Le grand méchant l-roux ! - avec Brasier Caniculaire

LE GRAND MECHANT L-ROUX

ft. Petit Crapaud

Lune après lune, il enchaînait les jours comme un bagnard. Chaque matin, il se levait avec la hâte de se recoucher au soir; dans une nuit sans un bruit, un sommeil sans vague, sans douleur, sans cette noirceur qui lui arrachait l'air des poumons. Mais dès qu'il ouvrait les yeux, sa litière trop petite, trop vide, lui rappelait l'absence de Crocs de Ronce. Et il la voyait, un peu plus loin, dans sa litière trop grande pour elle seule. Elle avait décidée de ne pas combattre pour Brasier Caniculaire, et avait choisit la simplicité de Dents de Sabre. Ce matou qu'il avait cru être un ami, qui avait été présent lors du procès, et de l'exécution de son géniteur Faucon Fugueur. Ce camarade Chuchoteur, celui avec qui il s'était salit les pattes à maintes reprises, celui qui souffrait du même poids d'un sang impur. Il l'avait poignardé, il avait profité de son malheur pour lui arracher sa compagne, pour lui faire des mouflets et pour finalement crever si facilement.

Avait-il été heureux au décès de Dents de Sabre? Il ne s'en souvenait pas, il avait l'impression d'être coincé dans une spirale infernale; où il n'avait aucune sensation, et en avait trop à la fois. Tout ce dont il se rappelait, c'était du froid de l'Hiver qui venait le tirer de son sommeil chaque matin. Il était seul. Terriblement seul. Aujourd'hui encore, il n'arrivait pas à comprendre où tout s'était écroulé. Était-ce vraiment à la mort de Mite Blanche, son apprenti? Ou n'était-ce qu'une excuse pour cacher le fait qu'il se sentait mal depuis bien longtemps avant la tragédie? Il ne savait pas, et réfléchir lui donnait mal au crâne. Alors il respirait un coup, ravalait ses questions et enchaînait les jours. Depuis combien de temps était-il en pilote automatique? Quelqu'un s'en inquiétait-il assez, pour le remarquer? Pas même son mentor et meneur, pas même sa sœur qui lui avait tourner le dos, pas même celle qu'il avait aimé.

Aujourd'hui encore, il se retrouvait à veiller. Est-ce qu'il continuait de veiller Mite Blanche depuis tout ce temps? Ou était-ce sa propre mort qu'il veillait? Il était assis; dans la périphérie du camp, près des murs de ce dernier, là où il était rare de voir du mouvement. Droit comme un piquet, oreilles basses et regard dans le lointain, il se perdait dans son esprit. Il voyait le vague, la vision trouble, incapable de se focaliser sur quoi que ce soit. Les bruits étaient lointains, comme étouffés, comme s'il avait la tête sous l'eau.

Ce fut un piaillement bien trop aigu qui vint le tirer de ses pensées. Il prit quelques longues secondes à finalement tourner le regard vers la source de ce brouhaha. Pourtant, il ne bougea pas, ne détournant même pas la tête. Il semblait immobile, comme si la saison des neiges l'avait figé dans la glace. Un chaton. Mais il reconnaissait cette pelisse brune et cette tête de fouine; Petit Crapaud. C'était le mouflet de Branche Pâle, celle dont toutes les rumeurs parlait. Contrairement à ce que le roux aurait pu croire, le petit ne sentait même pas le sang fictif que l'on collait à la fourrure de sa matrone. Que lui voulait-il? Il ne l'avait même pas écouté. Il prit un bon instant à comprendre ce qu'avait pu lui dire le jeunot; se remémorant les dernières secondes pour en tirer un contexte. Une langue de serpent? On parlait encore de ça, de nos jours?

Ce n'était qu'un gosse. Détournant lentement la tête vers le petit, il le dévora de ses yeux dont la lueur manquait. Il laissa couler les secondes; une, puis deux, puis trois, puis quatre, et le silence en devenu presque gênant. Finalement, Brasier Caniculaire ne pipa mot; entre ses babines serrées, il sorti rapidement sa langue, la faisant danser de haut en bas comme le faisait les reptiles, avant de la faire disparaître aussi vite qu'elle n'était sortie. Au final; le cadeau qu'Aiguille de Pin lui avait fait pouvait se rendre utile. Tout ce qu'il espérait, c'est que ça suffirait soit à assouvir la curiosité du juvénile, soit à le faire détaler comme un lièvre.

LE GRAND MECHANT L-ROUX

ft. Petit Crapaud

Il avait presque amorcé une bombe. Le résultat n'avait pas été celui qu'il espérait, le marmot restait là, planté comme un pic, à l'épier et à plisser les yeux de façon presque ridicule. Le petit se donnait un air tétu, refusant de faire demi-tour sans avoir eu sa réponse: et il lui donna. Ce qu'espérait Brasier Caniculaire, c'est que la curiosité du jeune ait un fond, et que la peur ou le dégoût prenne le dessus pour le faire déguerpir. Finalement, Petit Crapaud bégaya une réponse, cherchant ses mots. Peut-être avait-il réussi, au final?

Et bien non. Petit Crapaud laissa explosé sa joie, sautant sur place, comme un chiot qui venait de récupérer sa balle. Le roux aurait presque eu un geste de recul, si son corps n'était pas coincé dans la roche. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de ressentir de la pitié pour Petit Crapaud. Était-ce réellement de la pitié? Ou de la jalousie?

Il repensait toujours à Crocs de Ronce. Son fils, Crocs Féroce, avait reçu son nom de guerrier il y a peu. Il avait porté le nom de son père, qui dans sa jeunesse avait été Petits Crocs lui-aussi. Et aujourd'hui, il arborait un nom similaire à Crocs de Ronce. Brasier Caniculaire n'arrivait pas à passer à autre chose: il détestait Dents de Sabre, il lui en voulait pour cette trahison, il lui en voulait pour être mort. Lui qui avait été son frère d'arme, mais aussi son cousin d'adoption. Grain de Sel, qui n'avait jamais aimé Brasier Caniculaire, était le frère de Faucon Fugueur, et donc l'oncle du roux. Comme Dents de Sabre avait pu se permettre de lui faire ça, à celui dont la famille l'avait accueilli et élevé?

Il fut rapidement ramené sur terre quand Petit Crapaud commença à piailler un tas de question. Le chaton était inépuisable, il voulait savoir comment sa langue avait été coupée, comment il avait reçu ses nombreuses cicatrices, comment il s'appelait. Le roux fit danser ses moustaches, avant d'indiquer au petit de se calmer d'un signe de tête.

« - J'suis Brasier Caniculaire. C'est Aiguille de Pin, l'frère de Cr- » Son zozotement était lourd sur certaines prononciations.

Il se tut un instant, comme si sa propre langue l'étranglait. Il se rendait compte à cet instant-là, que depuis tout ce temps, il n'avait jamais dit son nom à voix haute. Comme si son corps lui interdisait. Il toussota rapidement, comme pour éclaricir sa gorge et simulé une quinte de toux.

« - L'oncle de Crocs Féroce, qui m'a fait ces cicatrices. »

Il détourna rapidement les yeux, comme pour fixer le sol et rassembler son esprit l'espace d'un instant, avant de replanter ses yeux sur le jeune enfant. Il ne pouvait s'empêcher de voir les traits de Branche Pâle sur le visage du petit, si bien qu'il ne savait pas réellement quoi en penser. Enfin, il ne pouvait lui reprocher d'être l'enfant d'une famille qu'il n'a pas choisi; il avait été à sa place, et aujourd'hui encore on lui reprochait les actes de ses parents.

« - Et toi, t'es P'tit Crapaud, c'est ça? »

LE GRAND MECHANT L-ROUX

ft. Petit Crapaud

Il était pensif; il repensait à ce que lui avait fait Crocs de Ronce, et à quel point il était incapable de dire son nom à voix haute. Elle avait profitée de sa faiblesse, elle avait profitée qu'il soit en deuil pour s'éclipser avec Dents de Sabre, alors que lui pleurait la mort de Mite Blanche. Celui qu'il avait cru être son ami, avait préféré écouter ses couilles plutôt que son crâne. Mais il savait que le problème était plus profond qu'une amourette entre ces deux-là; il l'avait vu, tapis dans l'ombre, avec son sourire mesquin et ses prunelles sapin; Cendre Sylvestre. Sa propre sœur, enfin, demi-sœur, s'était immiscée auprès de Crocs de Ronce pour lui susurrer son venin, pour lui glisser des idées d'infidélité. Qu'est-ce qu'elle préparait d'autre, maintenant qu'elle avait réussit son coup? Préparait-elle le suivant?

Et pourtant, il ne pouvait la détester. Car si elle le détestait, c'était entièrement sa faute. Il était le bourreau de leur père, et ça, Cendre Sylvestre ne l'avait jamais réellement accepté. Ou était-ce son sang pourri, plus que la mise à mort de leur père? Ou était-ce parce que Cendre Sylvestre avait voulu voir Faucon Fugueur souffrir; payer pour ce qu'il avait fait, en vivant une vie de merde. Brasier Caniculaire, lui, avait offert la porte de sortie à son paternel, mais il était certain qu'il payait ses dettes à la Forêt Sombre, comme il le méritait. Finalement, le petit crapaud lui demanda ce que voulait dire son nom. Le roux redressa le regard, réfléchissant visiblement.

« - C'veut dire très chaud, trop chaud; étouffant. Comme la Canicule, qu't'as pas connu encore. »

Et avant même qu'il puisse terminer son explication, le mouflet reprit de plus belle, le harcelant de questions et de remarques. En tout cas, on ne pouvait pas ignorer qu'il était curieux, et c'était une bonne chose. Il ferait un parfait élève s'il gardait son émerveillement pour ce qu'il ne connaissait pas encore.

« - Oui, il a une grosse cicatrice à l'oeil et lui manque un bout d'oreille. »

Il ne se sentait pas spécialement fier de ce qu'il avait fait dans sa jeunesse; encore à la pouponnière qu'il avait faillit crevé un œil à Aiguille de Pin. Et leur affrontement, ils l'avaient longtemps caché sous l'attaque d'un renard, avant de finalement avouer la vérité et se faire remonter les bretelles. Mais le mal était fait; et il ne pouvait plus prendre le temps de mentir sur ses blessures. Et puis après tout, Aiguille de Pin et lui s'étaient réconcilier. Sûrement parce qu'il s'était prit l'attaque d'une vipère pour lui; et lui avait donc sauver la vie. Lorsque le petit reprit la parole, le roux accompagna sa blague d'un court rire gras; il était mignon, ce mouflet. Il l'appréciait bien.

« - J'aime bien l'crapaud moi; ça s'mange bien et c'marrant à chasser. »

LE GRAND MECHANT L-ROUX

ft. Petit Crapaud

Le petit brun semblait passé un bon moment; ses remarques et ses gestures faisaient sincèrement sourire le roux. Au final, il n'était pas aussi horrible que sa matrone. Peut-être y avait-il toujours de l'espoir pour que ce p'tit mouflet devienne un grand et bon guerrier. Affichant un large sourire, accompagné d'un rire gras, il reprenait espoir dans le futur. Peut-être que les journées ne seraient pas sombres indéfiniment; peut-être que tous pourraient retrouver la lumière et la joie de survivre un jour de plus, de vivre. Il pouvait voir un avenir à travers les yeux brillants de Petit Crapaud, et pour une fois depuis de très longues lunes, il espérait être là pour le voir.

Le mouflet s'extasiait à chacune des paroles de Brasier Caniculaire; il trouvait ça trop cool, qu'il se soit blessé et qu'il ait blesser. Et pourtant, c'était contre un membre de son propre clan qu'il avait fait coulé le sang. Mais tout avait été pardonné par Aiguille de Pin, qui était devenu un très grand ami au roux depuis qu'il l'avait sauvé d'une mort certaine face à une vipère, prenant le coup pour lui. Il avait passé des jours et des jours dans l'antre des guérisseurs, à vomir ses tripes dans l'espoir de recracher tout le venin. Et il s'en était sorti; un miracle? Ou était-ce la preuve que le Clan des Étoiles, que la mort n'en voulait pas non plus?

La voix du petit chaton tremblota légèrement d'excitation quand il déclara au roux qu'il n'était as n'importe quel "crapabo", qu'il était Petit Crapaud! Le regard du brun était plein de challenge, alors Brasier Caniculaire se redressa dans un bond, étalant l'avant de son corps près du sol alors qu'il faisait danser son arrière-train. Sa queue ondulait dans les airs, et il martelait la poussière de ses pattes arrières, un large sourire joueur sur le visage.

« - Ah? Prouve le moi! »

D'un léger bond, il s'écrasa à côté de Petit Crapaud, l'assaillant de légers coups de pattes, le chatouillant par moment, faisant très attention à ne pas être trop brute ou à le blesser. Il était secoué d'un rire gras alors qu'il affrontait le petit brun. C'était comme s'il retrouvait ses lunes de jeunesse, qu'il était redevenu un chaton, lui aussi.

« - Aha! J'vais t'manger tout cru P'tit Crapa-bo ! »