Prévenir que Guérir ft. Étoile Foudroyante - end

Coeur de Puma ne lui répond pas avec les mots, mais avec les yeux. Il s'est tu, le vent siffle plus fort qu'eux-deux et fait balotter les oreilles du bengal (ainsi que ses stupides poils calcinés dedans, qu'il rabat derrière ses joues d'un coup de patte impatient).

Un silence s'immisce entre toutes les craquelures de son hésitation.

— Okay. Un silence, et l'air froid. Il faut prendre une bonne respiration, pour se calmer. Une bonne respiration, en plein vent d'hiver, est une chose plus facile à dire qu'à faire: ses poumons se frigorifient et lui arrache le soubresaut d'une toux. C'est inconvénient, mais rien n'arrête Étoile Foudroyante. C'est ma faute, il dit. Je suis désolé.

Il cherche des yeux le reste de la solution dans un coin, puis dans l'autre. En vain, il regarde Puma.

— Je... savais que tu voulais être seul, et, je t'ai brusqué quand même. Ça me... Il ne va pas au bout de sa pensée ...Je me charge d'aller chasser, est ce qu'il choisit de dire.

Les actions pèsent plus que les mots. Il en a beaucoup trop dit, Coeur de Puma n'a pas besoin de ça --

— Je ne t'oblige à rien.

Il rentre le menton dans le cou, s'acroupissant tout en se détournant de sorte à présenter le profil de ses marbrures à son camarade.

— Je ne t'oblige à rien. il répète, ou plutôt s'assure de répéter, pour éviter de semer les graines d'un nouveau malentendu.

HRP:

Alors, Coup de Foudre s'éloigne. La glue de sa gueule semble avoir coulé sur ses pattes puisqu'elles ne s'arrachent même pas du sol pourtant désagréablement froid.
Pourtant, il le sent; il voudrait le suivre, presque autant qu'il en a envie lorsqu'un écureuil lui passe sous le nez. Il n'y a pas d'autres mots, simplement cette impression incontrôlable qu'il faut courir après.

Et il reste planté là, muet.

Le bengal disparaît alors entre les branches nues de la forêt, la queue basse tandis que le vétéran s'assoit, contemplant ses fichues pattes qui n'ont pas su bouger à temps. Il se sent vide, tout à coup.

Quelques minutes auparavant, il était comme un hérisson se gavant avant l'hiver, à deux doigts de vomir tant il avait ingurgité ces dernières lunes. Mais maintenant qu'il s'est délesté de la gueule, il se sent terriblement triste.
La rage au moins, lui donnait la vigueur d'aller chasser et de s'activer.
Mais la peine le cloue ici et les flocons de neige s'accumulant sur son poil ne l'aident pas à bouger.

Les minutes de silence s'écoulent plus vite qu'il ne le croit et bientôt, c'est comme si rien ne s'était passé ici pour la forêt. Les yeux fatigués, il n'a pas quitté ses larges doigts désormais habillés d'une fine couche blanche.

Seul un craquèlement fait naturellement tiquer son oreille. Un second attire son regard.
C'est là qu'il le découvre.

Le repas de la saison. Un gros faisan qui s'aventure sans doute par ici car son groupe a déjà farfouillé les environs de la rivière.

Ses pupilles se dilatent et son cœur s'accélère soudain, conscient de l'enjeu de chaque mouvement. Cet oiseau pourrait les faire tenir plusieurs jours, c'est une véritable bénédiction par pareille météo.

Sa gueule se désenglue comme ses pattes qui le tournent alors silencieusement vers l'animal. Il se tapit contre le sol, son pelage roux dissimulé sous la neige dont il ne s'est même pas débarrassé pendant tout ce temps.

Le matou balafré tente d'approcher sa proie à pas feutrés, déployant toute sa patience pour ne pas éveiller les soupçons. Il parvient à se rapprocher à bonne distance et pris sous la fatigue, choisit de bondir trop tôt ! La gallinacé alerté se retourne immédiatement et prend un demi-vol, le rouquin frustré à ses trousses.

« N--Non ! » geint-il de désespoir en s'élançant vainement derrière l'oiseau coloré.

Mais heureusement, le faisan est mal habile et peine à prendre de la hauteur entre les arbres serrés dans lesquels il a pris la fuite. Cœur de Puma n'abandonne pas et œuvre de toutes ses forces pour réduire la distance qui le sépare du repas.
Mais le volatile s'éloigne toujours un peu trop tant et si bien que cette course-poursuite commence à durer. A bout de souffle, il hurle à qui veut bien l'entendre :

« Faisan!! Attrapez le faisan!! »

Il doit bien y avoir des camarades quelque part autour, non ?! Avec tous ces apprentis en vadrouille...
Purée, si seulement il avait encore 20 lunes!

HRP:

HRP:

Il ne savait pas vraiment ce que Coeur de Puma était parti faire, quand il s'engagea dans la forêt. En sortant les griffes pour les planter dans l'écorce et gagner la hauteur, il songea à revenir sur ses pas, espionner les alentours, repérer sa fourrure fauve dans la neige, mais il dut s'abstenir. Qu'est-ce qui est pire qu'un supérieur trop entreprenant cherchant à planter ses griffes dans vos plaies? Ça coule de source: un supérieur trop entreprenant incapable d'avoir confiance en vous et votre vie privée. Étoile Foudroyante n'avait pas besoin de savoir tout ce qui se passait entre les oreilles de Coeur de Puma — pas quand Coeur de Puma ne savait même pas encore mettre en mots comment il se sentait. Mais c'était plus fort que lui, de... de vouloir prévenir qu'une scission ne se crée entre eux. Qu'un goufre plus grand encore ne s'ouvre et le fasse tomber dedans. Ou c'était peut-être de l'espoir vain. Peut-être qu'il était déjà trop tard, et ce goufre s'était déjà ouvert, et que l'émoussement de son ressenti l'épargnait du vertige de la chute.

L'hiver, ses sens lui jouaient des tours. Quand le vent sifflait trop fort, il l'entendait hurler entre ses oreilles, parfois même quand il ne ventait plus. Ses yeux voyaient l'écorce sous ses pattes, ses pattes ressentaient leur texture, et pourtant chaque rayon de soleil lui trompait l'oeil en lui faisant voir des troncs figés dans de la glace. Le souvenir du blizzard marchait dans le moindre de ses pas comme s'il eut s'agit d'un autre chat. Ou peut-être qu'il était lui-même le Blizzard, qu'Étoile Foudroyante - Coup de Foudre - Nuage Foudroyant était mort, à cette veillée, et qu'il se contentait d'articuler son corps parmis les autres chats en tentant de se faire passer pour un des leurs.

L'image lui arracha une grimace d'auto-dérision, et il secoua sa tête.

Pressant le pas aux craquèlements des branches, Étoile Foudroyante scruta de son promontoire le contre-bas et les buissons enneigés pour toute trace de mouvement. Il en vit un: il se hâta sur le tronc de son arbre pour se jeter à son pied mais une fois les deux pattes dans la neige, le vent siffla et emporta la poudreuse autour de lui. Il ne sut plus s'il avait bien vu une souris, ou si c'était la saison qui se jouait de lui. Le vent lui emporta une voix.

« N--Non ! »

Son oreille battit l'air, avant de se pivoter vers l'arrière. Le bengal rondit les yeux.

Un corbeau, c'était un gros oiseau. Le genre d'oiseau que lorsqu'on en ramenait au campement, on s'emmêlait les pattes ensemble car ses ailes et ses plumes prenaient tellement d'espace qu'il fallait user de tout son corps pour transporter leur masse. C'était aussi malin -- la raison principale pourquoi Étoile Foudroyante les détestait tant -- mais surtout, surtout on les reconnaissait pas leurs plumes noires et irisées, comme un reflet de soleil dans le goudron. Il n'avait jamais vu la pelisse d'un chat avec cette caractéristique. Elle n'appartenait qu'aux corbeaux (il les enviait).

Ce qui lui fonça dessus, c'était l'inverse d'un corbeau. C'était un
—

— Faisan!!

Tout arriva en même temps: une ombre vive explosa en couleurs, qui explosèrent dans sa bouche — Stupéfait, Étoile Foudroyante referma ses mâchoires dans une aile, arrachant à l'emplummé un cri de crécerelle qui lui vrilla les oreilles. L'oiseau tenta aussitôt de battre ses ailes, déplaçant de l'air tout en froissant bruyamment ses plumes de sorte à pétrifier le bengal et le faire se cramponner à la neige en tentant de renverser l'oiseau.

« Attrapez le faisan!! » il reconnut la voix de Coeur de Puma au delà du vent, et c'est ce qui coûta à Étoile Foudroyante sa prise. L'oiseau, incapable de prendre son envol, recula brusquement sa tête en courbant son cou pour envoyer toute la force dans ses tarses. À la vue de ses serres, le bengal lâcha tout, s'écartant dans la neige d'un plongeon maladroit « W-whoa-- »

L'oiseau tituba au déséquilibre en cherchant à se stabiliser d'un battement vigoureux des ailes. Tout ce qu'il accomplit fut de tacher la neige de goutelettes de sang.

Les pupilles d'Étoile Foudroyante se dilatèrent à leur vue. Il ne croyait pas pouvoir stopper l'oiseau (l'oiseau qui était tombé sur le flanc et qui se relevait en battant bien littéralement de l'aile) mais si ce-dernier ne pouvait plus voler, il pouvait courir. L'idée lui zappa la tête et déjà le Bengal bondit pour effrayer le faisan d'un claquement de dents — avec succès! — le renvoyant à grande-course vers l'expéditeur.

À défaut d'avoir pu le capturer, Étoile Foudroyante se hâta de remonter dans l'arbre pour filer par les branches, suivant l'explosion de couleurs qui s'apprêtait à foncer droit sur Coeur de Puma.

— _*Huff*   l'air froid lui brûlait les poumons, mais qu'à cela ne tienne: Il est à toi, Puma!

Le faisan le distance tant qu'il le voit à peine, d'autant que le volatile soulève la poudreuse à chaque battement d'aile paniqué. Seul le cri strident de l'animal lui indique qu'il vient de lui arriver malheur (ou plutôt, dans son cas, grande fortune!). Le vétéran voudrait redoubler d'efforts mais il n'en peut plus; ce n'est pas donné à tous les chasseurs, de courir aussi longtemps après une matinée de chasse et une bouchée d'écureuil froide.
Alors ses pattes se relâchent et il s'arrête pour reprendre quelques respirations. Son souffle capturé en condensation forme bientôt un nuage autour de sa gueule, tout autour de son crâne avant de s'élever dans le ciel et de disparaître.

Contrarié par son propre manque d'endurance, le rouquin fronce les sourcils. En tendant l'oreille, il ne comprend pas bien ce qu'il se passe, quelques mètre plus loin mais il distingue du remue-ménage car de grands voiles blancs successifs accompagnent les bruits de lutte.
Dans son esprit, il lance les paris : alors, qui vient d'attraper son faisan ? Queue de Lézard ? Oh, ça lui ferait plaisir ! Peut-être que Nuage de Matin lui prête patte forte ?

Raté.

« Il est à toi, Puma! »

Cœur de Puma le corrige-t-il alors que déjà la tête verte affolée s'arrache au dernier voile clair de poudreuse à six queues de renard de là.

La bestiole ne bondit plus aussi loin ou alors de travers. Évidemment, puisque Coup de Foudre vient de l'amocher tant et si bien que le gallinacé se transforme en une alarme suraiguë qui fait plisser les yeux du vétéran de douleur. Il ne relâche pas son attention plus longtemps et se prépare, faisant face à l'oiseau qui n'a d'autre choix que de se rabattre vers son premier poursuivant.

Cœur de Puma s'avance au pas, concentré. Et alors que la bête aux yeux décorés de rouge s'élance maladroitement juste contre un tronc, il lui saute sur l'abdomen. Ne laissant aucune chance à sa proie, le rouquin le plaque contre l'écorce froide et plonge ses crocs dans son cou avant de serrer la mâchoire. Alors qu'il sent le débit sanguin de sa proie s'affaiblir, le sien redescend enfin. Le souffle court, il ne relâche sa gueule qu'une fois assuré que le plumé a bien pris son dernier envol.

Les yeux clos et en silence, il adresse un remerciement au Clan des Étoiles; ce faisan n'est pas arrivé là par hasard.

Il garde cette pensée à l'esprit lorsqu'en relevant les yeux, il découvre la silhouette sombre de son partenaire de chasse. Toujours perché, le bengal échange un regard avec lui.

D'ordinaire, il se serait certainement senti regardé de haut.
Mais de suite, il se sent surtout bête.

Désinhibé par l'adrénaline de la chasse et l'euphorie de la prise, les mots lui glissent sans qu'il ne les sente partir :

« Bah alors? Il avait jamais vu un chat flambé celui-là?! »

Sous sa babine rougie de sang, un sourire incontrôlé déforme sa gueule.

Le repas de la saison.

Étoile Foudroyante s'arrête de courir, penchant sa tête d'un côté comme de l'autre pour tenter d'y voir au travers des embranchements.

Impact — Quelle réception! La neige se déchaîne en dessous de lui et il entend les grondements du guerrier qui se mêle au souffle affolé du volatile.

— Oh?

Étoile Foudroyante piétine en hauteur - là, un carré de sang sur une congère. Le vent lui souffle au nez son odeur. L'excitation doit le rendre maladroit, ses pattes s'emmêlent lorsqu'il s'accroupit pour rattraper l'action.

— Oh? Oh? Oh???

Son arbre tremble (l'oiseau s'est jeté sur le tronc) mais il n'en a pas pour longtemps.

La neige retombe.


La poussière.


Le silence.

Ses pupilles dilatées se fichent en plein dans ceux de son homologue, qui tient entre les dents toutes les couleurs de son splendide butin. La mauvaise saison accentue tout: la fourrure fauve de Puma, le sang dans la neige, la saturation dans les plumes de l'oiseau. Il ne semble pas qu'il ait déjà vu autant de couleurs au même endroit, et l'image le frappe et lui prend le souffle.

Puma est le premier à s'extasier:

— Bah alors? qu'il rugit presque, arrachant un sursaut au bengal. Il avait jamais vu un chat flambé celui-là?!

Le coeur d'Étoile Foudroyante se gonfle dans sa poitrine et soulève ses babines par un même sourire, asymétrique et carnassier comme jamais. Il se braque sur sa branche pour lui renvoyer toute son énergie:

— La vache mais tu t'es vu l'attraper!? HA HA HA!!!

Son épaule a chaud mais comme toute sa poitrine, comme tout son visage, bordel, Étoile Foudroyante se laisse tomber de l'arbre en se réceptionnant près du chasseur, se suspendant aussitôt en l'air d'un bond. Il se réceptionne, mais ce n'est pas assez: il répète les bonds autour de Puma tel un renard qui mulotte.

— Un Faisan, Coeur de Puma! Un Faisan!

Galvanisé, sa langue se dénoue complètement. Je n'en avais jamais vu un d'aussi près -- j'avais ses plumes dans la bouche, je — il se tait, s'arrête de bondir, cherchant son souffle au travers de son rire qui lui fait fermer les yeux et c'est tant mieux car il ne s'est pas rendu compte de la neige qu'il tache de sang.

— Le Clan a intérêt à chanter ton nom! Le Guerrier qui a taclé un Faisan au milieu de la mauvaise Saison! ♫ Coeur de Puma, Coeur de Puma, Coeur de Puma!!

Comme le froid qu'il ne ressent pas, Étoile Foudroyante n'a pas ressenti les serres du faisan lui griffer le grasset.

Tout aussi dopaminé que lui, le bengal le rejoint en s'écriant. Sourire face à sourire, les deux matous qui se tuaient en silence une poignée de minutes auparavant finissent par s'entre-dépasser en volume de rire, leur voix résonant entre les troncs nus des bois. Ils n'en revenaient pas! Un faisan!

Accroché à ses mots autant qu'il ne l'était au faisan juste avant, Cœur de Puma ne peut retenir ses hochements de tête excités de ponctuer les remarques de son ami. Il a raison : ses plumes... ses plumes sont si vives! Lui non plus, n'en avaient jamais attrapé avant! Il en avait entendu parler bien sûr, en avait même déjà goûté mais jamais choppé comme ça, jamais entre ses griffes, dans sa gueule, il--

« Le Clan a intérêt à chanter ton nom!
- Quoi? son sourire se fige un peu.
- Le Guerrier qui a taclé un Faisan au milieu de la mauvaise Saison! continue l'autre.
- Noooon, il ne faut pas, ses sourcils se tordent.
- ♫ Coeur de Puma, Coeur de Puma, Coeur de Puma!!
- A-arrête... » souffle-t-il, une nouvelle chaleur d'embarras lui montant aux joues.

C'était faux; c'est faux. Il n'est pas "Le Guerrier qui a taclé un Faisan" et puis

« Tu rigoles! C'est toi qui m'l'a renvoyé. J'étais crevé, je l'aurais jamais eu sinon! » pour reprendre les festivités. « On l'a eu à deux! »

Il reprend son souffle avant de pouvoir libérer « En... en équipe. » Un sourire teinté de remords habille ses derniers mots. Puis, baissant ses yeux sur le faisan tiède, il détourne : « Tout le monde va en profiter. » une lueur plus douce au fond des iris.

Il voudrait déjà pouvoir voir la tête de Lézard quand il y goûtera !

— Tu rigoles! « Coeur de Puma, Coeur de Puma, ha ha ha! » C'est toi qui m'l'a renvoyé. J'étais crevé, je l'aurais jamais eu sinon!
— N'importe quoi! s'esclaffe le Bengal.

Il lui décoche un solide coup de patte, complètement dépourvu de sa précédente frustration. C'est de la camaraderie — ... c'est de la camaraderie?

C'est ça, de la camaraderie...?

— On l'a eu à deux! reprend Coeur de Puma.
— Ha hah! N'importe quoi, j'te dis!

Étoile Foudroyante bat l'air et la neige et retombe sur ses quatre pattes, dépensant le reste de son regain d'énergie.

— En... en équipe, Puma continue.
— ...

Le regain d'énergie retombe lentement, et avec lui, une étrange sobriété s'élève dans l'air. Étoile Foudroyante laisse une de ses oreilles se pivoter vers l'arrière, rassemblant ses pattes.

— Tout le monde va en profiter.

Le sourire du bengal change de tenue.

— Enfin je te retrouve...
Un petit rire, affaibli, épuisé, lui secoue les épaules.

— Je... t'aides à le ramener? Il désigne le butin du nez. J'ai pas envie que tu te sentes obligé, de... devoir prendre le risque de marcher à mes côtés, haha.

Son sourire s'est surit, mais la blessure est aussi invisible que celle sur sa cuisse.