Là où le Vent nous mène. [Feat Vent du Nord] - end

L’accouchement d’Aigrette Huppée lui avait épuisé son stock de plantes au delà de ce qu’elle avait anticipé. Alors, après s’être chargée de ses tâches matinales — ranger et nettoyer son antre, ausculter les anciens et s’assurer que tout allait bien, donner à la jeune reine quelques plantes pour la renforcer et favoriser l’allaitement, et donner des cours de premiers secours aux apprentis — elle s’en alla à la recherche de grande camomille, bien que la rareté de la plante imposait à la guérisseuse de potentiellement devoir se contenter d’épiaire.

Elle ne savait pas si les plaines étaient calmes ou silencieuses ou si c’était juste sa surdité qui lui donnait cette impression, mais elle appréciait marcher dans l’herbe, sans les vibrations du sol martelé par des guerriers bourrus ou des chatons trop excités. Juste elle, le vent dans son pelage, et l’odeur du Clan du Tonnerre.

… Attendez.

Quoi ?

Le vent soufflait en direction du chemin du tonnerre, l’odeur ne pouvait donc pas lui parvenir. Ce qui signifiait qu’un intrus avait dépassé les frontières. Oh si c’était encore ce foutu Coup de Foudre, elle allait finir par les arracher les moustaches et ses maudits poils d’oreille qu’il ne cessait de coiffer, qu’importe le code du guérisseur. Le pelage gonflé, les sourcils et le museau froncé, elle savait qu’elle ne pourrait s’approcher discrètement. Alors, foutu pour foutu, elle prit la direction de l’étranger à pas lourds d’agacement.

Ce n’était pas Coup de Foudre. Et elle ne savait pas si c’était une bonne nouvelle ou non. Aurait-elle préféré le meneur du Clan du Tonnerre, ou une parfaite inconnue ? Les cicatrices sur son visage lui rappelaient sa rencontre malencontreuse avec le désormais chef de l’Ombre, qui l’avait agressé. Tout à coup, elle regrettait presque le blasphème vivant.

— Maudite Forêt Sombre, cracha Vent du Nord. On vous apprend pas à respecter les frontières dans votre foutu Clan ? Écoute, je te conseille de faire demi tour avant que les sentinelles ne débarquent ici, et d’aller gentiment glisser à ton chef de mes deux qu’il devrait revoir la façon dont il éduque ses apprentis. Y’a jamais rien qui va chez vous, putain.

Et voilà, elle était énervée. En plus, elle n’avait toujours pas trouvé de camomille. Mais très franchement, que faisait-elle sur le territoire du Clan du Vent ? Il fallait traverser des sentiers et tous les Quatre Chênes pour le rejoindre depuis son Clan. Atterrir ici par accident était presque impossible, à moins d’avoir l’attention d’un bébé moineau tombé du nid. Trois fois. Sur la tête. Les écureuils leur balançait des noix sur le crâne à longueur de journée pour qu’ils soient tous aussi perchés ? Vent du Nord commençait à se le demander sérieusement.

La réponse de l’étrangère ne fut pas celle escomptée. Vent du Nord s’était attendue à tout, venant d’un chat du Clan du Tonnerre, dont elle trouvait les membres beaucoup trop audacieux pour leur propre bien. De la raillerie, de la violence, ou même de l’ignorance complète. Elle ne s’était certainement pas attendue à ce qu’elle se mette à pleurer.
Ses oreilles ne cessaient de se retourner de confusion. Prudemment, elle se rapprocha de l’intéressée, qui semblait dire quelque chose mais qu’elle n’entendait pas : entre la distance qui les séparait, la tête baissée de la femelle et sa voix trop basse, c’était peine perdue. En revanche, elle restait sur ses gardes : et si c’était une feinte ? Ce n’était pas un guerrière du Clan de l’Ombre, mais on n’était jamais trop prudent (et vu le Clan, ç’aurait pu être un sang-mêlé). Peut-être attendait-elle que la guérisseuse se rapproche un peu plus, avant de sortir toutes ses griffes et de bondir et-

— Mais t’es qu’une gamine ? lacha Vent du Nord complètement atterrée.

Elle avait bien reconnu une apprentie de loin, mais si elle s’était trompée ? Elle devait avoir à peine six lunes, peut-être moins. Un chaton ? Une apprentie tout juste nommée ? Elle s’attendait à un chat sournois d’au moins 10 lunes et bien expérimenté, pas à… ça.
Vent du Nord soupira, s’assit dans l’herbe en face de la petite.

— Tu t’es perdue ? T’es arrivée comment ici ?

Son age n’enlevait rien au fait que la guérisseuse trouvait les chats du Clan du Tonnerre totalement cons, surtout pour ne pas éduquer leurs chatons et leurs apprentis à ne pas dépasser les frontières — comme si elle-même, à cet age, ne s’était battue avec une femelle du Clan de la Rivière sur le territoire de l’ennemi.

Vent du Nord se mit à marcher tout droit, vers la frontière qui séparait les territoires du Vent et du Tonnerre. Elle n’aimait pas la forêt, qu’elle trouvait trop haute, oppressive, sombre… et qui lui rappelait les territoires de l’Ombre, avec tout ces arbres agglutinés au même endroit, et s’il y avait un endroit qu’elle détestait plus que sa propre antre, c’était bien le Clan de l’Ombre.

« J’étais sure que tu étais guerrière ! affirma-t-elle en désignant les vieilles plaies sur sa face. Tu as tellement de cicatrices…

Vent du Nord s’arrêta net, tiqua de la langue et fronça les sourcils. « Ah. J’avais pas remarqué », piqua-t-elle. Elle n’avait pas tellement envie qu’on lui rappelle ce qu’elle aurait rêvé d’être — une grande guerrière — ni l’humiliation qui se cachait derrière ces cicatrices, infligées par l’actuel meneur du Clan de l’Ombre quand il n’était encore qu’apprenti. Elle réprimanda la petite d’un regard dur, pour lui faire comprendre que de telles choses ne se disent pas. En tout cas, pas au Clan du Vent. Pour ce qui était du Clan du Tonnerre et leurs manières, elle n’en savait rien, et ne voulait même pas savoir. Sans s’attarder sur ce sujet, car après tout les chatons sont tous pareils, sans filtre (ce n’était pas la première fois qu’on lui montrait ses cicatrices du doigt), elle se remit en marche, d’un pas plus décidé, et invita l’apprentie à la suivre d’un mouvement de la queue.

Mais comme tous les enfants, et au grand désespoir de Vent du Nord, Nuage de la Loutre était trop, beaucoup trop curieuse. Elle trottina, s’assura de parler fort pour que la guérisseuse ne loupe surtout pas ce qu’elle avait à dire.

— J'aimerais bien savoir différencier quelques plantes et connaître leur utilité, je trouve ça très intéressant. Tu pourrais m'enseigner deux trois choses ?

À ce moment là, la guérisseuse aurait aimé être totalement sourde. Elle observa la gamine d’un air incrédule, ses moignons d’oreilles plaqués en arrière. Puis elle secoua la tête, ignorant la demande, continuant de marcher avec un grondement caché tout au fond de sa gorge.

— S’il te plait, Vent du Nord.

La guérisseuse se retourna, marqua une pause, prit une grande inspiration. Ce n’est qu’un chaton, se rappella-t-elle devant sa tête d’enfant. Patience.

— Bon, écoute. On verra ça sur la route, d’accord ? Pour l’instant, on va déjà passer la frontière, j’te ramène chez toi. J’aurais des ennuis si on m’voit faire la conversation avec une étrangère ici, alors dépêche toi.