Puisque c'est toi le chef. [Feat Etoile Feulante] - end

Le soleil s'abaissait au-dessus de la voute d'épines et d'écorces qui formait la pinède. Feulement avait trouvé refuge dans le creux de sa tanière où le froid peinait à pénétrer les murs autant que son épaisse fourrure. L'hiver s'installait confortablement, lui et sa mauvaise augure. Au petit matin l'herbe craquait déjà sous les coussinets des guerriers, l'aube se faisait tardive et les proies timides dansaient de moins en moins entre les racines des arbres.

Alors qu'il enroulait sa queue autour de ses pattes, le crissement distinct de griffes contre le tronc de son antre lui annonça l'arrivée d'un importun. Les patrouilles avaient été organisées, que pouvait-on bien lui vouloir ? A son grand damne il ne reconnaissait point la démarche d'Esprit Soucieux.

" Salut Etoile Feulante, j'espère que je ne te dérange pas. "

Il ne répondit que d'un son las, ennuyé qu'un énième gosse s'invite dans ses appartements. Au moins celle-ci avait l'obligeance de s'annoncer avant de faire de sa litière un tapis de jeu.

La voilà face à lui, la petite sang-mêlé. Du moins c'est ce qu'il retenait puisque les plus conservateurs ne parlaient que de cela. Ses origines lui importaient peu tant qu'elle apprenait à chasser. Après tout il serait bien le dernier à pouvoir s'en moquer.

" J’ai bientôt six lunes, mon baptême d’apprentie ne devrait pas trop tarder. Du coup, je me disais que si tu n’avais pas d’idées de mentor, je serai contente si Grassette Tremblante pouvait s’occuper de moi. "

Tiens donc déjà ? C'est que le temps passe vite lorsque l'on s'amuse. Faudrait-il déjà s'amuser. Certains souverains auraient pu s'offusquer qu'une enfant trouve l'audace de leur indiquer le mentor qu'elle désirait mais dans le cas d'Etoile Feulante la situation l'arrangeait. Ces baptêmes n'étaient qu'un casse-tête de noms et de paroles dont il se passerait bien, voilà qu'on lui mâchait le travail, que demande le peuple ?

Sans même interroger les motivations qui poussaient Petite Ombre à sa décision le grand mâle approuva d'un léger haussement de ses larges épaules.

" ... K'. "

Grassette Tremblante donc. Retenu.

Quel nom de merde quand même.

" C'tout ? " ce que tu veux ? Le restant de la phrase se s'égara dans sa gorge sans jamais en sortir. Un effort qu'il n'avait pas envie de fournir.

Petit Ombre le dévisageait de ses grands yeux interrogateurs, comme si le charcoal lui avait répondu quelque chose d'aberrant.

D'abord, elle le remercia avant de demander curieusement:

" Tu t'en fiches de savoir que je ne suis pas une sang-pur, pas vrai ? "

La question était soudaine allongeant leur conversation plus qu'il ne l'aurait désiré. Étoile Feulante n'eut nulle besoin de mâcher ses mots ni de réfléchir à ce qu'il allait rétorquer, la réplique tomba du tac au tac.

" C'des conneries. "

On lui avait bien assez pris la tête avec ces questions de races et de pédigrée au cours de sa vie. Lui le sang-pur pourtant vu comme souillé par le culte de la lune. Un sauvage, différent, disait-on. Tant mieux s'il l'était, il considérait les claniques comme des boulets qu'il se voyait forcé à trainer à la cheville, si seulement il ne s'était pas retrouvé à les diriger ... Sort ironique, le destin était moqueur.

Vie de merde.

Cette mentalité l'exaspérait et il n'avait ni le temps ni la patience de s'entourer de connards aigries. Encore moins ceux qui s'en prenaient aux autres en fonction de la paire de couilles dont-ils venaient. Très peu pour lui, libre à eux d'aller rejoindre la rivière ou le vent s'ils voulaient jouer les puristes.

" On t'fais chier avec ça ? "

Dans le cas échéant il s'en chargerait de façon expéditive et simple. Des menaces s'il était de bonne humeur, une baffe s'il ne l'était pas. Les tribus ne lui avaient jamais fait preuve de douceur alors il était naturel qu'il les corrige de manière tout aussi brutale.

" Certains me regardent de travers mais ce n'est pas très grave, avec le temps, on s'y fait. "

Ca, elle apprendrait à vivre avec tout comme lui, tout comme la plupart des chats qu'il avait connus. Les parias devaient attirer les parias, tous dans la même misère sociale. S'il pouvait leur faire passer l'idée de cracher leur venin il n'avait ni l'envie ni le pouvoir de leur faire changer d'avis. Ce qu'ils pouvaient penser lui passait au-dessus de la tête, tant qu'ils se tenaient à carreaux alors leur chef n'avait aucune raison de les embêter.

"Je ne pensais pas qu'un chef de Clan pourrait penser comme toi, Étoile Feulante. Au début j'imaginais que tu n'aimais pas ton Clan mais en fait, tu n'as juste pas envie de faire semblant.
- Mh."

Les deux options s'avéraient vraies. Le grand charcoal n'appréciait pas les siens et si ce n'était pas pour son père il les auraient abandonnés depuis bien longtemps, sa loyauté venait avec ses responsabilités qu'il assumerait tant qu'il aurait des raisons de rester. L'herbe était plus verte ailleurs et le désir de trouver son échappatoire dans une vie plus douce, alléchant. Loin du danger, loin des autres, loin du tracas. Il échangerait volontiers les hectares de foret et ses guerres pour une place auprès d'une cheminée et un bol de croquette.

" Tout serait tellement plus simple si nous décidions de tous cohabiter ensemble.
- Faudrait d'abord qu'ils arrêtent d'niquer leurs cousins."

C'est qu'à force de vouloir garder le sang "propre" ont fini par le salir. Des générations préservant le même arbre généalogique ... Il ne voulait pas savoir d'où venait sa mère. Son dédain pour les siens était certain et non dissimulé. "Ils" et non "nous". L'ombre ne le voyait pas comme l'un de leurs et il ne se considérait pas comme tel non plus. Cela le rendait malade d'y penser, son père méritait bien mieux, il se demandait si lui aussi ne fatiguait pas de son quotidien.

Elle approuvait de ses dires, peut-être que la nouvelle jeunesse était moins conne que l'ancienne. Il n'y cultivait toutefois pas de grands espoirs, cela faisait des lunes que les clans cultivaient leurs règles futiles, eux qui y trouvaient tant de fierté à le faire savoir.

" Quand je serai grande, j'aimerai changer la façon de pensée des chats de notre forêt.
- Bonne chance. "

Ces chats tuaient pour leurs idées racistes et (ironiquement) primitives. Il était certain aux yeux d'Etoile Feulante qu'ils seraient tout autant près à mourir avec elles. Pour que qui que ce soit change sa façon de penser il faudrait d'abord se débarrasser de toute une génération et se séparer de la religion qui régissait leur vie. Personne ne souhaitait de génocide, du moins pas lui. La vie des autres ne le concernait pas assez pour en venir à ces extrêmes-là.

Qu'ils se démerdent, un jour peut-être vivrait-il ses neuf vies paisiblement loin d'eux.

" Sors, j'veux dormir. "

L'ordre semblait froid mais sa voix n'était pas agressive, il s'agissait là simplement de sa manière de s'exprimer: en rentrant dans le lard sans se soucier des coutumes et des formules de politesse. Si elle avait autre chose à demander, qu'elle le fasse, mais si ce n'était pas le cas il préférait largement s'accompagner du silence.