Ensemble [PV la Fratrie] - abandon

Les yeux dans le vague, assise face à la rivière où elle était censé pêcher, Morsure de Requin laissa passer un énième poisson. Depuis la guerre, son combat avec Nuage de Souris -qu’elle n’avait pas revue depuis- et la mort de Myrtille, la femelle n’avait plus gout à rien du tout. Ni la nage, ni la pêche. Elle n’avait plus faim et ne dormait presque plus. En réalité, elle avait peur d’aller dormir, car ne faisait plus que cauchemarder. Et dans ses pires cauchemars, elle était confrontée au terrible choix d’affronter ses amis ou de les voir massacrer toute sa famille et son Clan. Bien souvent, elle hurlait dans son sommeil et pleurait régulièrement au cours d’une journée. µMais, elle avait perdu toute son énergie.

La vision d’un poisson s’agita devant ses yeux réveilla plus ou moins la femelle mais, lors qu’elle tendit la patte pour cueillir la proie, ben, le poisson avait déjà replongé dans la rivière. Voyant qu’elle n’arrivait à rien, la chatte décida de rentrer au clan, tout en soupirant, la tête basse, rentrée dans les épaules.

Une fois au camp, la femelle passa devant le tas de gibier sans lui accorder un regard. Pourtant, elle s’arrêta pour réfléchir. Oh quelqu’un lui bourra dedans et elle s’excusa, s’écartant d’un pas. Elle n’avait pas spécialement faim et elle avait tendance à sauter des repas, là où avant, elle pouvait engloutir deux poissons en un seul repas. Sa fourrure commençait à perdre de sa superbe faute d’une alimentation correcte. C’est quand la dernière fois qu’elle avait manger ? Elle avait oublié. Elle se força donc à manger, pour rester en vie.

Fouillant dans le tas de gibier, elle écarta les plus gros poisson pour s’en contenter d’un tout petit ridicule qui ne rassasierait jamais un chat adulte. Surement une reine qui l’avait pêcher pour des tous jeunes chatons puissent le manger. Tant pis, la femelle bleue l’emporta et alla se mettre dans un coin pour manger. Mais au bout de deux bouchées, elle n’avait déjà plus faim du tout. Et repoussa le poisson de la patte. Jusqu’à ce qu’elle aperçoive un membre de sa fratrie plus loin.

- Hey ! Tu en veux ? C’est trop pour moi, j’ai plus faim…

Somnolant à moitié à côté du tas de gibier, Chardon Marbré n'avait pas vu que Morsure de Requin s'était rapproché, et ne remarqua sa sœur que quand elle lui fit passer ses restes.

Le matou donna une de ses fameuses moues crispées en guise de sourire:

"'Pas faim'? Dites moi que je rêve, le Clan des Étoiles t'as-"

Il s'interrompit en voyant le poisson que Morsure avait jugé trop gros pour elle. C'était une... Misérable petite chose. Et Morsure, elle aussi, avait l'air misérable. En fait, elle se trainait depuis quelque temps. Le dos vouté, les yeux éteints, l'air absent... Autant de choses qui faisaient tâches, chez sa sœur d'ordinaire si excitée et pleine de vie. Chardon s'en inquiéta tout de suite.

Il se rappelait assez bien de la dernière fois où il s'était clashé avec Morsure, un autre jour où justement elle n'allait pas bien. L'approche directe n'avait pas tellement marché, alors. Peut-être qu'il allait falloir ruser, pour savoir si quelque chose la travaillait... Pas que Chardon ai besoin de savoir- la Guerre, c'était forcément la Guerre, mais...

"'Attends."

Il se leva brusquement, et fila à travers le camp, passant sa tête sans plus de cérémonie dans la tanière des guérisseurs:

"'Poulpe, viens manger un bout avec Morsure et moi."

Sans attendre que son frère ne réponde (sans même s'assurer qu'il était bien là et qu'il n'avait pas juste donné un rencard à Feuille de Saule), Chardon repartit, interpellant Cendre Argentée au passage:

"'On mange un bout tous ensemble, viens."

Quand il revint vers Morsure de Requin, il eu une sorte de... Sentiment étrange? Lui serrant la poitrine. Pas l'appréhension qui le barbouillait depuis des lunes (depuis toujours, même), mais une sorte de chaleur. Ça faisait... Trop longtemps. Qu'ils n'avaient pas pris une minute pour se retrouver, sa portée et lui. Et si il faisait ça en espérant que ça fasse du bien à Morsure...

Peut-être que ça allait lui faire du bien à lui, aussi.

Chardon n’avait pas accepté le poisson, la femelle entendit à peine son début de plaisanterie. Son frère sembla juste avoir un déclic. Comme s’il remarquait qu’elle n’allait pas bien. Il lui demanda d’attendre, et la jeune chatte le regarda vaguement de loin.

Finalement, son frère revint peu après suivit du reste de sa fratrie. La femelle ne savait même pas quoi en penser. Bien sûr, elle était contente d’avoir sa fratrie avec elle mais, elle ne savait pas, il y avait quelque chose qui la dérangeait un peu. Elle fit un petit sourire un peu triste, tout en poussant de nouveau son poisson à peine entamé.

- Je suis contente de vous voir. Tenez, prenez mon poisson, c’est trop pour moi.

La guerrière bleue se coucha un peu plus confortablement, la tête posée sur les pattes. Ça la dérangeait pas de les regarder manger. Toute façon, elle n’avait plus faim.

Sacré coup de filet, pour Chardon Marbré - sa fratrie éparpillée était enfin réunie ! Soulagé d'avoir réussi à rassemblé tout le monde, le matou s'assit près de Morsure de Requin. Ça devrait suffire à lui remonter le moral, non? Il glissa vers elle un regard plein d'espoir, qui disparut quand sa sœur se contenta de répéter ce qu'elle avait déjà dit, avec le même air morne.

Elle n'avait pas faim.

Elle n'allait pas bien.

"'Ca va," fit-il un peu brusquement pour répondre à Poulpe (ou à Cendrée? Il ne savait plus trop qui avait posé la question), avant de se ressaisir, tentant une nouvelle approche, "Difficile de reprendre son train train quotidien après l'attaque du clan du Vent..."

C'était bien ça, le soucis, non? C'était après cet effroyable épisode que Morsure avait changée. En fait, c'était après cette nuit que TOUT avait changé dans leurs vies. Ils étaient guerriers, s'éloignaient encore plus les uns des autres, et encore plus de Poulpe, qui restait apprenti dans sa propre voie...

Tout était devenu si compliqué. Chardon regrettait presque l'époque où il s'angoissait tout seul à l'idée de devenir apprenti. Les chatons ne se rendent pas compte combien chaque marche escaladée, chaque baptême, chaque escarmouche, les éloigne de la pouponnière... Il aurait mieux fait d'en profiter, au lieu de s'inquiéter.

Mais l'heure n'était pas à ses petites angoisses personnelle. Il fallait remonter le moral des troupes - Celui de Morsure, surtout. Même si l'exercice était difficile, et pas franchement dans ses cordes, Chardon tenta de reprendre sur une note plus optimiste :

"Mais on fera face, pas vrai? On est des guerriers, maintenant." Son regard croisa celui de Poulpe, et il osa un sourire, sa moue habituelle se soulevant un peu pour son frère, "Et on aura bientôt un guérisseur incroyable parmi nous, j'en suis sûr."

C'était peut-être un peu générique, comme discours, mais Chardon espérait qu'il réchaufferait le cœur de Morsure.

On est là. En sécurité. Ensemble.