Un whisky, deux whiskys, trois whiskys... Attend, quoi ? [pv Epervier] - abandon

Il a passé toute sa matinée à la frontière du Clan de la Rivière, planté dans les herbes hautes. Là et pendant des heures, rien. Juste le vent qui balaie ses landes venant décoiffer la végétation, brossant chaque brin jusqu'à les tordre irréversiblement en direction de la tribu des pêcheurs. Et lui. Les oreilles bien dressées sur son crâne, à l'affût du moindre bruit inhabituel, suspect. Et durant tout ce temps, rien et juste le vent. Et lui.

Quel soulagement quand on vient le remplacer. Il trottine sereinement jusqu'au Camp où il dévore un lapereau en silence. Il n'a pas décroché un mot depuis son réveil, se contentant de saluer ses camarades de simples ondulations de sa queue ou d'hochement de la tête. Il en a marre. Serres d'Épervier veut vagabonder, comme il le faisait dans ses premières lunes de liberté. Comme quand il n'était que Nuage d'Épervier.

Alors sans demander son reste, il sort du Camp, traverse la lande, passe par les Quatre Chênes, file sur le chemin du Tonnerre sans se faire renverser par un monstre et laisse ses pattes le guider le long de l'asphalte. Il galope un moment jusqu'au grillage du Verger qu'il a pour idée de dépasser sans s'arrêter quand soudain.

Des cris.
Des pleurs.
Au secours.

Ses yeux roulent vers le ciel. Déjà ? Est-ce un chat de la Tribu de Soleil qui a des ennuis ?
Il piétine un moment, hésite, se lance, se reprend, réfléchit, se dit Après tout… mais marque un nouvel arrêt Et puis… Oui mais si… Mais le chat retentit de plus bel. Il s'agace de sa propre hésitation et franchit le grillage d'un bond avant de s'élancer vers l'appel.
Si quelqu'un a besoin d'aide, il ne peut pas juste l'ignorer sous prétexte que Soleil vit ici aussi et qu'il n'a pas envie de la croiser.

Ses foulées s'enchaînent sans l'essouffler; c'est qu'il est coureur, le fils du vent. Mais alors qu'il s'approche du bâtiment d'où semble provenir le bruit; il ralentit. Il ne connaît pas cette voix. Il se plaque au sol et progresse plus prudemment, la queue basse pour ne pas être repéré.

Rapidement, ses yeux se posent sur un drôle de chat. Très haut-sur-patte, moucheté, larges oreilles, longue queue… et horrible miaulement larmoyant. Mais quelque chose le rassure; un collier qui entoure son homologue à la gorge. Un domestique. Il se redresse aussitôt, se dévoilant pleinement à l'autre matou.

« Hé ! » le hèle-t-il alors. « Qu'est-ce qu'y t'prend d'miauler comme ça ? » Il arque un sourcil, perplexe mais amusé. « Tu veux rameuter tous les chiens des environs ? »

HRP:

La réaction du grand chat tacheté arrache un ronronnement amusé à Serres d'Épervier. Après s'être à moitié étouffé dans son dernier miaulement, la perche s'enquiert : « Parce qu'il y a des chiens dans le coin ?! »

La sentinelle pouffe un coup; c'est si facile avec les domestiques… Et le voilà qui renifle l'air et qui z'yeute les alentours inquiet. « C'est la règle. » lui souffle-t-il comme une confidence. « Il n'y a pas de chien, jusqu'au jour où il y en a. » Il lui offre un clin d'œil taquin.

Et puis, pendant un instant les deux mâles se jaugent plus distinctement. Le brun n'a plus de réserve pour son homologue : il n'a pas l'air bien bagarreur, puis ces grandes pattes ne l'effraient guère (qui saurait se battre avec de telles échasses ?). Une petite tête, de grandes oreilles où planter ses crocs en guise d'avertissement, un ventre exposé par la longueur des membres… Sans parler de cette gorge, que la sentinelle pourrait saisir avec facilité tant elle lui est accessible par leur différence de taille. Non, décidément ce kittypet ne représente aucun danger pour lui.

Quand il reprend la parole, Grande Perche a l'air bien penaud.

« Je me suis perdu et j'essayais de demander de l'aide aux deux-pattes de la maison… Mais je crois qu'ils ne sont pas là… Vous allez me faire du mal ? » Serres d'Épervier roule ses yeux vers le ciel, un peu vexé. Il s'apprête à répondre du tac au tac mais l'autre rajoute : « Si je suis sur votre territoire, je suis désolé, je ne le savais pas. C'est un très bel endroit, cela dit, j'aurais dû savoir qu'il était pris, ça tombe sous le sens… Mais comme je vous l'ai dit, je suis perdu, je ne saurais pas où partir pour rejoindre ma maison... »

Cette fois, il est défroissé. La sur-politesse de son nouvel ami au collier est si ridicule qu'elle est fascinante. Waw, voilà un autre artiste qui monte sur scène. Tant de précautions… Tout ça parce qu'en quelques secondes seulement, le rapport de force est fixé ! C'est fou comme on retrouve vite de la civilité quand on peut se faire éclater la gueule si facilement. Pas étonnant que certains chefs idiots rêvent de conquérir le monde si c'est pour rendre les autres matous si… complaisants à leur égard. Alors, il se lance.

« Oh oui stupide domestique ! » s'écrie-t-il, l'air grave. « Crains mon courroux, moi le terrible guerrier de ces terres ! » Il commence à marcher grossièrement, se faisant le plus lourd possible (et c'est dire, venant d'un menu venteux). Il dépasse le grand tacheté, encore quelques pas puis fait volte-face et continue : « Je suis très très méchant et il se trouve que c'est MON champs d'arbre à MOI ! » Sourcils froncés, il fait de nouveau face à l'autre matou. « Et pour la peine, j'ai décidé... » Il fait mine de réfléchir. « DE TE DÉVORER TOUT CRU !! » couine-t-il en bondissant soudain à deux centimètres du pauvre félin perdu.

Alors là, s'il n'a pas joué le grand méchant chat sauvage sans pitié…

HRP:

Même Serres d'Épervier est un peu hébété face à la réaction du domestique. Le malheureux a détalé aussitôt, couinant presque à son départ et plantant le farceur sur place. Oh, là sa crédulité en devient vexante.

Heureusement, la sentinelle est vive et elle ne perd pas des yeux les grandes oreilles au bout noir qui rebondissent quelques mètres plus loin. Il se met à galoper derrière sa victime, décidé à rétablir la vérité (et bouder un peu). Grande Perche a le temps de bondir contre la porte du bâtiment et d'y réaliser quelques acrobaties avant que son poursuivant ne le rattrape. Ce dernier l'entend même râler de frustration (et d'effroi) pour une raison qui lui échappe… échappe, c'est bien ce que le drôle de domestique n'est pas très bon à faire. Quel intérêt de sauter comme ça sur une surface aussi plane ?

Vraiment une stratégie pitoyable, surtout quand l'ami des bipèdes finit recroquevillé à même le sol, murmurant quelques jurons alors qu'il se croit déjà mort. Serres d'Épervier se délecte un peu du moment, prend même le temps de s'assoir. Puis, arquant un sourcil, il remarque à voix haute : « T'es vraiment un drôle de numéro, toi. » Levant sa patte droite, il tapote l'épaule du matou tremblant. « Roh, je rigolais ! On ne mange pas de chats dans mon Clan. Du lapin, à la rigueur... »

Son oreille tique et détournant son regard du malheureux moqué, il lui demande : « Bon, tu viens d'où du coup ? »

La réponse se fait attendre; assez pour que le matou brun regrette un peu sa farce. Peut-être que ses compères claniques l'auraient trouvé hilarante car ridicule… à la place, le domestique l'a vécu comme une véritable agression, rien de bien drôle donc. D'ailleurs, il se redresse à peine pour répondre :

« De chez mes deux-pattes. C'est un territoire où ils sont beaucoup et où il faut grimper des barrières pour rendre venir jusqu'ici… » La Ville ? « Vous… Vous allez m'aider ? »

Serres d'Épervier acquiesce aussitôt avec sérieux : le tacheté a bien besoin de ça. Queue agitée, oreilles à demi-rabattues sur le crâne, pattes fébriles mais fermement ancrée dans le sol, gorge non-exposée, flanc au premier plan, muscles bandés; tant de signes qui ne trompent pas. En tant que sentinelle, il a pris l'habitude d'étudier le langage corporel des autres : repérer les points faibles, éviter les points forts, anticiper le premier coup, préparer une course-poursuite. On peut bien l'embobiner de mille façons mais le corps lui, ne sait pas mentir.

Et d'une voix qu'il veut stable, le chat au collier reprend : « Vous… Vous avez parlé de clan… Qu'est-ce que c'est ? » Faire aller sa gueule pour éviter les coups de griffes. « Et c'est quoi un lapin ? Ça se mange ? »

Le mâle au médaillon offre un sourire sympathique avant de répondre : « Un Clan, c'est une grande tribu de chats. Il y en a quatre, dans la région. Le mien, c'est le Clan du Vent ! On vit dans les landes, pas loin. » Il lui désigne l'horizon de sa queue. « La prochaine fois que tu te perds, évite de te retrouver sur le territoire d'un des Clans, certains guerriers sont malveillants avec les domestiques. » Il se perd un peu, pensif. Que serait-il arrivé à ce matou s'il était tombé nez à nez avec l'une des brutes du Clan de l'Ombre ?

« Un lapin, oui ça s'mange ! » reprend-t-il. « Mmh... C'est comme une grosse souris avec de très grandes oreilles. »

Le ventre de l'autre gargouille mais avant que Serres d'Épervier puisse dire quoi que ce soit, il miaule :
« Je… Je m'appelle Whisky, au passage...
- Enchanté Whisky. » Il hoche la tête en signe de politesse. « Tu n'as qu'à m'appeler Lapin. Mes camarades de Clan n'apprécient pas trop que je puisse me faire des amis en dehors des landes alors, je ne peux pas te donner mon vrai nom. J'espère que tu ne m'en voudras pas ! » Il s'interrompt un instant. « T'as faim ? Ça fait longtemps qu'tu t'es perdu ? » demande-t-il, presque inquiet en relevant la truffe pour humer l'air.

Il ne laisse pas vraiment le temps à Whisky de répondre, puisqu'il file le long de la maison en bois, convaincu qu'il s'agit là d'une mine à souris. Et ça ne rate pas; il ne lui faut que quelques instants avant de distinguer une ombre grise au détour d'un mur. D'un signe de la queue, il demande le silence et se prépare. Il fléchit ses postérieurs et bondit, galopant le long de la paroi ligneuse jusqu'au rongeur occupé à grignoter. Là, la sentinelle s'applique alors à capturer sa proie entre ses antérieures mais le petit animal s'agite et lui échappe par deux fois ! Serres d'Épervier laisse filer le gibier non sans un grommellement frustré. Relevant les yeux vers sa nouvelle rencontre, il s'excuse :

« Désolé, je vaux mieux en combat qu'à la chasse, ha ha ! » un peu gêné par sa piètre performance.