La Foudre et la Tempête | Etoile Foudroyante - end

« Mm, et rien d'autre ? » Petite Tempête réfléchit une demi-seconde. Il lui sembla qu'il était beaucoup et rien à la fois et que se définir paraissait bien complexe. Alors, il ne répondit pas et fit ce qu'il faisait de mieux : écouter.

« Ne me méprend pas. J'adore les jeux d'esprit, je ne cherche pas à te piéger. J'ai plutôt envie de t'amener à réfléchir, mais comme tu es jeune, je n'ai pas le choix de t'y mener par la queue. » Il pencha la tête sur le côté, le chaton, parce qu'il ne comprenait pas où voulait en venir son ainé. Il resta cependant silencieux et attentif, les questions attendraient. Il tâcha plutôt de dégager ce qu'il pouvait réussir à comprendre dans ses paroles.
Etoile Foudroyante ferma les yeux, reprenant :

« Je ne suis pas sourd à ce que tu penses sur l'utilité d'un chat dans le Clan, mais tu fais en erreur en attaquant les racines d'un individu. » Et alors qu'il rouvrit un œil, le jeune chat plussa très légèrement les siens, commençant à saisir ce qu'il cherchait à dire. « Car poussons ton idée à ses plus hautes feuilles: la meilleure façon de ne pas "apporter de problèmes" serait donc d'arracher toute ton identité. Je n'entend pas seulement ton genre, ou ton sexe, mais tout ce qui t'identifie: on parle de ta personnalité, des branches de ton arbre familial — père, mère, tous tes frères et soeurs, pas d'exception, on arrache tout — sans parler de toute ton expérience de vie, ta parole, ton langage... »

Ca y est. Lorsqu'il rouvrit le second, Petite Tempête reprit définitivement son air calme.

Il avait compris. Mais à présent, il lui venait quelques choses à dire.

« Dur d'imaginer, hm ? Sans toutes ces "histoires inutiles", tu es qui, Petite Tempête ? Selon toi, il reste quoi ? » Et contre toute attente, le chaton savait exactement que réondre. Il ne comptait pas se laisser intimider si facilement. A force de discussion, la figure inquiétante du chef de clan, du papa de Maman avait laisser place à celle, plus rassurante, du professeur.

Plus pertinent, lui sembla-t-il, bien que plus dur à saisir, que les réflexions de Petite Nuit et Petite Île.

Il se rassit tranquillement, prenant un air discipliné et il entama sa réplique d'un ton égal :

« Pas grand chose, c'est sûr. Mais je crois pas que je sois grand chose, déjà. Et ce n'est pas important, ce que je suis- Parce que ce qui importe, c'est d'être là pour le clan. En fait, c'est comme la pouponnière- C'est grâce à toutes les ronces serrées ensemble qu'on arrive à faire un abris. Mais si j'étais une ronce toute seule, ce que je suis ça aurait encore moins d'importance parce que heu-... Bah, je serais inutile et seul. » Ca lui demandait beaucoup d'effort de réussir à exprimer clairement son point de vue. C'était une tâche à laquelle il ne s'était jamais essayé avec tant de précision, alors, forcément, il manquait de clarté.

« Parce que moi, tout ce que je suis, tout ce que j'aime, j'essaie de le donner au clan, à ma famille. Si je pense trop à ce que je suis, bah je risque de penser trop à moi et si je pense trop à moi je ne serais pas utile. » Il marqua un pause et puis, reprit un peu son souffle avant de pencher légèrement la tête sur le côté.

« Je crois ? »

Ça lui changeait presque, d'avoir quelqu'un s’accrocher à ses lèvres de la sorte, et ça ne déplaisait pas à Étoile Foudroyante. Quand il lui renvoya la balle, il laissa à Petite Tempête tout le temps qu'il faut afin de bien (figurativement) retomber sur ses pattes, et retrouver l'équilibre.

Il comprenait. C'est que ce genre d'abstraction ne se saisissait pas avec les griffes.

Ainsi, que restait-il des chats qu'on déracinait complètement de leur contexte?

— Pas grand chose, c'est sûr.

De la viande, le bengal se garda de dire derrière son sourire hermétique. Une sensation de brûlure fit s'onduler les sombres marbrures dans son dos: il la chassa d'un battement d'oreille, sans plus.

— Mais je crois pas que je sois grand chose, déjà.

Oh?

— Et ce n'est pas important, ce que je suis- Petite Tempête reprit, Parce que ce qui importe, c'est d'être là pour le clan. Et comme n'importe qui, mettre des mots sur ses pensées l'enhardit. En fait, c'est comme la pouponnière- C'est grâce à toutes les ronces serrées ensemble qu'on arrive à faire un abri.

Le bengal leva le nez pour observer le plafond de ronces dont il était question.

— Mais si j'étais une ronce toute seule, poursuivit le chaton, ce que je suis ça aurait encore moins d'importance parce que heu-... Bah, je serais inutile et seul.
— Hm, de faire le bengal en réponse, laissant le fond de sa pensée macérer dans le silence.
— Parce que moi, tout ce que je suis, tout ce que j'aime, j'essaie de le donner au clan, à ma famille. (Haha, on jurerait entendre Coeur de Puma) Si je pense trop à ce que je suis, bah je risque de penser trop à moi et si je pense trop à moi je ne serais pas utile. Il y eut comme une pause, faisant se pencher la tête d’Étoile Foudroyante, miroitant le chaton qui l'interrogeait d'yeux si grands qu'il en voyait son propre reflet ondoyer dedans. ...Je crois ?

Pff -  ce gamin.

— Ha hah. Était-ce l'indice d'une première graine de scepticisme? En voilà d'yeux affûtés, P'tite Tempête.  Tu cherches à me faire cracher la "bonne réponse"? ♡

Bon - s'il comptait prendre racine, autant prendre ses aises: après un étirement du dos, Étoile Foudroyante s'affaissa dans la poussière en ne retenant plus son énorme bâillement. Un coup de langue sur ses babines, un repli de patte sous le poitrail. L’autre patte, il s’en servit pour provoquer un contact direct sous la forme d'une légère poussée contre le poitrail de son interlocuteur.

— Prête-moi tes yeux, plutôt. Tu mentionnes le concept "d'utilité" comme s'il primait sur tout le reste. Il me semble que nos définitions ne marchent pas tout à fait au même pas, alors permets-moi:

Son coude s'appuya dans la poussière, son menton dans sa patte.

Tu entends quoi, par "utilité"?

Une illustration de Rinkisha, merci!

HRP:

« Ha hah. En voilà d'yeux affûtés, P'tite Tempête. Tu cherches à me faire cracher la "bonne réponse"? ♡ » Le ton mielleux du chef n'avait pas réellement changer, pourtant, Tempête n'en était plus affecté. Dès lors qu'il avait comprit l'aspect intellectuel que revêtait cette conversation, sa susceptibilité avait été enterrée.

Une seconde, il craignit d'avoir dit quelque qu'il ne fallait pas. Et puis, l'adulte s'étira avec une certaine souplesse avant de s'allonger, bâillant tandis qu'il prenait ses aises. Il glissa le bout de sa patte contre le torse de Petite Tempête qui laissa le haut de son corps être très légèrement poussé, l'air toujours aussi attentif et peut-être un peu perdu.

« Prête-moi tes yeux, plutôt. Tu mentionnes le concept "d'utilité" comme s'il primait sur tout le reste. Il me semble que nos définitions ne marchent pas tout à fait au même pas, alors permets-moi : Tu entends quoi, par "utilité" ? » En voilà une question compliquée.

Si Petite Tempête avait l'habitude de demander à maman et papa le sens de certains mots, il n'avait encore jamais tenter l'exercice de trouver une définition à un mot qu'il employait et connaissait depuis toujours, si l'on ose dire.
Il cligna plusieurs fois des yeux, observant ceux plus affutés par des années d'expérience de son grand-père. Il tâcha de réfléchir avant de s'exprimer, de trouver un consensus en son for, mais dû se rendre à l'évidence : il était bien incapable de trouver une réponse claire.

Alors, il grimaça légèrement, penchant la tête de côté et fixant un point qui n'était plus Etoile Foudroyante. Il parlait en réfléchissant, peu sûr de ce qu'il avançait, maladroit.

« L'utilité c'est d'être utile-... Enfin ! De faire des trucs qui servent et aident ?- D'avoir heu... Une raison précise qui aide ? Mais je crois qu'on peut pas être utile partout à la fois. » Il fronça les sourcils, se redressant bien droit après ces paroles, les oreilles en arrière.

Il réfléchissait à présent à ce qu'il venait de dire, comme s'il cherchait à comprendre si tout cela avait du sens.

En voilà d'yeux affûtés, mais suivant sa question, en voilà, tout un silence. Qu'à cela ne tienne: Étoile Foudroyante fit mine de regarder ailleurs - vers Lycaon, qui s'approchait de Source et de la marmaille paisiblement installés (endormis?) dans un coin. Cet apaisement fut contagieux, et fit verser au bengal sa joue sur sa patte en s'imprégnant de la scène.

Qui sait combien de toutes petites oreilles indiscrètes les écoutait, en ce moment? Mais de les écouter ne voulait pas nécessairement dire de les comprendre, et il n'était pas sans constater que la portée de Source, à en témoigner par son dialogue avec Petite Tempête, n'était peut-être pas assez développée pour jouer de l'esprit avec lui. Car quand enfin Petite Tempête trouva ses mots.

— L'utilité c'est d'être utile-... Ça n'y était pas. Enfin ! De faire des trucs qui servent et aident ? Mais je crois qu'on peut pas être utile partout à la fois.

Le chaton ne le regardait plus, avait pivoté ses oreilles en arrière et avait froncé ses sourcils en traquant des proies qu'il ne voyait même pas. Ces propos étaient-ils les siens, ou ceux qu'un adulte lui avaient semé dans la tête? Queue de Lézard ne lui avait jamais semblé du genre grand penseur...

— Alors pour toi, être utile, c'est "faire des trucs qui aident", hmm?

On ne peut pas être partout, c'est vrai.

On chasse pour ceux qui ne le peuvent pas, car ils ne sont pas capables, ou plus capables, ou qui n'ont pas le temps. Et ceux qui chassent, chassent: ils ne sont pas capables de surveiller les frontières en même temps, ou le campement, ou d'assurer la structure de nos tanières ou de la palissade. Et qu'en est-il de nos reines, qui s'occupent de vous à la pouponnière?

Tu t'ennuierais beaucoup sans P'tite Question (il désigna Lycaon d'un mouvement de la tête) pour veiller sur vous ou te raconter des histoires, non?

Tout d'un coup il se roula sur le ventre et s'applatit à la hauteur du chaton.

— Nous-mêmes, tiens, tout notre échange — tu le trouves "utile"?

Une illustration de Rinkisha, merci!

« Alors pour toi, être utile, c'est "faire des trucs qui aident", hmm ? On ne peut pas être partout, c'est vrai. On chasse pour ceux qui ne le peuvent pas, car ils ne sont pas capables, ou plus capables, ou qui n'ont pas le temps. Et ceux qui chassent, chassent: ils ne sont pas capables de surveiller les frontières en même temps, ou le campement, ou d'assurer la structure de nos tanières ou de la palissade. Et qu'en est-il de nos reines, qui s'occupent de vous à la pouponnière ? Tu t'ennuierais beaucoup sans P'tite Question pour veiller sur vous ou te raconter des histoires, non ? » Tempête acquiesça docilement. Les Reines, ici, les chasseurs, les patrouilleurs, le guérisseur- Ils avaient tous une utilité, à différente échelle. Mais, comme à l'image d'un mur, d'un fragile équilibre, enlever l'un d'eux reviendrait à laisser s'effondrer toute la structure.

Et ça, bien qu'il ne sache encore l'exprimer, Petite Tempête l'avait dors et déjà compris.

Le chaton resta tout aussi calme lorsque le chef de clan changea de posture, revenant à sa hauteur. Son expression était la même tranquillité attentive, presque neutre, qu'il avait apprit à revêtir en constant encore tout nouveau-né qui piauler n'empêchait pas ses frères et sœurs de lui piquer sa mamelle.

« Nous-mêmes, tiens, tout notre échange — tu le trouves "utile" ? » Et, encore une fois, le chaton hocha la tête sans équivoque. Il lui sembla que la réponse fut évidence, c'est pourquoi il ne tarda pas à la faire entendre.
Sans sourire, comme à son habitude.

« Bien sûr qu'il l'est. Aiguisé l'esprit, c'est ce qui permet aux chatons d'être des guerriers compétents, plus tard. C'est essentiel- On ne dirait pas, mais la tête c'est aussi crucial que le corps ! » Il sembla songeur, un instant, puis il reprit sans excès d'assurance, ni manque de confiance :

« Tu demande ça parce que tu t'ennuies ? Y'à que Petite Nuit et Petite Île qui aiment discuter, ici- » Il jeta un vague regard vers ses frères et soeurs, collés à sa mère, et il revint en suite sur Etoile Foudroyante.

Il n'avait pas envie que son interlocuteur le trouve ennuyeux, notamment parce qu'il l'aimait bien, lui.

— Bien sûr qu'il l'est, le petit répondit. Bien sûr qu'il trouvait leur échange utile: Petite Tempête buvait ses paroles comme si on lui avait assoiffé l'esprit toute sa courte vie.

— Aiguiser l'esprit, c'est ce qui permet aux chatons d'être des guerriers compétents, plus tard. C'est essentiel - On ne dirait pas, mais la tête c'est aussi crucial que le corps !

Il le tenait enfin.

Il le tenait enfin, et le chaton n'en avait aucune idée. Il était bien trop occupé à se dévaloir:

— Tu demandes ça parce que tu t'ennuies ? Y'à que Petite Nuit et Petite Île qui aiment discuter, ici-

Sans le quitter des yeux ni ciller, Étoile Foudroyante haussa une de ses épaules.

— Même pas proche.  Je dirais même que je suis d'accord avec toi, il lui dit plutôt, son timbre vibrant avec cette note de satisfaction au fond de la gorge. Quelque chose avait changé: il exudait le même confort que s'il avait été couché sur un caillou au soleil. Moi aussi, je suis d'avis qu'on peut aiguiser l'esprit comme on aiguise nos griffes.

C'est alors qu'il se pencha - non pas d'un côté, ou de l'autre, mais vers l'avant, rapprochant son museau du petit.

— Suivant la même logique, Petite Tempête, tu es aussi d'accord que comme nos griffes, les mots qu'on dit sont aussi capables de blesser?...

Et ça — ses sourcils se haussèrent bien haut, et ses paupières couvrirent ses yeux à demi, et bien qu'il avait cet air las fiché au visage, il n'y avait plus aucune couleur dans les yeux: juste deux billes rondes et noires qui reflétèrent enfin au chaton sa propre image dedans: sois sincère avec moi, tu veux, Petite Tempête? Ça, tu trouves ça utile?...

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« Même pas proche. Je dirais même que je suis d'accord avec toi. Moi aussi, je suis d'avis qu'on peut aiguiser l'esprit comme on aiguise nos griffes. » Et ces quelques mots, roucouler avec une certaine satisfaction que le chaton ressentit sans mal, lui arrachèrent un sourire. Il était heureux qu'Etoile Foudroyante apprécie leur conversation, n'en déplaise à l'écart d'âge plus que conséquent.

Et soudain, Foudre se pencha vers lui. Dans un geste long, son museau était presque collé au sien, forçant le chaton à reculer la tête, puis le buste qui suivit le mouvement de son cou. Il releva une patte, pétrit contre son torse, l'air un peu perdu.

« Suivant la même logique, Petite Tempête, tu es aussi d'accord que comme nos griffes, les mots qu'on dit sont aussi capables de blesser ?... Et ça, sois sincère avec moi, tu veux, Petite Tempête ? Ça, tu trouves ça utile ?... »

Petite Tempête l'observa, toujours cet air égaré fiché au visage. Il comprenait la leçon qu'on essayait de lui inculquer et bien qu'il se sentit piéger, il ne réagit avec aucune forme d'impulsivité ou de colère. Il aurait put être vexé, oui, se sentir floué, s'en vouloir de s'être fait avoir.

Mais au contraire - et il en fut le premier surpris - il comprenait si bien ce que démontrait le chef de clan qu'il ne se vit même pas l'envie d'être de mauvaise foi. A vrai dire, il était trop occupé à réaliser. Assimiler les paroles, les idées, c'était bien plus dur lorsque cela impliquait une remise en question.

Et puis, humble sous certaines conditions, il baissa un peu les yeux, l'air songeur. Les sourcils à peine froncé alors que ses yeux passèrent rapidement de droite à gauche, comme s'il lisait un texte.

Et puis, il les releva.

« Ca veut dire-... Ca veut dire qu'en étant blessant avec Petite Glycine, j'ai nuit au clan ? Parce que, même si je crois ce que je dis, il n'embête pas le clan en étant ce qu'il est et en faisant ce qu'il fait, c'est ça ? » Il baissa les oreilles, reprenant son air de brebis égarée.

Au fond, c'était compliqué pour lui de réussir à réellement synthétiser ce genre d'idée.

« Donc, on ne doit pas faire strictement ce qui est bon pour le clan ? On peut faire des trucs qui sont pas utile, tant que ça ne ne fait pas de mal au clan ? C'est ça ? » Et il attendait confirmation, attendait qu'on le valide pour être sûr de pouvoir croire à cette nouvelle idée.

Et enfin, la leçon fit son chemin entre les oreilles de Petite Tempête. Il avait baissé les yeux non pas par une montée de chagrin, mais par une poussée de conscience: Étoile Foudroyante ne cessa pas une seule fois de le fixer - ni pour regarder ailleurs, ni pour ciller. Ce chaton ne savait pas la chance qu'il avait de pouvoir se rendre à cette conclusion si tôt dans le cours de sa vie.

Si c'était bizarre d'être satisfait en provoquant une réaction chez une aussi jeune créature, qu'en était-il de s'en sentir envieux? C'était une envie qui était propre à lui, qu'aucun chat à la tête saine ne comprendrait jamais et ce, même s'il s'évertuait à essayer d'expliquer.

— Ca veut dire-... Ca veut dire qu'en étant blessant avec Petite Glycine, j'ai nuit au clan ? Parce que, même si je crois ce que je dis, il n'embête pas le clan en étant ce qu'il est et en faisant ce qu'il fait, c'est ça ?

Étoile Foudroyante le laissa tirer sa propre conclusion:

— Donc, on ne doit pas faire strictement ce qui est bon pour le clan ? On peut faire des trucs qui sont pas utile, tant que ça ne ne fait pas de mal au clan ? C'est ça ?
— Mm-hm. "Le Clan", c'est aussi ses chats. Si tu te suffis d'une vie consacrée à bosser, cool, mais qu'en est-il de tous tes camarades à qui ça ne satisfait pas?

Sans la moindre mesure, le bengal pencha sa tête d'un crac. Le nouvel angle fit balotter ses poils d'oreilles tout en couvrant une partie de son visage dans l'ombre, ce qui fit ressortir une sorte de lueur derrière la mydriase de ses yeux.

— L'arbre te cache la forêt, Petite Tempête: à quoi sert de s'entraider et de veiller à la cohésion du Clan, sinon d'enrichir ton expérience de vie?

Si on enseignait seulement à chasser, on aurait que des chasseurs. Il nous manquerait tout le reste.

Nouveau crac: sa tête s'était penchée de l'autre côté.

— Dans la même logique, si on enseigne qu'il n'y a qu'une seule façon de vivre et qu'elle prévaut sur toutes les autres... On s'émousserait l'esprit.

De la même façon que les griffes qu'on arrêtait d'aiguiser devenait trop longues, et perdaient leur tranchant. Étoile Foudroyante jugea bon de rendre au petit tout son espace personnel en se hissant du haut de ses quatre pattes. Puis, en balayant sa queue à la hauteur de ses jarrets, il retrouva sa contenance.

— Je n'aurai jamais tes yeux, et tu n'auras jamais ceux de Glycine, et tu n'auras jamais les miens... On ne s'en partage les images qu'à travers les histoires qu'on se raconte. C'est par les histoires, ou le dialogue, qu'on se trouve des points communs et qu'on arrive à s'entendre.

Qui sait, peut-être qu'un jour il lui raconterait ses propres expériences, si Petite Tempête voulait bien lui tendre l'oreille, mais pour l'heure, il se dit qu'il devait en avoir assez de se les faire tirer à se hasarder dans les couloirs de ce labyrinthe d'abstraction de la pensée. Le bengal l'épargna en rétrécissant ses pupilles en fentes jusqu'à ce que la couleur jaune ne revienne dedans — la tête droite, le regard ordinaire, et une sorte de lourdeur confortable dans la façon de se porter, maintenant qu'il avait chassé, avec l'aide du petit, la conclusion qu'il avait voulu, il rangea sa précédente intensité pour plutôt porter son intérêt ailleurs.

Au tout début - à la toute petite graine d'idée, qu'en abreuvant de questions et de réflexions, avait été capable de pousser, et fleurir.

— Qu'on s'le dise franchement: je suis plutôt d'accord avec la claque que tu t'es prise. Un dialogue ne se fait pas tout le temps avec les mots.

La seule chose qui m'ennuie c'est qu'il se soit senti obligé d'utiliser ses griffes. Non seulement je trouve que ta marque est laide — elle lui rappelait celle qui coupait ses deux visages à Tonton, puis celle qu'Arc-en-Ciel avait taillée dans celui de Source — mais la blessure subséquente gaspille aussi les plantes de notre herbier. C'est plutôt ça, que moi, je trouve inutile.

Une illustration de Rinkisha, merci!

« Mm-hm. "Le Clan", c'est aussi ses chats. Si tu te suffis d'une vie consacrée à bosser, cool, mais qu'en est-il de tous tes camarades à qui ça ne satisfait pas ? »

Il pencha la tête sur le côté. Ses longs poils d'oreilles dansèrent, Petite Tempête trouva ce geste presque mécanique.

« L'arbre te cache la forêt, Petite Tempête: à quoi sert de s'entraider et de veiller à la cohésion du Clan, sinon d'enrichir ton expérience de vie ? Si on enseignait seulement à chasser, on aurait que des chasseurs. Il nous manquerait tout le reste. »

Il pencha la tête de l'autre côté. Petite Tempête aurait put en avoir peur, plus jeune, parce que cela ne lui semblait pas naturel. Mais il tâchait de se focaliser sur ses paroles.
Il n'était pas certain de le suivre.

« Dans la même logique, si on enseigne qu'il n'y a qu'une seule façon de vivre et qu'elle prévaut sur toutes les autres... On s'émousserait l'esprit. » Et enfin, il se redressa.
Il était grand, du haut de ses longues pattes. Du moins, c'est ainsi que le petit chaton de trois lunes à peine le voyait. Et il leva la tête pour continuer de le regarder dans les yeux.

« Je n'aurai jamais tes yeux, et tu n'auras jamais ceux de Glycine, et tu n'auras jamais les miens... On ne s'en partage les images qu'à travers les histoires qu'on se raconte. C'est par les histoires, ou le dialogue, qu'on se trouve des points communs et qu'on arrive à s'entendre. » Et les orbites noires, ces yeux sombres, reprirent peu à peu de jaune, laissant cet air inquiétant et profond pour plus de légèreté.
Petite Tempête se fit la réflexion qu'il n'avait pas vraiment remarquer ces pupilles énormes. A tel point que cela lui sembla étrange, à présent qu'elles étaient de nouveau des fentes.

Il devrait apprendre à mieux voir, songea-t-il, mais pour l'heure, il avait encore à écouter.

« Qu'on s'le dise franchement: je suis plutôt d'accord avec la claque que tu t'es prise. Un dialogue ne se fait pas tout le temps avec les mots. La seule chose qui m'ennuie c'est qu'il se soit senti obligé d'utiliser ses griffes. Non seulement je trouve que ta marque est laide mais la blessure subséquente gaspille aussi les plantes de notre herbier. C'est plutôt ça, que moi, je trouve inutile. »

Petite Tempête baissa les yeux, honteux. Il ne savait pas trop pourquoi il se sentait coupable, mais il le ressentait tout de même. Et s'il se moquait pas mal de son physique, il était pleinement conscient de l'aspect définitif de cette cicatrice. Qu'elle soit laide ne le gênait pas, c'est qu'elle ne vienne pas d'un combat utile au clan, d'une guerre glorieuse, qui le mettait en rage.

Mais il n'en montra rien et il détourna le regard.

« Je suis désolé. J'ai pas envie de pas être utile... » dit-il dans un premier temps, avant de soupirer. Et puis, à la manière de tout chaton, il changea aussitôt d'idée et revint vers son maître à penser de fortune. « On peut parler en se battant ? Pourtant, papa dit qu'il faut pas se battre. Moi j'aime bien ça, mais pour s'entraîner. »

Il reprit un air intéressé, presque joyeux derrière cette curiosité de bon élève.

Ça devrait suffire. Encore heureux que Petite Tempête soit encore confiné à la pouponnière, auquel cas le pourcentage de dérision avec lequel il l'aurait disputé (et sous les yeux du Clan, en plus) aurait triplé. À moins d'avoir une bonne raison (ou à moins d'accepter les conséquences), on ne s'attaquait pas aux chats de son Clan. Avoir lentement mené Petite Tempête à réaliser que ses mots avaient été aussi blessants pour Glycine que les griffes de ce-dernier, était une base robuste sur laquelle s'affûter l'esprit.

— Je suis désolé, répondit Petite Tempête, la mine basse, J'ai pas envie de pas être utile...

C'était quand même amusant d'entendre un chaton tenir de tels propos. La seule chose que les gamins devaient faire dans le Clan était de ne pas (trop) échapper à leur reine assignée. Mais si le petit prenait à coeur cette histoire, alors Étoile Foudroyante prit à coeur le conseil qui suivit:

— Alors rachète-toi.

Pour lui, ça coulait de source. S'embourber dans leur orgeuil ne ferait que nourrir la peur de mal-faire, et c'était cette peur invisible qui creusait une distance entre les membres d'une communauté. Il fallait parfois se marcher sur la queue, baisser la tête, serrer les dents et accepter qu'on avait fauté pour grandir de l'expérience — et les deux chatons dont il était question? Ils en avaient la marge. (Enfin, sauf s'ils se retrouvaient les pattes courtes, comme Bec.)

— On peut parler en se battant ? Pourtant, papa dit qu'il faut pas se battre. Moi j'aime bien ça, mais pour s'entraîner.
— Mm, moi pareil. Je n'aime pas me battre pour de vrai.

« Je préfère un coup de sang que de le verser. »

— ...Tout comme nos mots, la violence est une forme de language. Il y a des chats qui ne s'expriment que par leurs corps et les coups qu'ils donnent et parfois, on a pas le choix de les rendre.

Et c'est

pourrrr

quoi, il s'abaissa à nouveau pour donner un petit coup de museau au chaton et le forcer à se relever sur ses pattes, lui donnant un autre petit coup juste pour le forcer au recul tandis que lui-même s'avançait, vrombissant sur un puissant ronron, tu devrais aller te racheter.  Que je sache, tu n'as pas encore perdu l'usage de ta langue, hmm? ♡

Une illustration de Rinkisha, merci!