La Foudre et la Tempête | Etoile Foudroyante - end

« Mm, moi pareil. Je n'aime pas me battre pour de vrai. ...Tout comme nos mots, la violence est une forme de language. Il y a des chats qui ne s'expriment que par leurs corps et les coups qu'ils donnent et parfois, on a pas le choix de les rendre. Et c'est pourrrrquoi... » Le grand bengal au pelage marbré se pencha de nouveau, faisant relever les yeux du Petit Tempête sur lui. Il lui donna un petit coup de museau, léger et sans douleur, juste une indication qui le força à se remettre droit sur ses quatre pattes, décollant du sol. Et puis, il s'avança, en donna un second qui le força au recul. Il tituba, naturellement déséquilibré par sa nature de chaton, naturellement gauche.

« Tu devrais aller te racheter. Que je sache, tu n'as pas encore perdu l'usage de ta langue, hmm ? ♡ » Entonna le félin dans un ultime conseil, ronronnant avec force. Le vrombissement que sa gorge et sa cage thoracique emmétaient firent vibrer le petit corps du chaton qui l'observait l'air stupide, une fois encore.

Il devait se racheter, donc. Il ne savait pas vraiment ce que cela voulait dire, ne savait pas s'il devait penser à un cadeau, ou bien à des paroles. S'excuser lui sembla un bon début, mais encore fallait-il trouver les mots, que Petite Glycine les accepte. Il n'en était pas sûr, il ne voulait pas subir une nouvelle humiliation.

Il abaissa le regard, toujours debout et il fronça de nouveau les sourcils.

« Je dois lui demandé pardon ? Mais s'il refuse, j'aurais l'air bête. J'aime pas avoir l'air bête, moi-... Et puis, je sais pas comment dire que je suis désolé. Et lui, il a jamais dit pardon pour m'avoir fait mal. » Il fronça légèrement le museau, et ça lui fit un peu mal, la croûte qui s'était formée suinta légèrement.

Il releva les yeux, et, finalement, laissa entrevoir toute l'étendu de sa colère. Parce qu'au fond, Petite Tempête ne demandait pas grand chose. Il ne demandait ni attention, ni reconnaissance, seulement voilà. Il ne supportait pas qu'on puisse l'humilier, même un peu. Il ne le tolérait pas et ne se l'expliquait pas : c'était comme ça.

La douleur de sa plaie ? La cicatrice ? Il s'en foutait. La souffrance dont il parlait, elle était intérieur.

Et pourtant, il s'agissait d'un tout petit rien.

Il détourna le regard, boudeur.

« Je vais le faire, parce que ça nuit au clan, les dispute et parce que je déteste pas tout à fait Petite Glycine... Mais s'il m'envoie balader, je vais aussi avoir envie de le frapper, moi ! »

Pauvre Petite Tempête... Ça crevait les yeux que le conseil (l'ordre?) de son grand-père lui déplaisait.

— Je dois lui demander pardon ? Mais s'il refuse, j'aurais l'air bête. J'aime pas avoir l'air bête, moi-... Et puis, je sais pas comment dire que je suis désolé. Et lui, il a jamais dit pardon pour m'avoir fait mal.

Ouais, pas faux, mais -

— Qu'est-ce qu'il y a de si mal dans "un air bête"?

Beaucoup, selon toute la colère qui animait les yeux du chaton. Mais même face à la couleur qui vibrait et toute l'intransigeance que son petit corps pouvait produire dedans, Étoile Foudroyante, lui, se para plutôt de toute son insouciance, avec cette mine de rien qui lui fit fermer les yeux d'une radieuse bonne humeur.

— Je vais le faire, grommella Petite Tempête, détournant la tête, parce que ça nuit au clan, les disputes, et parce que je déteste pas tout à fait Petite Glycine... Mais s'il m'envoie balader, je vais aussi avoir envie de le frapper, moi !
— Tu peux.

Le bengal rouvrit les yeux, et haussa ses épaules.

— Si tu t'impatientes et que le message passe mal par les mots, tu peux. Certains n'ont de respect que pour les chats qui sont capables de rendre leurs coups. Masque de Serpent, par exemple.

En réalité, il songea à la grosse chatte sur la berge opposée de la vaste Rivière qui séparait leurs Clans respectifs en deux. Même en tentant de la raisoner avec les mots, Étoile Déchirée (Oreille à l'époque) s'était tellement bouffie de fierté qu'elle l'avait ignoré. Pire, qu'elle l'avait attaqué. Ce n'était que quand le bengal (Coup de Foudre à l'époque) l'avait giflée et s'était collé le nez au sien et l'avait fait reculer qu'elle avait enfin commencé à le considérer comme ... eh bien, un autre chat comme elle, quelqu'un digne de respect, et non plus un ennemi à bêtement chasser de ses terres.

D'une patte, il pesa une part de son poids sur la tête du chaton, sortant avec minutie les griffes pour lui brosser le poil avec le tranchant.

— Si tu veux mon conseil, mesure tes options.

Son ronron était si fort qu'il lui en faisait vibrer le poil jusqu'au bout des coussinets; la position lui permit de conduire la vibration d'un corps à un autre:

— Rappelle-toi que tu fais affaire à un camarade de ton Clan — qu'est-ce que tu comptes lui dire, et comment? Ton intention guide ce que tu dis, alors réfléchis-y sérieusement.

Ceci fait, il écarta sa patte, lorgnant d'yeux las sur ses coussinets en l'approchant de son propre museau pour lui donner un coup de langue et se l'essuyer sur le poitrail, faisant y rebiquer les poils en épines. Lui-même se détourna du petit, dirigeant son attention vers les rayons qui émanaient à l'entrée de la pouponnière.

« Tu peux. Si tu t'impatientes et que le message passe mal par les mots, tu peux. Certains n'ont de respect que pour les chats qui sont capables de rendre leurs coups. Masque de Serpent, par exemple. » Petite Tempête observait toujours son grand-père, attentif, mais un peu dubitatif. Il n'avait jamais entendu parler, si ce n'est de sa bouche, d'une possible communication pour les coups de patte.

Ca lui semblait cependant bien plus naturel. Il avait du mal à exprimer réellement ses ressentis et, parfois, il aimerait se contenter d'un coup de patte. En y repensant, les choses lui semblaient plus complexe lorsque l'on supprimait le droit à la violence cordiale.

Etoile Foudroyante leva sa patte pour la poser sur le haut de la tête du jeune chat. Ce dernier se sentit légèrement affaissé et afficha un air surpris, un peu bête. Il sentait les coussinets de son ainé vibrer sur son front, et puis, faire vibrer son corps. Sans même s'en rendre compte, il entama un ronronnement pudique, discret.
Petite Tempête ne ronronnait jamais vraiment très fort.

Il plissa légèrement les yeux en sentant les griffes du chef de clan lui brosser le poil. C'était agréable.

« Si tu veux mon conseil, mesure tes options. Rappelle-toi que tu fais affaire à un camarade de ton Clan — qu'est-ce que tu comptes lui dire, et comment? Ton intention guide ce que tu dis, alors réfléchis-y sérieusement. » Et il retira sa patte pour y apposer un coup de langue.

Aussitôt, il se détourna, laissant le jeune chaton à son air ahurit alors qu'il l'observa s'éloigner. Il le trouvait étrange, son grand-père, étrange et fascinant. Il avait une manière de parler, de bouger qui passionnait le jeune chaton.
Et il se fit la réflexion qu'il avait entendu des tas d'histoires à son sujet et que cela le rendait encore plus intéressant. Puis, Etoile Foudroyante était intelligent, beaucoup plus que lui, et ça aussi, Petite Tempête l'appréciait.

Cependant, alors qu'il aurait dû, qu'il voulu, se plonger dans un silence respectueux pour accompagner sa sortie, il s'activa cependant et s'avança d'un bond. Gauche, il manqua de tomber et couru pour rattraper l'adulte.

Il se glissa devant lui, posant sur lui l'océan de ses yeux.

« Attends- Merci beaucoup pour tes conseils, j'essaierais de les comprendre. » Il ronronnait toujours, ne l'avait pas remarqué. Et il lui offrit un sourire, plutôt, l'ombre d'un sourire timide. « J'ai une dernière question un peu bête- Mais je dois t'appeler comment, toi ? »

Après cette petite intermission à la pouponnière, il passerait à la Souche, où ils entreposaient leurs aînés — il avait quelques rumeurs croustillantes à partager avec eux après cette petite rencontre — et son temps libre serait ensuite réservé aux guerriers dans le campement à qui tendre l'oreille à leurs diverses revendications (et insultes). En soirée, il irait manger avec ses plus vieilles portées, et au crépuscule il irait patrouiller avec le reste des Pelages Sombres qu'il avait sélectionné à l'aube.

Ses journées lui semblaient si courtes et si longues à la fois, mais c'était le boulot. C'était ça, de s'investir dans sa communauté (et ce même si sa communauté ne le voyait pas tout le temps du bon oeil). La tête ailleurs, Étoile Foudroyante s'activa les pattes dans le but de rejoindre les deux bouts mais c'est alors qu'on lui bloqua (encore) sa sortie.

— Attends- Petite Tempête s'était empressé de lui couper la route. Étoile Foudroyante recula sa patte, rondissant ses yeux au rebond. Merci beaucoup pour tes conseils, j'essaierais de les comprendre.

Le ronron du petit ne lui passa pas inaperçu, aussi le bengal lui rendit de belle en plissant ses paupières de ravissement.

— J'ai une dernière question un peu bête- Mais je dois t'appeler comment, toi ?

Et c'est cette question qui prit le bengal de court. Loin des préceptes d'identité et du respect de la communauté et de la philosophie et des forêts des arbres de la végétation, ce fut comme si le soleil s'était arrêté dans le ciel au-dessus de lui, lui plombant ses sombres marbrures de ses rayons.

Comment devait-il l'appeler? Tout le monde l'appelait bien comme il voulait — ne marquaient-ils pas les différentes étapes de leur Vie par un changement de nom?

Son oreille battit l'air, et ce fut à son tour de sourciller.

Puis de faire la moue.

— ...Quand j'avais ton âge, j'étais Petite Foudre, mais dans la pouponnière, on m'appelait Le Petit Conteur.

Les souvenirs comme ses pattes dans de la vase. Il ne reconnaissait presque plus son visage dedans.

— ...Mon nom d'apprenti, c'était Nuage Foudroyant, mais mon nom de guerrier était Coup de Foudre.

On m'a appelé Connard, Enfoiré, Mon Mignon, Étoile du Serpentaire, Foufou, FIfou, Léopapard, Sale Géniteur, Tête de Grive, Papa, Patron, PaPY, Papy-de-Foudre...

La vase remua sur la surface qui s'agitait; l'eau était plus claire en dessous; le souvenir, récent.

— Quand je suis allé chercher mes vies, j'ai choisi de m'appeler Étoile Foudroyante.  Pourtant...

À son insu, ses pupilles se mirent à frétiller dans ses yeux, et à se gonfler dedans.

...Pourtant, je possède tout ces souvenirs, de tout ces autres chats, comme si j'avais marché dans leurs pattes. Je suis mon amant Mauvaise Graine, je suis le père de ta mère Raton-Laveur, je suis la mère de ta mère Jolie-Abeille, j'ai adopté Source, aimé sa mère, lui ai donnée vie en accouchant; toutes ces expériences ne m'ont jamais appartenues, mais ne sont-elles pas une part de Moi, maintenant?

Son coeur était gros par toutes les Vies qui l'avait gonflé. C'était encombrant.

...Mais pas en mal.

— Je crois que ce que j'essaie de dire,

Et est-ce que c'était mal de ressentir cette fraîcheur dans l'air toutes ces fois rares où on lui offrait à lui la chance de se définir, et en ses termes?

c'est que tu peux m'appeler comme tu veux, Petite Tempête.
L'oeil pétillant, la carrure sans défaut et le ronron à la gorge, il conclut: Je suis bien plus que la somme de tout les noms qu'on m'a donnés.

Une illustration de Rinkisha, merci!

HRP:

« ...Quand j'avais ton âge, j'étais Petite Foudre, mais dans la pouponnière, on m'appelait Le Petit Conteur.

...Mon nom d'apprenti, c'était Nuage Foudroyant, mais mon nom de guerrier était Coup de Foudre.

On m'a appelé Connard, Enfoiré, Mon Mignon, Étoile du Serpentaire, Foufou, FIfou, Léopapard, Sale Géniteur, Tête de Grive, Papa, Patron, PaPY, Papy-de-Foudre...

Quand je suis allé chercher mes vies, j'ai choisi de m'appeler Étoile Foudroyante. Pourtant...
...Pourtant, je possède tout ces souvenirs, de tout ces autres chats, comme si j'avais marché dans leurs pattes. Je suis mon amant Mauvaise Graine, je suis le père de ta mère Raton-Laveur, je suis la mère de ta mère Jolie-Abeille, j'ai adopté Source, aimé sa mère, lui ai donnée vie en accouchant; toutes ces expériences ne m'ont jamais appartenues, mais ne sont-elles pas une part de Moi, maintenant ? » Tempête était définitivement perdu.

Il y avait trop de mots, trop d'idées abstraites pour qu'il sache précisément ce que cherchait à dégager son grand-père. Et même s'il avait put entendre l'idée derrière ces formulations, il n'aurait certainement pas été en mesure d'en saisir réellement le sens.

« Je crois que ce que j'essaie de dire, c'est que tu peux m'appeler comme tu veux, Petite Tempête. Je suis bien plus que la somme de tout les noms qu'on m'a donnés. »

Petite Tempête hocha la tête. Il ne savait toujours pas quel nom lui donner, papi lui semblait trop familier et Etoile Foudroyante, trop lointain- Pourtant, il n'en fut pas fâché ni perdu. Il comprenait la nécessité de ne pas être qu'un nom et toute cette explication souleva en lui bien des questions.

Cependant, Foudre avait dors et déjà entamé sa révérence et le chaton ne souhaitait pas le retenir plus longtemps. Il inclina légèrement la tête, en guise de salut, et il se décala de la sortie.

« Je vais y réfléchir, alors. » Il marqua une pause, posant son expression de calme simple sur le chat marbré. « Merci beaucoup, j'ai aimé apprendre. Au revoir. » Et il le laissa s'en aller, songeant qu'il appréciait beaucoup, tout en ne comprenant pas parfaitement, celui qui prenait le rôle de son grand-père.

Petite Tempête lui accorda le droit de passage — satisfait, sans doute? Le bengal ne voyait pas en quoi, mais il ne comprit pas vraiment la raison qui faisait perdurer ce sourire à ses propres babines, non plus.

— Je vais y réfléchir, alors.
— Oh?
— Merci beaucoup, j'ai aimé apprendre. Au revoir.

La queue du bengal ondula derrière lui.

— J'ai foi en toi, P'tite Tempête. En lui tournant le dos, il la leva bien haut au-dessus de sa croupe en guise de dernier salut pour la journée. Évite de trop provoquer tes camarades, tu veux? Ça me ferait de la peine de compter une nouvelle marque sur ton nez.

Et sur ces mots, la grand-mère, le grand père (adoptif et biologique), le lieutenant et le Chef de Petite Tempête prit enfin son congé, tout en se traînant les pieds.

De dos, un oeil averti aurait pu voir entre les sombres marbrures de son corps des traces de griffures dans sa peau - sur le dos, se torsadant à sa croupe - et des morsures - là, à la racine de sa nuque -.

— Ou alors, apprend à sauver ta face! ♡

HRP: