L'alcool face à la rouille ! [pv Rusty] - abandon

L'hiver, s'endormir au chaud contre la grosse boule sombre et hirsute qu'est Trash est plus que confortable, s'emmitoufflant ensemble dans ce qui était autrefois un nid de draps douillets (maintenant moisis), mais le printemps... Quand la vitre trouble de la fenêtre filtre quelques rayons au travers des saletés qui la couvre, et que ces quelques rayons s'étirent et effleurent les poils noirs de Trash, il se transforme en fournaise.

Le feu aux pattes, Rusty fut brusquement tiré de son sommeil paisible. Il envoya un vigoureux coup de patte à Trash et s'aggrippa les griffes de l'autre aux lattes du plancher, les yeux ronds, le souffle court et les coussinets en sueur. Il devait sortir d'ici - la panique du réveil le fit se débattre avec ferveur, jusqu'à ce qu'il ne parvienne à s'extirper de l'étreinte de son meilleur ami et que la première inspiration de poussière et de rouille des outils abandonnés ne le calme pour de bon. La cabane est vieille, aucun humain n'est jamais venu maintenir les lieux (Rusty l'aurait su), mais voilà plusieurs cycles que pour Rusty, c'était chez lui.

Chez eux.

Une autre inspiration - plus lente, plus contrôlée, qui estompa peu à peu les cendres de sa peur au ventre. Le cauchemar du feu coursant les versants des Landes disparut après un ou deux battement de cils, un ou deux battements de queue, et la vision de son corps supplanta celle des yeux de ses pensées. Rusty secoua sa tête. Puis, tout son corps, s'avançant de quelques pas pour étirer tout ses vieux os qui réclamaient de retourner se coucher. Malheureusement, les pelages sombres de Trash et Oeil Vert absorbaient beaucoup trop la chaleur pour l'encourager à une grasse-matinée bien méritée, alors Rusty courba plutôt sa tête à Ollie (Et Ollie ne répondit rien puisqu'Ollie était son skate), et se dirigea, cahin-caha, vers le tracteur-tondeuse sous la fenêtre où il se rassembla à son pied, bondissant sur le siège, et mettant ses pattes sur le volant pour se hisser sur le bord de la fenêtre.

Lorsqu'il monta tout son dos en arc en ouvrant la fenêtre le vent des Landes vint lui chatouiller les moustaches et les poils grisonnants de sa barbe, imprégnant son parfum de renfermé d'accents de quelques plantes et bourgeons. Qui disait printemps disait nouvelle saison, qui disait nouvelle saison disait jeunesse. Il sourit au ciel et au soleil, gardant une pênsée pour la Tribu de Soleil en se demandant si des nouveaux venus encourageraient peut-être la naissance de quelques portées. Si de petits chatons viendraient galopper au seuil de leur "construxion", comme Trash l'appelait, et s'il apprendrait un jour à quiconque comment grimper sur Ollie et comment descendre la route de quelques coups de pattes. Comment courir sans courir.

Il devait encore à Oeil Vert une ou deux leçons (il espérait, bien que tout les deux savaient qu'il s'agissait d'un prétexte pour se voir, comme les chasses qu'ils partageaient, ensemble, sur la frontière). Et alors qu'il se préparait à bondir dans l'herbe au contrebas, ses grands yeux bleus s'habituèrent aux rayons du soleil et sa vision aussi trouble que la surface de leur fenêtre devint plus nette, reconnaissant les contours d'un visiteur sur leur seuil.

— « Oh!   héhé, bonjour!

Ses deux oreilles triangulaires rebondirent hautes sur sa tête, et il entrouvrit sa bouche lorsqu'un rayon de soleil reluit sur une surface métallique, et les deux yeux de Rusty s'arrondirent plus que jamais, trahi par ses épais sourcils blancs, son souffle se coinçant dans sa gorge. La peur de plus tôt revint, mais c'était plus que ça. Immédiatement Rusty fléchit des coudes pour se jeter dans l'herbe et lever haute la queue pour se présenter à l'étranger avec, s'il pouvait admettre, trop d'enthousiasme et d'énergie, mais il avait du mal à en croire ses yeux, ses oreilles (le collier tintait au vent), et surtout son nez car lorsqu'il arriva suffisament près du chat géant, il reconnut sur lui le parfum d'une maison.

D'une maison de la ville.

Il s'immobilisa près de l'apparition, son pelage à taches, son long cou, son dos peut-être deux fois la longueur du sien et verbalisa ses interrogations.

— Tu... tu viens de la ville. »

Le dire lui fit plisser les paupières car de vieilles douleurs s'étaient réveillées, plus particulièrement dans les trois stries partant de son poitrail à la pointe de son épaule, mais il était encore trop abasourdi pour s'affoler.

HRP:

— « Bonjour, Monsieur.

Monsieur... C'est vrai, c'était lui qu'on appelait "Monsieur", désormais. C'était Rusty l'aîné, désormais.

Oui, je... je viens en effet de la ville, là-bas. »

L'étranger mouva sa queue comme un bâton-guide dans la direction que Rusty ne connaissait que trop bien, la direction qu'il s'était retenu, ou plutôt empêché d'aller tout ces cycles durant. La pensée le rendit très triste, bizarrement, mais ce sont les mots suivants du gentil géant qui eurent raison de son chagrin: « Ca ne fait pas longtemps que mes deux pattes ont atterri ici, il lui dit. c'est tout nouveau pour moi. »

Ces mots envoyèrent le Rusty de ses pensées des années, ou plutôt des Lunes plus tôt dans le passé, frais sorti de son chez-lui, à visiter les terres sauvages et à rencontrer ses tous premiers claniques. L'embarras, l'inexpérience, mais aussi cette naïveté ... Rusty aurait pu jurer être capable de sentir le gros coeur du géant battre en rythme avec le sien.

Rusty aurait pu jurer qu'il voyait par ses yeux - qu'il pouvait se voir en lui.

La réalité lui vint sous la forme d'un nez mouillé et de moustaches piquant sous son poil, le sortant de ses pensées, rondissant ses yeux en aplatissant une oreille au soudain rapprochement du plus jeune. Pas que ses poils se hérissèrent, mais la surprise le fit se dresser assez pour le grossir, et ne pas reconnaître son propre reflet dans les yeux de son interlocuteur interdirent le vieil Abyssin.

— « Comment vous vous êtes fait ça ? Le visiteur lui demanda. Ca a l'air... douloureux...
Comme réalisant soudain son faux-pas, le visiteur recula abruptement sa tête pour rendre son espace personnel au chat cannelle.

— Désolé, je ne voulais être trop... Envahissant.

Et devant tant de bonne volonté, qu'il reconnaissait comme la sienne, qui n'existait pas vraiment chez les claniques à cause de tout ces Codes qui les aidait toujours à justifier où ils mettaient leurs pattes (et qui les justifiait toujours à critiquer où eux, non-claniques, mettaient les leurs), Rusty se mit à pleurer.

Ce n'était pas de la tristesse, pas vraiment. En fait, c'est plutôt qu'il était ému. Il secoua doucement sa tête.

— T'en fais pas, c'est rien!... »

À vrai dire, il avait été à deux battements de faire de même. Il aurait regardé le domestique sous toutes ses coutures rien que pour s'assurer qu'il ne soit pas - qu'un clanique n'ait jamais... Allez Monsieur Rusty, il s'encouragea d'un sourire, montant sa patte à ses yeux, essuyant les larmes qui y débordaient malgré lui. Pas qu'il avait honte de son comportement (il n'y avait aucune honte à pleurer) mais le plus jeune lui avait posé une question! Les règles de courtoisie lui demandait, non, exigeait d'y répondre.

— « Tu as déjà rencontré des chats de Clans? Il faut être très prudent autour d'eux, tu sais? Ces marques, c'était un accident...

J'étais plus jeune, je voulais aider une chatte - elle était très maigre, alors j'ai décidé de lui traîner un sac de mes croquettes depuis chez moi - mais j'ai trop insisté, et puis sa patte a volé vers moi, et ses griffes se sont coincées dans mon poil. »

Rusty tenta de sourire, mais plutôt que de réchauffer comme un soleil d'été, son expression était humide d'émotion, nostalgique et meurtrie par les années à s'endurcir par la vie sauvage. Loin était l'époque où son poil tiqueté était aussi lustré que celui de l'étranger; de nos jours, il était en bataille, imitant les herbes-folles de la Lande non-loin du Verger.

« Moi aussi, je viens de la ville. J'y avais un Père - mon deux-pattes à moi, avec la maison, la voiture, et la boîte à sons...

Et s'il parvint à maîtriser son sourire assez pour l'empêcher de s'affaisser, une sorte de langueur y transparut.

Voilà bien longtemps que je n'y ai pas remis les pattes, héhéhé... Et puis il pointa des deux oreilles, et sa barbe rebondit avec le mouvement de sa tête comme il se précipitait sur ses mots: Oh - mais où ais-je la tête. Je m'appelle Rusty, j'habite ici avec Trash et mon skateboard, Ollie.

Et toi? »

HRP:

— « Je m'appelle Whisky, enchanté de vous rencontrer !
— Eh bé c'est pareil, Whisky! »

Quel nom bien joli. Quel nom normal surtout, mais Rusty était suffisament poli pour ne pas en faire la réflexion. Il avait beaucoup d'amis de Clans, après tout, et il avait appris à accepter malgré lui leurs bizarres dénominations. Tiens, par exemple, leurs voisins de la Tribu du Soleil n'avaient pas tous conservé leurs titres composés, aussi il lui était plus facile de reconnaître Mouche, son oiseau Oiseau, la maigrelette et fragile petite Soleil, Violette, sa jeune amie-mosa... Curieuse Pénombre, il appelait encore Curieuse, mais jamais elle ne lui en voulait en le rattrapant.

...Oeil Vert, c'était différent.

Ça aidait qu'il ait vraiment l'oeil vert (et qu'il ne lui en reste qu'un, d'où le nom au singulier).

En tendant son long cou, Whisky avait à nouveau rapproché sa tête de la sienne à portée d'un coup de langue qu'il donna contre la joue de son aîné, se retrouvant à nouveau les yeux larmoyants face à autant de gentillesse à son égard.

— « Je suis désolé... lui dit Whisky, dont la tentative de consoler Rusty ne fit que redoubler les larmes qu'il avait précédemment essuyées. J'ai l'impression de vous rappeler de mauvais souvenirs... »

Et démunir un autre chat de la sorte embarrassa le vieux Rusty qui secoua à nouveau sa lourde tête, tâchant de bien respirer, de ne laisser aucun sanglot l'étrangler. C'était juste une petite montée d'émotion, pas de quoi s'en faire...!

— « Ça n'y est pas... Combien de fois avait-il souri au travers de sa tristesse. Les douleurs aussi, vieillissent avec nous. Avec le temps elles prennent juste, Rusty haussa une épaule, ...Une autre forme. »

Whisky n'en fit pas trop de tonnes car quelque chose d'autre semblait avoir piqué sa curiosité. Il pencha sa tête tout en posant sa question, Rusty se retrouvant à l'imiter de l'autre côté:

— « Qu'est-ce qu'un skateboard ? Un style de chien ?
Rusty se redressa derechef. Oh! Et puis sa bonne humeur revint: « Non, aha, pas du tout! »

Et puis une idée, pour le moins évidente, surgit dans le brouillard de ses pensées. Rusty se leva sur ses quatre pattes et décrivit un rond avec la queue.

— « Ça tombe bien, je pensais à le sortir pour une promenade aujourd'hui. Reste là --

Le laisser croupir toute la saison froide dans la cabane nuisait déjà aux joints de ses roues, alors venues les saisons chaudes Rusty s'assurait toujours de le sortir un peu, quitte à le trainer du bout des dents jusqu'à l'asphalte de l'autoroute où Ollie pouvait courir comme il se devait (Ollie avait horreur de l'herbe et la neige, il était très capricieux!).

Sur ce, l'abyssin s'éloigna de son nouveau camarade très haut sur pattes pour se hisser sur les siennes au pied des rondins constituant la cabane. Il fléchit les postérieurs, se ramassa sur lui-même, battit de sa longue queue dont le bout se courbait curieusement en serpe et s'arracha de l'herbe d'un prodigieux bond à la verticale (pour son âge!), s'agrippant au rebord de la fenêtre par la force de ses griffes et bras et s'y « Oh... Hisser! » dedans. Dehors, par la fenêtre entrouverte, on entendit les cliquetis des brics-à-bracs perturbés par l'activité que Rusty avait fait entrer avec lui.

Un Clac! plus fort que les précédents résonna de l'autre côté de la porte fermée, et puis un bruyant grincement la fit s'entrouvrir assez pour y faire sortir le museau de l'abyssin, ainsi qu'un bon épis de moustaches:

— « --Comme Ollie a besoin de beaucoup d'espace, je m'en voudrais de te blesser alors pourrais-tu, s'il te plaît, t'éloigner du seuil, au moins de quelques longueurs de queue? Et tiens-la haute! Trash n'a pas ce problème car la sienne est très courte, mais Ollie n'a parfois aucun scrupules à écraser les queues!...

HRP:

— « Parce qu'il est dangereux ?!
— Oui! de répondre le vieux Rusty de l'autre côté de la porte, y rentrant le nez et les moustaches à nouveau.    Enfin, non, il ajouta, et s'ensuivit d'un rire rauque car son explication ne devait pas tenir la route! (Compris? La route? Comme là où il promenait Ollie?)

Lorsqu'il confirma d'un reniflement ou deux que Whisky s'était éloigné de la proximité de la cabane (plus particulier de celle de la rampe accotée au cadre de la porte), les charnières grincèrent d'une nouvelle poussée. Il entendit Whisky lui poser sa question au travers du vacarme (les oreilles de Rusty était très larges, et entendaient très bien!)

— « Pourquoi gardez-vous un ami aussi dangereux ?
— Aha, ce n'est pas qu'Ollie soit dangereux, c'est qu'il est très malin! Il aime faire le pitre. »

Ollie n'avait réellement aucun savoir-vivre, mais Rusty supposait qu'il ne pouvait pas lui en vouloir, car pour avoir du savoir vivre, il fallait d'abord "vivre".

Rusty n'était pas sot au point de croire son skate vivant, mais la sollitude, joint à son parcours effréné dans la vie l'avait fait s'attacher à cet objet au point de le considérer comme un membre de sa propre famille.

Ça, c'était parce-qu'Ollie, et les quelques draps moisis qui leur servait de nid, était(ent) tout ce qu'il lui restait de son chez lui.

La porte s'ouvrit d'un VLAN!

Une silhouette montée sur quatre pattes de munchkin surgit et descendit la mini rampe dans l'herbe et puis les roues s'enlisèrent dans la terre humide et stoppèrent net le mouvement du skate qui s'immobilisa, monté d'un abyssin adroit, la queue haute, quoique le bout un peu tordu.

— J'avais des amis dans les Clans qui disaient qu'il s'agissait d'un bébé monstre - ce qu'ils appellent des voitures.

Rusty poussa un soupir, sentant déjà ses articulations protester en descendant la planche, se penchant pour tirer Ollie par le bout des dents, tout l'effort du mouvement faisant distinctement se tendre son échine sous ses poils. Les roues grincèrent et en soulevant la chose il lui fit voir le truck-avant lui suppliant d'un coup de polissage.

Malheureusement pour Ollie, Rusty n'était qu'un chat.

— Mais c'est juste un skate. Mon ami, Trash - il désigna du nez l'intérieur de la cabane qui disparut derrière la porte qui s'était fermée après-coup - l'a déjà chevauché sur les trottoirs de la ville! Ahhh, Rusty cessa de tirer, laissa son arrière-train retomber dans l'herbe et soupira en levant d'yeux rêveurs au ciel dégagé. C'était la belle époque!... »

Pas que celle-ci soit moins belle mais de réaliser la limite de son souffle, de sentir l'usure de ses articulations, de se savoir progressivement faiblir était une réalité que Rusty détestait faire face. Alors il se la voilait:

— « Tu... le souffle lui manquait, ses vibrisses tremblottant à chaque goulée d'inspiration. Tu as dit que tu ne viens pas d'ici? Je veux dire, que tu viens de déménager à la ville?

Oula, pfou!...

D'où viens-tu, Whisky?

Comment c'était?

Quelles aventures avait-il vécu dans cet Ailleurs indistinct?

Le coeur de Rusty battait au souvenir de sa jeunesse trop vite essoufflée.

Eh non, ce n'était pas un chat! C'était des mots raffraîchissants, comme l'était l'air humide du matin. Ils lui rappelaient les chats de l'Ombre, leurs voisins à la berge opposée de la départementale (leur Chemin du Tonnerre). Aucun chat du bourbier n'avait pris Ollie calmement, enfin, sauf peut-être Oeil Vert. Il l'avait vu rouler sur l'asphalte, Rusty sur son dos, et malgré une patte inutile et un oeil en moins Oeil Vert lui avait demandé s'il pouvait l'essayer.

Ici, depuis qu'ils s'étaient installés, Ollie ne faisait plus peur à personne à la Tribu du Soleil. Rusty était encore surpris de se faire saluer les matins de saison chaude où il le sortait et le traînait du bout des dents. Juste un "Bonjour Monsieur Rusty!" ou un "Nous avons mis vos proies dans la gamelle!". Aucune histoire de patrouille, de Lieutenantes du Clan du Vent, de Frontières...

Whisky répondit à sa question, évoquant une image bien nette aux yeux de ses pensées.

— Oui, un jour, mes deux-pattes ont décidé qu'ils ne voulaient plus vivre parmi les grandes maisons. Ils étaient tellement, on en voyait même pas le bout !

Le sourire du vieux Rusty ne fit que s'agrandir en imaginant comme il se devait son ancien chez-lui à Whisky. Les grandes maisons, c'était pour les gens importants. Il n'était pas rare qu'ils possèdent aussi de grandes voitures, de grandes barrières, de grands chiens pour surveiller les Terres. ... Pas du tout le genre du Père, et donc, par conséquent, pas du tout le genre de Rusty, dont l'ancien voisinage se trouvait à mi-banlieue, près d'une rue commerciale, avec un marché, et un parc.

Un skatepark...

— Mais ce n'était pas comme ici. Nous n'avions pas de jardin où nous prélasser à longueur de journée, et puis... Je ne suis sorti qu'une fois de chez moi. Mes deux-pattes avaient oublié de bloquer la porte qui donnait sur l'extérieur. Et vu que je sais les ouvrir facilement...
— Tu ouvres les portes! Il s'exclama et ce sans la moindre honte. Moi, j'ouvre les fenêtres.
— J'ai rencontré des chats errants qui m'ont fait passer l'envie de ressortir.

Ces mots, toutefois, le refroidirent d'un chagrin qu'il ne connaissait que trop bien. Ses deux larges oreilles noires descendirent de chaque côté de sa tête, et il en oublia même Ollie (mais c'était pas grave, parce-que dans l'herbe, Ollie était sage).

Whisky abaissa sa tête, sans doute pesé par ce précédent mauvais souvenir, et donc Rusty tendit la sienne, se mettant à sa hauteur, tentant de l'encourager d'un regard se voulant bienveillant. Il n'en était pas un, un chat errant, il n'attaquait pas les autres chats sans prévenir. Avec lui, Whisky n'avait pas à s'inquiéter qu'il ne sorte les griffes.

— Croyez-vous que je pourrais être à ma place, ici ? lui demanda alors Whisky. J'aimerais découvrir l'extérieur sans ma laisse et sans Cookie. Savoir que Whisky n'était pas seul réchauffa son coeur au vieux Rusty. J'espère que je pourrais vous le présenter, il est adorable ! Un peu baveux, mais c'est une crème, il lèverait jamais la patte sur un ami. Oh... heu... est-ce qu'on peut... être amis ?
— Hoh hoh hoh, la douceur de son rire s'était considérablement asséché avec les années, rauque dans l'intonation.
Mais bien sûr qu'on peut être amis, Whisky! Je serais ravi de rencontrer Cookie.

Il laissa son regard se porter en direction de la ville, où la silhouette découpait l'horizon avec une précision géométrique qui n'existait pas en terres sauvages, même parmis les arbres du verger qu'on ne laissait pas pousser comme ceux de la forêt.

— Parfois, je pense à retourner en ville, revoir le quartier. J'aime vivre ici avec Trash, et la Tribu de Mademoiselle Soleil --...

Pas de mais, mais Rusty prit une grande bouffée d'air frais et se tut et ne dit plus rien sauf par la tristesse dans son sourire. Whisky lui avait demandé s'il aurait un jour sa place ailleurs qu'à son chez lui; Rusty se demandait s'il avait perdue la sienne pour de bon. Si le Véto le reconnaîtrait, si les chats du voisinage seraient heureux de le revoir, si le vieillard du Marché y était encore, si...

Ses yeux s'étaient fermés. La douleur avait pris une autre forme, et lorsqu'il les rouvrit, il s'essuya le museau avec le revers d'une patte, levant la croupe pour l'asseoir sur le dos d'Ollie, et se reculer pour y monter les antérieurs à la même hauteur.

— Enfin.   L'extérieur est grand, Whisky. Les chats de Clan sont particuliers sur les limites de leur territoire, il te faudra faire attention. Mais si jamais tu te trouves dans de beaux draps et que tu as des problèmes...

Rusty détourna son attention de l'horizon pour sourire au plus jeune: Tu peux venir ici.

Son ton devint espiègle: Mais je préférerais t'ouvrir la porte que la fenêtre: tu es beaucoup trop grand!

Quel genre de chat es-tu? Même les pattes de Monsieur Feulement sont moins longues!

HRP: