Tire-toi de mon marais (pv Branche Pâle) - end

Cet endroit n'avait aucun sens.

Tonton s'était fait cette réflexion plusieurs fois, depuis qu'il était perdu dans cette maudite forêt et ses environs. Parce que cette nature chaotique, avec ses foutues branches sur lesquelles il trébuchait tout le temps, il ne la comprenait pas. Tout était étrange et confus, pas comme les pavés bien nets de la ville qu'il avait connu toute sa vie.

Mais là, ça battait des records.

C'était une sorte de... Point d'eau? Mais puant et boueux. Il regretta immédiatement d'avoir mis les pattes dans un endroit pareil quand sa jambe se teinta de boue jusqu'à son articulation quand il marcha dans une flaque de bouillasse. Super. Son poil blanc allait mettre des lunes à s'en remettre...

"Merde."

Son juron, lancé sans trop d'enthousiasme, résonna légèrement dans le silence oppressant qui planait sur le coin. De temps en temps, des petits animaux bizarres -des lézards avec des grandes pattes...? Qui sautaient? - faisaient des bonds dans l'eau, rappelant qu'un peu de vie subsistait quand même... Et le faisant sursauter. Tonton n'aimait pas le calme de la forêt, habitué à la ville et son boucan, mais là... C'était trop tranquille. Et cette obscurité ! Ses pupilles devaient être énormes pour capter les rayons de lumière faiblards qui arrivaient à se frayer un chemin entre les branches enchevêtrées des arbres. On voyait à peine le ciel, et il ne faisait même pas nuit !

Il ne savait pas trop pourquoi il restait là, en fait. A priori, il n'y avait rien à voir, ici. Et ce n'était pas en restant planté dans la boue comme un idiot qu'il allait retrouver un jour le chemin de la maison... Il n'y croyait plus trop, mais bon, autant se remettre à bouger !

Tonton remarqua à peine qu'il n'était plus seul. Les bruits de pattes s'entendaient plutôt bien, dans ce bourbier, pourtant. La chatte à la robe pâle était presque sur lui quand il la remarqua. Ses talents de pisteur étaient VRAIMENT à revoir. Il cligna des yeux bêtement, détaillant la nouvelle venue. Pelage crème et rayé, visage fin, air sévère. Et elle lui crachait dessus, aussi.

Encore une super rencontre, quoi.

Bon, elle n'avait pas l'air commode et elle lui disait très clairement de dégager, mais il n'allait pas se démonter pour autant. Tonton n'était pas facile à impressionner... Et il se voyait mal reculer devant une chatte seule. Pas qu'il soit du genre à chercher la bagarre, mais il n'aimait pas se faire souffler dessus comme ça. C'était pas comme si il avait ENVIE de trainer sur le territoire de cette chatte. Qui voudrait revendiquer un trou puant pareil, de toute façon? Si Tonton avait le choix, il serait parti trouver un endroit plus sec et plus lumineux depuis longtemps.

"Je me suis perdu. Venir sur votre territoire n'était pas mon intention."

Sur un ton un peu moins calme, il ajouta :

"Je pensais pas que des chats voudraient d'un coin pareil comme territoire."

Peut-être qu'il cherchait la bagarre, finalement... C'était un peu gratuit, comme insulte. Autant lui dire cash que son terrain de chasse c'était un sale bourbier humide.

Ah, ça n'avait pas loupé. Sa petite remarque avait été prise comme une insulte. Peut-être que c'en était un peu une, à bien y réfléchir, mais bon... Tonton fronça les sourcils. Cette chatte était aussi aimable que le plus famélique des fouilles-poubelles, le genre prêt à vous sauter sur le poil pour un regard de travers. Il les connaissait bien, les chats de son espèce, et si il pouvait éviter de se prendre la tête avec pour un oui ou pour un non...

Sa vie serait bien plus paisible.

Mais bon, pas de paix aujourd'hui, a priori, son interlocutrice le fusillant du regard après sa petite tirade, attendant... Quelque chose. Qu'il réponde ou qu'il foute le camp, sans aucun doute. Tonton n'était pas très sûr. La seconde option était la plus réaliste, les chats des environs avaient l'air de beaucoup tenir à leurs territoires. Les chats des clans, qu'elle avait dit. Le clan de l'Ombre, quoi que ça veuille dire. Tonton imaginait que c'était peut-être la luminosité merdique des environs qui avait donné son nom à ce groupe de chats... Il se demandait si ils étaient nombreux, et si tout leurs terrains de chasse étaient aussi vaseux...

Comme si de penser à la boue qu'il avait plus ou moins insulté plus tôt le faisait revenir à lui, Tonton réalisa qu'il fallait sans doute répondre.

"Dès que j'aurais retrouvé mon chemin, je sortirais d'ici. Je n'ai aucune intention de squatter vos terres."

Peut-être que tendre ne serait-ce qu'une brindille de rameau d'olivier était une bonne idée. Histoire d'éviter d'en plus devoir se battre avec cette chatte. Il n'aimait pas ça, de toute façon, taper des femelles. Ce machisme mal placé lui avait parfois attiré des ennuis, mais c'était comme ça.

"Je ne suis pas d'ici. Je m'appelle Tonton."

Au moins, la chatte ne lui avait pas encore sauté dessus. C'était bien là le seul compliment que Tonton pouvait lui faire. Elle empestait l'hostilité, celle là. Il ne pouvait pas trop lui en tenir rigueur, lui qui venait d'un monde où il fallait mieux montrer les griffes et les crocs d'abord pour éviter de se faire passer à tabac, mais quand même... Elle ne voyait donc pas qu'il n'avait aucune mauvaise intention?

Puisqu'elle lui indiquait la sortie, il se dit que ce n'était pas très grave, qu'il n'avait qu'à obéir pour ne plus avoir à se frotter à cette bombe à retardement, quand-

"Hum. Monstres?"

C'était un mot qui voulait généralement dire danger, mais qui avait été dit avec une telle nonchalance que la curiosité de Tonton fût automatiquement agrippée. Qu'est-ce qu'elle... Entendait par là? Les chats de la ville n'utilisaient pas ce mot, et ceux qu'il avait croisé jusqu'ici ne l'avait pas mentionné non plus...

Parlait-elle de prédateurs de la forêt? Tonton s'imaginait que ces marais regorgeaient sûrement d'animaux qu'il n'avait jamais vu. Peut-être même de bestioles plus grosses que lui, des trucs dangereux dont il valait mieux se méfier. Mais vu le ton détaché de cette Branche Pâle... Difficile à dire. C'était peut-être bien dangereux, mais vu qu'elle se fichait de ce qui pouvait lui arriver...

Tonton était loin d'être un trouillard, mais foncer tête baissée dans une situation dangereuse... Bah, si il pouvait l'éviter... Tant qu'à faire, il aimerait bien ne pas être taillé en pièce dans ces marais puants.

Il y avait quelque chose d'étrange chez cette chatte.

Tonton ne s'était pas attendu à être reçu avec de gentils miaulements et des sourires, vu le ton de ses précédentes conversations avec les chats des clans, mais... Ce commentaire sur la sélection naturelle sonnait bien plus dur que tout les échanges qu'il avait pu avoir jusque là. Il la dévisagea pendant une poignée de seconde, cherchant quelque chose dans son expression. Peut-être que c'était une blague mal dosée? Il avait toujours eu un peu de mal à lire les autres chats, après tout... Il avait peut-être mal compris.

"Hm."

En tout les cas, ce n'était pas tellement son problème. Branche Pâle était déjà hostile, il ne comptait pas spécialement en faire une amie, alors à quoi bon s'inquiéter du fait qu'elle laissait sous entendre des choses pareilles? Il inclina la tête, comme pour la remercier, car elle avait quand même daigné à lui expliquer quelque chose sans trop l'insulter:

"Merci de m'avoir prévenu, j'imagine. Si on parle de la même chose, je ne devrais pas trop avoir de soucis avec ces... Monstres. Il y en a beaucoup, là d'où je viens."

Les machines vrombissantes, il connaissait bien. Trop bien, même. Il se souvenait encore avec amertume de son premier (et dernier) voyage dans les entrailles puantes de l'un de ces trucs, prisonnier de sa petite cage, emmené loin, loin de chez lui et des enfants...

Hm. Peut-être que suivre la route qu'ils empruntaient, ces gros machins, ça pourrait l'aider à retrouver sa route?