You’ll never find an answer || Coup de Foudre - end

Il avait passé la dernière semaine ░░saturé░░

░░Saturé░░ de chagrin et ░░saturé░░ de colère, à s'enfoncer dans le déni en grimpant la première branche pour éviter de croiser le chemin ou les regards des autres guerriers. Le Temps et l'Espace lui filaient entre les griffes. Ces jours-ci le soleil ne courait plus dans ses cadrans il roulait, il sautait, il ricochait, et parfois il revenait aux cadrans précédents, ou alors s'immobilisait complètement dans le ciel.

Son corps, c'était pareil. Un instant il était dans le campement, un autre il était ailleurs, dans les branches, près de l'eau, emmitoufflé dans sa renardière et en sortant de sa torpeur il se sentit réel, à l'air libre de la nuit, à respirer les sédiments entre les plateaux en Dents Pointues des Hautes Pierres. Il avait commencé à les descendre (le sol s'effritait entre ses coussinets) et s'était peu à peu éloigné de la Gorge de Ténèbres qui avait manqué de l'engloutir pour toujours.

Il lui semblait être encore capable d'entendre les échos s'y réverbérer. Taupe, qui avait juste voulu bien faire en aidant un ami. Étoile Vaillante, qui était venue mettre les points sur les i (ou toute autre équivalence pour un chat). Il se rappelait du blizzard - son blizzard - lui, le blizzard qu'il était réellement, le centre de contrôle qui dirigeait et véhiculait le reste de son corps. Il dut le freiner dans son mouvement lorsque sa toute petite sauveuse le talonna en trottinant très vite.

‎— « Je ne suis pas ta guérisseuse, Coup de Foudre. Je ne suis la guérisseuse de personne.

Même sur trois pattes il semblait aller plus vite qu'elle - c'était sa taille qui lui permettait de raccourcir les distances qui lui prenaient le double des foulées. Il l'entendit grogner, vit l'ombre de sa queue fouetter l'air d'agacement, retenant un sourire à ses babines sans lui donner l'espoir de ralentir.

La percussion de leur pas était ponctuée par les graines de pavot qui se tintaient dans la boule qu'elle trimballait dans sa bouche.

‎— « Je te raccompagne jusqu’aux quatre chênes. Discute pas.
— O.k. »

Alors il ne discuta pas.

Sous le voile de la nuit, en distance, d'yeux de monstres éclairèrent la purée de pois qui se levait avec l'heure tardive qui s'avançait. La lumière se diffua sur les goutelettes de condensation, et deux petites ombres apparurent au travers en s'approchant de la terre noire du Chemin du Tonnerre. Une guérisseuse et sa charge, bien que cette-dernière claudiquait sur trois pattes, refusant l'aide et les soins de la première. Il devait cependant avouer Vent du Nord tenace, bien sûr, mais surtout coriace : pour un si petit chat de traîner le corps d'un bengal en dehors de la grotte de la Vie, sa dévotion envers les Étoiles et leurs lois arbitraires était presque honorable.

Encore qu'il fallait en avoir, de la salive, pour l'économiser. Il avait hâte de trouver l'herbe ou un quelconque coin humide à lécher, car la vilaine toux qui l'avait pris plus tôt lui chatouillait encore le fond de la gorge, lui promettant de revenir... bientôt. Aussi, plus vite ils traverseraient le Chemin du Tonnerre, plus vite ils trouveraient la bande d'herbe, les barrières de buissons d'ajonc du vent, et les Quatre Chênes. Il savait, et avec certitude, que c'était là-bas qu'ils pourraient le mieux se désaltérer. Un son attira son attention sans vraiment qu'il ne s'en soucie. Ça va, c'était la nuit, il était loin du campement, toutes sortes de bestioles nocturnes devaient rôder dans le coin alors réagir au moindre petit grattement ou au moindre petit tintement ne devait pas-- non, quelque chose clochait.

Il n'entendait plus les petites graines qui suivaient leurs pas. Son oreille se pivota vers l'arrière, il plissa les paupières pour y voir au travers du brouillard. Il entendit des cliquettis qui lui firent sortir ses griffes par mimétisme et c'est après trois ou quatre foulées devant qu'il s'immobilisa. Il n'entendait plus celles de la guérisseuse. Perplexe, il tourna la tête, sondant l'obscurité à la recherche de sa petite accompagnatrice, marchant prudemment à rebrousse-poils en trottinant à reculons avant de se décider à faire volte-face et il la vit, droite, campée sur ses quatre pattes, parfaitement immobile, et... Et à bout de souffle aussi. Son oreille tiqua, sa commissures aussi, et il la laissa à sa... transe (qui sait, peut-être qu'on lui envoyait une vision?) pour presser le pas sur trois pattes et manquer de s'étaler sur deux en arrivant à la boule de mousse et au pavot. Sa queue s'agita, cette perte de temps l'énervait, et puis c'était elle qui avait insisté pour l'accompagner! Elle aurait très bien pu rentrer chez elle à son rythme!

...Et pourtant il était là, à pousser la fleur et les petites graines dans la mousse pour essayer de, de reconstruire la, le médicament (?) de la guérisseuse et le prendre délicatement entre ses dents. Il ne le toucherait jamais avec sa langue, ça non, des plans pour se faire guérir contre son gré, mieux valait laisser le maniement des armes biologiques à celle à qui on avait enseigné le protocole adéquat. Enfin-- en revenant sur ses pas, la mousse et la fleur du bout des crocs, il pencha délicatement sa tête pour mesurer au moins deux distances de queues entre les deux. ... Combien de temps ça durait, une vision?

Ou alors elle s'était subpreticement endormie?...

‎— « Tu as laiché tomber c'ha.

Il s'accroupit en fléchissant ses coudes et des jarrets, en s'abaissant à sa hauteur, posant le coli par terre en se reculant d'un ou deux pas dans le sol cahoteux.

‎— -...

"Tu n'es pas obligée de me rattraper" "Tu veux que j'aille plus lentement?" "Tu veux que je ch'te fiche la paix"? Malheureusement aucune de ces attentions ne sortit de sa bouche car il ne pouvait pas discuter, alors, bien qu'il était soucieux de rentrer, il s'assied, car il se dit que les Étoiles lui en voudraient sans doute de laisser derrière une guérisseuse sans défense au milieu de sa transe. Il fit mine de regarder ailleurs - retenant un nouveau sourire. Peut-être qu'Étoile Vaillante s'enquérait avec sa "messagère des cieux" qu'elle aurait en effet du le laisser moisir dans la grotte. Si c'était le cas, il lui réservait un très superbe "je te l'avais dit" au bord des lèvres, poussant un soupir pour écarter un peu de la fraîcheur du brouillard.

Il s'amusait à réfléchir aux logistiques des Étoiles - que puisqu'il les avait vues dans son rêve d'il y a... quelques... qui sait, c'était maintenant à Vent du Nord de les voir, car elles étaient "plus proches" de leur monde. C'était complètement absurde il l'admettait, mais... C'était familier. Il y avait longtemps qu'il avait laissé son esprit vagabonder vers des mathématiques aussi inutiles - la dernière instance devait bien dater de cette fois-là où Étoile d'Or l'avait accusé d'avoir voulu fonder des "chiotons" avec les chiens qui les poursuivaient (encore une mésaventure à raconter à ... plus personne). Assit dans la brume et peinant à y voir plus loin que le bout de son nez, il porta un nouveau regard sur la guérisseuse, qui -- elle vomit.

Genre tout son dos se tendit en même temps et elle vomit - Coup de Foudre recula prestemment sa tête, tordant une moue de dégoût, de confusion aussi, moindrement soulagé d'avoir posé la mousse-pavot à juste distance de sa sauveuse. Il abaissa ses deux oreilles malgré lui, souriant, mais jaune, incertain de savoir comment procéder suivant cette... intermission. Mais Vent du Nord ne se laissa pas arrêter, et c'est bien ce qui le perturba. Elle s'était mise en marche, attrappant son remède à la volée, prenant la tête du tandem, mais--

‎ — « Ça va. Coup de Foudre hocha la tête, bien que son air consterné révélait qu'il n'y croyait pas une seconde. Me— elle s'interrompit.

Vent du Nord s'interdit de dire merci. Pas d'inquiétude, Coup de Foudre entendit très bien son non-dit, haussant ses épaules en faisant mine que ça ne faisait rien - allez, quoi, il ne voulait pas la forcer à revomir, c'était rien qu'un mot, pas la peine de faire remonter un autre quatre-heures (même si, après un premier coup d'oeil, le premier... bol restitué semblait dépourvu de substance). Mais non. Il l'avait bien jugée, car pour elle, c'était bien d'une question d'honneur:

‎— Merci. Il hocha la tête à nouveau, le mouvement plus franc, visible malgré le voile humide. On peut y aller maintenant.

Il fit mine de regarder derrière, vers la hauteur des hautes pierres et la silhouette diffuse des Dents et de la Bouche qui Baîllait de la Grotte de la Vie. Le bengal tiqua d'une oreille, courba la nuque en baissant le nez pour regarder sa patte, et les marques de dents dans l'articulation de son jarret, qui descendait le muscle tibial. Il se hissa sur trois pattes (et il commençait à avoir le tour), gardant la quatrème au repos, emboîtant son pas mais cette fois c'est la guérisseuse qui le devança. En effet Coup de Foudre claudiquait plus lentement, pour accomoder sans lui dire sa sauveuse aux petites pattes, veillant à lui éviter un autre malaise (ou une autre répugnante vision, qui sait).

Le gravier et les sédiments lui piquaient les pattes, il avait hâte de rejoindre la bande d'herbe - ahhh enfin. Il se serait roulé dedans s'il avait eu moins de retenue, et surtout, moins mal à la patte! Il s'arrêta de marcher d'ailleurs, pour s'appuyer sur ladite patte et vite secouer la seconde, rejetant le sable et les petits cailloux que l'humidité faisait coller dans ses poils. Il fit de même avec les antérieurs (après s'être assuré de remettre sa patte blessée au repos), plus vigoureusement, en frottant carrément la pulpe de ses coussinets dans l'herbe avec l'énergie d'un chat domestique enterrant ses crottes.

Il se secoua après l'effort, penchant sa tête vers l'avant en se sentant haleter. Il avait hâte de boire - la brume, hélas, n'était pas très lappable.

‎— « Pourquoi tu m’as attendu ?
— ...?

Et comme ça sortait de nul-part il redressa légèrement la tête - avant de se rendre compte que la guérisseuse ne se trouvait pas devant lui, mais derrière, immobile dans le gravier, alors que lui s'était rendu tout près de la délimitation entre la bande de sécurité et la roche noire du Chemin du Tonnerre.

‎— C’est pas comme si tu avais des obligations ou quelque chose comme ça... et même si t’en avais, t’as pas l’air d’être le genre de chat à en avoir grand chose à foutre.

Elle avait à moitié raison. Ses deux oreilles se tordirent vers l'arrière, avant de pivoter sur tous les côtés, se redressant ensuite en faisant s'affaisser ses longs poils d'oreilles humides.

‎— Qui sait.

Il haussa les épaules, se laissant à rire faiblement sous cape. Ce n'est pas à elle qu'il irait raconter qu'il s'était fait l'escorte de Secret du Firmament dans le passé. Que leurs rendez-vous hors-terres se comptaient en cueillettes, et que chacun d'eux avait débloqué un nouveau palier dans leur amitié. C'était comme si elle lui demandait pourquoi il marchait plus lentement depuis qu'elle avait eu son malaise - il ne lui répondrait pas non plus. Elle était libre de lui mettre des mots dans la bouche - il lui en donnait le droit. Tout pour lui permettre de dénouer cette espèce de, de boule de rancoeur qu'il ressentait pulser au fond de ses yeux hétérochromes.

Il se détourna d'elle pour regarder la route, puis, tout en s'acroupissant, jeta un oeil de chaque côté, plissant les paupières en s'avançant rapidement en transverse vers le Chemin.

‎— Pas de discussion, tu te rappelles? »

Si la brume les masquait tout deux, sa robe charcoal le rendait presque invisible, comme quoi il était le plus à même d'être malencontreusement attaqué par un Monstre. Du bout des coussinets, ventre à terre, Coup de Foudre s'assura que le sol ne tremblait pas, signe annonciateur de l'arrivée des Monstres, et il fit un signe de tête et de la queue à sa sauveuse de vite passer devant lui.

C'était une chatte du Vent, non? Qu'elle fende le brouillard de sa course pour se rendre de l'autre côté! Ce qu'il ne lui aurait pas dit non plus, c'est qu'il songeait peut-être à y rester - dans tous les sens du terme.

Mais elle ne fendit pas le brouillard. Elle grogna, et il parut aussitôt interloqué, repliant une patte en l'air en levant haute la tête et les oreilles à la manière d'une belette. Il leva haute sa tête, pour suivre d'yeux attentifs le manège de la guérisseuse qui s'était mise en route (tout son poil était hérrissé) mais qui n'arrivait même pas à mettre la patte sur la terre noire. C'était comme un de ces apprentis de la Rivière qui hésitait à plonger, longeant la berge en pas de chassé. Mais... Elle l'avait suivi jusqu'ici, non? Elle avait du bien le repérer depuis la Lande avant de se décider de traverser ce tout petit bout de terre noire pour suivre sa piste jusque dans la Bouche de la Grotte de la Vie - qu'est-ce qui la bloquait comme ça? La terre noire était bien plus lisse que le gravier, et surtout, elle ne coupait pas les coussinets!!

Ses oreilles s'agitèrent, et il se mit en marche, poursuivant le chemin jusqu'à arriver à la bande d'herbe à l'opposé. Puis, comme si un miroir s'était placé entre elle et lui, il l'accompagna de son côté. Le miroir avait cependant la surface rayée car l'homologue de Vent du Nord n'avait que trois pattes pour le faire avancer.

Et au train où elle allait, Vent du Nord serait vite coincée à la croisée des chemins, là où le Chemin du Tonnerre se séparait en deux pour ceinturer tout le reste du bourbier et des pinèdes de l'Ombre. Mais cette nuit, impossible de voir aussi loin. Le brouillard effaçait tout ce qui se trouvait en distance, et tout ce qui se trouvait derrière eux.

Dans tout ce brouillard il ne voyait plus qu'elle, se calquant à la vitesse de sa fuite, s'arrêtant lorsqu'elle le faisait, lui levant la tête et la queue, de loin, pour l'encourager à passer le pas. Inutile de le faire avec des mots ou en sautant ou en caracolant sur-place, à la vue de tout ses poils hérrissés il se doutait que la malheureuse était peut-être du genre à craindre le Chemin du Tonnerre, et les Monstres qui couraient dessus. Il lui arrivait d'oublier que c'était une peur naturelle, chez les autres chats.