Madame de la vie ! [Ft. Vent du Nord] - Abandon

La routine.
Vent du Nord se levait, choisissait sur le tas de gibier une pièce à partager avec sa sœur, discutait avec elle et parfois Nuage de Vague si l’apprentie choisissait de les rejoindre. Une fois son repas terminé, elle retournait dans son antre, entretenait ses plantes, jugeait son stock. Venait ensuite le moment où il fallait prendre soin des anciens et des reines, des malades s’il y en avait, puis elle partait généralement pour sa cueillette, mais aussi pour prendre l’air, seule.
Elle se réveillait chaque matin, se rappelant qu’un jour pas si lointain, Nuage de Neige était encore là. La solitude qui accompagnait chacun de ses pas se faisait un peu plus lourde chaque fois qu’elle y repensait. Il lui manquait.

La guérisseuse lui parlait parfois, bien consciente qu’elle ne faisait que parler à du vide. « J’espère que tout va bien là haut », se surprenait-elle à dire parfois. « Est ce que tu t’es fait des amis ? Est ce qu’il y a des endroits inconnus à explorer ? », se demandait-elle tout en cueillant ses plantes. Elle espérait qu’il pouvait satisfaire sa curiosité débordante, même parmi ses ancêtres.

Sa petite récolte en bouche, elle retourna au camp. Seule.

Quand elle retrouva son antre, Vent du Nord trouva qu’il y avait quelque chose… d’étrange. Elle regarda le sol sous ses pattes : quelque chose d’assez petit avait foulé le sol, soit en dégringolant, soit en courant. La bicolore plissa les paupières, y pénétrant prudemment. Ces derniers temps, quelques rongeurs avaient tenté d’y établir leur nid. Elle les avait toujours chassé sans problème, mais les plus imposants pourraient rapidement lui poser problème.
Un peu plus loin, elle vit une masse cachée dans l’ombre avancer maladroitement vers les autres chambres de l’ancienne tanière de renard. Elle aurait reconnu cette démarche entre mille. La guérisseuse lâcha ses plantes, pensant avoir compris de quoi il s’agissait. « Ah! Un rat ! »
Mais en s’en approchant, elle réalisa bien vite qu’elle avait tort.

Les oreilles encore minuscules, la queue en triangle dressée bien haute, des petites pattes trop maladroites pour marcher droit sur plus de deux longueurs de queue de renard, le pelage blanc tacheté de roux : ce n’était que-
« Petite Luciole, soupira la guérisseuse. Qu’est ce que tu fais ici petite ? »
Voir des chatons quitter la pouponnière en profitant du relâchement d’attention de leur parents pour gambader chez elle n’était pas inhabituel, mais elle n’aimait pas ça. Il y avait bien une raison pour laquelle elle cachait les baies d’if et autres poisons au plus profond de la tanière.

L’enfant se mit à chercher le rat en question. Vent du Nord plaqua une oreille et fronça le museau, gênée. Au moins, elle n’avait pas compris que la guérisseuse l’avait confondu avec un rongeur. Elle n’allait pas s’en plaindre… D’ailleurs, elle l’oublia bien vite, et en voyant la petite boule d’énergie s’avancer vers elle, elle recula d’un pas, presque déçue qu’elle ne soit pas restée concentrée plus longtemps sur l’intrus imaginaire.

— Madame de la vie ! Madame de la vie ! C'est quoi le secret de la vie ? Le secret il est sous terre ? C'est pour ça que votre endroit il est sous terre ? Ou alors vous le cachez ici, pour que personne ne puisse le prendre ? C'est précieux, c'est ça ? Et puis il est où le rat ? Où il est ? Où il est ?

Elle avait des étoiles plein les yeux, ce qui fit rougir Vent du Nord, qui n’avait pas l’habitude qu’on la regarde ainsi. Elle le regrettera bien, le jour où je la forcerais à avaler des plantes immangeable, pensa-elle, le gout amer des remèdes dans la gueule. En revanche, l’admiration fut la seule chose qu’elle parvint à saisir. Petite Luciole parlait fort comme de nombreux chatons avec leur petite voix aiguë, certes, mais elle parlait vite, trop vite, et surtout, trop.

— Wow wow-- Atte-
— Dites, selon papa j'ai pas le droit de rentrer dans l'endroit de pierre du monsieur qui nous guide... pourquoi ? Il y a bien des guerriers dont un gris qui rentre et sorte comme ils veulent, pourquoi moi j'ai pas le droit ?

Il lui fallu plisser les yeux, assembler toute la concentration qu’elle possédait, pour comprendre au mieux ce qu’essayait de lui dire le chaton. Elle comprit qu’il s’agissait de pierre, donc forcément quelque chose qu’il y avait dans le camp, puisqu’elle n’avait jamais pu aller bien loin, à cet age. Et enfin, quelque chose à propos d’avoir le droit ou non.

— Tu parles de la tanière d’Étoile du Cobra ? Il y avait malgré elle une pointe de poison sur le bout de sa langue quand elle prononça le nom de son chef. Seul le chef à le droit d’y rester. Le lieutenant, les guerriers et moi, on y va quand on a besoin de lui parler, ou quand il veut nous voir. Mais crois moi, y’a rien à voir là dedans. C’est juste un trou vide avec un nid, tu serais déçue.

Elle se rappelait avoir voulu elle-même y aller quand elle était petite, si excitée à l’idée de devenir un jour meneuse. Elle avait même pu s’y rendre d’ailleurs, ayant le privilège, à l’époque, que la cheffe en question soit sa grand-mère. Mais depuis qu’elle avait été remplacée par Étoile du Cobra, le petit amont de roche avait un gout fade à ses yeux. Quelque chose de vide, triste, et froid, qui trônait dans leur camp comme une mauvaise herbe dans un champ.

— Mais tu sais, t’es pas censée avoir le droit de venir ici non plus. J’ai parfois des malades qui se reposent, qui pourraient te rendre malade à ton tour. Et je serais obligée de te faire manger plein de feuilles vraiment pas bonnes. Et tu pourrais plus voir tes sœurs jusqu’à ce que tu sois guérie. Et t’as pas envie d’être coincée ici toute seule si longtemps, j’me trompe ? lui demanda-t-elle, abaissant sa tête pour rejoindre sa hauteur.

Sans grande surprise, le message passa par une oreille de Petite Luciole, pour aussitôt ressortir par l’autre. Vent du Nord soupira : il n’y avait rien à faire. Les chatons étaient comme ça après tout. Indifférents aux problèmes des grands, imperméables à la réalité qui les entourait. Leur principale préoccupation, c’était la prochaine bêtise qu’ils imaginaient déjà, ou leur futur nom de guerrier qui n’arriverait pas avant des lunes et des lunes.

— Oh mais... Tu as des yeux pas de la même couleur !!! Comment tu fais ??? C'est l'un de tes secrets ? C'est avec toutes tes plantes ? C'est pour ça que tu es la madame de la vie ? Ça te permet de parler aux étoiles, ça te donne des super pouvoirs comme les chats étoiles ??? Tu peux faire des voyages vers les étoiles grâce à ça ? Et puis pourquoi tu parles de l'endroit où dort le monsieur ? C'est pas intéressant ! Moi je veux qu'il réponde à mes questions ! Je suis sûr qu'il peut, comme toi ! Mais lui il est plus compliqué à voir, c'est pas juste... Pourquoi j'ai pas le droit d'avoir des réponses ? Si je reste ici tu me donneras plein de réponses, hein ? Pourquoi j'ai pas le droit de venir ici ? Et c'est si pas bon que ça ? Ils sont malades de quoi les chats qui viennent ici ? Si je tombe malade en même temps que mes sœurs, nous seront toutes ici alors ? Et je serais pas toute seule puisque tu seras là ! Hein ? Hein ?

La guérisseuse essaya de lui demander de ralentir, de poser une question à la fois, d’articuler… mais elle ne parvint pas à en placer une. La petite ne lui en laissait pas l’occasion, déballant tout ce qui lui passait par la tête, tout ce qu’elle voulait savoir, tout ce qui était resté sans réponse depuis trop longtemps au gout de sa courte vie.

— Tu poses beaucoup de questions, constata-t-elle. Ce n’était pas un reproche, juste une observation.

Entre ses oreilles qui ne coopéraient pas, Petite Luciole qui parlait beaucoup, et vite, et sautait d’un sujet à l’autre sans transition, la pauvre avait un peu de mal à comprendre. Mais il fallait l’admettre : un chaton curieux ne lui déplaisait pas. Elle aussi avait beaucoup de questions en tête quand elle était plus jeune. Elle était juste beaucoup trop fière pour toutes les poser et admettre son ignorance, et beaucoup trop occupée par ses rêves de devenir guerrière pour se focaliser sur autre chose.

— Mes yeux étaient tout bleus à la naissance, comme tous les bébés. Mais ils sont devenus comme ça quand j’ai grandi, mon père pensait que c’était une maladie. Il n’avait peut-être pas tort, parce que cet œil là, dit-elle en portant sa patte vers son œil bleu, il me rend sourde d’un côté. C’est pour ça qu’il faut que tu parles moins vite, Petite Luciole.

De son œil, sa patte glissa pour venir donner une petite tape sur le crane du chaton, comme si de cette façon, la leçon rentrerait plus facilement.

— [color=#cc4455]Je n’ai pas de super-pouvoir, non. Mais je peux parler aux Étoiles toutes les lunes quand je vais à la Pierre de Lune. Des fois elles décident de me parler dans mes rêves, mais ça, ce n’est pas moi qui décide.[/color]

Les dernières fois, elles étaient venues lui rendre visite pour lui parler de ses apprentis. D’abord Nuage de Neige, qui avait disparu, et puis-
Elle eut un pincement au cœur, et passa à autre chose.

— Pourquoi « Madame de la vie », au fait ? Mon nom c’est Vent du Nord, tu peux m’appeler comme ça tu sais.

Madame de la vie. En voilà un drôle de surnom.