« Les tempêtes donnent des racines plus profondes aux chênes. » || PV. Tête de Chêne & Nuage de Louve. - end

Depuis qu'elle était revenue, les jours filaient. Les uns après les autres, bien que chacun apporte son lot de réjouissances et de tourmentes, ils s'écoulaient inlassablement. Elle tentait, tant bien que mal, de profiter de chaque minute, chaque seconde. Et c'est d'ailleurs cette sensation qui irradiait tout son être au moment de rejoindre sa litière le soir. Quand elle se posait enfin, après avoir offert toute son énergie et toute sa bonne volonté au Clan. Encore bercée par la frénésie du retour, encore aveuglée par la sensation de manque qui ne l'avait pas quitté, elle se sentait pleinement à sa place. Elle, plus que beaucoup, connaissait le prix à payer. Elle, plus que bon nombre de ses camarades, savaient ô combien la loyauté permettait de maintenir en vie. Elle savait ce qu'il en coûtait de continuer de croire, de continuer d'avoir la foi. Elle l'avait toujours gardé. Dans les moments clairs où tout semblait allait pour le mieux, lorsqu'elle batifolait après un papillon lorsqu'elle n'était encore qu'un Chaton, lorsqu'elle avait commencé son apprentissage ou encore lorsqu'elle était devenue Guerrière et qu'elle avait participé à sa première bataille. Et cette bataille. Véritable reflet des temps sombres durant lesquels cette conviction est mise à rude épreuve. Cet affrontement qui a amené son lot de déboires et de questionnements parfois. Pourquoi choisir de croire en eux ? Pourquoi continuer de croire en eux ? Comment le faire quand on est seule ? Comment garder une croyance inébranlable et infaillible lorsqu'on semble avoir été laissé pour compte ? Ces questions d'appartenance avaient parfois effleuré l'esprit de la femelle tricolore. Et si elle ne l'avouerait probablement pas au premier venu, elle savait cette folie légitime. Aujourd'hui, les jours sombres étaient derrière. Aujourd'hui, la lumière du soleil filtrait pleinement dans ses pupilles, inondant sa vision d'une lumière providentielle. Aujourd'hui, les quelques broutilles qui se dressent devant elle ne semblent être que des marches faciles à gravir pour atteindre un idéal.

Un pas après l'autre, Mamba Noir s'éloignait indéniablement du Camp. Avec son retour et les récents événements, elle ne s'était accordé que très peu de temps pour elle. Et par pour elle, cela se traduisait par très peu de temps pour redécouvrir son environnement. Elle voulait retrouver la moindre parcelle de ses terres, le moindre détail des Landes, prendre connaissance des nouveaux terriers, des nouvelles galeries, de toutes ces aspérités qui ont pu se faire ou se défaire depuis ces lunes. À son réveil, elle avait eu l'étonnante lubie de vouloir remettre les pattes à un endroit particulier. Probablement poussée par les images chimériques dans son sommeil, malgré toute bonne volonté, l'idée subversive ne l'avait pas quitté lorsqu'elle avait ouvert les yeux. Dire qu'elle serait probablement passée pour une sans-cervelle, voir une renégate si elle en avait parlé à haute et intelligible voix était un euphémisme. Gardant ainsi ce point de détail pour elle seule, elle avait trouvé l'exercice facile de prétexter une petite sortie pour aller chasser. Tout passait bien mieux avec un sourire et un semblant d'objectif tangible. Après tout, depuis son retour, elle ne faisait que tenter de prouver sa valeur et jusqu'à présent, cela semblait plutôt bien fonctionner. Caressant toujours son désir étrange, elle prit la peine d'assurer ses arrières. Sur le chemin qui la conduisit jusqu'à ces quatre grands arbres imposants, elle attrapa un lapin qu'elle prit grand soin d'enterrer pour le récupérer à son retour. Elle ne faisait rien de mal à venir ici, après tout, ces terres n'appartenaient à aucun des Clans. Ce lieu à lui tout seul portait une symbolique que la tricolore voulait de nouveau pressentir. Relevant ses yeux vert d'eau sur la cime des arbres, puis sur la pierre devant laquelle elle venait de s'asseoir, elle ne put que tenter de s'imaginer à la prochaine Assemblée. Lorsque la pleine lune viendrait, cette clairière s'inonderait de représentants des quatre Clans. Cobra Royal ou plutôt Étoile du Cobra se tiendrait sur cette grosse pierre devant elle. Il ferait probablement passer le message de son retour, après avoir justifié sa nouvelle assignation. À cette scène qui ne se jouait que devant ses yeux imaginatifs, Mamba Noir lâcha un discret soupir.

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Perdue dans ses pensées, dans des rêves de grandeur qu'elle allouait déjà à son géniteur, Mamba Noir laissa de précieuses secondes filées. Et si ce n'était que le temps qu'elle avait laissé de côté. Ayant perdue toute notion de contrôle et de sécurité en plongeant son regard sur la pierre imposante, elle aurait bien été incapable de se défendre en cas d'offensives surprises. Ou du moins, elle aurait perdu toute anticipation rendue possible par son entraînement. S'il la voyait-là, ainsi, contemplative, rêveuse naïve et idiote vivante, il l'aurait certainement desservi de noms d'oiseaux, et à juste titre. Bientôt, il se pavanerait-là, devant les trois autres Clans. Bientôt, il montrerait aux autres que le Clan du Vent entrait dans une nouvelle ère. Ils leur montreraient à tous que le Clan qu'il dirigeait était le plus puissant du Cerfblanc et les bouffeurs de grenouilles, de souris ou de poissons n'auraient qu'à bien se tenir. La Guerrière avait été absente une longue période, un trop long moment. Elle n'avait probablement pas tout le recul nécessaire et pas encore toutes les cartes en main pour bien comprendre tout ce qui était arrivé aux siens durant son absence, mais elle comptait bien mettre toute son énergie et toute son âme pour redorer le blason. Elle ne rattraperait pas le temps perdu, elle ne participerait pas aux événements déjà écoulés, aux batailles déjà menées, impossible. Elle ne subirait pas non plus les éléments comme les siens, la canicule, l'incendie, l'absence aux Assemblées, la perte de certains camarades, inutile de se bercer d'illusions sur ce point. Mais une chose était certaine, la prochaine fois qu'elle disparaîtrait ainsi, c'est que l'heure viendrait pour elle de rejoindre le Clan des Étoiles. Elle ne les laisserait plus. Les yeux embués par un souvenir nostalgique, fouillant dans un passé lointain jusqu'à ressentir la présence réconfortante des siens à ses côtés, elle retomba dans les images de ses premières Assemblées ici, là où son cœur lui criait encore plus fort qu'elle était au Vent.

Des timbres de voix s'élevèrent dans son dos. Des bribes de conversation sans intérêt qui la firent retomber immédiatement sur Terre. Rouvrant des yeux humides sur l'endroit mythique où aucune Assemblée n'avait vraiment lieu, la Guerrière s'empressa de passer un revers de patte sur ses paupières inférieures, tentant d'effacer toute trace des larmes qui y avaient logées quelques secondes auparavant. Redressant fièrement la tête, prenant l'attitude digne qu'elle voulait toujours avoir, elle ferma son visage à toute émotion, posant un masque froid sur son faciès tricolore. Dans un réflexe retrouvé, elle s'empressa de prendre les informations que les lieux pouvaient lui donner. Une grande inspiration et un coup d’œil circulaire plus tard, elle détecta deux parfums frais, mais aucune forme féline à vue, sur le moment du moins. Si elle avait été capable d'interpréter la présence de deux individus, elle savait aussi que les deux venaient du même Clan. Portant le même arrière-fumet des bois, des souris et de tout ce qui pouvait traîner sur le territoire du Clan du Tonnerre, son odorat et ses souvenirs ne la trompait pas. Et si son corps s'était raidi sous la surprise, parcouru par une certaine tension, elle reprit rapidement le dessus sur les émotions. Aucune peur ne l'animait. Aucune espèce d’appréhension non plus. Elle était en territoire neutre. Et même s'ils étaient supérieur en nombre, elle ne leur laisserait pas une quelconque ascendance. Elle n'était pas née de la dernière pluie. Elle n'était pas n'importe qui. Du moins, c'est ce à quoi, elle croyait dur comme fer. Après tout, les chats ne font pas des chiens, tonna une voix dans son crâne. Si elle ne s'imaginait pas avoir à s'affranchir d'une quelconque visite ou compagnie, elle n'était pas venue jusqu'ici pour repartir aussi vite. Après tout, ce serait peut-être l'occasion de se refaire un nom et une petite réputation auprès des autres Clans également. Un sourire presque mesquin sur le bout des babines, Mamba Noir se tourna vers l'endroit où les deux devraient apparaître dans une poignée de secondes, là où les éclats de voix et les odeurs portaient instinctivement son attention, adoptant une position assise parfaitement souple, prête à se défendre au besoin, sans rien n'en laisser paraître.

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Elle était et paraissait si passible, si tranquille, si immobile, que nulle n'aurait pu croire qu'elle avait repéré les éclats de voix et les odeurs de ceux qui se rapprochaient. Et pourtant. Pourtant, même si elle avait fait le rapprochement, un peu tardivement, même si elle n'y avait prêté attention que trop tard à ses yeux, elle les savait, à présent, à quelques foulées de là. Elle savait ce qui l'attendait si elle restait ainsi-là. Elle avait pertinemment conscience que le croisement, probablement la rencontre, serait inéluctable si elle adoptait une telle oisiveté. Elle savait aussi qu'on lui adresserait probablement la parole, soit pour la mettre en garde de ne pas lancer d'offensive, soit pour lui rappeler qu'elle était en territoire neutre ou encore pour lui adresser un non-édifiant discours sur sa présence en ce lieu. Et peut-être même un mélange de tout ça. Ce lieu sacré aux yeux de beaucoup de félins étant nés et ayant grandi au sein de l'un des quatre Clans. Ce même lieu duquel elle avait longuement rêvé, enfermée dans sa prison de fer, torturée et malmenée par des deux-pattes qui s'essayaient à lui faire vivre des expériences auxquelles elle se refusait. Cet endroit qui avait tant de fois été un des mirages qu'elle recherchait dans son escapade solitaire. Effaçant, d'un bref mouvement de tête, la déferlante d'images qui tentait de se faire une place dans son être si tranquille, elle ne sut faire autre chose qu'attendre l'apparition des autres. Et si elle ne pensait pas être dérangée ici, elle n'était pas totalement contre un peu d'animation. Et qui sait, peut-être qu'elle pourrait tirer profit de l'une ou de l'autre de ces cervelles de souris pour ramener des informations à son Clan. Et puis, dans le cas où cette nouvelle compagnie ne serait pas à son goût, elle aurait toujours le libre-arbitre de faire demi-tour et de retourner d'où elle venait. Elle n'avait aucun compte à rendre à aucun de ces chats-là. Et elle comptait ne jamais en avoir.

La tête haute, le regard planté dans ce qui semblait être le vide, la tricolore commença un décompte en tendant l'oreille. Trois... Deux... Un. Apparition. Le compte à rebours parfaitement dessiné à l'aide du bruit de pas non-discret de ces chats de forêt, Mamba Noir ne laissa aucune trace de surprise éclairer son faciès quand les deux silhouettes apparurent. Un maigre sourire étirant ses babines, la Guerrière du Clan du Vent s'exerça à détailler les deux arrivants. Le premier, un mâle plutôt imposant, d'une bonne taille, les épaules large, roux rayé de brun semblait aussi être le plus âgé des deux. La seconde silhouette, plus petite, plus sombre, femelle aux poils mi-long et au masque noir singulier, se traînait plus hésitante. S'il ne fallait pas être un grand observateur pour prétendre connaître le statut de l'un et de l'autre, elle se garda de toute réflexion, n'ayant pas à attendre très longtemps pour que le plus âgé des deux fasse le premier pas et délie sa langue. Tête de Chêne. Un nom qui ne lui était pas totalement étranger, un de ces chats qu'elle avait probablement déjà croisé en ce même lieu, en des circonstances totalement différentes, il y a bien des lunes de cela. Nuage de la Louve. Changeant de cible, les yeux vert d'eau de Mamba Noir se logèrent sur celle qui se tenait muette, en arrière, se cachant presque derrière le benêt qui venait de prendre la parole pour les introniser. Une simple salutation, une présentation qui tentait de se faire neutre et finalement, après un léger silence, la faiblesse de se justifier, enrobée dans un semblant de bonne attention. La piteuse perspective qu'offrait cette entrée en matière aux oreilles de la Guerrière laissa un silence d'une seconde ou deux s'écouler sans qu'elle ne bouge ou ne bronche. Puis, pour toute et seule réponse, elle poussa un long et indiscret soupir. La tricolore se leva gracieusement, s'étira de toute sa longueur, prête à faire quitter ce lieu qui empestait maintenant les chats des bois.

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