La Loi de la Gravité [pv Ecarlate]

Elle parlait peu, Ecarlate. Ca n'était même pas qu'elle fuyait l'interaction. Si ça avait été le cas, elle ne se serait pas forcée à rester à tailler le bout de gras avec lui, elle aurait foutu le camp depuis longtemps. Mais sa façon de se répondre aux timides tentatives de Tonton de continuer la conversation...

Ca sonnait étrangement familier.

Dans la ville où il avait grandit, beaucoup de chats parlaient comme ça. Un peu trop catégoriques, un peu trop brefs. Un peu pressés, et un peu méfiants. Il fût un temps où Tonton était comme ça, lui aussi. Il n'avait jamais été très bavard, et on lui avait appris très tôt à s'occuper de ses affaires, même si il avait tout de même développé la fâcheuse habitude de se mêler des soucis des autres. La vie avait un peu érodée cette facette de sa personnalité - les enfants l'avaient rendu plus joyeux, et de fréquenter des chats pleins de vie, comme Rusty ou Grenouille, avait renforcé son intérêt pour la parlotte. Il n'était jamais celui qui en disait le plus, il restait un peu maladroit avec le mots, mais il aimait bien ça.

Peut-être qu'Ecarlate était comme lui, alors? Son apparence laissait déjà suggérer qu'elle venait de la ville, ou d'un endroit comme ça. Elle avait tout l'air d'être en pleine phase de transition... Tonton lui aurait bien souhaité bonne chance, mais comme les mots n'étaient toujours pas franchement son fort, il préféra rester sur des terrains plus sûrs:

"Moi aussi... Pour les problèmes comme la distance. Même si, honnêtement, je trouve qu'on y gagne beaucoup, à ne plus être seul."

Il secoua la tête:

"Ah... C'est peut-être l'âge qui parle, mais c'est rassurant de savoir qu'on peut compter sur d'autres chats. C'est plus... Convivial qu'en ville, par ici."

C'était rare, qu'on le mette dans la catégorie des "bon chats". Quand il n'était que traine poubelle, on le traitait volontier de parasite. La femme qui s'occupait de ses enfants avait rapidement décidé qu'il n'était qu'un vecteur de maladie qu'il fallait éloigner de ses protégés. Quand aux chats d'ici... Allez savoir. Ceux avec qui il s'entendait, qu'il affectionait tout particulièrement, diraient sans doute qu'il était un bon chat, mais pour les autres, il restait ce type bizare qui rôdait trop près de leur précieuse frontière.

Du coup, d'entendre Ecarlate dire ça, même si il sentait comme une question se cacher derrière ses mots, ça lui fit plaisir. Il cligna des yeux dans son direction.

Quand il les rouvrit, c'était pour s'étonner - Alors comme ça, Ecarlate ne venait pas de la ville? Le collier et les cicatrices lui avaient laissé croire le contraire... Comme quoi, les préjugés...

Elle n'avait pas l'air d'avoir envie de se livrer davantage, aussi il se contenta de soupirer:

"Les chats n'ont pas toujours de quoi se mettre sous la dent en ville, la vie y est dure... Il faut être un vrai dur à cuire pour y survivre, ça rend certains chats un peu aigris."

Il l'avait peut-être été. Un dur à cuire. Et aigri, aussi. Les enfants avaient changé ça, et les rencontres qu'il avait fait ici aussi. Tonton en rirait presque - Il ne se faisait pas d'illusion, la ville aujourd'hui, il n'y survivrait certainement pas.

Il s'était ramolli.

"Enfin." Il ne savait plus trop où il allait avec ça. Ecarlate n'était pas la plus bavarde des chattes... Et lui le plus bavard des chats. Ca risquait vite de tourner en rond, et il ne voulait pas partir brusquement pour mettre fin à la rencontre. "Je suis bien content de croiser des chats différents, par ici, même si certains se prennent aussi pour des durs à cuire chez nos voisins des clans."