujours montré sceptique vis-à-vis des étoiles bien qu'il n'en avait jamais ouvertement parlé, se contentant d'écouter les paroles de son père auquel il ne croyait pas vraiment, il se demandait si tout ce bordel ne lui rongeait pas trop le cerveau. Il l'avait dit lui même il se faisait vieux après tout. D'ailleurs tiens, il y repensait maintenant, il y aurait des choses dont-il aimerait lui parler.