Secrets de polichinelle [Nuage de Rossignol / Nuage de Lycaon] - end

Pour Nuage de Rossignol, les tâches les plus simples comme aller récolter de la mousse pour renouveler les litières constituaient un exutoire qui donnait l’illusion d’une vie normale. Arracher la mousse du tronc, la secouer pour en débarrasser les insectes les saletés, la poser sur le tas : des gestes répétitifs et mécaniques qui ne demandait qu’un investissement cérébral minime. C’était la seule façon de se vider l’esprit pour la petite marbrée. Ces derniers jours avaient été éreintants, traumatisants. Elle s’était repliée sur elle-même et chaque fois qu’elle croisait Coup de Foudre et Source du Secret du regard, son cœur se mettait à palpiter. Le pire, c’était que sa mentor faisait comme si de rien n’était. Comment faisait-elle pour rester toujours l’air de rien, à suivre son père comme une ombre, discrète et cachée, observatrice, à l’affût, en sachant tout ce qu’elle savait ?
Chaque fois qu’elle se retrouvait avec d’autres camarades… elle pensait à tout ce qu’ils ne savaient pas.
Elle était seule avec ce lourd fardeau sur ses épaules et elle ne pouvait le partager avec personne.

Elle vit un écureuil traverser le sentier à toute allure avant de disparaître dans les sous-bois. La jeune chatte n’essaya pas de le suivre : elle n’avait pas encore démarré l’entraînement à la chasse, son baptême ne datait que de quelques jours mais elle maîtrisait l’art de la litière mieux que personne et franchement, se retrouver seule dans la forêt l’arrangeait plus qu’elle ne voulait l’admettre.

Un frémissement agita les fougères dans son dos. Malgré elle, elle ne sut réprimer un sursaut : toute cette tension accumulée l’avait rendue plus nerveuse et agitée qu’à l’accoutumée. Cœur de Puma l’avait remarqué bien sûr, mais elle avait tout gardé pour elle.
Quoi que c’était, ça ne cherchait pas à se cacher, elle se détendit donc un peu mais resta sur ses gardes. Une patte toujours posée sur le tronc de l’arbre -juste à côté du millénaire Grand Sycomore- les griffes plantées dans la mousses herminée de taches de champignons (peut-être le mildiou), elle se dévissa le cou. Les battements de son coeurs s'accélèrent et une boule se forma dans sa gorge. Elle n’avait pas du tout envie de parler avec quelqu’un… encore moins s’il s’agissait de son mentor ou de son chef.

Elle fut soulagée de constater que le pelage hirsute qui se glissa hors des fourrés lui était familier dans le bon sens du terme.

“Nuage de Lycaon ?” demanda-t-elle d’une petite voix.

Elle ne connaissait que très peu son camarade -il ne dormait pas très loin d’elle dans l’antre des apprentis- mais elle l’avait toujours tenu pour quelqu’un de calme qui ne cherchait pas les embrouilles. Il n’y avait jamais d’animosité dans son regard. Elle lui trouvait aussi un côté mystérieux, avec son pelage tricolore et mal soigné et ses yeux faux jumeaux. Elle l’avisa avec beaucoup de curiosité.

“Qu’est-ce que tu fais ici ?”

Finalement, Nuage de Lycaon commençait presque à regretter Etoile Masquée. S'il était l'un de ces rêveurs naïfs, qui préféraient voir leurs espoirs brisés devant le fait accompli plutôt de rationaliser, il souhaiterait son retour. Peut-être même prierait-il les Etoiles, s'il leur vouait une foi aveugle, croyait en leur bienveillance. Cependant, il n'était rien de cela. Peut-être était-ce mieux, peut-être était-ce pire, il n'en avait aucune idée.

A peine quelques jours s'étaient écoulés sous la tutelle de Dame des Cœurs, et il en avait déjà marre. Miracle, il ne s'était pas encore évanoui lors d'une séance d'entrainement, mais cela ne saurait tarder. Son corps, ce boulet qu'il méprisait de plus en plus, ne supporterait pas cette routine bien longtemps. L'avenir de cette situation était plus qu'incertain.

Ainsi, pour éviter que craquer trop vite - tout ceci s'annonçait être une véritable course d'endurance, autant moralement que physiquement- il s'était octroyait une "pause". A comprendre qu'il était parti dans la forêt, avant que sa formatrice vienne le chercher. Peut-être même n'en avait-elle pas l'intention en ce jour ou serait-elle trop occupée par ses responsabilités de "voix". Au lieu d'espérer vainement, il avait fui cette possibilité périlleuse. Qu'on le traite de lâche, c'était surement la vérité. Cependant, pour ne pas être réprimandé, il avait prévu de prétexter une partie de chasse en solitaire. Pour la crédibilité, il avait besoin de ramener une proie, au moins. Le plus rapidement serait le mieux.

Après quelques temps de recherche, il aperçut un pigeon, il s'approcha de lui, à peu près correctement (ses capacités de chasse était toujours bien en-dessous de la moyenne des aspirants de son âge, normalement vers la fin de leur formation, mais c'était toujours mieux que celles de combat). Malheureusement, ses pattes le lâchèrent une fois de plus et le bond ne fut pas assez puissant. Il rata sa prise, qui n'attendit pas pour s'envoler. Il poussa un soupir, avant de marcher vers le Grand Sycomore. Normalement, il pourrait y trouver du gibier.

Mais ce qu'il trouva à la place fut un chat. Il reconnut l'odeur de Nuage de Rossignol, cette apprentie qui avait été baptisée lors de ce fameux jour, et qu'il n'avait pas acclamé comme les autres. Au vue de sa position, griffes plantées dans l'arbre majestueux, et des alentours, elle s'occupait de la mousse des anciens.

“Nuage de Lycaon ?”

Le concerné hocha de la tête, lui donnant raison. Il put remarquer la curiosité avec laquelle elle le dévisageait, et il eut un sentiment similaire, sans rien laisser paraître. Cette aspirante, Foudre avait voulu la prendre sous son aile. Il était temps de comprendre pourquoi. Et peut-être lui dire de s'éloigner de lui si ce n'était pas déjà trop tard (pas facile avec Source en mentor). Car un chat digne d’intérêt pour son père pourrait peut-être lui servir d'outil plus tard. Après tout, lui, son fils, n'y avait pas échappé. Et la jeune ne semblait pas mériter cela.


"Qu’est-ce que tu fais ici ?”

La brune semblait assez sympathique pour être digne de confiance sur ce point là.

"D'un point de vue claniquement correct, je chasse lâcha-t-il d'un ton las. D'un point de vue objectif, j'évite l'entrainement. Choisis ta version préférée."

Source, de ce qu'il en avait pu voir, n'était pas la genre de mentor que l'on voulait éviter, mais peut-être se trompait-il. Une apprentie seule effectuant ses corvées seule dans la forêt n'était pas si rare, mais assez unordinaire pour que cela soulève des questions.

"Je te retourne la question. As-tu une raison qui t'a poussé à t'isoler?"

“D'un point de vue claniquement correct, je chasse lâcha-t-il d'un ton las. D'un point de vue objectif, j'évite l'entraînement. Choisis ta version préférée.”

Les oreilles de Nuage de Rossignol se dressèrent sur sa petite tête bariolée de rayures. Elle le dévisagea longuement, puis se muscles se détendirent. Il y avait un quelque chose chez Nuage de Lycaon qui lui rappelait elle. Ça aurait pu seulement être ce qu’il venait de dire, mais en regardant bien au-delà de la frontière de ses yeux dissemblables se cachait un petit monde discret mais qui s’exprimait quand même au travers de l’apprenti. Nuage de Rossignol fit glisser son regard sur le pelage bigarré de son congénère. Il n’y avait rien de vulgaire dans la façon dont elle le contemplait, comme le faisait certains guerriers ; elle se repaissait simplement de son originalité.
Pendant un instant elle se laissa envahir la paisibilité de la situation. Elle demeura immobile, mentalement vide, comme déconnecté du cours des événements.

“Alors je ne suis pas la seule” répondit-elle, et ses lippes esquissèrent un faible sourire de compréhension. “Moi aussi.”
C’était la première fois qu’elle l’admettait.

Elle se rappelait la façon dont Dame de Cœurs avait pris la relève de son entraînement : sa promesse acide de faire de lui un excellent guerrier était restée gravée dans sa mémoire. Nuage de Rossignol redoutait Dame de Cœurs encore plus que Source de Secrets ou Coup de Foudre. Elle avait bien compris que la Voix menait la vie dure à son apprenti.
Nuage de Lycaon s’était approché d’elle tout en maintenant une certaine distance, c’était histoire de rendre la conversation plus commode. Nuage de Rossignol fit une pause dans son travail.

“Je te retourne la question. As-tu une raison qui t'a poussé à t'isoler ?”
La réponse fusa dans son esprit, aussi tranchante que la plus aiguisée des griffes. “Oui.” répondit-elle avec un bien-être soudain. Comme si avouer ce fait l’emplissait de soulagement, la débarrassait d’une lourde vérité et d’un tas d’autres choses qu’elle ne s’était pas sentie la force d’affronter. “C’est tout ce qu’il se passe dans le clan. Ça a toujours été comme ça ? Je ne me sens à l’aise avec personne : notre Voix, mon mentor et même avec mon frère et mon père, je n’arrive plus à aller leur parler…”

Elle était consciente qu’il y avait des choses qu’elle pouvait dire et d’autre qu’elle ne pouvait pas, aussi se garda-t-elle de mentionner le lourd secret qu’elle partageait désormais avec Source de Secrets de Coup de Foudre. Cependant, elle fit tout pour décharger son cœur le plus possible.

“Je ne sais pas” commença-t-elle en inspirant longuement “c’est peut-être moi, mais j’ai l’impression que le Clan du Tonnerre… n’est pas un clan normal…”

Le regard qu'elle posait sur lui était différent de bien d'autres qu'il avait eu à subir depuis son enfance. Ceux, incisifs, qui le dévisageaient, lui collant l'étiquette de "gosse maudit", ne voyant en lui que ses liens familiaux sans chercher à aller plus loin. Ceux-ci qui ne faisaient aucun effort pour être discret, mais croyaient l'être, parce qu'après tout, il était bien trop bête pour s'en rendre compte, n'est-ce pas? Il y avait aussi le mépris, pour son pelage sale, causé par la superficielle idée que la noblesse d'une fourrure se reflétait sur l'esprit.

Nuage de Lycaon avait toujours été un chat des ombres préférant observer dans son coin, tel un reptile guettant sa proie. Il n'avait que trop été mis à la lumière, de par ses origines et lors de ce fameux jour. Pas que l'avis de ces chats lui importaient, juste une préférence entre voir et être vu. Une question de nature, comme c'était le cas pour une chauve-souris, qui sortait sous les feux de la pâle Lune plutôt que sous ceux du flamboyant Soleil. Ce regard-là ne le dérangeait cependant pas. Il semblait dénué de tout jugement, simplement crée par la curiosité. Il serait bien hypocrite d’être ennuyé par cela.

Le sourire de compréhension qu’afficha Nuage de Rossignol prouva qu’elle ne dirait mot, tout comme ces paroles. Ainsi donc, elle vivait une situation similaire. Trouver quelqu’un dans une situation similaire avait ce côté rassurant malsain et assez stupide. Cela ne résolvait bien et on se réjouissait en quelque sorte du malheur de l’autre. Cela apportait aussi le sentiment de pouvoir être compris, et même soutenu, deux choses indispensables dans un environnement social.

"Oui"

La réponse avait été brève, furtive, spontanée. Cette affirmation avait des airs de libération, tel l’eau pouvant à nouveau circuler normalement après avoir été bloquée par la pierre, éjectée par la pression.

“C’est tout ce qu’il se passe dans le clan. Ça a toujours été comme ça ? Je ne me sens à l’aise avec personne : notre Voix, mon mentor et même avec mon frère et mon père, je n’arrive plus à aller leur parler…”

Tout cela ressemblait à une confidence. Se sentait-elle plus à l’aise avec lui à cet instant qu’avec ses proches ? Après tout, c’était possible. Un inconnu n’avait pas d’expectations sur nous, et ne pouvait donc pas être déçu.
Pour la Voix, il ne pouvait que comprendre, jamais il ne s’était senti aussi vulnérable et en danger qu’en sa présence. Plus que le combat et les techniques de chasse, Dame des Cœurs lui avait appris le sentiment d’insécurité permanente, qu’il devait gérer en plus de son mal-être présent de longue date. Il ne pouvait dire si les relations avec sa fratrie en avaient été altérées, c’était bien trop tôt. De plus, il n’avait jamais été un grand bavard, on démarrait souvent les conversations pour lui.

“Je ne sais pas” Bienvenue au club, cette phrase définit ma vie “c’est peut-être moi, mais j’ai l’impression que le Clan du Tonnerre… n’est pas un clan normal…”

C’était loin d’être une impression solitaire. Tout le monde pensait cela. Ou plutôt, la majorité pensait qu’il n’avait pas un meneur normal. Indigne de confiance. Au point que celui-ci s’était proposé de se laisser arracher en revenant de la Pierre de Lune, s’il avait été accepté.

« C’est loin d’être une pensée isolée, tu peux être rassurée sur ce point-là. Pour répondre à ta question, cela avait l’air d’être différent sous Cendre. J’imagine. »

Du moins, il entendait moins de rumeurs, de médisances, les uns sur les autres –si on excluait sa portée ou Coup de Foudre, mais ce dernier était un sujet intemporel- puis avec Masquée et l’accueil des chats de la Rivière et la nomination du lieutenant cela avait délié bien des langues, mais qui restaient tout de même plus ou moins discrètes.

« Tu as six lunes, et pourtant tu as déjà connu trois chefs différents, non ? » Il réfléchit à la chronologie, et cela semblait concordant. Même si elle n’avait surement pas vraiment connu le frère de Vautour. " Il n’y a pas de stabilité. Et quand celle-ci n’existe pas, les brèches mal rebouchées se rouvrent, les tensions apparaissent ou réapparaissent. Je ne connais pas les problèmes des autres clans, mais il y en a surement aussi. Mais en temps normal, ils sont plus ou moins enterrés et l’on avance. Quand il n’y a pas de stabilité, on ne va pas au-delà d’eux, et les visions différentes que chacun a sur le clan entrent en collision. La confiance est très importante, surtout envers le meneur qui doit être l’exemple à suivre et qui doit assurer la stabilité. La majorité des chats n’ont pas confiance, ni ne respectent Coup de Foudre, ce qui donne un clan… Le terme qu’il s’apprêtait à utiliser s’appliquait à l’ensemble du système des clans de son point de vue, mais ce genre de pensée était bien trop hérétique pour être partagée. défaillant."

Voilà qui ne rassurerait guère l’apprentie. Il en avait plus que conscience. Mais elle lui avait demandé, alors il répondait, il n’utilisait pas souvent le mensonge. Tout ceci n'était pas tellement son avis, mais plutôt le fruit des observations qu'il avait mené, couplé à ce qu'on lui avait enseigné.

« Quand à ton père et ton frère, tu le sais mieux que moi, mais je pense que c’est toi qui te bloque plus qu’autre chose. » Lui, en tout cas, s’il n’osait dire ce qu’il se passait ou comment le combat, tout ce système, son entrainement, pourquoi tout ceci le rebutait, c’était de sa faute. Il n’arrivait –ou ne voulait- juste pas à mettre des mots dessus.

Elle porta le regard au loin devant elle. Son esprit bouillonnait de l’intérieur. D’angoisse, d’incompréhension et d’une pointe de rébellion. Et, depuis qu’elle avait entamé son entraînement, de tristesse morose. Les paroles de l’apprenti coloré retentirent comme un alarme funeste dans son esprit, qui faisait écho aux images qu’elle gardait de la pouponnière et de son baptême. Alors ça n’avait peut-être pas toujours été comme ça… pourtant ce n’était pas l’impression qu’ils donnaient. Ils ne savent faire que ça se lamenta-t-elle. S’écharper, s’éloigner sans plus cérémonie, créer les problèmes. Qu’est-ce qu’ils attendent de moi en fait ? La marbrée secoua la tête et sortit de ses pensées, confuse. Elle avait fini par oublier sa présence.

“En fait je ne me souviens pas vraiment de tout… pour moi c’est comme s’il n’y avait jamais eu de véritable chef. Je sais que ce n’est pas vraiment le cas mais… c’est tout comme. Il y a de quoi être frustrée. Pour en revenir à Coup de Foudre… en même temps il faut voir comment il se comporte. Ne le prend pas personnellement !” ajouta-t-elle subitement, par crainte d’offenser son camarade -elle s’était souvenue que lui aussi était le fils du bengal. “Mais je comprends pourquoi personne ne lui fait confiance. Ce que je ne comprends pas en revanche, c’est que beaucoup de ses opposants tiennent des propos incohérents ou présentent des comportements aussi insensés que lui. La seule solution que je vois, c’est attendre que les plus jeunes comme nous prennent la relève. Mais quand je vois déjà les têtes brûlées (elle parlait bien entendu de Nuage Brisé et Nuage de Ciel, entre autre) qui sévissent déjà dans notre tanière, je me dis que l’affaire n’est pas gagné et qu’il va falloir prendre le dessus très rapidement. Et ça, c’est si Coup de Foudre et Dame de Cœurs nous laisse un clan assez fort pour nous permettre de réparer tout ça. De panser les plaies…”

Et la guérisseuse dans tout ça, que faisait-elle au juste ? N’était-elle pas supposée rendre la raison à leur meneur ? Peut-être que Coup de Foudre était un cas désespéré.

“Tu as raison pour mon père et mon frère. Mais c’est juste que c’est difficile de se confier là-dessus. J’imagine que tu peux comprendre ça.”

Elle soupira une énième fois et les deux matous contemplèrent leurs propres pattes dans un moment de réflexion intense qui marqua une pause dans cette discussion tendue. Nuage de Rossignol se redressa la première. Elle leva la tête et fit courir ses prunelles solaires le long des branches de l’arbre millénaire.

“Dis, tu as combien de lunes déjà… Tu vas bientôt devenir un guerrier non... ? Du coup j’imagine que tu as déjà grimpé à cet arbre ?”

Elle lui lança un regard sans équivoque : assez parlé des mauvaises choses. Cela faisait plusieurs jours qu’elle ne s’était pas sentie aussi détendue et elle voulait profiter de ce moment pour vivre une vie d’apprentie normale et épanouie. Et ça commençait par la camaraderie et le jeu.

Nuage de Rossignol, après sa tirade, semblait pensive, anxieuse même. Personne ne pourrait lui en tenir rigueur. Tous les événements qui s’étaient récemment déroulés étaient lourds à prendre en compte. Cela s’était déroulé si rapidement que son propre cerveau en avait fait un crash. La quantité d’informations à prendre compte avait été si dense. Mais surtout ce qui l’avait marqué. C’était les émotions. Elles avaient été si fortes ce jour-là, si frappantes. Il voulait les décrypter, les comprendre.

La brune secoua la tête, sans doute pour reprendre le cours de ses pensées, c’était un réflexe commun, comme si cette acte remettrait l’esprit à zéro, en re-mélangeant tout.

En fait je ne me souviens pas vraiment de tout… pour moi c’est comme s’il n’y avait jamais eu de véritable chef. Je sais que ce n’est pas vraiment le cas mais… c’est tout comme. Il y a de quoi être frustrée. Pour en revenir à Coup de Foudre… en même temps il faut voir comment il se comporte. Ne le prend pas personnellement !”

« Pas de risque » Il avait tant été assimilé à son père et ses actes, son origine d’enfant maudit, que faire ce rapprochement ne lui faisait plus rien. Et il avait bien compris que ce n’était pas le cas ici. Les agissements de Coup de Foudre gagnaient la déplaisance générale, c’était un fait.

Et lui, lui faisait-il confiance ? Il n’en savait foutrement rien à vrai dire. Coup de Foudre. La résonnance de ses actions ne donnait en rien tort à son appellation. Les réactions des autres étaient ce qu’elles étaient et étaient propres à chacun. Il savait plus ou moins à quoi s’en tenir sur son père (bon cela ne l’empêchait pas d’avoir quelques surprises), c’était plutôt les conséquences qu’il ne prédisait pas. Faisait-il confiance à quelqu’un d’ailleurs ? Il aimerait penser que oui, mais sincèrement, cela était encore une question sans réponse.

Lycaon hocha de la tête aux mots de la jeune. Oui, les autres étaient insensés. En réalité, à ses yeux, ils étaient même pires, bien pires. Il n’y avait qu’à voir la lueur de malveillance qui s’était allumé chez certains d’eux, alors qu’ils disaient tenir plus que tout à leur sacro-saint code, dicté par des Etoiles. Rien de moins que des chats morts qui décidaient de la vie des vivants et la jugeaient. Ces mêmes vivants qui leur obéissaient pour pouvoir eux-mêmes être des Etoiles, et ainsi pouvoir faire partie de ce tribunal céleste, qui appliquait sa propre loi. Tout n’était pas à jeter dans cette dernière, mais… Ou est le censé là-dedans ?

Quant aux jeunes dont parlait Rossignol, il avait bien capté les noms sous-entendu. Des têtes brulées, voilà de bonnes définitions. Feraient-ils mieux pour le clan ? Il s’excluait d’office de l’ensemble. Déjà, son frère et sa sœur seraient probablement désapprouvés, de par leur qualité d’enfant maudit. Car c’était bien le personnage qui avait été désavoué ce jour-là. Quand on y pensait, outre l’idée extrême de tuer qui n’était pas vraiment accepté comme l’avait rappelé Puma (enfin de l’avis de Lycaon chacun utilisait et détournait un peu ce dernier dans son interêt et pour se donner bonne conscience), chacune des propositions avait été une réponse à une demande. Bien sur une solution à la sauce Coup de Foudre. Quant à Dame de Cœur, il n’avait plus aucune objectivité concernant cette dernière. Mais le Clan n’appréciait les réponses du son « meneur », pas car il avait analysé ses dires et les avaient rejeté de manière logique et rationnelle, mais car tout ce qui sortait de sa bouche était une hérésie, parce que cela venait de sa bouche, de sa tête, parce que c’était Coup de Foudre. Car il n’avait jamais eu de confiance, car il n’avait jamais été un modèle à suivre selon les règles. On pouvait très bien aussi donner le blâme à Masquée pour l’avoir nommé lieutenant en premier lieu. Techniquement, il était tout aussi coupable. Bien sur, la mascarade qui s’était déroulée n’aidait en rien, et avait exacerbé les autres, et il avait dû lui-même prendre du recul sur la situation plus tard, pour en dresser un portrait cohérent.

“Tu as raison pour mon père et mon frère. Mais c’est juste que c’est difficile de se confier là-dessus. J’imagine que tu peux comprendre ça.”

Il hocha de la tête. Oui, il pouvait plus que comprendre. Il ne saurait dire la raison. Les décevoir ? Selon les critères sociaux normaux, il était la définition même d’une déception. Parler de lui n’était tout simplement pas quelque chose dont il était capable.

“Dis, tu as combien de lunes déjà… Tu vas bientôt devenir un guerrier non... ? Du coup j’imagine que tu as déjà grimpé à cet arbre ?”
« 12 lunes. Et je suis censé devenir guerrier bientôt Parce qu’en pratique…


Et bien oui. Cette activité classique avait en effet un de ses intérêts. Pas pour l’idée de grimper en premier lieu, mais plutôt pour pouvoir voir le monde depuis la cime des arbres, avoir un champ de vision plus large était apprécié. Si bien qu’il n’était pas si médiocre grimpeur. Il s’essoufflait vite cependant, comme partout ailleurs. Et il n’avait pas l’intention de se crever aujourd’hui. Mais le regard de la brune était plus qu’équivoque. Et puis, il se voyait mal refuser et partir. Il préférait bien plus l’escalade à la chasse.

« Et oui, en effet, j’ai déjà grimpé dessus. Et toi pas encore ? » Il sortit ses griffes d’une de ses pattes avant de leur fourreau et monta sa patte au côté de sa tête, avant de pencher celle-ci -un tic qu’il avait piqué à son père, le mimétisme était une de ses… propriétés. « Besoin de technique ? Je veux dire, si tu veux faire un concours… » La compétition. Cela éveillait beaucoup de ses camarades, surement l’apprentie en faisait-elle partie. Il baissa sa patte, la ramenant aux côtés de sa jumelle, avant de balancer sa queue de l’autre côté d’un coup sec, faisant s’envoler un peu de poussière, avant de l’enrouler autour de ses membres, tel un professeur attendant l’exercice de son élève. Il faut que ce soit équitable »

En pratique ? Nuage de Rossignol connaissait la vérité à propos de son interlocuteur. Il n’avait pas la force de son frère, ni la vigueur de ses deux sœurs. Au mieux, on ne le remarquait pas. Se disant qu’elle touchait sûrement un point sensible, le petit rossignol n’osa pas appuyer davantage dessus et acquiesça en silence, avant de hocher la tête dans l’autre sens.

“Un concours ? Oh non, merci. Je n’ai jamais grimpé à un arbre de ma vie et tu me battrais à plate couture, je ne vais pas me mettre à faire la compétition si je sais que c’est perdu d’avance. Je te propose juste qu’on grimpe tous les deux là-haut, j’aimerais voir à quoi ressemble la forêt vue d’en haut. Je m’en sens capable mais pas toute seule. Si tu es avec moi, j’aurais plus confiance en mes gestes.”

Elle poussa la mousse au pied de l’arbre.

“Voilà. Comme ça, si je tombe, je ne me ferais pas mal. Je passe en première et tu me suis ?”

Elle se dressa sur ses pattes arrières et planta ses griffes avant dans l’écorce épaisse de l’arbre. Elle brandit son regard sur les branches qui se balançaient lentement au gré d’une brise paresseuse. Prenant appui grâce à la force de ses membres, elle se hissa prudemment sur le tronc. Voilà qu’elle perdait contact avec le sol pour la toute première fois, mais cela eut quelque chose de naturel, même très plaisant, et ses pensées négatives furent aussitôt chassées, remplacée par la sécurité d’un camarade de clan sympathique qui gardait ses arrières pendant qu’elle escaladait presque sans efforts et surtout sans peur le Grand Sycomore. C’était comme si cet arbre avait attendu toute sa vie pour la rencontrer. Nuage de Rossignol trouva en cet arbre sacré et millénaire un réconfort empathique plus romantique que ce que le reste des bois aurait pu lui offrir. À chaque avancée vers le ciel, elle se sentait libérée du poids de ses émotions. Elle aurait galopé à la verticale sans plus jamais s’arrêter sur les premières branches n’avaient pas été là pour l’arrêter. Elle choisit pourtant de ne pas se poser sur la première qui se présenta à elle et poursuivit sa route jusqu’à-ce qu’elle trouve un endroit où la lumière du jour caressait le bois. C’était une branche assez large pour qu’elle et Nuage de Lycaon puissent s’installer tranquillement, sans craindre la chute. Une fois en boule, elle leva les yeux.

Nuage de Rossignol recula pour regarder le soleil se lever derrière une bande de nuages qui se transformaient en or devant elle, sur un ciel bleu turquoise. Elle sentit son âme s’envoler face à la beauté de la scène. Lentement, l’astre traversa le nuage doré et ses rayons transpercèrent sa masse vaporeuse, pour venir se planter dans l’écorce dure et la canopée, illuminant le feuillage.

“Que c’est beau…” lâcha-t-elle tout bas.
Elle se serait donnée à ce spectacle corps et âme. La scène qui se dévoilait sous ses yeux fit exploser son cœur de joie, et l’emplit en même temps d’une amertume qu’elle n’avait jusque-là jamais connue.
Elle eut une pensée pour sa mère et étrangla un sanglot.

Nuage de Rossignol refusa sa proposition de concours. Oh tiens. Il s'était donc trompé, cela arrivait en appliquant une généralité à un individu. Il avait donc maintenant une information de plus sur sa camarade. La battre à pleine couture? Il e doutait fortement. C'était pour cela qu'il lui avait proposé de s’entraîner avant. Pour qu'elle se fatigue, rien d'autre. Il n'aurait donc pas fait un effort monstre lors de l'escalade sans paraître pour autant ridicule, et il aurait d'ailleurs très bien pu perdre.

"Je te propose juste qu’on grimpe tous les deux là-haut, j’aimerais voir à quoi ressemble la forêt vue d’en haut. Je m’en sens capable mais pas toute seule. Si tu es avec moi, j’aurais plus confiance en mes gestes.”

Voir la forêt d'en haut, voilà un souhait qu'il pouvait tout à fait comprendre, bien plus que cette idée de compétition, assez absurde à ses yeux.
Il donnait plus de confiance à quelqu'un, c'était peut-être bien l'une des premières fois qu'on lui disait de tels mots. Bien sur, il ignorait pas qu'il s'agissait de la présence, et non de la personne, mais cela restait assez inhabituel pour être noté. L'apprentie mit la mousse au pied de l'arbre.

“Voilà. Comme ça, si je tombe, je ne me ferais pas mal. Je passe en première et tu me suis ?”


Nuage de Lycaon hocha simplement de la tête, et la regarda grimper un petit moment. Elle se débrouillait bien. Une fois qu'elle était assez haute, il planta ses propres griffes dans l'écorce, prit une grande respiration avant de soulever le poids de son corps pour le premier mouvement. Il se hissa tranquillement sur le tronc, s'efforçant d'inspirer et d'expirer de manière stable. Il regardait le feuillage frissonner au rythme du vent. Que la cime semblait lointaine, inatteignable, un lieu préservé de toute présence. Ils passèrent la première branche, son point d'arrêt habituel. Il était allé plus haut quelques fois mais cela était bien rare.

Rossignol s'arrêta sur une branche illuminée assez large et il l'a rejoignit. Chaque vue depuis les arbres était unique. Cette fois-ci ne dérogea pas à la règle et c'est un nouveau paysage dont il fit la découverte. Le soleil se levait, comme passant à travers les nuages, colorant ceux-ci de nuances dorées. Un mince sourire effleura ses babines. Qu'est ce qu'il aimait cela. Les rayons arrivèrent, faisant luire la rosée des feuilles.

Ce Soleil, il avait envie de marcher vers lui, se perdre dans sa quête, voir les paysages de ce monde, les rivières de leurs voisins, la pinède de l'Ombre, les Landes du Vent, la Ville même, et au-delà. Voir le Soleil illuminer ces lieux, voir la Lune éclairer ces mêmes endroits de sa faible lueur, imaginer le contraste, et les différentes visions crées par ces deux astres. Oui, c'était beau comme disait la brune, d'un ton si bas, comme pour ne pas briser cette paisible atmosphère.

En la voyant, il perçut de la surface . Il avait remarquer cela, la joie apportait aussi cette dernière. Il avait entendu que la jeune avait perdu sa mère (elle l'avait connu contrairement à lui qui n'en gardait aucun souvenir). Ce moment magnifique, elle ne le passait pas avez l'être aimé. (De par cette réflexion, il se dit que partager un tel moment avec ses frères et sœurs seraient sans doute une bonne chose. Coup de Foudre et Secret du Firmament avaient-ils partager un moment similaire?) Ou alors, elle relâchait la pression. Il ne pouvait véritablement savoir.

Savoir ce qu'il devait faire était compliqué, normalement il devait réagir, quand quelqu'un était triste, on le réconfortait. Non?
Ainsi il partagea ses pensées, pour peut-être, éloigner les mauvaises de sa camarade.

"Je sais que tu viens tout juste de découvrir le territoire, mais tu t'es déjà demandé comment c'était ailleurs? Comment un aussi beau lever de soleil pouvait être au niveau d'une rivière, aux Falaises, partout?"

“Je sais que tu viens tout juste de découvrir le territoire, mais tu t'es déjà demandé comment c'était ailleurs ? Comment un aussi beau lever de soleil pouvait être au niveau d'une rivière, aux Falaises, partout ?”

Piquée d’un vif intérêt, Nuage de Rossignol fut arrachée de sa contemplation. Elle se tourna vers Nuage de Lycaon et dressa les oreilles.

“Oui. Un peu plus que cela même.”

Elle marqua un temps de pause très court et sa queue battit l’air comme un fouet avant de se poser sur la branche.

“À vrai dire, j’aimerais beaucoup le savoir. Même depuis ma dernière lune à la pouponnière, je ne cesse de me demander comment sont les choses ailleurs. Tu vas peut-être me prendre pour une folle !” ajouta-t-elle d’un rire forcé, comme si le ton de la plaisanterie allait alléger le poids des mots qui allaient suivre et aider à mieux faire passer le remède, car n’importe quel chat qui s’apprêtait à entendre ses mots questionnerait directement sa loyauté qui, elle n’en doutait pas elle-même, allait pourtant droit au Tonnerre.

“Mais cela m’affecte particulièrement, de ne pas savoir comment c’est, ailleurs. J’éprouve presque cela comme un manque. Un besoin de voir, de connaître ce que cela fait de nager dans la rivière, de patrouiller sur la lande, de grimper aux arbres de la forêt la plus sombre, ce que ça fait de vivre partout ailleurs.”

Alors qu’elle parlait, ses pupilles grandirent et ses yeux l’emmenèrent dans un voyage à grande échelle, partout dans la forêt. “Mais ça ne s’arrête pas là…”
Sa voix se fit d’outre-tombe.

“Quand bien même, cela ne me suffirait pas. Il ne me suffirait pas de voir un coucher de soleil sur les falaises de la rivière. J’aurai besoin d’en vivre d’autres. Et une fois que j’aurais tout vécu plusieurs fois, j’aurais besoin de m’étendre. D’aller au-delà des Hautes-Pierres, au milieu des pics enneigés. Tu sais, ceux qu’on raconte que parfois, le Clan du Vent peut les apercevoir au loin. Et je voudrais même aller par-delà ces pics, tout en étant capable de revenir dans la forêt pour vivre et revivre ce que je connais déjà.
“Ma curiosité s’étend comme l’horizon Nuage de Lycaon… Je crois qu’elle est insatiable. J’ai toujours besoin de connaître ce qu’il se cache au loin, car j’ai l’impression de manquer beaucoup, beaucoup de choses. Je ne sais pas ce que les autres penseraient de cela alors ne leurs dis pas tout ce que je t’ai dit s’il-te-plaît…

Puis en y réfléchissant bien, elle se dit que ce qu’elle venait d’expliquer n’avait ni queue ni tête.