Là où le Vent nous mène. [Feat Vent du Nord] - end

Et puis il y eut le silence. Seul, nu, oppressant. Vent du Nord avait les mâchoires serrées, alors qu’elle marchait aux côtés de l’apprentie en direction du Clan du Tonnerre. Le monde était cruel, et elle le savait. Elle en avait fait les frais, et le tour de Nuage de la Loutre viendrait aussi un jour. Peut-être était-il même déjà là ?
Au fur et à mesure qu’elle vieillissait, elle en venait à détester ce monde un peu plus.

Toutes deux ne demandaient pourtant pas grand chose — quoi que, ce n’était pas particulièrement vrai. Vent du Nord avait rêvé de grandeur pendant de longues lunes, rêves qui revenaient parfois lui rendre visite. Mais une une simple vie de guerrière lui aurait suffit. Une vie où elle aurait pu apprendre à se battre, à chasser, à courir dans les champs aussi vite qu’elle le pouvait. Une vie où elle aurait pu avoir des petits.
Les rêves brisés l’avaient rendue aigrie.

La guérisseuse était habituée au silence. Parmi tous les bruits du monde, la plupart lui échappaient. Elle pouvait deviner le bruit du vent dans les feuilles, le bruit de l’eau contre les rochers… mais ne percevait rien de tout ça. Mais ce silence là était bien plus pesant.
Nuage de la Loutre lui rappelait Cœur de Mimosa et son rêve impossible. Nuage de la Loutre lui rappelait Soleil et ses idéaux incompatibles avec le Clan. Nuage de la Loutre lui rappelait elle-même, au même age, quand elle débordait d’espoirs et d’illusions et d’envie d’aventure. L’époque où elle tenait tête au guérisseur lui même, refusant d’avoir tort, refusant d’abandonner l’avenir dont elle avait tant rêvé. Vent du Nord décida de briser le silence.
— Ton envie d’apprendre les plantes, t’en as parlé à Amour-en-Cage ?

Elles arrivèrent devant le grand arbre aux chouettes, signe que la frontière du Clan du Tonnerre n’était plus très loin. En humant l’air, la guérisseuse pouvait déjà sentir les effluves boisées qui leur était propre. Un air trop chargé à son goût, alourdi par les arbres et les feuilles qui lui empêchait de filer librement. Dans les plaines de son Clan, ce n’était pas un problème.

— Malheureusement Amour en Cage est très occupée en ce moment, je ne veux pas la déranger... Je souhaiterais l'aider sans que cela ne soit une contrainte pour elle...

Vent du Nord continua d’avancer. Elle savait sa consœur récemment occupée par une apprentie blessée par un monstre, mais ne savait pas ce qu’il en était désormais. Avait-elle terminé le plus gros des soins ? Était-elle décédée ? À vrai dire, elle évitait de trop la questionner : l’affaire lui rappelait l’accident de sa propre mère, elle-même frappée sur un chemin du Tonnerre par sa faute, alors qu’elle était encore apprentie. Raviver de mauvais souvenirs en cette période n’était pas une bonne idée.

— Amour-en-Cage a déjà un apprenti, et beaucoup de travail sur les épaules. Moi-même j’ai peu de temps. Même sans-

Elle déglutit difficilement.

— Même sans apprenti.

Vent du Nord soupira, puis accéléra le pas, inconsciemment. Pour fuir le sujet, la réalité, toutes ces choses. Elle trouva autre chose, cependant, pour que l’apprentie ne la questionne pas sur son hésitation. Elle ne voulait pas en entendre parler.

— L’ancien aide-guérisseur de ton Clan, Brise de Glace je crois, il est toujours là ? Vu son age, il doit être chez les anciens. S’il a encore toute sa tête, pose lui deux-trois questions. Mais ne t’avises plus jamais de prendre des initiatives sans demander à l’avance, compris ?

Et enfin la frontière était là, signant la fin du voyage. Vent du Nord s’arrêta avant l’entrée de la forêt, avant ses arbres qui lui semblaient si étrangers — si oppressants, aussi.

— Brise de Glace a dû rejoindre le Clan des Étoiles, mais ce n'est pas grave, j'essayerai de me rapprocher de Nuage Hirsute, quand il aura le temps...

Rien d’étonnant, le matou se faisait vieux. La guérisseuse, malgré son jeune age, ne comptait plus le nombre de chats qu’elle avait vu partir. Parfois, il lui arrivait de parler de chats comme s’ils étaient toujours dans les parages, alors qu’ils avaient disparus depuis voilà des lunes. Tant de morts — comment s’en rappeler ? En guise de réponse, Vent du Nord haussa les épaules.

— C’est pas bien grave va. Profite de ta vie. T’as la chance de pouvoir tomber amoureuse, de pouvoir vivre comme t’en as envie et d’avoir des enfants, un jour. Tout ça, nous, on n’a pas le droit. Ceux qu’on aime, on les regarde mourir. Ma mère, ma sœur, mon père, ma tante… tous morts entre mes pattes. La dernière qui a tenté de mêler la vie de guérisseur avec les avantages de la vie de guerrier, tu dois bien savoir ce qui lui est arrivé, non ? Elle était dans ton Clan.

Secret du Firmament lui laissait toujours un souvenir amer sur la langue. Elle l’admirait tant, à l’époque. Prétendre que son sort ne l’avait pas affecté le moins du monde n’avait pas été facile : bien sûr qu’elle avait été touchée. Elle lui en voulait, elle la détestait pour ce qu’elle avait fait, essayait de considérer que tout ça, elle l’avait mérité. Mais l’ancienne guérisseuse n’en restait pas moins une figure qu’elle avait respecté pendant des lunes, au début de son apprentissage. Un soutien sur lequel se reposer pour accepter ce destin qu’elle n’avait jamais voulu.

— Bon, c’est pas tout ça mais j’ai du boulot moi. Gare aux frontières la prochaine fois, sinon Coup de Foudre entendra parler de toi, et pas pour les bonnes raisons.

Vent du Nord fit demi-tour, retournant vers son Clan, croisant les Quatre Chênes, longeant le chemin du Tonnerre, observant les Hautes Pierres se rapprocher à mesure qu’elle arrivait enfin chez elle. Elle espérait bien avoir remit en place l’une de ces trop nombreuses apprenties qui idéalisait tellement cette position, à tort, comme l’avait fait Nuage du Firmament à une époque. Ce genre d’erreurs ne devaient pas se reproduire. Jamais.