C'est une Faveur [Feat. Coeur de Puma] - end

« Tu   me   dégoûtes. »

Trop loin du campement pour être entendu.

— Je déteste quand tu parles.

Je déteste entendre la condescendance dans ta voix.

Tu te bornes à croire que tu as toujours raison mais tu n'écoutes jamais les autres, tu t'es complètement emmuré dans tes désillusions et tu t'y accroches si fort que tu t'en fais saigner les griffes.

Ça te fait pas mal? Un rire - non, un gloussement, et venimeux de surcroît: Ha hah, ou alors endurer la connerie est un autre exemple de ton soi-disant "héroïsme" ?

Tu parles-

Toi et moi on sait tout les deux que tu n'as rien d'un héros. Aucune vertu, que les vices, et tu enterres tout comme des restes que tu veux cacher.

Mais moi, je le sais.  Moi, je le vois - ces restes, tu comptes les deterrer, tu comptes les savourer, espèce de dégénéré, on sait tout les deux que tu attends juste qu'on te tourne le dos et-

Un clapotis dans l'eau.

Il vient d'y jeter la patte. Son reflet se déforme sous la force du coup, ondoie jusqu'à l'autre berge, et le temps se suspend sur la fin de son souffle.

À côté se bercent les feuilles rougissant d'un vieil orme, et dans son ombre étirée par l'aube qui pointe à peine le bout de son nez se tient le bengal, patte en sur-extension, perché au rebord de l'eau, s'épiant lui-même dans son reflet qui se reforme. Il observe ses yeux - creux, non seulement la nuit agitée ne l'a pas aidé, mais voilà quelques temps qu'il dort à la belle Étoile, dans les branches des arbres en bordure du campement (et est-ce que la saleté s'est accumulée dans les coins? Ugh - tant que ça n'enfle pas). Il observe son poil - en bataille, l'avoir ras n'empêche pas à des mottes de rebiquer de tout bords tout côtés comme s'il avait été foudroyé dans son sommeil. Ses pattes - sa patte, pardon, et plus précisément sa patte gauche, s'épargnant plus de confrontation en laissant ses yeux suivre la marque propre sur son poignet.

Après un moment à n'entendre plus rien d'autre que le vent dans les branches, le froissement des herbes et les oiseaux qui s'éveillent, il secoue sa patte. Les goutelettes volent, fendent la surface de la Rivière, et sur la berge le bengal s'était rassied sans ne plus se regarder pour entreprendre une toilette et retrouver au mieux un masque de contenance.

Inspirer, expirer.

Les poils qui rebiquaient furent vite lissés, redonnant à son faciès sa rondeur caractéristique.

Inspirer, expirer.

Jamais, dans toute sa vie, il n'avait du autant se frotter les yeux, tirer ses paupières et passer une patte bien léchée sur tout le pont de son museau.

Inspirer - entre ses griffes, ses moustaches, les affinant, arachnéennes, pour les faire paraître plus longues encore, et surtout plus droites. Puis ce fut au tour du corps, décollant d'une langue râpeuse tout ce qui obstruait les longues bandes de ses marbrures. Puis au tour de sa queue, gonflant le poil au bout. Son poitrail, qu'il peigna à rebrousse-poil, et ses oreilles, en s'aidant d'un postérieur cette fois, et le reflet dans la rivière n'avait presque plus l'air du chat précédent. Il se jeta un dernier coup d'oeil, en penchant la tête, en ouvrant la bouche, en pivotant ses oreilles et en haussant haut les sourcils, en les fronçant, en testant l'élasticité de ses expressions faciales et puis il s'en fut en direction du campement.

Arbres denses, dégagé, sa patte fit croustiller une feuille en marchant dessus arrivé à la clairière, jetant un oeil à l'état du tas de proies (rempli, parfait), puis il en était à rassembler son poids dans ses postérieurs - campement - sautant sur le rocher.

Rassemblement - pas de chasse ce matin (c'est les pelages clairs qui seront contents) - mais patrouille matinale (les pelages clairs soupirent).

« Nan, il fait encore un peu sombre, je m'en charge cette fois. Le Clan n'était plus étranger à le voir aussi impunément baîller et s'étirer. Le Clan n'était plus étranger non plus à garder en veilleuse leurs commentaires sur à quel point un Lieutenant serait bénéfique - c'est vrai, quoi, si Coup de Foudre comptait déléguer à Amour en Cage toute leur spiritualité, et à Dame de Coeurs la moindre de leurs plaintes, ne pouvait-il pas le faire pour la répartition de tâches? Et puis comment devait-on le considérer? Comme un Lieutenant? Comme leur chef? (mais il n'avait ni son nom, ni les vies...) Comme un dégénéré -  son oreille tiqua, les poils dedans rebondirent.

— Coeur de Puma, il dit, et puis il se jeta en bas du promontoire, à la hauteur de tous les autres chats. Avec moi. »

Lorsqu'un mouvement se fit dans le rassemblement, il le suivit, trouvant les yeux du vétéran des siens - puis d'autres chats se portèrent volontaire et Coup de Foudre les stoppa d'un claquement de queue:

— « Non. Il fronça les sourcils - l'expression sans équivoque provoquant un recul chez ceux qui s'étaient avancés. Seulement  Puma.

Il pesa son regard sur chacun des guerriers à qui il avait donné congé avant de revenir sur l'intéressé, retrouvant sa désaffectation. Succinct geste du menton, une courbe de sa queue, et il se traînait déjà les pieds direction les Rochers de Serpent.

Automne. Probablement la saison qui se marie le mieux à son pelage roux sombre, la seule qui prend ses couleurs et lui assure un camouflage presque parfait. Pourtant, Cœur de Puma ne voit rien en ces feuilles mortes qui puisse lui plaire; l'automne n'est rien d'autre que le frère de l'hiver. Le même qui tue, qui affame et parfois même qui gèle les courageux dans un Blizzard cruel.

Cœur de Puma craint l'automne presque autant qu'il ne redoute l'hiver.
Il faut traquer constamment, se nourrir avec excès pour stocker sous la fourrure l'énergie qui sera dépensée dans toutes les chasses infructueuses de la saison des neiges. C'est une préparation, un moment déterminant pour les quelques mois qui suivent. Si l'automne est mauvais, alors l'hiver est terrible.

Et quel père ne s'inquiète pas pour ses petits quand le froid s'installe, quand les jours se font courts, que l'humidité prend place jusqu'au creux de la litière ? Nuage de Lézard et Nuage de Rossignol n'ont guère hérité de sa carrure, et le mâle balafré craint qu'ils ne soient parmi les plus fragiles.

Il se réveille tôt; le soleil n'est pas encore levé que Cœur de Puma est déjà dans la clairière et chasse la rosée de son poil à grand coup de langue. Son poil d'ailleurs, parlons-en : il se fait déjà plus dense; le corps du vétéran ne fait que donner raison à ses méfiances.

Le félin disparaît seul dans le tunnel qui mène à l'extérieur du Camp et se faufile dans les bois jusqu'à longer la frontière entre le Clan du Tonnerre et celui de l'Ombre. Arrivé en face des Quatre Chênes, il soupire.

L'automne, l'hiver, le froid, l'humidité, Coup de Foudre, l'absence de lieutenant, l'absence des 9 vies de son chef qui n'en est pas vraiment un, l'Assemblée à venir, ses petits si jeunes…

Le cœur de Puma n'a rien d'un cœur apaisé. Sur le retour, il le sent lourd dans sa poitrine et le vétéran sait que son âge n'est pas le seul fautif de cette respiration saccadée, de ces pattes pesantes, de la ride qui se creuse entre ses deux sourcils…

Quand il revient au Camp, il remet son masque de sérénité, il rend les sourires aux apprentis, il salue les reines au passage, il rit même aux blagues médiocres de ses camarades. Son regard se perd dans la clairière et tombe sur le pelage marbré de sa fille qui s'en va accompagnée et il force un peu plus ses sourires : c'est pour elle, c'est pour Lézard qu'il doit aller bien. S'il s'écroule, qui les épaulera ?

Coup de Foudre ne lui laisse pas le temps d'y réfléchir davantage puisqu'il est déjà perché sur le promontoire pour ses directives du jour. Sans vraiment écouter -il n'en a plus envie- Cœur de Puma s'approche et prend place derrière ses comparses. Ce n'est même pas l'apostrophe de son chef-mais-pas-vraiment qui le sort de ses pensées, mais plutôt les regards surpris qui se tournent soudain vers lui. Le bengal est à terre, dissimulé par les félins du premier rang quand il ajoute :

« Avec moi. »

La foule se dissipe, et bientôt il trouve le regard du meneur, qu'il ne lâche pas. Il faut que d'autres guerriers ouvrent la gueule et se portent volontaires pour qu'il se détourne du jaune électrique du marbré. Ce dernier les recale fermement, et le rouquin se surprend à retenir un soupir soulagé : on lui aurait presque volé son tête-à-tête avec Coup de Foudre ! Ça fait des lunes qu'il est fui comme un pestiféré par son propre chef-mais-pas-vraiment, comment ses camarades peuvent seulement songer à perturber cet entretien tant attendu ? Quel manque de civilité.

Enfin… sans doute cette discussion a-t-elle été trop attendue car durant leur cheminement vers les Rochers aux Serpents, le vétéran ne décroche ni un regard ni un mot à Coup de Foudre.

Pour dire quoi, de toute façon ? Et puis quoi, voilà seulement qu'il se réveille et daigne lui accorder de l'attention ? Il n'est pas un adolescent, il n'a pas à être puni de la sorte, et encore moins affranchi du silence sans raison apparente.

Bébé Foudre est décidé à parler ? Alors qu'il parle.

Que ce soit la pression de la présence d'un public, l'envie sincère de pouvoir enfin se délier la langue et d'invectiver leur chef-mais-pas-vraiment (sans n'avoir à passer par Dame de Coeurs), ou le simple respect de la hiréarchie, Coup de Foudre n'aurait su dire. Quoi qui ait fait céder Coeur de Puma à l'accompagner lui importait peu, au final (depuis quand les racines d'une réaction lui importait peu?). Avec ou sans manipulation (volontaire ou non), le résultat était le même, et Coup de Foudre se distança du campement, s'accroupit dans le tunnel de ronces de la palissade, et ils s'en furent en silence vers les autres territoires Tonnerre.

... En silence.

Puma ne dit rien pendant le moment presque intime à deux dans le tunnel; Puma ne dit rien non plus lorsqu'ils en sortirent, respirant à deux l'air forestier; et Puma ne dit rien en se rangeant à la queue-leu-leu derrière son chef-mais-pas-vraiment qui sentit son expression lui échapper. Non - qui sentit son air placide se souiller de frustration, et cette frustration de le faire sourciller, imitant à son insu l'air sévère que lui portait le vétéran derrière.

Les plus hautes herbes bruissèrent à leur mouvement mais ils n'étaient pas venus pour chasser - tant pis - on s'en fout. ...Coup de Foudre sentit ses deux oreilles tomber dans leur cran en jetant un coup d'oeil rapide, (nerveux peut-être?) derrière lui, vers le vétéran venu parler et qui ne parlait pas. ...Pourquoi il ne parlait pas?

Ses paupières se plissèrent malgré lui, et il accéléra la cadence, mais une fois arrivés aux Rochers (Tiens, beaucoup de Rochers au Tonnerre quand même, avec le Promontoire dans le campement, ceux du Soleil près de la Rivière, et ceux aux Serpents qui permettaient d'entrapercevoir en hauteur une bande de terre-noire du Chemin du Tonnerre, les chats d'autrefois devaient cruellement manquer d'imagination en ce qui concernait les noms) -- Une fois arrivés aux Rochers, j'ai dit (son oreille tiqua pour chasser les pensées absurdes qui meublaient le silence), Coup de Foudre s'immobilisa devant les dalles plus basses, y montant la patte, l'enlevant aussitôt. Ils étaient arrivés trop vite, il avait perdu son momentum - il se trahit en claquant de la langue.

Mais il était prêt.

Malgré les longs poils de ses oreilles il était prêt à écouter Coeur de Puma, il lui avait réservé tout un avant-midi pour ce-faire, et il avait débattu contre son reflet dans l'eau jusqu'à ce que ce qui fut d'abord un exercice argument/contre-argument ne se déforme en pitoyable prestation de mépris de soi. Il était prêt à tout et à tous les angles - le comparer à Étoile de Suie, pourquoi pas, ou lui rappeler que feue sa meilleure amie et sa compagne avait été une guérisseuse, pourquoi ne pas l'attaquer sur son avis sur les Étoiles, ou plus simple encore ne pas lui dire à quel point il était fourbe et qu'il n'était pas digne de confiance? Ses hormones intempestives? La rumeur de ses relations avec des chats d'ailleurs? Et cette histoire de Léopard, tiens - vraiment, tout ce qu'on pouvait l'accuser d'avoir fait pouvait être vrai!   Il   était   prêt!

Bordel - ça recommence.

Il était prêt à tout sauf au Silence, et face à rien et sans cible à débattre, Coup de Foudre se réduisit à s'acharner sur l'adversaire le plus proche: lui-même. Sa queue fouetta l'air, tout un tremblement passa dans son poil comme un courant sous tension et en présentant toujours le profil de ses longues marbrures à Puma, il se trahit en tournant complètement la tête pour ficher son regard dans le sien. Plus aussi patient, plus aussi las, plus aussi détendu ou placide - carrément accusateur:

— « Tu attends quoi.
Ce qui le surpris une seconde, puisque les mots qu'il avait voulu dire se trouvaient plutôt dans les eaux de "qu'est-ce que tu attends" - formel, cordial, standart.

Ses yeux glissent de buisson en buisson, de feuilles à feuilles sans qu'il ne décroche un mot pour son meneur. Il ne regarde même pas le marbré qu'il a laissé bien devant lui.

Si quelques secondes auparavant, il ressentait une profonde injustice et une pointe de colère, il est à présent déjà ailleurs.
La terre meuble et froide accueille ses coussinets, leur permet de s'enfoncer assez pour rappeler au vétéran ses inquiétudes matinales.
Le mâle coule un regard las sur le paysage avant de revenir à ses pattes. Et il suit l'autre félin comme un chaton puni, attendant que Coup de Foudre ne gronde.

Mais rien ne vient.

Alors il s'enroule dans le silence, s'imprègne du bruit de la forêt, y participe même en faisant craqueler les feuilles sous son poids.

Quelques souvenirs resurgissent inopinément, dévoilant leur lot de sourires et de larmes. Son esprit divague dans des songes aux couleurs chaudes et aux brises froides et sa gueule se crispe à l'idée d'en revivre certains. Le voile brumeux de sa mémoire lui masque des visages dont il ne se souvient plus, use de voix qu'il sait empruntées… Comme il est difficile en toute finalité de rester sur ses terres pour toujours. Il lui suffit de faire deux pas pour passer des cris de terreur aux railleries enfantines.

Ils arrivent aux Rochers des Serpents.
Cœur de Puma est tellement pris dans son tourbillon de mélancolie qu'il manque presque de percuter le typé bengal qui s'est arrêté. Quand il reprend ses esprits, l'autre le toise presque, présentant son flanc quand il lance de toute évidence agacé :

« Tu attends quoi.
- Le printemps. »

Réponse du tac-au-tac, même le vétéran est surpris.
Le matou s'assoit pour se donner plus de contenance, prétendre -très mal- qu'il ne vient pas d'échapper ces mots.
Un regard autour de lui; oui oui, ils sont bien aux Rochers des Serpents. Seuls.

Et qu'est-ce qu'il attend… Il scrute son interlocuteur un instant.
Il a ses propres souvenirs de Coup de Foudre, de ses moues théâtrales, de ses colères contenues, de ses sourires piquants… Rien de personnel.

« De toi, de cette discussion ? Plus grand-chose. » dit-il, en quittant le marbré des yeux.

Il scrute le bois, plus tenté à l'idée de chasser pour nourrir le Clan plutôt que de se fâcher avec un incompétent qui rejette le Clan des Étoiles, sans oublier les 9 vies qui vont avec.

— « Le printemps.

Coup de Foudre - il, - sa bouche,...



...Coup de Foudre se retrouva à cligner des paupières, interdit.

Ça tombe bien, car Coeur de Puma l'était aussi: il semblait tout aussi penaud que lui, dissimulant l'affaire en s'asseyant, en regardant ailleurs, et Coup de Foudre se surprit à plisser les paupières en constatant qu'il dodelinait de la tête en la secouant.

Son regard revint sur lui - le bengal redressa sa tête derechef pour confronter ses yeux par les siens, mais l'électricité dedans s'était comme essouflée.

Il était prêt à tout mais peut-être toute cette préparation les avait épuisé tous les deux.

Coeur de Puma cessa de le regarder.

— De toi, de cette discussion ? Plus grand-chose. »

Coeur de Puma avait déjà abandonné, les yeux tournés vers les arbres à rebrousse-chemin et les souches du chablis. Le bengal sentit son dos se raidir sous-tension, un mouvement précipité de la patte l'envoyant se tourner au moins à demi vers son interlocuteur qui ne voulait plus parler.

— « C'est quoi ton problème-- Il se tut - il se mordit la langue, plutôt, sentant sa contenance à lui lui échapper (sa contenance! à Coup de Foudre)! Et s'empressa de secouer la tête et ravaler bruyamment un grommellement rageur.

Trop d'émotions pour une tête qui les conduisait mal - elles fuselaient son corps et sa peau, sous ses poils, sous sa robe marbrée qu'il avait pris le temps de toiletter, s'était mise à tiquer, par endroits - au niveau du poitrail au niveau du dos, de la croupe, retenant à sa queue d'aller sauvagement balayer les herbes sous ses pattes.

Ça se jouait à deux - ça se jouait seul, à vrai dire, et à vrai dire le jeu se faisait toujours avec lui qui observait la réactivité d'autrui mais qu'y avait-il à faire pour quelqu'un d'aussi peu réceptif?

Trouver son point faible. Il y en avait des tas - beaucoup trop d'angles à attaquer - mais dans sa résignation qui sait si Coeur de Puma ne laisserait pas couler ses insultes comme l'eau sur les plumes d'un canard. Ses deux oreilles se tordirent à l'extrème vers l'extérieur - sans se plaquer, aiguisant sa silhouette et rabattant derrière les longs poils d'oreilles qu'il coiffait. Et puis ses yeux se couvrirent de superbe et il haussa haut les sourcils, se mettant au diapason de sa lassitude.

— « Ok.   Très bien.   Tu peux disposer.

Coup de Foudre bondit sur une dalle basse, et un deuxième rebond le fit monter en haut du Rocher, profitant de la hauteur pour scanner les environs. Le sommet des herbes valsait avec une légère brise, comme ses moustaches dans sa face. Une partie du chemin du Tonnerre était visible, au loin, bien au loin où les Terres s'étaient remises du feu de brousse de la canicule du Cycle Dernier.

— J'aurais du me douter que la seule raison pourquoi tu voulais me parler était pour gaspiller mon temps. Maintenant que je te l'accorde, ça coule de source que ça ne t'intéresse plus!

Fiche le camp si c'est ce que tu veux, Puma, je me passerai de tes yeux. »

La réaction de Coup de Foudre ne se fait -étonnamment- pas attendre. Le marbré se retourne brusquement, arrachant une miette d'attention au vétéran qui a le réflexe de lui faire soudainement face, muscles bandés. Mais il se détend quand la voix agacée de son interlocuteur retentit, taisant l'éventualité d'un coup silencieux :

« C'est quoi ton problème-- »

Première fois qu'il assite à ça. Coup de Foudre énervé… enfin en tous cas, Coup de Foudre autre-chose-que-placide. Rien de plus vrai que la colère chaude, celle qui fait bouillir le sang et perdre les nerfs. Celle qui empêche le typé bengal de retenir le grommellement dans sa gorge, à l'instant.

Cœur de Puma affronte le jaune foudroyant de son meneur officiel sans ciller. Au cœur de ses iris noisettes, rien d'autre qu'un miroir. Et toi ? C'est quoi ton problème ?

Un petit moment coule; assez pour que Coup de Foudre se recouvre à nouveau de son masque usuel.

« Ok. Très bien. Tu peux disposer. » plein de lassitude.

C'est le jeu des miroirs.
Mais trop tard, la curiosité de Cœur de Puma est piquée. Il vient de déstabiliser son homologue sans même le vouloir, par son simple désintérêt.

L'autre se remet dans son rôle, se perche bien haut avant de lui balancer :

« J'aurais du me douter que la seule raison pourquoi tu voulais me parler était pour gaspiller mon temps. Maintenant que je te l'accorde, ça coule de source que ça ne t'intéresse plus ! Fiche le camp si c'est ce que tu veux, Puma, je me passerai de tes yeux. »

Toujours en bas du monticule rocheux, le guerrier roux répond sans un regard pour son interlocuteur :
« Mes yeux, ton nom de chef, tes neufs vies, un lieutenant… Qui penses-tu encore berner, Foudre ? » dit-il d'un ton plat mais calme. Il se lève et se prépare à partir comme convenu. « Tu ne te passes pas de ces choses, n'est-ce pas ? » Un léger sourire. Il accorde finalement ses yeux à son chef pour finir : « Tu les évites. »

Sans plus de mise en scène, il s'éloigne avec la même lassitude qui l'accompagnait à l'aller, non sans saluer la matou sombre encore perché d'un signe courtois de queue.

Il fit mouche - s'il était un peu plus proche de Puma (et je ne parle pas physiquement ... quoique?) il se serait trahi en lui flashant un sourire, mais pour l'instant? Garder le masque. Personne ne se regarde mais c'est qu'ils étaient au milieu d'une patrouille, rien d'autre. Puma ne prit pas la peine de le rejoindre en haut des dalles - ou bien c'est qu'il avait peur des serpents qui grouillaient entre les interstices (bien que l'automne ralentissait considérablement leur activité), ou bien c'est qu'il avait peur de lui.

— « Mes yeux, ton nom de chef, tes neufs vies, un lieutenant… Qui penses-tu encore berner, Foudre ?
Le bengal retint à ses oreilles de s'agiter, tournant la tête pour jeter un bref coup d'oeil à son interlocuteur, momentanément surpris qu'il fasse de même: Tu les évites. »

Et aussi vite qu'il avait capturé son attention, il la perdit, Puma se dérobant en lui tournant le dos.

Et Coup de Foudre sentit ses pattes bouillir - il sentit la chaleur dans ses coussinets, la tension dans son dos, et ce serait si facile, si facile de descendre et fondre et lui mordre la queue et la lui tirer pour le renverser au sol - il s'entendit inspirer.

Il s'entendit expirer.

Et puis il s'assied, remuant la croupe et les pattes en se rassemblant le plus serré possible, droit comme un roc, recourbant sa queue autour de lui en imitant la sévérité qu'il se rappelait de Printemps Fatigué.

— « ... Tu te trompes de direction, non?

Un geste succinct du menton, suivant la direction du Chemin du Tonnerre, au loin.

— La ville, c'est par là.

Ses paupières se plissèrent. C'était un jeu qui se jouait à deux, ça, Coeur de Puma (et heureusement, car des menaces et des reproches avaient tout de suite plus de viande où refermer les dents que le silence).

Il n'attend pas de réponse. Et il pense qu'il n'en aura pas, puisqu'un moment de silence lui permet encore de faire trois pas avant que tonne son meneur.

« Tu te trompes de direction, non ? »

Il s'arrête net.
… Non ?

Dans l'incompréhension total, il se retourne vers les rochers où il retrouve Coup de Foudre toujours perché. Cette fois, le marbré est droit comme un piqué et le toise avec sévérité. Quand le gradé retrouve l'attention du guerrier, il poursuit en désignant la direction opposée d'un geste du menton.

« La ville, c'est par là. »

Les paupières plissées, le mâle sombre lui fait désormais face.
En temps normal, il aurait sans doute été blessé par ce genre d'allusions. Mais venant de son meneur qui depuis des lunes n'en a ni le nom, ni les vies et qui refuse de donner le nom d'un lieutenant à ses camarades de Clan à la venue de l'hiver, c'est ridicule.

Sourire amusé, regard qui s'ancre une seconde au sol. C'est bon, le mépris revient. Quand il retrouve les yeux clairs de son congénère, Cœur de Puma a encore un rictus à la gueule.

« Oh, maintenant tu veux parler rumeurs. »

Un court rire ponctue sa réplique, lui accordant assez de temps pour qu'il se retourne complétement vers le mâle aux oreilles fournies.

« Tu n'as pas de nom de chef; tu n'as pas tes neuf vies; tu ne nous as pas donné de lieutenant. Ce ne sont pas de stupides ragots dont je te parle, ce sont des faits. » Il a repris son sérieux. « Durant des semaines tu as évité mes remarques presque aussi ingénieusement que ta visite à la Pierre de Lune. » Son regard se fait plus dur; sévère, réprobateur quand il finit. « D'ici peu, il fera froid et nous aurons tous faim. Alors je préfère chasser pour donner un peu de force à nos anciens et à nos nouveau-nés plutôt que de continuer à discuter avec un inconscient tel que toi. »

Il se tourne encore, visiblement décidé à se débarrasser du fardeau que représente Coup de Foudre.

« Si nos voisins apprennent dans quelle faiblesse tu nous mets, cet hiver nous sommes fichus. »

Quel genre de Clan ne s'offrirait pas un terrain de chasse parfait tel que celui du Clan du Tonnerre pour survivre à l'hiver, franchement ? Et le Clan de la Rivière, qu'ils ont si généreusement épauler durant leur épidémie, hésitera-t-il vraiment à s'en prendre à un Clan sans chef, sans lieutenant, sans ordre lorsque leur précieuse rivière gèlera ?

Mais Coup de Foudre préfère les ragots.
Le Clan des Étoiles garde bien le Clan du Tonnerre en voilant le ciel à chaque pleine lune, empêchant les autres groupes de prendre connaissance de la situation dans la forêt… Peut-être faut-il attendre que le bengal maudit disparaisse dans un énième blizzard pour que leur Clan retrouve sa superbe en se choisissant un meneur à la hauteur ?

Deuxième mouche - Coeur de Puma se retourne, plus brusque, moins las, et ses yeux se sont allumés de mépris. Du mépris! Ça il savait faire avec - s'il étaient plus proches il aurait caracolé sur place, il se serait jeté ventre à terre, lui aurait montré ce qu'il en a dedans, aurait battu de la queue pour le confondre dans ses gestes - il n'en fit rien, sauf peut-être lui miroiter son mépris en levant presqu'imperceptiblement le menton.

— « Oh, maintenant tu veux parler rumeurs. »

C'est la meilleure, il entendit, lointain écho de ses souvenirs dans la glace.

Toi, tu veux parler!

Coeur de Puma en était à rire, lui faisant complètement face - une posture pleine d'audace considérant sa position vulnérable au pied des dalles de pierre. Les Pumas chassaient dans les arbres, leur patience était légendaire ; ils se jetaient sur leur proie en contrebas et leur masse jointe à la vélocité de la chute brisait les vertèbres. Le vétéran en avait peut-être le Coeur, mais l'air se chargeait autour de lui, le statique courant sous ses poils au bengal.

— « Tu n'as pas de nom de chef; tu n'as pas tes neuf vies; tu ne nous as pas donné de lieutenant. Ce ne sont pas de stupides ragots dont je te parle, ce sont des faits. Coeur de Puma ne riait plus. Durant des semaines tu as évité mes remarques presque aussi ingénieusement que ta visite à la Pierre de Lune.

Le grondement d'un orage, ou un ronron de régal? Car Coup de Foudre versa davantage sa tête, renvoyant à Coeur de Puma son précédent sourire, le défiant d'en dire plus. Ce qu'il fit:

— D'ici peu, il fera froid et nous aurons tous faim. Alors je préfère chasser pour donner un peu de force à nos anciens et à nos nouveau-nés plutôt que de continuer à discuter avec un inconscient tel que toi.
— Mmmm ... Ça lui avait échappé- pas grave- on s'en fout, Coeur de Puma s'en allait de toute manière.

— Si nos voisins apprennent dans quelle faiblesse tu nous mets, cet hiver nous sommes fichus. »
— « "Inconscient", fut le mot qu'avait répété le bengal, plus aussi droit qu'avant, fébrile dans sa position maladroite, comme si un seul coup de vent aurait pu le faire chuter sur le flanc.

Le Pendu voyait le monde à l'Envers et sa position lui permis de s'offrir un nouvel angle de Puma. Il écarta ses pattes, s'appuya sur l'une d'elle, défit son noeud de langage corporel en se hissant sur les quatre et sa queue monta bien au dessus de sa croupe - tentant le courroux du ciel comme un paratonnerre.

— Dire que j'en oubliais mon pouvoir sur la météo.

Tu as raison!  Demain nous irons à l'Assemblée, je vomirai la Pleine Lune, que j'ai mangé — toutes mes excuses, c'est que je voulais vraiment la goûter! — après-demain j'aurai mon nom — Les Étoiles vont évidemment accepter Coup de Foudre "Coup de Foudre" comme Chef — Étoile Coupante, ça te plaît? — j'aurai les vies — comme tout le Clan du Tonnerre me fait indéniablement confiance, inutile de les gaspiller en m'ouvrant la gorge pour leur prouver ma bonne foi, mm? — puis nous irons éventrer la Rivière au complet — à quoi sert une Alliance sinon endormir la méfiance de l'ennemi?

Un gloussement lui prit, il se couvrit un oeil d'une patte, dodelinant de la tête tout en la secouant. Risible. Ridicule. Pathétique - il abattit sa patte sur le rocher et se grandit dessus.

— Il y a un étranger qui pisse sur nos terres depuis deux lunes mais je t'en prie, Coeur de Puma, continue de chasser et de remplir la pile!

Peut-être qu'en hiver elle sera assez haute pour nous servir de vigie.  Enfin, si on est pas massacrés par un autre cinquième Clan, ou une quelleconque calamité.

Ha hah tu veux parler de faits, Puma?   D'évitement??

"Inconscient". Toujours compter sur le Clan du Tonnerre pour cracher sur ses efforts. Il pouvait presqu'entendre Dame de Coeurs se moquer de lui, dans le creux de son oreille, qu'il battit d'un coup en soufflant par le nez, avant de rouler les yeux vers le dégagé du ciel.

Blabla. Discours dénué de sens, ennuyeux, de façade, de mauvaise foi.

Cœur de Puma ne s'arrête pas, cette fois. Le matou roux adopte un pas néanmoins long et tranquille, les oreilles en arrière pour mieux feindre l'intérêt, il se maintient à une distance suffisante pour entendre les derniers mots de Coup de Foudre. Mais la réponse vive de son supérieur hiérarchique éteint définitivement l'espoir d'une conversation utile.

Le bengal l'a entendu mais de toute évidence pas écouté. Tout ce qui est interprétable, il l'interprète comme une attaque personnelle, comme un reproche infondé.

Le pouvoir sur la météo ? La lune ? Il l'accorde à leurs ancêtres, certainement pas un hérétique aux mœurs et à la morale aussi légère que le prétendu chef. Si elles interdisent aux quatre Clans de se rassembler, le rouquin ne peut en affirmer la raison. Renier la nomination de Coup de Foudre, l'inciter à leur rendre visite… Qui sait ?
Le nom ? Il ne saura jamais s'il est béni par les Étoiles tant qu'il ne se rendra pas auprès d'elles. Mais au moins il apporte une réponse à Puma : c'est juste parce que cet idiot a peur du jugement final qu'il force tout le Clan à vivre sans vrai chef.
La confiance ? La bonne foi ? Il faudrait déjà qu'il ose affronter ses peurs pour son Clan : les guerriers des bois méritent mieux qu'un poltron qui se cache derrière les nuages noirs la veille des Assemblées comme chef.
L'alliance ? Non-sens. Si ce n'est pas Étoile d'Or et ses pêcheurs qui les attaquent, ce sera Étoile Dansante ou Étoile de Cobra. En hiver, Cerfblanc ne manquent pas de chats affamés. Et tous savent qu'un ventre qui grogne étouffe la voix de la raison à ce stade de l'année. Les alliances, ça va, ça vient.
L'étranger ? Du jamais vu sur leurs terres; même le vieux Étoile de Cendre ne l'aurait pas permis.
La chasse ? N'est-ce pas censé être une priorité absolue, à l'arrivée des mauvais jours. Avec un inconnu qui se balade sur leur territoire, ne faudrait-il pas renforcer les guerriers en les nourrissant ?

« Ha hah tu veux parler de faits, Puma? D'évitement?? »

A présent à plusieurs mètres de son interlocuteur, le vétéran se retourne enfin, calme.

« Tu as fini, grand chef ? Je peux nourrir le Clan, maintenant ? » Il n'a plus besoin d'être près de son supérieur pour lui faire miroiter tout le mépris qu'il suscite en lui. « Ou bien tu vas me demander d'aller lécher le cul malade des Rivièreux pour le bien de notre alliance, d'abandonner ma mission pour trouver l'intrus que tu es incapable de pister depuis des lunes… oh non, je sais. Tu veux que je trouve une bonne cachette pour y dissimuler ton derrière tremblant du Clan des Étoiles ?! » Rictus. Il désigne un buisson encore fourni du menton sans retenir un petit clin d'œil cinglant.

Enfin, il dispose.